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Titre: Aliments fonctionnels et nouveaux aliments en pediatrie
Année: 2001
Auteurs: - Ghisolfi J.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Nutrition

ALIMENTS FONCTIONNELS ET NOUVEAUX ALIMENTS EN PEDIATRIE
Réflexions sur la réglementation et les conduites de commercialisation des préparations lactées destinées aux nourrissons et enfants en bas âge normaux.

J. Ghisolfi

Hôpital des Enfants CHU Toulouse

Le marché des produits alimentaires destinés aux nourrissons et aux enfants âgés de moins de trois ans, normaux, a toujours été, depuis plus d’un siècle, sous l’impulsion constante des sociétés qui conçoivent et/ou commercialisent ces aliments, en constante évolution. Pour cette période de la vie, les progrès portent essentiellement sur les préparations pour nourrissons, de suite et de croissance.

I – EVOLUTION DE LA VALEUR NUTRITIONNELLE DES PREPARATIONS LACTEES POUR JEUNES ENFANTS AGES DE MOINS DE TROIS ANS

Jusqu’aux années 1950, l’alternative alimentaire, lorsque le nouveau-né n’était pas nourri au sein, n’était pas sans risques. Vers les années 1950-1960, l’évolution des connaissances scientifiques et des procédés industriels de fabrication, a permis de modifier cette situation. Le lait de vache, base principale de ces préparations, a été de plus en plus modifié pour le rendre plus digeste et plus proche des apports nutritionnels alors recommandés. Il a été aussi conçu des préparations à base de soja convenant mieux aux jeunes enfants. Pour assurer que la composition de ces formules serait toujours bien adaptée, en France, deux arrêtés ont, dès 1976 et 1978 (1, 2), imposé un cadre réglementaire à ces laits infantiles industriels.

Aujourd’hui la réglementation européenne, transcrite en droit national, définit de façon plus élaborée la composition des deux types de préparations lactées autorisées à être commercialisées, soit les préparations pour nourrissons (pour les enfants nés à terme, de la naissance à 4 à 6 mois), et les préparations de suite, (pour les nourrissons âgés de 4-6 mois à 12 mois). Les laits de croissance, proposés pour mieux couvrir que le lait de vache les besoins nutritionnels des enfants âgés de 1 à 3 ans, n’ont pas fait l’objet à ce jour, de texte réglementaire spécifique et sont commercialisés dans le cadre de la réglementation des laits de suite.

L’évolution de la composition de ces préparations lactées a ainsi constitué un progrès considérable sur le plan de la nutrition infantile. La meilleure adaptation aux besoins nutritionnels et aux capacités digestives du jeune enfant de la formule protéique, lipidique et glucidique, des teneurs en sels minéraux, oligoéléments et vitamines, a fait que lorsque la mère ne pouvait ou ne voulait pas allaiter, ou lorsque l’allaitement au sein après l’âge de 6 mois ne suffisait plus, ces préparations, permettaient d’obtenir une croissance somatique « normale », un développement psychomoteur paraissant satisfaisant, sans risque pathologique majeur.

L’évolution des conceptions sur ce que devrait être la composition optimale de ces formules infantiles était essentiellement basée, d’une part sur les progrès des connaissances sur le lait de femme, sur de nombreuses études expérimentales, in vitro, et conduites chez l’animal, sur des études réalisées chez l’homme adulte et, une recherche clinique effectuée sur de jeunes enfants normaux dont on peut parfois discuter la validité (3). La présentation était claire et compréhensible pour le milieu médical. Il s’agissait de préparations pour nourrissons, de suite et de croissance, entrant strictement dans le cadre réglementaire en vigueur, supplémentées, en nutriments, « utiles »,

