Est-il anodin de passer de la contraception
au THS ?
Marianne BUHLER
L'exposé demandé peut se
comprendre de plusieurs manières :
• est-il anodin
sur le plan physique et organique de passer d'hormones de synthèse à des
hormones « naturelles » ?
ou...
• est-il anodin
de vieillir et sur le plan physique et sur le plan psychologique ?
Définitions
Anodin : qui calme la douleur.
Sans gravité.
Sans importance.
Sans intérêt.
La question ainsi posée contient
partiellement la réponse.
1. Est-ce anodin pour la femme ?
A. Perception du vieillissement
Peut-on, dans la société de jeunisme
actuelle, se poser la question : est-il anodin de vieillir ?
Une enquête sur la perception
de l'âge chez les hommes et les femmes âgés de 45 à 49 ans montre
que la limite acceptée et donc acceptable est 49 ans :
Avant, on est encore jeune, après
on ne veut pas en entendre parler.
Erica Jung écrit :
58 M.
BUHLER « De
nos jours, on survit à la parturition et on se trouve confronté à
la cinquantaine » ; « nous avons repoussé les limites de
la vie et pourtant nous avons le culot de pester contre l'âge ».
Nous lisons partout que la cinquantaine n'est
plus ce qu'elle était et que c'est le début d'une nouvelle vie.
L'« âgisme » sexisme
de l'âge, frappe essentiellement les femmes ou tout du moins les frappent plus
jeunes que les hommes.
Les publicitaires vantent dans la cinquantaine,
la génération du baby boum et donc un potentiel économique non négligeable.
L'ILC « International Longevity
Center » en 1995 publie un dossier intitulé : « La
génération des 45-49 ans du baby boum au papy boum ».
À la moitié de leur vie,
entre deux âges, à la fin de leur jeunesse, les 45-49 ans sont une génération
à part entière.
Ces femmes ont eu 20 ans en 1968, ont
gagné 1 an de vie supplémentaire tous les 4 ans.
Elles ont devant elles encore une longue
vie.
Elles sont victimes d'une erreur de
calcul : « Pourquoi moi qui me sent si jeune, je ne peux plus être
enceinte alors que mon compagnon peut encore désirer procréer et y arriver
avec une autre ? »
Cette « pause »,
bien que connue consciemment ou inconsciemment, paraît mal programmée,
décalée par rapport à la « vraie vie ».
Elles ont conscience de pouvoir encore
modifier dans un sens positif leurs vies mais l'approche de la cinquantaine les
désarme.
Elles sont jeunes et la société
les considère déjà comme vieilles, ce qui les déstabilisent.
Combien arrivent en consultation avec
un retard de règles qu'elles attribuent à une grossesse possible.
La sentence (sanction ?) : « À
votre âge, c'est probablement un dérèglement hormonal de la périménopause,
n'est pas "entendable" ». Elle est considérée comme une agression
caractérisée du médecin !
La femme de plus de 45 ans est déjà
confronté à la perte de séduction.
Face à ce deuil annoncé,
la beauté mature qui est valorisée apparaît comme une stratégie
de défense de la société de consommation qui exalte à la fois
féminité et personnalité. EST-IL
ANODIN DE PASSER DE LA CONTRACEPTION AU THS
? 59
B. Femme et santé
Par une attitude active et volontaire, elles ont
l'objectif de retarder le vieillissement de l'organisme, de le maintenir en forme
le plus longtemps possible.
Elles s'occupent et entretiennent leur
corps, leur peau, leurs cheveux, leur poids.
Elles s'astreignent à de nombreux
régimes.
Elles vont régulièrement
chez le médecin, le gynécologue arrivant en tête du médecin
le plus consulté. Le dermato arrive en deuxième position.
C. Perception de la ménopause
Pour certaines, le cap n'existe pas.
Elles considèrent que c'est une
construction du discours médical :
- Je ne ressens rien de particulier.
- Où est le problème
?
Le traitement n'est pas abordé
sous l'angle du bénéfice sexuel mais sous celui du bénéfice
psychologique, physique et social.
