Pathologie tumorale chez la petite fille et
l'adolescente : place de la chirurgie
M. ESPIé, S. BONFILS
Chez la petite fille et l'adolescente, les
tumeurs sont rares mais leur diagnostic nécessite un examen clinique minutieux
car les examens complémentaires, en particulier la mammographie, sont souvent
de peu d'aide.
Les mastodynies peuvent être le
motif de consultation, souvent dans un contexte d'anxiété maternelle -
en fait elles sont rarement liées à une pathologie sous-jacente.
Elles accompagnent souvent les phénomènes
inflammatoires de la période néo-natale ou la croissance mammaire pubertaire
et peut alors être cyclique. Les traitements locaux sont suffisants (crème
anti-inflammatoire et/ou progestative).
Comme chez l'adulte, elle peut également
traduire l'existence de conflits psycho-affectifs qu'il ne faut pas méconnaître
car ils peuvent être à l'origine de manifestations plus graves (anorexie
- boulimie).
Lawrence S. Neinstein [1] a fait une
revue de 15 études chirurgicales rétrospectives chez la femme jeune de
moins de 22 ans.
Sur 1791 jeunes filles, 1227 (soit
68,3 %) présentaient un adénofibrome. La pathologie cancéreuse ne
concernait que 16 patientes (0,9 %) dont 5 cancers mammaires primitifs.
Les tumeurs bénignes
Adénofibrome commun
C'est la tumeur la plus fréquemment rencontrée
à l'adolescence, en général après 14 ans (deux fois plus fréquente
dans la race noire).
La clinique ne diffère pas de
celle de l'adulte.
La mammographie n'est en général
d'aucune aide diagnostique - elle peut être faite initialement mais ne
sera pas à répéter.
L'échographie au contraire est
évocatrice, révélant un nodule ovalaire, hypoéchogène,
homogène, à grand axe parallèle à la peau avec renforcement
postérieur net.
L'examen cytologique doit compléter
la démarche diagnostique mais sans urgence, après en avoir bien expliquer
les modalités et l'innocuité.
En effet, dans la plupart des cas,
les arguments cliniques, échographiques et cytologiques réunis en faveur
de ce diagnostic d'adénofibrome, on proposera une abstention thérapeutique
avec surveillance clinique à 6 mois puis annuelle.
Il n'y a pas de traitement médical
efficace. Les adénofibromes sont d'ailleurs susceptibles de régresser
spontanément surtout à cet âge.
Ils ne sont pas une contre-indication
à une contraception œstro-progestative.
Une décision d'exérèse
chirurgicale pourra être prise :
- soit d'emblée pour des
nodules de taille supérieure à 3 cm : certaines formes sont qualifiées
d'Adénofibromes Géants (Ž 10 cm) ;
- soit ultérieurement lors
d'une franche augmentation de taille ou avant une éventuelle grossesse (susceptible
d'entraîner une poussée évolutive) ou si l'adénofibrome est
douloureux.
La voie périaréolaire, presque
toujours possible, sera préférée à l'incision directe en regard
du nodule, car les adénofibromes s'énucléent bien. Cependant Dupont
et Page [2] conseillent d'inclure du parenchyme adjacent afin d'évaluer le
risque ultérieur notamment pour les adénofibromes complexes.
Polyadénofibromatose
Chez une même patiente, on peut retrouver
plusieurs nodules de taille variable, de façon concomitante ou successive dans
un ou les deux seins.
La surveillance est ici beaucoup plus
difficile tant cliniquement qu'échographiquement.
Il faut éviter les interventions
successives mais rester néanmoins vigilant devant toute modification de l'un
d'entre eux : l'association avec une autre pathologie en particulier avec une tumeur
phyllode est toujours possible.
Adénofibrome juvénile
C'est une forme rare, survenant à l'adolescence,
à croissance rapide et souvent importante (> 5 cm).
La peau peut devenir tendue, amincie
avec un lacis veineux superficiel, dilaté et le diagnostic différentiel
clinique avec une hypertrophie virginale unilatérale n'est pas toujours aisé.
Histologiquement, le stroma est richement
cellulaire et la composante épithéliale peut également être
hyperplasique. Le diagnostic différentiel avec une tumeur phyllode de bas grade
peut se poser.
L'augmentation rapide de la taille
justifie l'exérèse chirurgicale avec excision simple de la tumeur en général
bien encapsulée. Les tissus comprimés reprennent en général
leur place normalement : une chirurgie plastique est rarement nécessaire et
toujours différée.
Tumeurs conjonctives
Les angiomes, en fait plus souvent sous-cutanés
qu'intra-parenchymateux et dont beaucoup disparaissent spontanément chez l'enfant.
Ils peuvent être plans ou caverneux,
nécessitant parfois un acte chirurgical souvent difficile, au mieux aidé
par l'IRM afin de préciser ses rapports avec le bourgeon mammaire chez la fillette.
Les autres tumeurs
Les tumeurs phyllodes
Elles sont très rares chez l'adolescente
et en majorité de grade I.
Les hamartomes
A cet âge, ils peuvent être diagnostiqués
dans le cadre d'une maladie de Cowden (pathologie génétique rare associant
hamartomes et cancers multiples).
Maladies fibro-kystiques et proliférantes
- Les kystes simples sont rares à l'adolescence,
ils peuvent parfois être volumineux et inflammatoire. La ponction permettra
de faire le diagnostic et le plus souvent de les traiter. Ils ne doivent pas être
opérés. les lésions de mastopathie complexe sont rarement diagnostiquées
à cet âge.