sinon nécessaires, sur la base de données scientifiques reconnues. Ces supplémentations ne posaient aucune interrogation car elles figuraient, parfois certes à posteriori, sur des listes de nutriments ou ingrédients autorisés dans la composition de ces formules pour jeunes enfants. L’allégation, figurant dans les textes sous-tendant la commercialisation du produit et sur l’étiquetage, ne portait que sur le nutriment ajouté (… enrichi en taurine, en acides gras polyinsaturés (AGPI), à protéines hydrolysées ou hypoantigéniques, etc…) et était donc autorisée. Pour certaines présentations cependant, l’allégation allait plus loin comme par exemple, (source : dictionnaire Vidal 1997) : AGPI nécessaires au bon développement du nourrisson, acidification par des ferments lactiques améliorant la digestibilité des protéines et du lactose, présence de nucléotides pour maintenir une bonne activité immunitaire, addition de probiotiques pour participer au développement de la barrière digestive, etc…

II – DE L’APPROCHE NUTRITIONNELLE A L’APPROCHE FONCTIONNELLE

Dans le même temps, au-delà de ces dispositions réglementaires, les sociétés industrielles produisant et/ou commercialisant ces préparations lactées pour jeunes enfants, prenant en compte l’évolution des connaissances, ont introduit, dans ces formules sur cette base réglementée de composition, des nutriments ou ingrédients, pour les rendre «encore plus adaptées aux besoins du nourrisson », pour leur donner un « effet santé » voire un effet prévention de troubles cliniques ou même de maladies. C’est ainsi qu’a été confortée la commercialisation de laits acidifiés qui devaient permettre de diminuer « les petits troubles digestifs ». Ont été aussi proposés sur le marché des laits enrichis en acides gras polyinsaturés pour améliorer le développement cérébro-sensoriel et psychomoteur, en taurine, pour son rôle éventuel dans l’absorption lipidique intestinale et dans la maturation cérébro sensorielle, en particulier rétinienne, en nucléotides, en raison de leur action sur le système immunitaire. Des préparations lactées à protéines partiellement hydrolysées ont été par ailleurs commercialisées dans le but annoncé de diminuer leur charge antigénique, et en conséquence de réduire le risque de survenue de maladies allergiques.

Depuis un ou deux ans, et particulièrement ces derniers mois en France, on assiste ainsi à la mise sur le marché, en pharmacie et en grandes surfaces commerciales, de préparations pour nourrissons, de suite et de croissance, avec une justification de présentation, pour le milieu médical et pour le public, qui a beaucoup changé. Si ces types de préparations pour nourrissons et enfants en bas âge aujourd’hui commercialisées entrent dans le cadre réglementaire en vigueur sur le plan de leur composition, si le (ou les) nutriment(s), le (ou les) ingrédient(s) utilisé(s) en supplémentation sont généralement mentionnés, l’accent est davantage mis sur l’effet fonctionnel, lié à cette supplémentation. Ces préparations sont ainsi présentées (sources dictionnaire Vidal 2000 et documents de présentation des sociétés) comme étant à effet anti régurgitations (laits AR), proposées pour pallier à l’immaturité digestive, pour la tranquillité, le bon confort digestif, pour la constipation, pour régulariser le transit, pour favoriser le développement d’une flore bifide, pour apporter une activité lactasique, pour renforcer les défenses naturelles de bébé, pour prévenir les infections intestinales, pour le bien être du nourrisson ….

La dénomination a été jusqu’à ce jour peu employée en pédiatrie, mais on peut percevoir que, comme cela est observé depuis une dizaine d’années en nutrition adulte, les aliments pour jeunes enfants sont entrés dans l’ère des préparations fonctionnelles.

Cette évolution n’est pas sans signification et n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations.

