PRO-,
PREBIOTIQUES : DEVELOPPEMENT ET MISE AU POINT DANS LES FORMULES INFANTILES
Marie-Christine
Secretin
Ingénieur-chimiste
Conseiller scientifique Nestec S.A.
Le rôle
joué par la flore intestinale chez le nourrisson est pressenti depuis longtemps.
C'est en 1900 déjà que Tissier identifiait les bifidobactéries dans les selles
de l'enfant au sein et associait leur présence à la fréquence plus faible des
gastro-entérites chez les enfants ainsi allaités (1). De longues recherches
allaient s'ensuivre pour essayer de reproduire, à travers les formules infantiles,
les mêmes caractéristiques de la flore intestinale. Les années quarante et cinquante
virent ainsi fleurir les "facteurs Bifidus" : lactulose de Petuely,
facteur Bifidus I de Gyorgy, facteur Bifidus II de Raynaud. Tous ces facteurs,
sélectionnés sur la base de leur capacité in vitro à favoriser la croissance
des bactéries du genre Bifidum, se sont révélés décevants lors de l'utilisation
in vivo. Ils permettaient au mieux de favoriser le développement de l'une
ou l'autre souche spécifique de bifidobactéries, mais ne permettaient pas de
reproduire le profil typique de la flore intestinale de l'enfant allaité au
sein avec sa forte prédominance de bifidobactéries (environ 100 fois plus de
bifidobactéries que des autres espèces), et encore moins de reproduire ses effets
bénéfiques.
Entre-temps,
le succès rencontré en alimentation animale par l'utilisation de souches microbiennes
spécifiques dans les aliments pour animaux d'élevage, qui ont permis d'améliorer
les performances des animaux soit par effet nutritionnel direct, soit par l'amélioration
de leurs conditions sanitaires, a conduit les experts à envisager leur emploi
en alimentation humaine. C'est ainsi qu'est né le concept de probiotiques, revitalisation
moderne du postulat de Metchnikoff en 1908 selon lequel les bactéries lactiques
induisent des effets bénéfiques pour la santé et la longévité de l'homme.
PROBIOTIQUES
Le terme
de probiotique, dérivé du grec, signifie "pour la vie", par opposition
aux "antibiotiques". Il a été proposé en 1974 pour désigner les souches
microbiennes utilisées en alimentation animale pour contrer les effets négatifs
des antibiotiques et renforcer leur efficacité. La définition des probiotiques
a légèrement varié avec le temps. La figure 1 résume cette évolution.
Le concept
de probiotique fait appel à 4 notions importantes :
un probiotique est un micro-organisme vivant
les micro-organismes tués par la chaleur ne répondent pas à la définition
des probiotiques. Le terme de probiotique ne peut donc pas être associé aux
laits dits "acidifiés" en poudre, en réalité fermentés par des bactéries
lactiques jusqu'à atteindre un certain degré d'acidité, mais dans lesquels les
bactéries acidifiantes sont tuées au cours du séchage
- un probiotique est ingéré par voie orale
il s'agit dans la plupart des cas de bactéries ajoutées aux aliments; la présentation
sous forme de capsule peut également se concevoir, mais elle est en général
réservée à une utilisation plutôt thérapeutique
un
probiotique exerce un effet bénéfique
seules les bactéries connues pour leurs effets favorables devraient être
retenues dans cette définition
- un probiotique exerce son action en améliorant l'équilibre de la flore
intestinale
pour être qualifiée de probiotique , une bactérie doit donc survivre au
transit gastro-intestinal et pouvoir s'établir, même de manière transitoire,
dans la microflore intestinale et être retrouvé vivant dans les selles.
Critères de
sélection des souches bactériennes potentiellement probiotiques
1.
Innocuité totale
Ce critère semble évident, mais il est important de le vérifier surtout si
le choix de la bactérie administrée n'appartient pas à la microflore normale
de l'hôte. Les bactéries lactiques (lactobacilles et bifidobactéries) qui
sont utilisées depuis des temps immémoriaux pour la conservation des aliments
ont fait la preuve de leur innocuité. Il n'en est pas de même pour les germes
du genre Enterococcus par exemple.
2.
Survie au cours du transit digestif
La capacité de survie au cours du transit intestinal est très variable entre
genres et entre souches. Certaines bactéries sont détruites dès leur passage
dans l'estomac. Parmi les lactobacilles utilisés par l'industrie laitière
pour la fabrication des laits fermentés et yaourts, un grand nombre ne survivent
pas à l'environnement acide de l'estomac et ne répondent donc pas totalement
à la définition des probiotiques. C'est le cas par exemple de L.bulgaricus
et S.thermophilus. A noter toutefois que de nombreux travaux ont montré que
la lactase véhiculée par ces bactéries dont la membrane est très facilement
lysée par les acides biliaires participe efficacement dans l'intestin à la
digestion du lactose chez les sujets déficients en lactase.
