Flore
intestinale et troubles digestifs chez le nourrisson.
J.
P. CHOURAQUI
Gastro-entérologie et Nutrition Pédiatriques, BP 217, 38043-CHU
de Grenoble.
JPChouraqui@chu-grenoble.fr
La
flore intestinale représente chez l'organisme hôte un réel
écosystème, établissant des connexions étroites
avec les épithéliums digestifs et le système immunitaire
qui leur est associé. Les interactions entre les différentes bactéries
tout comme entre les bactéries et leur hôte sont des facteurs de
contrôle de l'équilibre de la flore microbienne et du développement
de certains états pathologiques aigus ou chroniques. La flore digestive
participe en outre à un certain nombre d'activités fonctionnelles
et interfère avec la digestion et l'absorption de certains nutriments.
Le rôle significatif de la flore intestinale en santé humaine a
été reconnu au début du 20ème siècle par
la considération qu'un certain nombre de maladies pouvaient être
la conséquence d'une rupture de l'équilibre de la flore intestinale
et que la restauration de cet équilibre était bénéfique
en terme de santé. Cependant l'idée d'incorporer des micro-organismes
dans l'alimentation humaine ou du moins d'utiliser les effets bénéfiques
potentiels de la présence de ces micro-organismes semble remonter à
la plus haute antiquité. Différents laits fermentés, parfois
découverts de manière totalement accidentelle, sont ainsi utilisés
dans le monde, et il semble que le yoghourt ait été introduit
en France à la Renaissance. Metchnikoff, Pastorien d'origine russe, démontre
au début du 20ème siècle que certaines bactéries,
notamment Lactobacillus bulgaricus, étaient capables d'inhiber la croissance
de Vibrio cholera et postule que la consommation régulière de
yoghourt apporte de bons ferments vivants, capables de combattre les méfaits
des mauvais germes intestinaux.
Dans ce contexte sont proposés récemment différents ingrédients
pré- ou probiotiques susceptibles d'interférer avec, de modifier,
ou de moduler la flore intestinale avec l'espoir d'empécher ou de traiter
un nombre important d'affections digestives voire extradigestives.
ETABLISSEMENT DE L'ECOSYSTEME INTESTINAL:
- Chez
le nouveau-né, la colonisation du tube digestif est relativement
stéréotypée durant les premiers jours, dépendant
en partie de la composition de la flore vaginale et fécale maternelle
; elle est retardée chez les enfants nés par césarienne.
Dès le 3ème jour de vie apparaissent des Bifidobactéries
et des Lactobacilles, et dans une moindre mesure Bactéroïdes et
Clostridiae. L'implantation de cette flore est directement dépendante
du type d'alimentation reçue, des conditions environnementales et de
la prescription éventuelle d'antibiotiques.
- A
la fin du premier mois des différences très nettes existent
dans la composition de la flore intestinale selon le type d'alimentation reçue
par le nouveau-né. Ainsi la flore intestinale des enfants allaités
est presque exclusivement composée de Bifidobactéries. Les facteurs
bifidogènes du lait maternel sont nombreux et ne sauraient être
limités aux seuls galacto-oligo-saccharides. En revanche la flore des
bébés nourris avec des laits infantiles est riche en Entérobactéries
et en bactéries Gram-négatif.
Dès que l'alimentation commence à être diversifiée,
la différence entre la flore des enfants nourris au sein et celle des
enfants nourris artificiellement s'estompe avec augmentation de la concentration
en Escherichia Coli, Entérococci et Clostridiae.
Entre l'âge de 1 an et 2 ans, l'enfant acquiert une flore intestinale
identique à celle de l'adulte. Cette microflore demeure relativement
stable au cours de la vie, sauf en cas de changements drastiques de l'alimentation,
d'antibiothérapie, ou de modulation par l'ingestion de pré6
ou probiotiques.