D. Vieillesse
On ne se projette pas « vieux »,
l'âge de la vieillesse est flou : il n'y a pas d'âge précis.
Il dépend en fait de plusieurs
facteurs, en particulier de perte de ses moyens physiques et/ou mentaus.
C'est aussi un « état d'esprit ».
Cette définition permet de se
rassurer, d'autant plus que l'on se compare avec ses ascendants (parents ou grands-parents)
au même âge.
- Je pensais, il n'y a pas
longtemps à ma mère à 50 ans. Je faisais une comparaison avec
moi. Chez cette génération à 50 ans on était vieux. Elle agissait
comme une vieille, elle ne s'arrangeait pas, gardait sa blouse et était contente...
Donc vieux pour moi cela ne
veut rien dire.
Sur les références à
l'âge, tout le monde varie, en fonction de son propre vécu, mais aussi
de celui de la société.
En 1932, les démographes appellent
« vieillards » les personnes âgées de plus de 50 ans.
Après guerre, cette définition
concerne les plus de 60 ans, et une génération plus tard, nous passons
à 65 ans. 60 M.
BUHLER L'âge
de la vieillesse se déplace parallèlement à l'espérance de vie.
E. Inégalité pour la femme
L'âge de la ménopause en revanche ne
bouge pas puisque même dans des écrits anciens il est toujours situé
vers la cinquantaine, ce qui correspondait à la fin de la vie, il n'y a pas
si longtemps, mais qui est très décalé actuellement.
Or, une autre définition a changé.
Qui se souvient de ce que l'on appelait,
dans les livres de médecine, une primipare âgée ?
La primipare âgée était
une femme qui accouchait pour la première fois après... 25 ans !
Il y a donc duperie.
Les femmes sont jeunes plus longtemps,
leur espérance de vie augmente en permanence, mais l'âge de leurs ovaires
est immuable : à 40 ans, une femme sur 2 ne pourra plus être enceinte,
et si de plus en plus de femmes ont des enfants après 40 ans (augmentation
de 50 % en quelques années) elles ne représentent pas plus de 1 à
3 % des grossesses.
600 femmes accouchent après 45
ans (sur 700 000 naissances).
Des analystes adressent des patientes
pour grossesse car ils les sentent enfin prêtes pour être enceinte, mais
pour nous, gynécologues, il est déjà trop tard : leur FSH est
désespérément haute.
II. Quelles sont les femmes concernées par
le passage de la pillule au THS ?
À l'âge de la ménopause, 18 % des
femmes ont eu une hystérectomie et 7 % une ovariectomie bilatérale.
13 % des femmes interrogées utilisaient
une contraception d'après l'enquête menée sur plus de 1 580 femmes
âgées de 45 à 65 ans, dans le cadre de l'étude « 50
ans, la vie devant soi ».
53 % des femmes avaient arrêté
toute contraception longtemps avant la ménopause.
La question se pose aussi, de façon
légèrement différente, lorsque les femmes demandent si elles doivent
toujours « faire attention », ou si elles peuvent ne plus se
préoccuper de leur contraception.
Parmi ces 13 % de femmes, combien utilisent
une contraception orale ? EST-IL
ANODIN DE PASSER DE LA CONTRACEPTION AU THS
? 61
On imagine alors que c'est pour ces femmes
que se pose la question : « Quand, comment et pourquoi arrêter la
pilule ? ».
Si ces femmes sont sous contraception orale à
cet âge, c'est que pour une grande partie d'entre elles, elles sont parfaitement
bien avec leur pilule et se demandent vraiment pourquoi il est nécessaire de
l'arrêter.
Quels arguments pour les faire passer
au THS ?
III. Est-ce anodin pour le médecin de faire des
consultations « spécialisées » en ménopause ?
Comment est perçu le médecin qui s'occupe
de ménopause par leurs confrères qui s'occupent de stérilité,
obstétrique et même de contraception ?
- ça ne doit pas
être drôle.
