Bénéfices et risques du traitement
hormonal substitutif dans le domaine cardio-vasculaire
Henri ROZENBAUM
La Women's Health Initiative study
(WHI), étude d'intervention prospective randomisée contre placebo, débutée
aux USA dès 1993, dans le but d'évaluer les bénéfices et les
risques du traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause, a été
interrompue dans le courant de sa sixième année, les risques imputables
au traitement s'avérant supérieurs aux bénéfices escomptés
(1).
Un des objectifs essentiels de l'étude
WHI était d'étudier l'effet du THS sur le risque cardio-vasculaire. L'hypothèse
de départ, reposant sur de nombreuses études épidémiologiques
ouvertes et des travaux de laboratoire, était celle d'un effet protecteur.
Comme nous le reverrons plus bas, le résultat observé a été
inverse.
1. Ses résultats étaient-ils prévisibles
?
Un ensemble de travaux de laboratoire ayant
porté sur des marqueurs intermédiaires du risque cardio-vasculaire avaient
conclu à des effets considérés comme favorables du THS (2) :
• diminution
des fractions lipidiques athérogènes, augmentation du HDL cholestérol,
diminution de la Lp(a) ;
• amélioration
de la tolérance au glucose ;
• inhibition
des processus d'athérosclérose au niveau de l'endothélium des artères
;
• diminution
des résistances artérielles ;
• etc.
Un « syndrome métabolique »
de la ménopause avait été décrit, regroupant l'ensemble des
modifications biologiques observées 18 H.
ROZENBAUM après
la ménopause attribuées à la carence estrogénique. Les œstrogènes
s'opposaient point par point à ces effets.
Toutefois, quelques notes discordantes apparaissaient
dans ce tableau idyllique :
• modifications
de certains facteurs de la coagulation ;
• augmentation
des triglycérides, tout au moins avec la voie orale.
Les études épidémiologiques
De type cas-témoins ou de cohorte, c'est-à-dire
d'observation, elles aboutissaient presque toutes à un RR inférieur
à 1, c'est-à-dire à un effet protecteur du THS. C'était notamment
le cas de l'étude des infirmières de Boston, vaste étude de cohorte
menée depuis une vingtaine d'années chez près de 60 000 femmes, aboutissant
à un RR = 0,6 (IC à 95 % : 0,43-0,83) (3).
Seule l'étude de Framingham, publiée
en 1985, apportait une note discordante, avec une augmentation du risque cardio-vasculaire
: RR =1,76, mais la méthodologie de cette étude avait été critiquée
(4).
L'ère des études en double insu
Un certain nombre d'auteurs avaient insisté
sur la possibilité de biais épidémiologiques, les populations de
femmes traitées n'étant pas identiques à celles non traitées
: biais d'inclusion avec déjà une sélection de candidates au THS,
biais de comportement, etc. Les femmes traitées semblant, dans l'ensemble,
en meilleure santé que celles sans traitement (5).
Aussi plusieurs études d'intervention,
randomisées en double insu, furent-elles entreprises.
La première, l'étude PEPI
(6), avait porté sur des marqueurs intermédiaires du risque cardio-vasculaire
: ses résultats furent favorables, confirmant les études de laboratoire
précédemment effectuées.
La première note discordante vint
d'une étude d'intervention étudiant les effets du THS en prévention
secondaire : l'étude HERS (7), ne montrant aucun bénéfice cardio-vasculaire
de l'association 0,625 mg d'œstrogènes conjugués + 2,5 mg d'acétate
de médroxyprogestérone (MPA) donnée en continu. Une augmentation
du risque de thrombose, déjà constatée lors d'études précédentes,
fut observée.
Parallèlement, quelques méta-analyses
récentes sélectionnant les études épidémiologiques considérées
comme les plus fiables, BéNéFICES
ET RISQUES DU TRAITEMENT HORMONAL SUBSTITUTIF... 19
remirent en question l'effet bénéfique
attribué au THS en matière de prévention cardio-vasculaire (8).
Puis survient l'interruption de l'étude WHI.
2. Résumé de l'étude WHI
Cette étude (16 808 femmes de 50 à 79
ans dans 40 centres des USA ont été randomisées entre 1993 et 1998)
a comparé 8 506 femmes, traitées par 0,625 mg d'œstrogènes conjugués
associés à 2,5 mg de MPA, à 8.102 femmes sous placebo.