- Le
tube digestif de l'adulte est colonisé par une microflore très
importante (1014 bactéries), implantée essentiellement au niveau
colique, avec une grande diversité puisque composée de plus
de 400 espèces différentes. Les Bifidobactéries font
partie de la flore résidente normale, et leur abondance est directement
fonction de l'ingestion de laitages fermentés. La composition taxonomique
de la microflore colique semble être extrêmement stable chez un
individu sain, mais très variable d'un individu à l'autre en
fonction notamment des habitudes alimentaires.
ROLE
D'UNE FLORE INTESTINALE EQUILIBREE
Le rôle
d'une flore intestinale équilibrée est très certainement
important mais reste très mal connu. La flore intervient dans la dégradation
des polyosides, la fermentation des oses, la transformation de xénobiotiques,
la protéolyse et la fermentation des acides aminés, la production
d'hydrogène fermentaire et sa réutilisation, la production des
gaz intestinaux, le métabolisme des acides biliaires, la production de
mutagènes, mais aussi et surtout au niveau du développement du
système immunitaire intestinal (gut associated lymphoïd tissue).
Ainsi l'équilibre de la flore intestinale participe à réguler
le transit intestinal, à empêcher la pénétration
d'antigènes hostiles et à éviter la pullulation de germes
pathogènes.
Les mécanismes évoqués pour rendre compte de l'inhibition
de la flore pathogène sont multiples et souvent concomitants:
- Production
de substances inhibitrices tels que les acides organiques, notamment d'acide
lactique, de bactériostatines, de peroxyde d'hydrogène (H2O2)
- Occupation
des sites d'adhésion sur la muqueuse intestinale ou sur le mucus qui
la tapisse, contrecarrant ainsi la possibilité pour d'autres microorganismes
de s'y fixer
- Dégradation
de sites récepteurs de toxines
- Stimulation
des fonctions immunitaires telles que la production d'IgA
- Compétition
vis à vis des nutriments
Un
intérêt grandissant a vu le jour pour le contrôle écologique
de la flore intestinale par l'administration d'ingrédients que l'on
peut distinguer en trois différents types :
- Les
prébiotiques, c.a.d. des ingrédients alimentaires, généralement
non digestibles, dont la présence dans la lumière intestinale
stimule la croissance sélective d'une flore considérée
comme bénéfique en terme de santé. La clé de leur
efficacité est qu'ils puissent être fermentés par une
microflore intestinale spécifique dont le développement ainsi
engendré sera bénéfique. Ce mode d'action implique donc
une ingestion régulière de l'ingrédient concerné.
De ce fait un certain nombre d'études ont tenté d'identifier
les facteurs potentiellement bifidogènes et au premier rang des candidats
se sont inscrits certains oligo-saccharides. Les oligo-saccharides non digestibles
résistent à l'hydrolyse des enzymes de la bordure en brosse
et vont se comporter comme des substrats énergétiques pour certains
éléments de la flore colique tels que les Lactobacilli et les
Bifidobactéries L'effet bifidogène des prébiotiques ainsi
que leur action immunitaire et métabolique potentielle font penser
qu'ils puissent avoir un effet bénéfique notamment dans le cadre
de la prévention des infections intestinales. Cependant ces effets
semblent être dépendants de l'état de la flore bifidobactérienne
avant la prise d'oligosaccharides. D'autre part les données expérimentales
actuelles ne permettent pas d'affirmer actuellement ce rôle préventif.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que si un certain nombre d'éléments,
présents dans le lait maternel, ont un effet bifidogène certain,
l'effet préventif du lait maternel fait aussi intervenir d'autres facteurs
et notamment la présence d'immunoglobulines de type A.
- Les
probiotiques sont des micro-organismes, qui une fois ingérés
sont susceptibles de demeurer vivants lors du transit intestinal et de modifier
la flore intestinale en ayant un effet bénéfique démontré
sur la santé, c'est là le facteur majeur qui en détermine
l'efficacité.
