Une supplémentation en minéraux
et en micronutriments a-t-elle une place chez l'enfant et l'adolescent ? L'exemple
du fer, du calcium et de la vitamine D
J.-F. DUHAMEL, I. SEVIN, A. ARION, M. LAURANS*
On pourrait légitimement concevoir
que dans notre pays, avec la spectaculaire évolution du niveau de vie depuis
50 ans, les situations de déficits du statut minéral et en micro-nutriments
dans les populations d'âge pédiatrique soient devenues exceptionnelles.
La réalité est différente
pour un ensemble de raisons que nous allons essayer d'expliciter.
• Les déficits
d'apports représentent, et de loin, la première cause de déficit.
Ils intéressent principalement pour les minéraux : le calcium et le magnésium,
pour les oligo-éléments, le fer et le zinc, pour les vitamines, la vitamine
D, et à un moindre degré, les vitamines C, folates, B12 et A. A l'énoncé
de ces divers paramètres, il apparaît que ceci correspond à un déficit
d'apport en laitages d'une part, en viande ou poisson, mais aussi en fruits frais
et en légumes verts d'autre part. Les périodes de croissance rapide donc
la pré-adolescence et l'adolescence, augmentent les besoins donc majorent aussi
les risques de carence, les régimes restrictifs comme on les observe chez les
jeunes filles trop soucieuses de leur ligne représentent également un
risque majeur. Enfin, le développement de la restauration rapide et la presque
généralisation de la consommation d'aliments transformés, donc souvent
appauvris en vitamines, s'ajoutent aux paramètres précédents.
Comme nous le reverrons,
25 % environ des adolescents de 13 à 15 ans ont un apport en calcium ou en
fer inférieur ou très inférieur aux apports conseillés en 2001
pour la population française (1).
• Le second
mécanisme, plus rare, est celui d'un trouble du métabolisme des minéraux
ou micro-nutriments lié à une pathologie de la muqueuse intestinale, à
une insuffisance pancréatique, hépato-biliaire, à une maladie inflammatoire
du tube digestif ou à une néphropathie. Ceci s'observe dans les intolérances
aux protéines du lait de vache, ou au gluten, la mucoviscidose, les cirrhoses
et insuffisances hépatiques, les néphropathies. Il faut y ajouter les
troubles d'origine génétique plus rares et spécifiques de certains
micro-nutriments, zinc et cuivre pour les oligo-éléments, folates, B12,
vitamine D pour les vitamines.
• La troisième
situation plus « physiologique » est celle où existe une augmentation
des besoins, nous avons déjà évoqué les périodes de croissance
staturo-pondérale rapide ; il faut y ajouter l'activité physique intense
comme on l'observe chez les enfant sportifs de haut niveau (2) ou les rares situations
de grossesse et d'allaitement chez les adolescentes.
• la quatrième
situation est liée d'une part à l'usage des poisons sociaux qui interfèrent
avec le métabolisme de certains micro-nutriments : tabac pour la vitamine C,
alcool pour les vitamines B1 et B6, d'autre part, aux conséquences de l'utilisation
de certaines molécules médicamenteuses, antibiotiques pour le statut en
vitamine K, B12 ou en folates, anti-convulsivants la vitamine D et les folates,
anti-inflammatoires pour la vitamine C, chélateurs des acides biliaires
pour les vitamines liposolubles, contraception orale pour les vitamines du groupe
B. Les exemples sont donc nombreux et si les conséquences de ces déficits
ont avant tout une expression biologique, elles peuvent néanmoins faciliter
une fragilité aux infections, c'est le cas pour le fer, le zinc, les vitamines
A, C, E, D, folates et B6, réduire le rendement physique et intellectuel comme
on l'observe dans les déficits en fer, ou retentir sur le développement
de la masse osseuse comme ceci s'observe dans les déficits d'apport en calcium
et en vitamine D.
Nous allons faire une revue rapide
des trois situations les plus fréquemment rencontrées dans notre pays
: déficit en fer, en calcium et en vitamine D.