La figure 2 résume les principales données disponibles sur la capacité
de survie des principaux probiotiques au transit intestinal (2,3).
Fig.
2. Pourcentage de récupération de probiotiques vivants
dans les selles après leur ingestion
|
% survie
|
Bifidobacteria
sp
|
30
|
B.lactis
Bb12
|
30
|
L.plantarum
NCIB 8826
|
25
|
L.acidophilus
|
2-5
|
L.rhamnosus
(souche GG)
|
1-5
|
L.reuteri
capsule
|
0.01
|
3.
Origine humaine
Elle fait encore l'objet de nombreuses discussions parmi les scientifiques.
Les bactéries, comme n'importe quels autres êtres vivants, sont bien adaptées
à leur environnement spécifique. Les cultures lactiques, par exemple, connaissent
une croissance optimale à une température comprise entre 40 et 42°C, ne résistent
pas au passage dans l'estomac, sont tuées par les sels biliaires, et sont
incapables de s'établir dans le tube digestif. A l'opposé, les souches d'origine
humaine poussent à 37°C, sont résistantes aux acides et aux sels biliaires,
et en général peuvent s'établir au moins transitoirement dans l'intestin humain.
Il a également été démontré que la muqueuse intestinale et sa microflore partagent
des épitopes antigéniques communs, sans doute responsables de la tolérance
immunologique de l'hôte vis-à-vis de ses bactéries résidentes.
Toutes ces raisons parlent donc en faveur d'une origine humaine comme facteur
favorable pour une souche probiotique. A noter toutefois que l'origine humaine
d'une souche peut être difficile à établir en toute certitude.
4.
Activité anti-microbienne
Pour jouer leur rôle d'amélioration de l'hygiène intestinale, un bon probiotique
doit être capable d'inhiber le développement des germes indésirables. Sans
pour autant garantir leur efficacité in vivo, un premier critère de sélection
doit donc être l'activité antimicrobienne in vitro, mesurée par des "challenge
tests" au laboratoire.
5.
Adhésion à la muqueuse intestinale/survie dans l'écosystème intestinal
Il semble a priori intéressant que les souches probiotiques puissent adhérer
aux cellules de la paroi intestinale, d'une part pour faciliter la colonisation
du tube digestif par le probiotique, et d'autre part pour obtenir un effet
"barrière" optimal contre l'invasion de la muqueuse intestinale
par des bactéries pathogènes. Mais les tests in vitro proposés pour étudier
l'adhésion des cellules sont très controversés. Dans bien des cas, il n'existe
pas de bonne corrélation entre l'adhésion in vitro de souches sur des cellules
d'origine intestinale (Caco 2) et sur leur adhésion in vivo à l'épithélium
intestinal. Des souches considérées comme ayant une faible adhésion in vitro
se sont révélées très efficaces in vivo (cas de B.lactis Bb12).
6.
Propriétés technologiques : viabilité et stabilité des micro-organismes
C'est un des critères les plus importants, car nombre de souches qui possèdent
des propriétés probiotiques intéressantes dans un produit laitier "frais"
(durée de conservation de 3 semaines environ) ne survivent pas aux durées
de conservation nécessaires aux poudres de lait (figure 3).
La stabilité
des micro-organismes est influencée par les conditions de stockage : température
(au-delà de 60°C, la plupart d'entre eux ne résistent pas), humidité. La qualité
même de la poudre de lait à laquelle sont ajoutés les micro-organismes peut
fortement influencer leur stabilité (figure 4).
L'expérience
accumulée dans le domaine des probiotiques amène donc à conclure que l'effet
probiotique est spécifique à certaines souches particulières, et pas à l'espèce
en général. Aucune extrapolation ne peut être faite d'une souche à une autre.
Cet effet ne s'exercera que dans des conditions bien précises de culture de
la souche, de son procédé d'addition aux aliments, et des conditions de stockage
de l'aliment considéré.
Toute
allégation concernant un effet spécifique sur la santé devra donc être étayée
par un dossier scientifique rigoureux, qui ne peut en aucun cas reposer exclusivement
sur des essais de laboratoire, mais doit comporter des études cliniques réalisées
sur la population cible et avec le produit fini tel que destiné à la commercialisation.
