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Titre: Les acides gras polyinsaturés dans la nutrition du prématuré et du nouveau-né à terme
Année: 2005
Auteurs: - Lapillonne A.
Spécialité: Pédiatrie
Theme: Nutrition

Les acides gras polyinsaturés dans la nutrition du prématuré et du nouveau-né à terme

Alexandre LAPILLONNE*

L'étude du métabolisme et du rôle des acides gras polyinsaturés (AGPI) a été l'un des domaines de recherche en nutrition les plus actifs au cours de ces deux dernières décennies. Cet intérêt pour les AGPI en pédiatrie provient de la reconnaissance de leur importance dans le développement et la maturation du système nerveux du nourrisson.

Rappels sur le métabolisme des AGPI chez le nourrisson

L'acide docosahexaénoïque (C22:6w3), acide gras plus connu sous le nom de DHA, est un AGPI à longue chaîne qui s'accumule de façon préférentielle dans les membranes des cellules photoréceptrices de la rétine et des neurones où il y joue un rôle essentiel (1). L'accumulation du DHA dans le tissu cérébral fœtal se fait essentiellement au cours du dernier trimestre de la grossesse, mais cette accumulation se poursuit en post natal pendant les 2 premières années de vie. L'acide arachidonique (ARA ou C20:4w6) et l'acide eicosapentaénoïque (EPA ou C20:5w3), autres AGPI à longue chaîne, sont les précurseurs des prostaglandines, leukotriènes et thromboxanes, molécules regroupées sous le nom général d'eicosanoïdes. La synthèse de ces AGPI à longue chaîne (AGPI-LC) utilise le même système enzymatique ce qui rend l'organisme sensible à tout déséquilibre important entre les lignées w3 et w6 (Figure 1).

La couverture des besoins en DHA et ARA pendant les premiers mois de vie sont assurés par le lait maternel car il contient non seulement des AGPI essentiels mais également des AGPI à longue chaîne. Les taux d'AGPI à longue chaîne dans le lait maternel sont très variable d'une femme à l'autre mais ils sont en moyenne, en Europe, de 0,3 % pour le DHA et de 0,5 % pour l'ARA (Tableau 1) (2). Au contraire du lait maternel, les formules de lait infantile ne contiennent pas de DHA et d'ARA et le nouveau-né recevant ce type de lait artificiel non supplémenté est donc totalement dépendant de ses capacités de synthèse endogène et de mobilisation de ses réserves. Le nouveau-né est capable de synthétiser des AGPI à longue chaîne à partir des précurseurs (3) mais nous savons que cette synthèse est probablement insuffisante pour assurer la couverture des besoins en DHA et ARA au cours de la phase de croissance rapide de la première année. En effet, après plusieurs mois d'alimentation avec un lait infantile non supplémenté, les nourrissons présentent non seulement une diminution significative du contenu en DHA des lipides plasmatiques ou des phospholipides des membranes des globules rouges, deux paramètres étant habituellement utilisés pour apprécier le statut en AGPI d'un enfant, mais également une plus faible concentration en DHA cérébral par rapport aux enfants allaités (1). L'accumulation en DHA entre la naissance et 6 mois est en fait négative chez l'enfant nourri au lait artificiel, l'accumulation de DHA cérébral ne se faisant qu'au prix d'une mobilisation importante des réserves hépatiques et du tissu adipeux (Tableau 2) (4). L'apport d'AGPI à longue chaîne préformés dans l'alimentation du nourrisson au cours de la première année de vie est donc nécessaire pour assurer un statut en AGPI comparable à celui observé chez le nourrisson allaité.

Figure 1. Rôles des acides gras polyinsaturés w3 et w6.

Effets fonctionnels d'une supplémentation

en AGPI-LC chez le nouveau-né à terme

La question essentielle est de savoir si ces modifications biochimiques ont un impact significatif sur le développement neurosensoriel des enfants. La comparaison du développement neurosensoriel de l'enfant allaité avec celui de l'enfant recevant un lait artificiel ne peut en aucun cas permettre de déterminer si le DHA joue un rôle dans le développement neurosensoriel tant les différences d'ordre nutritionnel et d'ordre non nutritionnel sont importantes entres ces deux groupes d'enfants. Par contre, deux études récentes ont comparé parmi les enfants allaités, ceux qui recevaient un lait maternel naturellement riche en DHA avec ceux qui recevaient un lait maternel naturellement plus pauvre en DHA. Bien qu'il existe de nombreuses limitations à ces études, elles montrent une association significative entre le contenu en DHA du lait maternel et l'acuité visuelle à l'âge de 2 mois et 12 mois dans une étude (5) et à l'âge de 4 mois dans l'autre (6).