Le fer
Rappelons d'abord quelques données essentielles
de son métabolisme. A partir d'un stock de 290 mg à la naissance, 470
mg à 1 an et 900 mg à 3 ans, l'organisme doit contenir en fin d'adolescence,
35 mg/kg de fer pour le sexe féminin et 45 mg/kg pour le sexe masculin (3).
Le fer joue un rôle essentiel
dans le transport de l'oxygène, donc dans les activités physiques et intellectuelles,
mais aussi au niveau de l'immunité. Halterman et al en 2001, dans une large
étude portant sur 5 398 enfants ont insisté sur les conséquences
d'une carence martiale sur les performances scolaires, particulièrement
en mathématiques (4). Ceci s'ajoute aux données récentes de Lozoff
sur les conséquences d'un déficit en fer sur le développement du
cerveau en période néonatale (5).
Quelle est dans la période actuelle
l'importance de ce déficit en Pédiatrie ? Si chez l'enfant entre 6 et
10 ans, la majorité des études conduisent à une prévalence très
réduite de la carence en fer et même de ferritinémies inférieures
à 10 ng/ml (6), la situation est très différente à l'adolescence
et particulièrement dans le sexe féminin.
En 1994, dans une large étude
dans le Val de Marne, Préziosi et al ont objectivé une carence chez 14
% des jeunes enfants et 15 % des adolescentes (7). Dans une étude Finlandaise
de Kivivioru et al, la proportion de ferritinémies inférieures à
16 ng/ml augmente de 3 % en début de puberté à 30 à 35 % en
fin de puberté (8). D'autres études internationales, en Suède, au
Canada, aux Etats-Unis et Autriche, confirment la fréquence de la carence martiale
à l'adolescence, 9 à 15 % chez les garçons, 23 à 42 % chez les
filles.
Plus récemment, une étude
multicentrique espagnole chez des enfants de 13 à 18 ans, situe à 9.2
% chez les garçons et 44.8% chez les filles, le niveau des apports en fer inférieurs
aux 2/3 des recommandations (9). En 2004, Harris place la carence martiale parmi
les trois plus importants troubles nutritionnels du XXIe siècle
(10).
Ces données incitent à être
particulièrement vigilant chez les adolescents quant à leurs apports,
en aliments riches en fer, bien absorbés comme la viande et le poisson. Compte
tenu de leur mode d'alimentation, il peut être justifié s'il apparaît
des signes cliniques d'appel en faveur d'un déficit, de revoir le régime,
voire de proposer une supplémentation pendant 1 à 2 mois.
L'interprétation de la fréquence
des carences martiales chez les adolescentes doit prendre en compte, outre un défaut
d'apport, une augmentation des besoins en période de croissance rapide et des
pertes supplémentaires chez les jeunes filles : 0,5 à 1 mg/j. (Tableau
1).
Le calcium
Pour aborder ce second exemple, il est également
nécessaire de rappeler quelques données de son métabolisme (11).
A partir d'un stock néonatal d'environ 30 g, puis de 80 g à 1 an et de
400 g à 10 ans, va apparaître en période prépubertaire, puis
pubertaire, une majoration de l'accrétion du calcium qui peut atteindre 400
mg/jour aux stades 3 à 5 Tanner, et aboutir à un stock en fin de croissance
de 900 à 1 000 g pour le sexe féminin, et 1 200 g pour le sexe masculin.
(12)
Encore faut-il que plusieurs conditions
soient réunies : le trépied majeur comprend :
• un apport
journalier de calcium réévalué par l'AFSSA en 2001 à 1 200 mg/j
dès l'âge de 10 ans (Tableau 1) ;
• un statut
en vitamine D normal ;
• une activité
physique journalière.
Il s'y ajoute le statut en magnésium
avec un apport journalier de 280 à 410 mg/jour entre 10 et 19 ans, et des facteurs
génétiques.
Les études les plus récentes
nous apportent des informations importantes. Si chez les enfants de 6 à 10
ans, les apports calciques sont proches des recommandations de l'AFSSA (Tableau
I), chez les pré-adolescents et adolescents, au contraire, on observe pour
le sexe féminin 25 à 30 % de carence. Cette situation préoccupante
correspond essentiellement à un défaut d'apport en produits laitiers.