Les objectifs essentiels étaient
de suivre l'incidence de sept affections : la maladie coronarienne, les cancers
du sein (les femmes des deux groupes ont bénéficié d'une mammographie
tous les ans), les accidents vasculaires cérébraux, les accidents thrombo-emboliques,
les cancers de l'endomètre, du colon et enfin les fractures ostéoporotiques
avec, en particulier, les fractures du col du fémur.
Les auteurs avaient initialement fixé
des limites concernant les risques des différentes affections étudiées,
en particulier, pour le cancer du sein. Ces limites ayant été franchies,
après 5,2 années de suivi moyen, le comité de surveillance a décidé
d'interrompre l'étude, la balance bénéfice-risque penchant plutôt
du côté des risques.
Les principaux résultats de cette
étude sont les suivants :
• relations
THS-risque cardio-vasculaire : légère augmentation du risque, RR = 1,29
(I.C. 95 % : 1,02-1,63), soit 7 cas supplémentaires pour 10.000 femmes suivies
pendant un an (10 000 années femmes (AF). Il en est de même pour le risque
d'accident vasculaire cérébral : RR = 1,41 (I.C. 95% : 1,07-1,85), soit
8 cas supplémentaires pour 10 000 AF ;
• risque d'embolie
pulmonaire : légèrement augmenté, RR = 2,13 (I.C. 95 % : 1,39-3,25),
soit ici encore, 8 cas en excès pour 10 000 AF ;
• relation cancer
du sein - THS : légère augmentation de fréquence, RR = 1,26 (I.C.
95 % : 1,00-1,59) correspondant en risque absolu à 8 cas supplémentaires
de cancer du sein pour 10 000 AF ;
• risque de
cancer du colon : diminution de près de 40 %, RR = 0,63 (IC à 95 % : 0,43-0,92),
soit 6 cas de cancer du colon en moins pour 10 000 AF ;
• risque de
cancer de l'endomètre et des cancers en général : non modifié
; 20 H.
ROZENBAUM • risque
de fractures ostéoporotiques : globalement diminué, RR = 0,70 (IC 95 %
: 0,69-0,85), avec diminution du risque de fractures vertébrales : RR
= 0,66 (IC 95 % : 0,44-0,98) et surtout de fractures du col du fémur : RR =
0,66 (I.C. 95 % : 0,45-0,98) soit 5 fractures de moins pour 10 000 A..
Il n'y eut pas de différence significative
en ce qui concerne la mortalité globale pour les deux groupes : RR = 0,92 (IC
95 % : 0,74-1,14).
3. Commentaires
L'étude WHI est, en réalité, une
vaste étude ayant inclus au total plus de 160 000 femmes. Seule la partie
concernant les femmes traitées par œstrogènes + progestatifs a été
interrompue, le comité de surveillance ayant décidé de continuer
l'étude chez les femmes hystérectomisées qui prennent des œstrogènes
seuls (10 700 femmes incluses et randomisées en deux groupes recevant soit
0,625 mg/j. d'œstrogènes conjugués équins seuls, soit un placebo).
En définitive, la décision
d'arrêter l'étude a été justifiée par l'observation de
170 événements graves dans le groupe THS contre 151 dans le groupe placebo,
soit une augmentation du risque absolu de 19 événements graves pour 10 000
AF. Sachant qu'un délai prolongé (7 à 10 ans) pourrait être
nécessaire pour observer avec certitude les effets bénéfiques potentiels
du THS (sur l'os par exemple, mais également les fonctions cognitives, voire
un véritable effet de prévention primaire sur l'athérosclérose),
il faut s'interroger sur le pourquoi de cet arrêt prématuré et rappeler
qu'aux USA la menace médico-légale peut influencer les auteurs de telles
études.
Un des objectifs essentiels de l'étude
WHI était l'effet du THS sur le risque cardio-vasculaire. La déception
est de taille puisque l'hypothèse de départ, reposant sur de nombreuses
études épidémiologiques ouvertes et des travaux de laboratoire, était
celle d'un effet protecteur du THS.
Or, le résultat observé fut
inverse, avec une légère augmentation du risque cardio-vasculaire.
Mais, en ce qui concerne le risque
cardio-vasculaire, peut-on accepter sans réserve les conclusions de l'étude
WHI et les extrapoler à la France ? La réponse n'est pas évidente.