Les données les plus solides concernant l'importance de l'apport en DHA préformé sur le développement du nourrisson ne peuvent provenir que des études randomisées en double aveugle dans lesquelles un groupe d'enfants reçoit un lait artificiel standard et un autre un lait artificiel supplémenté en DHA. Toutes les études de supplémentation ont montré leurs efficacités pour normaliser le statut en DHA du nouveau-né à terme par rapport au nouveau-né allaité. Pendant longtemps, les résultats des études de supplémentation ont semblé conflictuels au regard du développement neurosensoriel avec autant d'études montrant un effet positif significatif de la supplémentation en DHA que d'études ne montrant pas d'effet. Cette variabilité dans les résultats des études de supplémentation peut s'expliquer par l'hétérogénéité des sources, de la durée et des quantités d'AGPI utilisées, de la teneur en précurseurs, des tests utilisés, et de l'origine ou le niveau socio-économique de la population étudiée.

Une méta-analyse récente montre une meilleure maturation visuelle appréhendée par les méthodes comportementales à deux mois de vie mais pas ultérieurement, chez les enfants nés à terme ayant reçu un lait artificiel supplémenté en DHA par rapport aux enfants ayant reçus un lait non supplémenté (7). Récemment, les données de ces études de supplémentation ont été réévaluées afin de tenir compte non seulement du DHA préformé apporté par la supplémentation mais également du DHA synthétisé par l'organisme à partir de l'acide a-linolénique (8). Cette nouvelle approche montre qu'il existe une corrélation significative entre la dose calculée de DHA (préformé + synthétisé) et l'acuité visuelle à l'âge de 4 mois.

Les études de supplémentation visant à étudier le développement neurologique des nourrissons ont donné des résultats aussi hétérogènes que les précédentes mais il semble que la variabilité des résultats puisse également, au moins en partie, s'expliquer par la quantité de DHA utilisée pour la supplémentation, une supplémentation avec 0.36% des acides gras sous forme de DHA et 0,72 % sous forme d'ARA améliorant le développement moteur évalué par le score de Bayley à 18 mois (9) alors qu'une supplémentation avec 0,14 % des acides gras sous forme de DHA et 0,46 % sous forme d'ARA s'est montré dépourvue d'efficacité sur ce score à 1 an.

Sur la base de ces données, un groupe d'experts, spécialistes des AGPI, recommande que les formules de lait artificiel pour enfant à terme contiennent des taux de DHA et d'ARA proche de ceux observés en moyenne dans le lait maternel (au moins 0,2 % des acides gras sous forme de DHA et 0,35 % sous forme d'ARA) (10).

Effets fonctionnels d'une supplémentation en AGPI-LC chez le nouveau-né prématuré

Les effets bénéfiques sur le développement neurosensoriel d'une supplémentation en DHA dans les formules de lait artificiel sont admis depuis plusieurs années chez l'enfant prématuré et les laits artificiels pour enfants de faible poids de naissance sont tous, en Europe, enrichis en DHA. Toutefois, il y a eu pendant longtemps une certaine réticence à utiliser un lait artificiel enrichi en AGPI w3 en raison de l'observation, dans l'une des premières études, d'une croissance staturo-pondérale inférieure chez les enfants prématurés ayant reçus un lait artificiel enrichi exclusivement en AGPI w3 par rapport au groupe ayant reçu un lait standard. Un déséquilibre entre les deux lignées d'AGPI w3 et w6, résultant du rajout exclusif d'AGPI w3 (DHA et EPA) sans ajout concomitant d'AGPI w6 (ARA) est l'un des mécanismes pouvant expliquer cette observation (11). A l'inverse, toutes les études utilisant une supplémentation combinée en DHA et ARA se sont avérées parfaitement adaptée pour assurer une croissance optimale.

Bien que la plupart des essais cliniques de supplémentation chez le prématuré aient assuré une supplémentation pendant la première année de vie, les anciens prématurés ne reçoivent en pratique clinique qu'une supplémentation de quelques semaines ou de quelques mois car les laits artificiels utilisés en relais du lait pour enfants de faible poids de naissance ne contiennent pas d'AGPI à longue chaîne. Un lait premier et deuxième âge supplémenté en AGPI à longue chaîne serait essentiel pour cette catégorie d'enfants à haut risque neurologique.

Supplémentation en AGPI-LC

en relais de l'allaitement maternel

La question du sevrage est également une question très importante, en particulier en France ou la durée de l'allaitement est relativement courte. Nous avons montré que le statut en DHA des nourrissons à l'age de 4 mois est corrélé positivement avec la durée d'allaitement maternel pendant les premiers mois de vie (Figure 2) (12). Deux études de supplémentation réalisées après le sevrage du lait maternel documentent l'intérêt d'un lait enrichi en AGPI à longue chaîne au moment du sevrage (13, 14). Ces 2 études montrent qu'après un sevrage réalisé à 6 semaines ou entre 4 et 6 mois la poursuite d'une formule supplémentée avec des concentrations en DHA et ARA proches des concentrations observées dans le lait maternel (0,36 % de DHA et 0,72 % d'ARA) maintient plus longtemps un statut en DHA proche de celui des enfants allaités mais, également, permet d'améliorer la fonction visuelle à 17, 26 et 52 semaines dans une étude et à 1 an dans l'autre étude (13, 14). Ces études plaident donc en faveur du choix d'un lait artificiel enrichi en DHA et ARA au moment du sevrage du lait maternel. Elles suggèrent également qu'un apport en DHA et ARA préformé puisse être important pendant l'ensemble de la première année de vie.