A l'heure actuelle différentes études mettent en exergue l'effet
bénéfique de certains probiotiques et leur innocuité
liée au caractère non pathogène des souches utilisées.
Les probiotiques utilisés sont des souches micro-organiques vivantes,
productrices d'acide lactique tels que les lactobacilles, certains streptocoques,
et les bifidobactéries. Ainsi il a pu être montré que
Bifidobacterium lactis et Lactobacillus GG survivaient, s'implantaient et
persistaient plusieurs jours après l'administration.
Bifidobactérie est une bactérie anaérobique, qui est
susceptible de fermenter le glucose, le lactose, le galactose et le fructose,
et donc capable de générer par ce biais un certain degré
d'acidification inhibant le développement d'une flore putréfactive.
Certaines souches sont d'autre part capables d'avoir un certain rôle
immuno-régulateur notamment en stimulant la production d'IgA et le
pouvoir phagocytaire. Ainsi après administration à des nouveau-nés
d'un lait enrichi en Bifidobacterium lactis souche Bb12, il a pu être
montré une plus faible concentration en bactéries aérobies,
en Bactéroides et Clostridies au niveau de la flore fécale,
parallèlement à une forte concentration en Bifidobactéries.
- Les
symbiotiques, terme qui désigne toute solution ayant à la
fois un effet pré et probiotique.
ECOSYSTEME
DIGESTIF ET TROUBLES DIGESTIFS
Prébiotiques
et probiotiques ont été proposés chez l'adulte et plus
récemment chez l'enfant pour prévenir ou traiter diverses affections
supposées être concomitantes de perturbations de l'écologie
intestinale. Seuls les essais contrôlés ayant fait l'objet d'une
bonne définition préalable des critères de jugement et
d'un calcul du nombre de sujets nécessaires à l'obtention théorique
d'une différence prévue permettent d'établir un niveau
de preuve suffisant. Ils manquent à certains travaux.
Etudes
cliniques
- Diarrhées
Plusieurs essais ont montré que l'administration précoce de
divers probiotiques et notamment Lactobacillus GG pouvait raccourcir la durée
d'évolution de diarrhée virale chez le jeune enfant. Deux études
récentes randomisées en double aveugle ont démontré
l'efficacité de l'administration d'un lait enrichi en Bifidobacterium
lactis Bb 12 en terme de prévention de la diarrhée aiguë
chez des nourrissons, soit hospitalisés pour maladie chronique, soit
en centre d'accueil. Dans les deux cas sont obtenus une diminution du risque
de survenue de la diarrhée avec dans une des deux études la
preuve d'une diminution du portage de rotavirus.
Plusieurs essais contrôlés ont également démontré
l'efficacité de certains probiotiques à prévenir les
perturbations digestives liées à l'antibiothérapie. En
particulier Saccharomyces boulardii a été démontré
comme efficace dans le traitement et la prévention des rechutes des
infections liées à Clostridium difficile.
Dans un autre domaine, un essai contrôlé a pu montrer l'intérêt
de l'administration d'un probiotique (Saccharomyces boulardii) dans le traitement
de diarrhées chroniques non spécifiques du jeune enfant, résistant
aux mesures diététiques.
Les essais concernant la prévention de la diarrhée des voyageurs
sont contradictoires.
- Digestion
du lactose
La plupart des adultes et certains enfants présentent une insuffisance
de l'activité lactasique pouvant être à l'origine de production
anormale de gaz, météorisme, douleurs abdominales et diarrhée.
Les signes d'intolérance surviennent lorsque la quantité de
lactose ingéré dépasse franchement les capacités
enzymatiques. Il a pu être montré que certaines souches de Lactobacilles
étaient susceptibles d'exercer une activité lactasique in vivo
après ingestion dans un lait fermenté, facilitant ainsi la digestion
du lactose.