III – PREPARATIONS LACTEES POUR NOURRISSONS - ENFANTS EN BAS AGE ET ALIMENTS FONCTIONNELS

Ces « nouvelles » préparations, nouvelles parfois uniquement par leur présentation, répondent sur tous les points à la définition, aujourd’hui à peu près unanimement admise des aliments fonctionnels (4). Il s’agit bien :
…. d’un aliment qui fait partie du régime quotidien, qui par son goût, son apparence ou son odeur, ne se différencie pas d’un aliment habituel à cet âge …. d’un aliment qui est proposé parce qu’il exerce un effet bénéfique spécifique sur une ou plusieurs fonctions du corps, cet effet allant au-delà des effets nutritionnels habituels de la préparation
…. d’un aliment pour lequel on allègue qu’il a un effet bénéfique sur une fonction de l’organisme, sur le bien être, l’état de santé du jeune enfant, ou pour la prévention de maladies.

Une préparation alimentaire fonctionnelle, en pédiatrie comme chez l’adulte, n’entre pas dans le cadre d’une nouvelle catégorie d’aliments. Toutes ces formules pédiatriques respectent le cadre réglementaire des préparations pour nourrissons, de suite et de croissance. Comme le souligne M. Roberfroid, un aliment fonctionnel ne correspond qu’à un concept. Sa particularité ne vient pas de sa composition. Elle ne découle que de ses effets bénéfiques éventuels et donc n’existe que par son allégation (5).

IV – PREPARATIONS « FONCTIONNELLES » EN PEDIATRIE. CADRE REGLEMENTAIRE ET CONDUITE DE COMMERCIALISATION

Le développement rapide de la commercialisation de ces préparations « fonctionnelles » en pédiatrie soulève cinq types de questions qui concernent les conditions de conception du produit, l’utilisation de nouveaux nutriments et/ou ingrédients qui pourraient être considérés comme étant « nouveaux » en nutrition infantile, la procédure utilisée avant mise sur le marché, l’allégation qui sous-tend la commercialisation, l’autorisation de mise sur le marché.

1 – Conditions de conception du produit

La procédure que devrait suivre la conception d’un aliment fonctionnel a fait l’objet, pour des aliments destinés à l’homme adulte, de récentes recommandations (5). Il est généralement proposé que quatre points devraient être particulièrement pris en compte :

1 – connaissances scientifiques reconnues sur l’effet fonctionnel : identification des « principes » actifs et de leurs effecteurs, des modifications observées de (ou des) fonction(s) et/ou structure(s), compréhension des mécanismes (études expérimentales in vitro et in vivo chez l’animal, données épidémiologiques en rapport véritablement avec l’objet de commercialisation du produit).

2 – identification et validation de marqueurs qui devraient être spécifiques, pratiques, standards, reproductibles, sensibles, éthiques. Ces marqueurs doivent permettre effectivement d’évaluer le bénéfice attendu, la sécurité d’emploi de l’aliment, les risques potentiels, à court, moyen et long terme.

3 – essais cliniques préalables (volontaires sains) sur les bénéfices attendus (preuves des changements bénéfiques), les risques potentiels. Ces essais cliniques devraient être réalisés en utilisant des concentrations du « principe » actif (nutriment ou ingrédient), supplémentant

véritablement l’aliment considéré (on sait que l’action du « principe » est liée en partie au substrat dans lequel il est placé) en respectant des conditions d’emploi correspondant à celles prévues ou possibles dans le cadre de la commercialisation.

4 – études cliniques préalables, en situation d’emploi, telles que le prévoit la mise sur le marché, donc, dans ce cas, chez le jeune enfant, à des périodes d’âge bien définies, afin de s'assurer que l'aliment fonctionnel est bien accepté, bien toléré, ne comporte pas de risques et a bien les effets bénéfiques attendus. Ces études devraient être conduites en utilisant les marqueurs précédemment identifiés et validés.