Contester les résultats d'une telle étude, qui a comparé en double
insu 8 506 femmes, traitées par 0,625 mg d'œstrogènes conjugués associés
à 2,5 mg de médroxyprogestérone acétate (MPA), à 8 102
femmes BéNéFICES
ET RISQUES DU TRAITEMENT HORMONAL SUBSTITUTIF... 21
sous placebo, serait ridicule ; remarquons,
toutefois, que la levée du double insu chez 40,5 % des femmes sous THS en raison
de saignements a pu constituer un biais.
D'autre part, l'âge moyen des femmes de l'étude
WHI était de 63,3 ans, 66 % avaient entre 60 et 79 ans ; 69,5 étaient
en surpoids dont 34,2 % franchement obèses, 35,7 % suivaient un traitement
antihypertenseur, 6,9 % prenaient des statines, 19 % de l'aspirine et 4,4 % étaient
diabétiques.
Dans ces conditions, s'agit-il de prévention
primaire ou secondaire, sachant que le THS n'est pas efficace dans ce dernier cas,
comme l'ont prouvé l'étude HERS (7) et les études de Clarkson (9)
sur les guenons castrées, les travaux de ce dernier ayant mis en évidence
un effet préventif coronarien à condition de commencer le traitement avant
la constitution de plaques d'athérosclérose.
La population de femmes françaises
traitées est différente de la population américaine de l'étude
WHI : elles sont en moyenne plus jeunes, moins grasses et en meilleure santé.
En ce qui concerne le cancer du sein,
l'augmentation du risque observée dans l'étude WHI est identique aux données
fournies par la méta-analyse du Lancet parue en 1997 (10) et de l'étude
plus récente de Schairer et coll. (11). Remarquons simplement que cette augmentation
porte essentiellement sur les femmes ayant suivi un THS préalablement à
leur inclusion dans l'étude WHI. Pour celles jamais traitées auparavant,
l'augmentation n'est pas significative : RR = 1,06 (I.C. 95 % : 0,81-1,38). D'autre
part à partir et au-delà de 6 années de THS, le RR diminue, passant
de 2,64 la 5e année à 1,12 par la suite ; ces constatations
semblement en faveur d'un effet promoteur et non initiateur ; lors de la méta-analyse
du Lancet, l'augmentation du risque sous THS s'effaçait en 5 années, dans
l'étude des infirmières de Boston l'augmentation disparaissait au-delà
de la 2e année suivant l'arrêt du traitement (12).
La diminution du risque de cancer du
colon est également en accord avec les données de la littérature
(2).
Si l'effet protecteur osseux du THS
était déjà connu, l'étude WHI constitue la première étude
d'intervention prouvant une diminution du nombre de fractures du col du fémur.
La légère augmentation du
risque de thrombose veineuse est, également, conforme aux données de la
littérature.
Soulignons également que l'étude
WHI n'a pas pris en compte d'autres avantages procurés par le THS : soulagement
des symptômes vaso-moteurs, effets bénéfiques cutanéo-muqueux,
amélioration de la qualité de vie, effets sur les fonctions cognitives,
etc. Même la diminution du nombre total de fractures et du nombre de
22 H.
ROZENBAUM fractures
vertébrales n'a pas été comptabilisée. Des publications ultérieures
sont annoncées sur ce sujet, mais on peut craindre que la durée de l'étude
ne soit trop courte pour évaluer l'effet du THS sur la fréquence de la
maladie d'Alzheimer.
Enfin, les produits utilisés en Europe, et
plus particulièrement en France sont différents : 17 b œstradiol per os
ou par voie cutanée plutôt que les œstrogènes conjugués, œstrogènes
presque exclusivement prescrits aux femmes américaines. De même, les progestatifs
sont également différents. Rappelons à ce propos que la poursuite
du bras de femmes hystérectomisées sous œstrogènes seuls dans l'étude
WHI doit faire discuter, aussi bien pour l'augmentation du risque cardio-vasculaire
que pour celle du risque de cancer du sein :
• soit la responsabilité
des progestatifs en général ;
• soit celle
du MPA en particulier ;
• soit le schéma
combiné continu utilisé lors de cette étude.
Il est urgent d'entreprendre des études
avec les stéroïdes utilisés en Europe.
4. Bibliographie
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