- La
constipation est en partie liée à la sur-digestion du bol
fécal et sa déshydratation, le poids des selles étant
étroitement lié à la flore colique. Tous les essais actuels,
utilisant des Lactobacilles ou des Bifidobactéries, concernent les
personnes âgées, et donnent des résultats positifs.
- L'entérocolite
ulcéro-nécrosante du nouveau-né (ECUN) :
Entité redoutée des néonatologistes du fait de sa relative
fréquence en milieu de soins intensifs néonatals, elle demeure
une cause importante de mortalité et morbidité chez le petit
poids de naissance, surtout prématuré. Le rôle de la pullulation
microbienne intestinale dans la genèse de l'entérocolite reste
sujet à débats notamment pour ce qui concerne la relation de
cause à effet avec l'ischémie intestinale. Quoiqu'il en soit
l'effet délétère de la pullulation microbienne primitive
ou secondaire semble être majoré par une fermentation des sucres
intraluminaux.
Un essai contrôlé a été mené chez un modèle
animal démontrant que l'administration de Bifidobactéries diminuait
l'incidence d'ECUN, l'endotoxinémie secondaire et la mortalité.
- Maladies
inflammatoires du tube digestif :
Les données concernant le rôle potentiellement néfaste
de certains éléments de la flore intestinale dans la pérennisation
des lésions de la rectocolite hémorragique et de la maladie
de Crohn ont conduit plusieurs équipes à s'intéresser
aux probiotiques. L'efficacité de certaines souches dans le maintien
en rémission et dans le traitement de pochite (inflammation du réservoir
iléal restant) a pu être démontré.
- Le
syndrome de pullulation bactérienne intestinale :
Il s'agit d'un syndrome se caractérisant essentiellement par de la
diarrhée et lié le plus souvent à une stase intestinale
d'origine anatomique (sténose, bride, duplication, Hirschsprung) ou
fonctionnelle (Dysmotricité, Pseudo-Obstruction Intestinale Chronique).
Il peut également s'observer dans certaines diarrhées chroniques,
en cas de déficit immunitaire ou après antibiothérapie.
Les conséquences nutritionnelles sont généralement importantes
par malabsorption des graisses et des vitamines liposolubles, fermentation
proximale et malabsorption des hydrates de carbone, maldigestion et malabsorption
protéique. Un essai ouvert utilisant Lactobacillus GG a pu en montré
l'intérêt dans de telles circonstances.
Perspectives supplémentaires :
A
coté des pathologies envisagées ci-dessus, pour lesquels il conviendrait
de poursuivre les essais cliniques, un certain nombre de troubles digestifs
fréquents chez le nourrisson, troubles que l'on pourrait qualifier
de fonctionnels, peuvent faire intervenir, à divers degré, une
perturbation de l'écosystème digestif et une fermentation anormale
des sucres, source de troubles du transit et de ballonnement et seraient susceptibles
de bénéficier de la même approche :
- - Les
régurgitations, dont on sait qu'elles peuvent être favorisées
par une distension abdominale ;
- - Les
coliques du nourrissons, qui pour certaines sont liés à
des phénomènes moteurs intestinaux et à la fermentation
anormale du lactose ;
CONCLUSION
L'importance de l'écosystème intestinal est maintenant reconnue
de même que le rôle de l'alimentation dans son implantation et le
maintien de son équilibre. Les récentes études menées
dans l'utilisation de probiotiques dans l'alimentation infantile ont mis en
exergue l'intérêt de la modulation de la composition de la flore
microbienne intestinale à travers l'utilisation d'une supplémentation
diététique. Ces différentes études mettent également
en exergue le fait que les résultats sont "souche-dépendants".
Il faut en effet tenir compte de la nature de la souche utilisée et de
la quantité apportée. Ces mêmes études montrent combien
il est important qu'une allégation concernant un bienfait sur la santé
s'appuie sur des faits scientifiques établis faisant appel à une
méthodologie indiscutable.
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