Pour ce dernier point, les conditions particulières de la recherche clinique en pédiatrie, dans le cadre de la loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales dite loi Hurriet-Serusclat, sont un frein indiscutable et majeur à cette approche pourtant nécessaire (6). Ces dispositions, dont on comprend le bien-fondé, peuvent conduire à condamner, de fait, la mise en œuvre en France de ces nécessaires études cliniques préalables à la commercialisation de ces produits alimentaires pour jeunes enfants. Le risque est grand, et il existe aujourd'hui, de voir des préparations mises sur le marché avec comme seule justification, des essais réalisés en dehors de France, en Europe ou ailleurs, alors que les conditions de l’expérimentation ne sont pas celles qu’on est en droit d’attendre. La France apparaîtra, pour ces études cliniques conduites chez l’enfant normal, comme un pays qu’il n’est pas nécessaire de consulter, voire qu’il faut éviter, puisque la mise en œuvre de ce qui est une action de recherche est quasi impossible à envisager. Une réflexion sur ce que doit être l’interprétation de cette loi, et probablement sur son adaptation à la nutrition infantile, paraît nécessaire et urgente.

Sur un plan général, sur cette question de procédures à respecter lors de la conception des préparations « fonctionnelles » pour jeunes enfants, on peut se demander si tous les points sont toujours bien considérés.

2 – Utilisation des nutriments ou ingrédients à l’origine de l’effet fonctionnel

La plupart de ceux utilisés depuis quelques années comme les acides gras polyinsaturés, les nucléotides, les protéines hydrolysées, entrent dans le cadre de nutriments ou ingrédients réglementairement autorisés pour les aliments destinés aux enfants. Pour ces produits, aucune question particulière ne se pose donc pour leur emploi pédiatrique.

Il ne peut s’agir de compléments issus de procédés de génie génétique puisque les nutriments et ingrédients génétiquement modifiés sont interdits en Europe, en pédiatrie.

La recherche d’un effet fonctionnel innovant peut cependant, et c’est ce que l’on observe ces derniers mois, conduire à supplémenter ces préparations avec des nutriments ou ingrédients, isolément ou en association, jamais utilisés chez le jeune enfant ou qui n’ont fait l’objet d’aucune commercialisation à visée pédiatrique en Europe.
Sur ce point, la réglementation en vigueur peut prêter à discussion et peut être l’objet, pour les produits relevant de la nutrition pédiatrique, d’interprétations qui peuvent interroger. Deux textes peuvent ainsi être rappelés :

1 – Règlement CE 258/97, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires (7). Il est indiqué dans l’article premier de ce règlement (alinéa f) que « le présent règlement s’applique à la mise sur le marché dans la communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires …. qui relèvent des catégories suivantes ». Parmi ces catégories

sont cités « les aliments et ingrédients alimentaires auxquels a été appliqué un procédé de production qui n’est pas couramment utilisé, lorsque ce procédé entraîne dans la composition ou dans la structure des aliments ou des ingrédients alimentaires, des modifications significatives de leur valeur nutritive, de leur métabolisme ou de leur teneur en substances indésirables".

Peut-on considérer aujourd’hui que cette disposition, dont la signification et la portée mériteraient des éclaircissements, est bien prise en compte pour les produits présentés comme étant nouveaux, commercialement, offerts pour le jeune enfant ?

Ce même texte précise que ce règlement s’applique aussi (article premier, alinéa f), aux aliments et ingrédients alimentaires présentant une structure primaire nouvelle ou délibérément modifiée.

Cette disposition est-elle à respecter lorsqu’il s’agit de nutriments dont la structure a été modifiée, pour lesquels on dispose de données scientifiques validées prouvant l’intérêt, qui ont été utilisés chez l’adulte, mais jamais en pédiatrie ? S’agit-il dans ce cas d’un nouveau nutriment pour les jeunes enfants ?

Dans le même règlement figure à l’article 8 (alinéa a) la mention : « un nouvel aliment ou un nouvel ingrédient est réputé …. ne plus être équivalent à un aliment ou ingrédient existant …. si une évaluation scientifique fondée sur une utilisation appropriée des données existantes peut démontrer que les caractéristiques évaluées diffèrent de celles d’un aliment ou ingrédient alimentaire classique, compte tenu des limites admises des variations naturelles de ces caractéristiques.

Cette proposition réglementaire ne s’applique-t-elle pas à des préparations infantiles déjà commercialisées en France ?