Pour
une utilisation en alimentation infantile, il faut encore ajouter aux critères
mentionnés précédemment la nécessité, pour la bactérie sélectionnée, de produire
exclusivement de l'acide lactique L(+), exigence imposée aussi bien par la norme
Codex pour les préparations pour nourrissons (4) que par la Directive Européenne
sur les préparations pour nourrissons et les préparations de suite (5). Sous
réserve de cette caractéristique, les bactéries à effet probiotique sont autorisées
comme additifs alimentaires dans ces diverses catégories de produits.
Des
cinq souches dont l'activité probiotique a été établie sur base d'un dossier
scientifique sérieux : L. johnsonii La1, L.rhamnosus GG, L.casei Shirota,
L.reuteri SD2112 et B.lactis Bb12, deux seulement peuvent être retenues pour
une application en alimentation infantile : B.lactis Bb12 et L.rhamnosus GG.
Seule B.lactis Bb12 a fait l'objet d'études dans des conditions réelles d'utilisation,
c'est-à-dire sous la forme d'une préparation lactée enrichie de cette bactérie
probiotique.
PREBIOTIQUES
Le concept
de "prébiotique" est beaucoup plus récent. Il a été proposé par Gibson
et Roberfroid en 1995 (6). Comme pour les probiotiques, une définition plus
spécifique est maintenant proposée (figure 5).
Trois notions
importantes sont à retenir :
- un prébiotique
influence la flore intestinale de façon bénéfique.
Il s'agira donc de facteurs de croissance pour les bactéries intestinales ayant
un effet favorable sur la santé : bifidobactéries, lactobacilles principalement
(figure 6)
-
un prébiotique est une substance non digestible.
Les nutriments reconnus comme favorisant la croissance des Bifidobactéries :
lactose, hydrolysats de protéines, ne répondent donc pas à la définition des
prébiotiques.
- un prébiotique stimule sélectivement une, ou un nombre limité de souches
bactériennes.
La sélection de prébiotiques potentiellement intéressants se fait donc principalement
sur base de tests in vitro, dans de petits fermenteurs inoculés soit avec des
mélanges de bactéries censés reproduire la composition de la flore intestinale,
soit avec des extraits de selles humaines.
L'effet
"prébiotique" doit donc être clairement dissocié de l'effet "colonique",
qui consiste à stimuler globalement la croissance des bactéries endogènes. Celles-ci
produisent en effet non seulement des métabolites bénéfiques, du type acides
gras à chaîne courte, mais aussi des métabolites indésirables : amines, phénols,
ammoniaque, et autres produits potentiellement toxiques.
Les
ingrédients alimentaires ayant un effet "colonique" sont les hydrates
de carbone non digestibles pour l'homme. Ils comprennent les amidons résistants,
les polysaccharides non glycolysés, les pectines, les celluloses et hémicelluloses,
les gommes, et les oligosaccharides non digestibles.
A
l'heure actuelle, seuls ces derniers se sont révélés avoir in vitro un effet
prébiotique intéressant. Il s'agit d'oligosaccharides dont la configuration
dans l'espace des liaisons osidiques permet de résister à l'action des enzymes
intestinales, mais qui peuvent être fermentés par les bactéries.
Ces
oligosaccharides peuvent soit être extraits à partir de sources naturelles (inuline,
oligosaccharides du soja) puis soumis à une hydrolyse partielle (oligofructose),
soit être synthétisés à partir de disaccharides tels que le lactose et le saccharose.
La figure 7 résume les principaux oligosaccharides disponibles en Europe.
Les
effets prébiotiques in vivo, chez l'adulte, de ces oligosaccharides non
digestibles ont été revus récemment (7) par un groupe d'experts dans le cadre
d'un programme de recherche subventionné par la Commission Européenne, comme
sous le nom de projet ENDO (European project on Non Digestible Oligosaccharides).
Au terme de cette revue extensive, qui a représenté un travail de 3 ans, les
experts ont conclu que seule l'inuline et les oligofructoses avaient fait la
preuve d'un effet bifidogène, et partant prébiotique, pour des doses allant
de 4 à 40 g par jour.
En revanche,
pour les trans-galacto-oligosaccharides (TOS), les données sont inconsistantes,
allant de l'absence d'effet bifidogène à un effet très modéré, bien inférieur
à celui des oligofructoses. Ces variations peuvent sans doute s'expliquer par
le fait que nombre de liaisons osidiques dans les TOS sont attaquables par les
enzymes et qu'en conséquence seule une très faible partie des quantités ingérées
parvient intacte jusqu'au colon.