Figure 2. Effet de la durée de l'allaitement maternel
chez le nourrisson de 4 mois.

D'après note 12.

Conclusion

L'allaitement maternel est l'alimentation à préférer pour un enfant sain et qu'il doit être fortement encouragé, l'organisation mondiale de la santé (OMS) recommandant un allaitement exclusif pendant 6 mois. En cas d'impossibilité d'allaitement maternel, mais également en relais de l'allaitement maternel, prescrire un lait artificiel enrichi en DHA et ARA chez l'enfant à terme et chez l'enfant prématuré parait souhaitable au regard des données actuelles de la littérature.

Bibliographie

[1]   LAURITZEN L, HANSEN HS, JORGENSEN MH, MICHAELSEN KF. The essentiality of long chain n-3 fatty acids in relation to development and function of the brain and retina. Prog. Lipid Res. 2001;40:1-94.

[2]   KOLETZKO B, THIEL I, ABIODUN PO. The fatty acid composition of human milk in Europe and Africa. J Pediatr 1992;120:S62-S70.

[3]   SAUERWALD TU, HACHEY DL, JENSEN CL, CHEN H, ANDERSON RE, HEIRD WC. Intermediates in endogenous synthesis of C22:6 omega 3 and C20:4 omega 6 by term and preterm infants. Pediatr Res. 1997;41:183-7.

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[6]   JORGENSEN MH, HERNELL O, HUGHES E, MICHAELSEN KF. Is there a relation between docosahexaenoic acid concentration in mothers' milk and visual development in term infants? J Pediatr Gastroenterol.Nutr 2001;32:293-6.

[7]   SANGIOVANNI JP, BERKEY CS, DWYER JT, COLDITZ GA. Dietary essential fatty acids, long-chain polyunsaturated fatty acids, and visual resolution acuity in healthy fullterm infants: a systematic review. Early Hum.Dev. 2000;57:165-88.

[8]   UAUY R, HOFFMAN DR, MENA P, LLANOS A, BIRCH EE. Term infant studies of DHA and ARA supplementation on neurodevelopment: results of randomized controlled trials. J Pediatr 2003;143:S17-S25.

[9]   Birch EE, Gafield SHDR, Uauy R, Birch DG. A randomized controlled trial of early dietary supply of long-chain polyunsaturated fatty acid and mental develoment in term infants. Devel Med Child Neurol 2000;42:174-81.

[10]   Koletzko B, Agostoni C, Carlson SE et al. Long chain polyunsaturated fatty acids (LC-PUFA) and perinatal development. Acta Paediatr. 2001;90:460-4.

[11]   Lapillonne A, Clarke SD, Heird WC. Plausible mechanisms for effects of long-chain polyunsaturated fatty acids on growth. J Pediatr 2003;143:S9-16.

[12]   Lapillonne A, Brossard N, Claris O, Reygrobellet B, Salle BL. Erythrocyte fatty acid composition in term infants fed human milk or a formula enriched with a low eicosapentanoic acid fish oil for 4 months. Eur.J Pediatr 2000;159:49-53.

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[14]   Hoffman DR, Birch EE, Castaneda YS et al. Visual function in breast-fed term infants weaned to formula with or without long-chain polyunsaturates at 4 to 6 months: a randomized clinical trial. J Pediatr 2003;142:669-77.

* Service de Néonatologie et Nutrition, Hôpital Saint-Vincent de Paul, 75014 Paris.

   LES ACIDES GRAS POLYINSATURéS DANS LA NUTRITION DU PRéMATURÉ    173

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Tableau 1. Composition en acides gras polyinsaturés du lait féminin
(Valeurs médianes en % des AG totaux).

   Europe   Afrique
   (14 études)   (10 études)

AGPIw6
Acide linoléique (C18:2w6)   11,0   12,0
Acide arachidonique (C20:4w6)   0,5   0,6

AGPIw3
acide a-linolénique (C18:3w3)   0,9   0,8
acide eicosapentaénoïque (C20:5w3)   0,2   0,1
acide docosahexaénoïque (C22:6w3)   0,3   0,3

Ratio C18:2w6/C18:2w3)   12,1   14,2

D'après réf. 2

Tableau 2. Accumulation en DHA entre la naissance et 6 mois en fonction du type de lait reçu.

   Lait maternel   Lait artificiel
   en mg   en mg

Cerveau   + 905    + 450

Foie   + 24   - 136

Tissu adipeux   + 147   - 1 053

Corps entier   + 1 882   - 933

D'après réf. 4

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