- Tu n'en n'a pas marre de
voir des vieilles toute la journée ? Toutes ces bonnes femmes qui viennent
parler de leurs bouffées !
Ces consultations ont longtemps (toujours
?) été considérées comme moins nobles, moins glorifiantes, ingrates,
par rapport à celles d'obstétrique ou de stérilité.
Décidément, hors de la procréation
la femme intéresse peu !
Même parmi ceux dont le métier
est l'écoute analytique.
Il est intéressant de noter que
Marie-Christine Laznik dans sa thèse de doctorat en psychologie, Sexualité
féminine à la ménopause, remercie ses collègues qui ont accepté
d'être les interlocuteurs de sa thèse, « sur ce champ plutôt
ingrat » qu'est le milieu de la vie !
Milieu de la vie ?
La représentation de la femme ménopausée
est extrême.
Dans les congrès sur la ménopause,
nous passons en fonction des exposés sur le sujet des questions posées
sur la possibilité d'être encore enceinte à la perte d'autonomie
digne du 5e âge.
Qui ne se souvient de cette vieille
femme que l'on a vue et revue dans tous les exposés sur la ménopause comme
image de ce que l'on serait si on refusait le THS miracle !
Faire des consultations de ménopause
dans une maternité, qui de plus est spécialisée en stérilité,
semble parfois paradoxal : il faut expliquer aux médecins « fiviste »
qu'il y a une grande différence 62 M.
BUHLER entre « ne
plus pouvoir être enceinte ou bénéficier de Pma » et être
ménopausée.
Cette différence c'est 10 ans en moyenne,
ces 10 ans qui séparent le début des dosages hormonaux élevés
de FSH qui font refuser un traitement de stimulation et ce que l'on peut appeler
ménopause.
Imaginez des femmes de 35 à 40
ans qui viennent pour désir de grossesse et qui, alors que leurs cycles sont
réguliers et qu'elles n'ont aucun trouble particulier, hormis leur stérilité,
sont envoyées en consultation de ménopause sur la foi d'un dosage hormonal.
Il semblerait encore plus déplacé
de faire ces consultations en hôpital gériatrique !
Alors, passer de la pilule à la substitution hormonale, est-ce
que cela peut se résumer à changer de type d'hormones ?
Non, bien entendu.
Doit-on obligatoirement lorsque l'on
arrête la pilule à une patiente lui donner un traitement substitutif dans
le même temps ?
Qu'en pense les femmes ?
Le gynécologue va, comme tout
soignant, faire passer plus ou moins ses peurs et angoisses à ses patientes
et ses convictions face à un traitement qu'il considèrera soit comme « obligatoire »
soit comme « à risque ».
Celui qui est angoissé par le
cancer sera plus réticent à l'hormonothérapie que celui qui entendra
plus la demande d'un soulagement et d'une qualité de vie.
Quelle liberté a le gynécologue
de prescrire ou pas des traitements ?
Est-il vraiment abusé, intoxiqué
par une mafia de laboratoires pharmaceutiques qui en voulant médicaliser la
ménopause voient leur intérêt financier ?
C'est ce que pensent certaines féministes
américaines, considérant de plus que le but de ces traitements est de
rester séduisante pour le plaisir des hommes, passant sous silence les bienfaits
immédiats des traitements, ne serait-ce que sur les troubles du climatère.
Les dernières études publiées
pendant l'été 2002 ont fait chuter de façon vertigineuse le nombre
d'américaines hormono-substituées.
Quel est l'avenir de ces traitements
?
L'attitude française et européenne
sera-t-elle identique ?
Aura-t-on enfin la possibilité
de faire des études épidémiologiques en France et en Europe ?
EST-IL
ANODIN DE PASSER DE LA CONTRACEPTION AU THS
? 63
Lorsque la santé des femmes de plus de
50 ans aura une aussi grande importance que celle des autres catégories de
la population, on pourra peut-être répondre à la question :
« Est-il anodin » (sans risque
pour la santé) de prendre un traitement hormonal pendant des dizaines d'années,
que ces hormones soient ou non « naturelles » ? |