Les
autres types d'oligosaccharides non digestibles à effet prébiotique potentiel
(xylo-oligosaccharides, oligosaccharides du soja, pyrodextrines, etc.) n'ont
pas encore fait l'objet d'études suffisantes chez l'homme pour arriver à une
conclusion.
Les prébiotiques
dans l'alimentation de nourrisson
A côté
de leurs effets sur la flore intestinale, les prébiotiques ont un effet sensible
sur le comportement intestinal. Au niveau de l'intestin grêle, ils restent en
solution dans le chyme et augmentent la pression osmotique, créent un appel
d'eau dans la lumière intestinale. Au niveau du colon, la fermentation bactérienne
s'accompagne de la production de gaz et d'acides gras à chaîne courte qui sont
connus pour influencer la motilité intestinale.
Si ces
effets sont recherchés chez l'adulte pour améliorer le transit intestinal et
éviter les problèmes de constipation créés par notre alimentation moderne trop
pauvre en fibres, il n'en est pas de même chez le nourrisson où une consommation
élevée de prébiotiques peut créer des symptômes pathologiques : diarrhée, flatulence,
coliques, etc.
Des
études cliniques sont en cours pour déterminer la dose à la fois efficace et
bien tolérée chez le jeune enfant. Les premiers résultats obtenus avec les oligosaccharides
à effet prébiotique prouvé (oligofructoses et inuline) se révèlent décevants
: la dose de 2 g par jour est bien tolérée mais ne montre pas d'effet bifidogène,
alors qu'au taux de 3 g par jour, on observe une augmentation significative
du nombre de selles (8).
Un dernier
élément à prendre en compte est le fait que l'addition de prébiotiques dans
les préparations pour nourrissons n'est pas autorisée par la Directive Européenne
qui s'y réfère.
CONCLUSION
La mise
au point de préparations pour nourrissons enrichies en probiotiques actifs représente
certes un défi technologique pour le fabricant. Elle nécessite une sélection
soigneuse des souches à utiliser. Mais elle offre des perspectives d'autant
plus intéressantes que les progrès déjà réalisés dans la connaissance des effets
spécifiques des bactéries laissent entrevoir la possibilité de moduler à la
demande les effets physiologiques recherchés : résistance aux infections, prévention
des réactions d'hypersensibilisation et par-là des allergies, etc.
L'addition
de prébiotiques est techniquement facile. Elle fait appel à l'heure actuelle
à des molécules, synthétiques ou naturelles, qui sont assez éloignées de ce
que le lait maternel apporte à l'enfant. Il est plus difficile d'en moduler
les effets. Il est également problématique de maintenir leur consommation journalière
dans des limites qui soient efficaces sans entraîner de complications digestives.
On peut toutefois espérer que nous n'en sommes encore qu'aux balbutiements de
la science des prébiotiques, et que les recherches futures, qui s'orienteront
sans doute vers les oligosaccharides du lait maternel, apporteront également
des résultats intéressants.
REFERENCES
- Tissier H. Recherches sur la
flore intestinale des nourrissons. Etat normal et pathologique. Thèse de médecine
: Université de Paris 1900.
- Marteau P, Rambaud JC. Probiotiques
en gastroentérologie : bases rationnelles, effets démontrés et perspectives.
Hépato-gastro 1998;4:267-273.
- Fukushima Y, Li ST, Hara H,
Terada A, Mitsuoka T. Effect of follow-up formula containing Bifidobacteria
(Nan BF) on fecal flora and fecal metabolites in healthy children. Bioscience
Microflora 1997;16:65-72.
- Codex Alimentarius Commission.
Codex standard for infant formula. CODEX STAN 72-1981. Vol. 4, 2nd
ed. FAO/WHO Rome 1994.
- Commission Directive of 14
May 1991 on infant formulae and follow-on formulae. Off J Eur Comm 1991;34(L175):35-49.
- Gibson GR, Roberfroid MB. Dietary
modulation of the human colonic microbiotia : introducing the concept of prebiotics.
J Nutr 1995;125:1401-12.
- Van Loo J, Cummings J, Delzenne
N et al. Functional food properties of non-digestible oligosaccharides : a
consensus report from the ENDO project (DgxII AIR II – cr94 – 1095). BrJ Nutr
1999;81:121-32.
- Guesry PR, Bodanski H, Tomsit
E, Aeschlimann JM. Effect of 3 doses of fructo-oligosaccharides in infants.
J Pediatr Gastrenterol Nutr 2000;31(suppl 2):S252.
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