2 – Directive 91/321 du 14 mai 1991 (JOCE du 04.04.91) concernant les préparations pour nourrissons et les préparations de suite.
Un article de cette directive peut être retenu (article 3, alinéas 1 et 2). « Les préparations pour nourrissons et de suite sont fabriquées ….. à partir d’ingrédients alimentaires dont il a été démontré par des données scientifiques généralement admises qu’ils conviennent à l’alimentation particulière du nourrisson dès sa naissance ».

Dispose-t-on, toujours, avant commercialisation de données scientifiques validées assurant de l’intérêt et de l’absence de risques pour un emploi dès la naissance ?

L’analyse de ces textes réglementaires suscite par ailleurs quelques commentaires généraux. Ainsi, dans le texte se rapportant aux préparations pour nourrissons et de suite (directive 91/321), il est bien précisé qu’il doit être démontré « scientifiquement » que les ingrédients supplémentés conviennent à l’alimentation particulière des jeunes enfants. Sur ce point, on peut donc poser la question du bien fondé et du risque potentiel de décisions basées sur l’autorisation, ou la non nécessité de demande d’autorisation d’utilisation d’aliments, de nutriments et d’ingrédients alimentaires, destinés aux nouveau-nés et aux nourrissons parce qu’ils figurent sur une liste de produits autorisés chez l’adulte, parfois d’ailleurs pour des indications très différentes de celles prévues pour le jeune enfant. Pendant au moins les premiers mois de sa vie, l’enfant a un organisme en développement, une immaturité physiologique, des conditions métaboliques, biologiques, des modes d’alimentation, qui peuvent être très différentes de ceux de l’adulte. On devrait sur ce plan appliquer strictement la recommandation du « scientific committe on foods de la CE » : « any change in the form in which a food is placed ont the market, its production, processing or use of

unusual ingredients, will lead to the necessity of special attention to this product and its examination on the safety and health of the consumer ». Cette proposition mériterait qu’elle soit explicitée par une réglementation spécifique à la nutrition infantile lorsqu’il s’agit d’aliments ou ingrédients qui peuvent, en application du règlement CE 258/97 être considérés comme nouveaux pour l’alimentation du jeune enfant.

3 – Procédure utilisée avant mise sur le marché

Comme le souligne M. Roberfroid (5), cette procédure devrait impliquer, dans une étroite collaboration, dans un dialogue constant, tous les intervenants issus des milieux hospitalo-universitaires, des organismes de recherche et des sociétés, chercheurs, nutritionnistes, pédiatres, responsables du marketing, ayant compétence sur l’innovation considérée. On peut comprendre l’importance du frein que constitue la diffusion d’informations concernant l’innovation avant commercialisation. Cependant cette disposition devrait pouvoir être considérée comme un principe de précaution pour les jeunes enfants, mais aussi pour les sociétés distributrices.

Les conditions permettant d’assurer l’absence totale de risque à court, moyen et long terme, d’affirmer que les conditions de sécurité totale d’emploi du produit alimentaire « fonctionnel » chez
l’enfant sont remplies, de garantir que les bénéfices attendus seront bien obtenus, ne pourront être que le fruit de ce type de démarche collaborative. Elle implique pour la pédiatrie, outre la mise à disposition de compétences réelles, une approche spécifique qui comporte une recherche clinique chez l’enfant dont on a souligné la difficulté de mise en œuvre (6) et le caractère très aléatoire (3).

Dans tous les cas, une approche scientifique, rigoureuse, est indispensable. Elle est la base incontournable de la légitimité de mise sur le marché pédiatrique.