Elle s'observe dans les populations rurales et citadines de notre pays, elle est
également rapportée en Espagne (9.13). Des efforts sont donc nécessaires,
au moment de nos consultations, pour convaincre les adolescentes de consommer suffisamment
de laitages et d'y associer une activité journalière suffisante. Les pouvoirs
publics informés des heures passées chaque jour par des enfants et adolescents
devant les postes de télévision ou les ordinateurs devraient imposer au
moins 1 heure de sport par jour dans les collèges et les lycées ; ceci
participerait à aider à la fixation osseuse du calcium majorée de
façon significative par l'exercice physique, mais aussi à ralentir la
croissance galopante de l'obésité (10, 14).
Le troisième volet de notre trépied
est le statut en vitamine D.
La vitamine D
Depuis l'enrichissement en 1992 des laits infantiles
en vitamine D, la politique de supplémentation systématique de tous les
nouveau-nés et nourrissons, même ceux allaités par leur mère,
le rachitisme carentiel s'est très largement réduit dans notre pays comme
dans ceux qui nous entourent au cours des premières années de la vie,
hormis chez les populations d'origine africaine ou asiatique (10, 15). Au cours
des années suivantes, et plus spécifiquement entre 5 à 10 ans, nous
ne disposons que de très peu de données sur le statut en vitamine D des
enfants.
A partir de l'âge de 10 ans, au
contraire, plusieurs études ont mis en évidence des taux de vitamine D
inférieurs à 6 ng/ml chez 25 % des sujets en fin d'été et même
38 % chez ceux en fin de puberté ; il s'y associe une élévation de
la PTH (16, 17, 18). La seconde information de ces travaux est l'effet bénéfique
de charges orales de 100 000 UI de vitamine D sur le statut biologique qui incite
à généraliser cette mesure en octobre de chaque année chez tous
les 10-16 ans. Mallet et al ont rapporté en 2004, 41 rachitisme symptomatique
de l'adolescent dans une large étude multicentrique effectuée entre 1985
et 2000 (15) ; il existait des douleurs osseuses, des déformations et même
pour 15 % des convulsions. Le taux moyen de 25 OHD était à 5 ng/ml
des anomalies osseuses présentes dans 50 % des cas avec des bandes claires
métaphysaires et une déminéralisation. Ces adolescents étaient
pour 80 % d'origine africaine ou asiatique, ceci corrobore les études anglaises.
(19).
Conclusion
Ces trois exemples illustrent les conditions de
survenue et la réalité de carences biologiques plus rarement aggravées
de manifestations cliniques chez des adolescents de notre pays. Les évolutions
sociologiques actuelles, celles des modes d'alimentation de beaucoup de ces jeunes,
sont largement responsables de cette situation. Des conseils diététiques
à chaque consultation et des supplémentations minérales et/ou en
micro-nutriments quand elles sont nécessaires doivent permettre de mieux prévenir
ou de corriger les déficits.
Bibliographie
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* CHU Clémenceau 14000
Caen. 180 J.-F.
DUHAMEL, I. SEVIN, A. ARION, M. LAURANS UNE
SUPPLéMENTATION EN MINéRAUX ET EN MICRONUTRIMENTS... 181
Tableau I. Apports en fer, calcium et vitamine
D conseillés par l'AFssa en 2001 chez l'enfant et l'adolescent.
|
˙ |
˙Fer |
˙Calcium |
˙Vitamine |
|
˙ |
˙ |
˙mg |
˙mg |
˙mg |
˙Enfants 4-6 ans |
˙7 |
˙700 |
˙5 |
|
˙Enfants 7-9 ans |
˙8 |
˙900 |
˙5 |
|
˙Enfants 10-12
ans |
˙10 |
˙1200 |
˙5 |
|
˙Adolescents 13-19
ans |
˙13 |
˙1200 |
˙5 |
|
˙Adolescents 13-19
ans |
˙16 |
˙1200 |
˙5 |
182 J.-F.
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SUPPLéMENTATION EN MINéRAUX ET EN MICRONUTRIMENTS... 183
184 J.-F.
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