Acquisition du capital osseux à
l'adolescence : facteurs hormonaux
Charles SULTAN, Claire JEANDEL, Françoise
PARIS
Parmi les facteurs influençant
le risque d'ostéoporose, la masse minérale osseuse atteinte en fin de
croissance ou pic de masse osseuse (PMO) joue un rôle essentiel (7).
Il est en effet clairement établi
qu'une augmentation de 10 % du PMO réduit le risque de fracture ostéoporotique
de façon significative (8).
L'adolescence représente une période
cruciale pour la minéralisation du squelette. Il apparaît donc indispensable
d'analyser les facteurs susceptibles d'optimiser la masse osseuse à la puberté.
Certes, chez l'adulte jeune, les variations interindividuelles de la densité
osseuse accusent une grande dispersion (de 30 à 80 %). C'est dire le rôle
essentiel des facteurs génétiques (et ethniques) Figure
1. Principaux déterminants du pic de masse osseuse à l'adolescence.
ACQUISITION
DU CAPITAL OSSEUX à L'ADOLESCENCE : FACTEURS
HORMONAUX 75
dans l'acquisition du PMO. En fait, plusieurs
paramètres conditionnent le développement de la masse osseuse à la
puberté (figure 1) :
• des facteurs nutritionnels
(calcium) ;
• des facteurs
mécaniques et environnementaux ;
• des facteurs
hormonaux (E2, testostérone, 1-25 (OH)- D3).
L'absorptiométrie biphotonique
à rayon X (DEXA) est la technique de référence pour évaluer
la quantité de tissu osseux accumulé au cours de la maturation squelettique.
Elle permet de déterminer la densité minérales osseuse (DMO) en g/m2,
une mesure qui reflète de façon très fidèle le degré de
résistance à la contrainte mécanique et donc d'évaluer le risque
fracturaire. Les études longitudinales rapportées ces dernières années
montrent qu'à la puberté, apparaît une différence de masse osseuse
entre les sexes relevant d'un accroissement plus important de la taille des os et
de l'épaisseur corticale chez les garçons que chez les filles. Chez la
femme au niveau rachidien, près de 50 % de la masse osseuse du rachis lombaire
sont acquis entre le stade II et IV de TANNER. De plus, deux ans après les
premières règles, 95 % de la masse osseuse de l'adulte sont déjà
constitués (figure 2). Figure
2
76 C. SULTAN,
C. JEANDEL, F. PARIS Au
total, il apparaît que la poussée de croissance pubertaire soit contemporaine
d'une accumulation de masse osseuse. L'acquisition de la masse osseuse est étroitement
liée au stade pubertaire. La différence d'augmentation de la DMO entre
les deux sexes résulte essentiellement de la précocité de la puberté
chez les filles par rapport aux garçons.
1. Facteurs conditionnant le gain osseux pubertaire
L'accumulation de la masse osseuse est déterminée
par des facteurs génétiques, endocriniens, nutritionnels et environnementaux
qui affectent le développement squelettique.
a. L'hérédité
est sans doute importante comme le démontrent les comparaisons des masses minérales
osseuses entre parents et enfants et surtout entre jumeaux mono et dizygotes : la
composante génétique rend compte de 60 à 70 % de la variabilité
interindividuelle des valeurs du PMO selon les sites squelettiques concernés.
Une association entre
polymorphisme du gène du récepteur de la vitamine D et la masse osseuse
a été rapportée dans certaines études réalisées chez
l'adulte. D'autres polymorphismes génétiques ont été analysés
sans résultat définitif. La recherche du gène candidat se poursuit.
b. Parmi les facteurs
nutritionnels, le calcium, les phosphates, la vitamine D influencent la croissance
osseuse. L'influence positive d'une augmentation des apports calciques avant la
puberté sur l'augmentation de la masse osseuse à différents sites
du squelette a été démontrée mais demande confirmation.
c. Les facteurs environnementaux.
L'exercice physique
modéré favorise l'accumulation de la masse osseuse plus particulièrement
pendant la période pubertaire. Les forces mécaniques, en stimulant la
formation ostéoblastique favoriseraient la production locale de facteurs de
croissance. A l'inverse, les sports de compétition réduisent l'acquisition
de la masse osseuse surtout chez la fille à travers l'aménorrhée
qu'ils induisent.
d. Les facteurs endocriniens.
Les stéroïdes
sexuels (testostérone et oestradiol) et l'axe GH-IGF1 favorisent la croissance
et la maturation du squelette ainsi que la minéralisation osseuse chez l'adolescent.
Cette action sur
la masse osseuse s'exerce directement ou indirectement via des facteurs sécrétés
localement. Le rôle respec ACQUISITION
DU CAPITAL OSSEUX à L'ADOLESCENCE : FACTEURS
HORMONAUX 77
tif des stéroïdes sexuels et du couple
GH-IGF1 a été évoqué pour rendre compte de l'insuffisance de
minéralisation osseuse contemporaine des insuffisances de sécrétion
des stéroïdes gonadiques ou des déficits en GH. Ainsi, la freination
de l'axe gonadotrope par les analogues du LH-RH (lors de pubertés précoces
centrales) entraîne une diminution significative de la DMO radiale et lombaire
après un an de traitement.
L'ostéopénie du syndrome
de TURNER ou des aménorrhées de l'adolescente est par ailleurs bien connue.
De la même façon, une réduction de la densité minérale
osseuse est observée chez des adolescents porteurs d'hypogonadisme hypogonadotrope
ou chez des hommes adultes ayant des antécédents de retard pubertaire.
Dans ces cas, l'amélioration de la minéralisation osseuse par une androgénothérapie
souligne indirectement le rôle des androgènes dans l'acquisition de la
masse osseuse pendant la puberté.
Le rôle des oestrogènes dans
les deux sexes a été démontré par l'observation de situations
cliniques privilégiées comme le déficit en aromatase ou l'insensibilité
aux oestrogènes. Dans les deux cas, l'absence de production des oestrogènes
ou l'anomalie de leur action cellulaire génère un retard de maturation
osseuse, une soudure incomplète des épiphyses et une ostéoporose
sévère. L'ensemble de ces données démontre que les oestrogènes
chez le garçon comme chez la fille ont un rôle essentiel dans l'acquisition
de la masse osseuse à la puberté. Figure
3
78 C. SULTAN,
C. JEANDEL, F. PARIS Bien
que la présence de récepteurs aux oestrogènes (a et b) et aux androgènes
ait été rapportée au niveau des ostéoblastes, leur mécanisme
d'action reste imprécis : l'existence d'un cross-talk entre la voie de signalisation
de ER, AR et IGF1 est indiscutable. La démonstration d'une régulation
de la production locale d'interleukine 6 (activateur de l'ostéoclastogénèse)
soulève un certain nombre de questions relatives au remodelage osseux contemporain
des derniers stades de la puberté.
En conclusion, la puberté représente
une étape essentielle pour l'accumulation de la masse osseuse et la progression
vers le PMO (figure 3). Les oestrogènes, les androgènes et le couple GH-IGF1
en sont les principaux déterminants endocriniens. Le PMO, capital osseux acquis
en fin de croissance représente le facteur prédominant du risque d'ostéoporose.
Les mesures de prévention primaire de l'ostéoporose consistent donc à
optimiser l'acquisition de la masse osseuse pendant la croissance, à travers
la supplémentation en calcium par exemple.
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