- La papillomatose juvénile
est par contre de plus en plus individualisée depuis sa description par Rosen
et Coll. [3]. Cliniquement, elle se traduit par une tumeur unique, localisée,
plus ou moins bien limitée. La mammographie peut objectiver des microcalcifications
dans un surcroît d'opacité. L'échographie peut objectiver des microkystes
dans une image d'allure tumorale. La cytologie est souvent ambiguë car elle
peut évoquer une hyperplasie. Le traitement est chirurgical et permet d'affirmer
le diagnostic par l'examen histologique différé, retrouvant l'association
de fibrose, de kystes et d'une hyperplasie épithéliale canalaire floride,
parfois atypique. La surveillance ultérieure est nécessaire car les lésions
multifocales et les récidives sont possibles, surtout lorsqu'il existe des
antécédents familiaux de carcinome mammaire.
- L'hyperplasie papillaire ductale
de l'enfant et de l'adolescente est une autre mastopathie proliférante décrite
par Rosen [4]. Elle peut être révélée par un écoulement
isolé. Elle associe papillome solitaire proximal, papillomes multiples de siège
distal et hyperplasie épithéliale parfois atypique : les kystes et la
métaplasie idrosadénoïde sont absents. Le traitement est aussi chirurgical
mais parfois plus discuté du fait des lésions plus diffuses.
Pathologie infectieuse et inflammatoire
- Les abcès n'existent pas chez l'enfant
et l'adolescente en dehors d'un contexte précis (traumatisme - infections
générales). Ils concernent le plus souvent les tissus cutanés et
non la glande mammaire elle-même.
- Les galactophorites avec ses
différents stades évolutifs (ectasie simple - galactophorite ectasiante
- mastite à plasmocytes) peuvent concerner des femmes jeunes mais souvent
après l'adolescence.
- La mastite granulomateuse peut
survenir au décours de la puberté : elle est plus souvent périphérique
plutôt que juxta-aréolaire. Cette lésion inflammatoire est confinée
aux lobules et est caractérisée par un granulome inflammatoire. Le traitement
en est difficile, et le recours à la chirurgie doit rester exceptionnel car
souvent voué à l'échec avec augmentation des récidives inflammatoires
et fistulisations plus fréquentes.
Tumeurs malignes
- Le cancer du sein est rare chez l'enfant
: moins de 1 % des cancers à cet âge et moins de 0,1 % des cancers du
sein.
- Le « carcinome sécrétoire
juvénile » est une tumeur rare, initialement décrite chez l'enfant
en 1966 par Mac Diwitt mais ensuite reconnue comme entité histologique pouvant
exister chez l'adulte [5]. Elle se caractérise par des phénomènes
sécrétoires dans les cellules tumorales. Le pronostic semble meilleur
que celui des autres types de cancer avec d'exceptionnelles métastases à
distance. Des métastases ganglionnaires peuvent se voir et des rechutes locorégionales
survenir très à distance en cas de traitement conservateur [6].
- Des carcinomes infiltrants
peu différenciés ou des formes inflammatoires ont également été
décrites [7]. Au Centre des Maladies du Sein de l'hôpital Saint-Louis,
nous avons observé un cas d'adénocarcinome infiltrant de grade III avec
atteinte ganglionnaire axillaire d'emblée chez une fillette de 12 ans, non
encore réglée. Les formes bien différenciées sont encore plus
exceptionnelles.
- Les sarcomes du sein sont très
rares chez l'enfant (les sarcomes phyllodes sont les moins rares - rhabdomymosarcomes
- angiosarcomes).
- Des lymphomes malins primitifs
du sein ont été décrits chez l'enfant (maladie de Hogdkin).
- Enfin, des localisations mammaires
secondaires de lymphomes, de leucémie, de neuroblastomes ou autres tumeurs
sont possibles.
Conclusion
La pathologie tumorale est essentiellement représentée
par l'adénofibrome bénin mais des lésions variées y compris
cancéreuses ont été décrites chez l'enfant et l'adolescente.
La chirurgie garde un rôle diagnostique et thérapeutique mais doit comme
toujours se discuter au cas par cas en fonction des présentations cliniques.
Bibliographie
[1] Neinstein LS: Breast disease
in adolescents and young women. Adolescent Gynecology part 1 : common disorders
0031 - 3955/99; 611-612.
[2] Dupont WD, Page
DL, Parl FF, et al.: Long-term risk of breast cancer in women with fibroadenoma.
N Engl J Med 1994; 331: 10-15.
[3] Rosen PP, Cantrell
B, Mullen D, de Palo A: Juvenile papillomatosis (Swiss cheese disease) of the breast.
Am J Surg Pathol 1980; 4: 3-12.
[4] Wilson M, Cranor
L, Rosen PP: Papillary duct hyperplasia of the breast in children and young women.
Med Patho 1993; 6: 570-574.
[5] Tournemaine N,
Audouin AF, Anguill C, Gordeef S: Le carcinome sécrétoire juvénile
- cinq nouveaux cas chez des femmes d'âge adulte. Arch Anat Cytol Path 1986;
34(3).
[6] Ben Romdhane K,
Ben Ayed M, Labbane N, Tabbane F, et al: Carcinome sécrétant juvénile
du sein : à propos d'une observation chez une fille de 4 ans. Ann Pathol 1987;
7(3): 227-230.
[7] Brunel P, Louvet
C, Espié M, et al.: Cancer du sein chez l'enfant. A propos d'un cas de cancer
du sein inflammatoire chez une fille de 11 ans. Revue de la littérature. Gynécologie
1989; 40(5): 420-424. 580 M.
ESPIé, S. BONFILS PATHOLOGIE
TUMORALE CHEZ LA PETITE FILLE ET L'ADOLESCENTE 581
582 M.
ESPIé, S. BONFILS PATHOLOGIE
TUMORALE CHEZ LA PETITE FILLE ET L'ADOLESCENTE 583
584 M.
ESPIé, S. BONFILS |