4 – Allégation qui sous-tend l’intérêt de la commercialisation

Le codex alimentarius, les comités scientifiques d’experts de la CE , de la CEDAP en France, se préoccupent de cette question encore en discussion. Des lignes générales de recommandations pour l’emploi des allégations se dégagent. Il est généralement considéré qu’une allégation nutritionnelle est autorisée (par exemple, aliment source de calcium, d’acides gras polyinsaturés, de nucléotides ….). Elle ne devrait cependant jamais faire référence, même de façon implicite, au fait que le nutriment pourrait permettre de guérir, traiter, prévenir une maladie (Commission du Codex alimentarius – 22ème session – 1997). Par ailleurs, les allégations santé, distinguées en allégation de type physiologique (effets sur une fonction organique) et pour la prévention d’une maladie ou des effets santé liés à un nutriment, à une substance contenue dans l’aliment, ne sont pas clairement autorisées (seules les allégations thérapeutiques sont
strictement interdites) (Alinorm 99/22). Faire la différence entre ces types d’allégations n’est pas toujours facile et les décisions prises sont souvent ambiguës. On peut comprendre l’emploi autorisé d’une allégation de type lait de transit mais est-il légitime d’utiliser lait anticonstipation ou préparation pour prévenir les infections intestinales ?

Un autre aspect des directives européennes mériterait d’être considéré avec plus d’attention en pédiatrie. La directive 79/112 de la CEE indique que « si une allégation est portée quand à une composition particulière d’une préparation, il doit être fourni une information objective et scientifique vérifiée ». Certaines préparations pour jeunes enfants actuellement sur le marché font état d’allégations dont on peut se demander si elles répondent bien à cette directive, comme par exemple « renforce les défenses naturelles du bébé, ou immodulation active ».

Une ambiguïté peut aussi résulter de la façon dont est libellée l’allégation induisant que la préparation a bien un effet bénéfique. Par exemple, pour une préparation présentée comme favorisant la présence d’une flore bifide fécale, il peut difficilement être admis l’allégation qui en résulterait : préparation anticolique du nourrisson ou renforce les défenses naturelles du bébé, ou améliore les défenses de l’organisme. En application de la directive CE 79/112, cet effet « médical » spécifique bénéfique devrait être prouvé, avant que l’allégation ne soit utilisée, sur des bases scientifiques validées, dans les conditions d’emploi de l’aliment (recommandation de la CEDAP) (8).

Les membres du corps médical ont parfois des difficultés pour bien appréhender les innovations en matière de nutrition infantile. Les préparations lactées, et autres produits alimentaires de l’enfant, sont vendus au public en grande surface. L’allégation, parce qu’elle est affichée, touche directement les parents du consommateur. Ils doivent être assurés de la validité scientifique des allégations. L’allégation doit être prouvée, non trompeuse, non ambiguë, claire pour le consommateur (5).

Par ailleurs, une directive européenne (n° 91/321) parue au JO-CE du 04.07.91 mériterait des compléments d’information quant à sa portée. Cette directive, concernant les préparations pour nourrissons et de suite, à notre connaissance toujours en vigueur, précise dans son article 7 (alinéa 7) et son annexe IV, que « l’étiquetage ne peut comporter des allégations quant à une composition particulière d’une préparation pour nourrissons que dans les cas énumérés dans l’annexe IV, dans les conditions qui y sont fixées ». On peut lire dans cette annexe IV que ces critères de compositions particulières autorisant une allégation sont des formules comportant des protéines adaptées, ayant une faible teneur en sodium, sans saccharose, sans lactose, ou avec enrichissement en fer, ou ayant un effet sur la réduction du risque d’allergie aux protéines du lait. Cette directive, implique-t-elle une application restrictive, correspondant strictement à cette liste, pour les allégations utilisées en nutrition infantile ?

Il apparaît que la réglementation concernant les allégations sous-tendant la commercialisation des préparations pour nourrissons, de suite et de croissance nécessiterait, pour le moins, une clarification ….

5 - Autorisation de mise sur le marché

La procédure aujourd’hui en vigueur est source de confusion et de difficultés de situation.

Il revient à la société qui commercialise le produit de décider s’il est conforme ou non à la
réglementation en vigueur. La réglementation est claire si ses responsables perçoivent qu’il n’est pas conforme. Dans ce cas, ils doivent soumettre le dossier, pour avis, à la Direction Générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes. Si, par contre, ils jugent que le produit est en règle, ils peuvent le mettre sans formalité administrative préalable sur le marché. Le dossier peut être l’objet, alors que la préparation est commercialisée, d’une expertise demandée par l’administration. Si des remarques sont à faire, à fortiori si le produit ne semble pas correspondre aux normes réglementaires en vigueur, françaises et/ou européennes, on peut se trouver dans la situation curieuse d’avoir à disposition une expertise qui pourrait conduire à un avis d’interdiction pour une préparation commercialisée depuis plusieurs mois.

V - CONCLUSIONS

Que le concept de préparations « fonctionnelles » pour nourrissons, de suite et de croissance,

soit admis ou non, il correspond à une réalité de commercialisation sans cesse croissante en France. Les textes réglementaires qui peuvent être utilisés pour « contrôler » cette mise sur le marché de produits alimentaires pour les jeunes enfants, sont la plupart du temps basés sur des directives relatives à la nutrition adulte, ne sont pas adaptés et prêtent à discussion, à interprétation.

L’évolution de ce marché interroge. Ces produits aujourd’hui ne sont pas généralement compris par le corps médical, peut être parce que l’innovation est trop rapide, parfois difficile à percevoir. Leur qualité nutritionnelle n’est plus le support essentiel de la présentation. L’aliment destiné aux nourrissons et enfants en bas âge a tendance de plus en plus à être perçu comme un simple milieu de transport de nutriments ou ingrédients à effets fonctionnels bien plus bénéfiques que la préparation elle-même. Il en résulte une perte d’identité qui ne peut être bénéfique de ces préparations qui avaient une image de qualité remarquable d’abord du fait de leur composition.

Nous ne sommes probablement qu’au début d’un nouveau tournant de la nutrition infantile. Si on doit comprendre et soutenir ces innovations, si on doit se féliciter de l’action constante et de grande qualité des sociétés pour fournir de « meilleurs aliments » pour le jeune enfant, il ne faudrait
pas qu’une réglementation incomplète, soit source, parce qu’elle est mal comprise, ou sujette à interprétation, d’insuffisances de communication, voire d’erreurs de positionnement ou de dérapages. Comme pour l’adulte, mais plus que pour l’adulte, la prudence, la rigueur scientifique, doivent être la base de toute innovation en nutrition infantile.

Références

1 – Arrêté du 1er juillet 1976 relatif aux aliments diététiques et de régime de l’enfance. Journal Officiel de la République Française, 14 septembre 1976 ; 5519-24

2 – Arrêté du 30 mars 1978 relatif aux dispositions relatives aux aliments lactés diététiques. Journal Officiel de la République française, 24 mai 1978 ; 4070-2

3 – J.A Berlin. Publication bias in clinical researchs : outcome of projects submitted to ethic committees – in « clinical trials in infant nutrition ». JA. Perman et J. Rey. Eds. Nestlé nutrition workshop series. Vol. 40. Lippincott-Raven publishers. Philadelphia 1998. pp 105-20

4 – A.T Diplock, P.J Aggott, M. Ashwell et al. Scientific concepts of functional foods in Europe : consensus document. Brit J Nutr 1999 ; 81 (suppl) : S1-27

5 – M. Roberfroid. Concept and strategy of functionnal food sciences. The european perspectives. Am J Clin Nutr 2000 ; 71 (supplt) : S1660-4S

6 – Comité de nutrition. Société Française de Pédiatrie. Expérimentation et essais cliniques en nutrition pédiatrique. Obligations légales et règles de bonne conduite. Arch Fr Pediatr. 1996 ; 3 : 3-8

7 – Règlement CE n° 258/97 du Parlement Européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires. JO CE n° L 43/1 du 14 février 1997

8 – DGCCRF (1997). Bull Officiel Concurr Consom. Rep. Fraudes. 07.10.1997