ALIMENTS
FONCTIONNELS ET NOUVEAUX ALIMENTS :
EVOLUTION DU CONCEPT ET ASPECTS REGLEMENTAIRES
Marie-Christine
Secretin
Ingénieur-chimiste
Conseiller scientifique Nestec S.A.
L'une
des modifications les plus profondes de notre société industrielle à l'aube
du troisième millénaire réside dans notre approche de la nutrition. Nous sommes
passés d'une économie de subsistance, où manger était une question de survie,
à une économie de pléthore où les excès alimentaires ont entraîné une recrudescence
des maladies dites de civilisation : maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète,
en particulier, ainsi que certains types de cancer.
Nous
nous orientons maintenant vers la recherche d'une alimentation "optimale"
où l'on cherche à promouvoir la consommation d'aliments ayant un effet bénéfique
sur la santé, au détriment de ceux connus pour avoir un effet néfaste. C'est
dans ce contexte qu'est apparu le concept d'aliments fonctionnels, sur lequel
nous voulons faire le point aujourd'hui.
Qu'est-ce qu'un
aliment fonctionnel ?
Malgré
l'usage courant de cette expression, il n'existe pas de consensus universel
sur la définition, et chaque pays tend à utiliser des nuances dans son interprétation.
Nous verrons plus en détail les diverses approches proposées.
Il est
toutefois communément admis qu'un aliment fonctionnel est un aliment qui exerce
un effet bénéfique spécifique sur une ou plusieurs fonctions du corps auxquelles
il s'adresse en particulier. Cet effet va au-delà des effets nutritionnels
habituels. C'est un aliment qui devrait faire partie du régime quotidien
et qui, par son goût, son apparence ou son odeur, ne se différencie pas d'un
aliment ordinaire.
Les
aliments fonctionnels se différencient donc des aliments "diététiques"
(tableau 1) qui sont destinés à une alimentation particulière et doivent faire
l'objet d'une formulation ou d'un procédé de fabrication spécifique pour se
différencier de l'aliment courant et répondre à des besoins physiologiques particuliers
soit en raison d'une maladie, soit en raison d'une situation physiologique hors
de la normale (par ex. convalescence, grossesse, activités sportives intenses.
Tableau
1. Aliments diététiques
(Foods for Special Dietary Uses)
Codex
Alimentarius
|
Directive
Européenne
|
Aliments spécialement
fabriqués ou formulés pour satisfaire les besoins alimentaires spécifiques
dus
- soit à une condition physique ou physiologique particulière
- soit à une maladie ou un trouble spécifique et présentés comme tels.
La composition de ces aliments doit se différencier significativement
de la composition des aliments ordinaires de même nature, lorsqu'ils
existent.
|
Aliments
qui du fait de leur composition particulière ou de leur procédé de fabrication,
se distinguent clairement des aliments ordinaires, qui conviennent à
l'objectif nutritionnel indiqué et qui sont commercialisés de manière
à répondre à cet objectif.
Une alimentation particulière doit répondre aux besoins nutritionnels
particuliers :
- de personnes dont le processus d'assimilation ou le métabolisme est
perturbé
- de personnes qui se trouvent dans des conditions physiologiques particulières
- des nourrissons ou enfants en bas âge, en bonne santé
|
Japon
Historiquement,
les aliments fonctionnels sont apparus en premier lieu au Japon dans les années
80, où un certain nombre de programmes de recherche sur "l'analyse systématique
et le développement des fonctionnalités des aliments" ont été subventionnés
par le gouvernement. Ces recherches ont conduit le gouvernement japonais à introduire
officiellement en 1991 une nouvelle catégorie parmi les "Aliments Diététiques",
celle des "aliments à usage santé spécifique", plus connus sous leur
abréviation de FOSHU (Foods for Specified Health Use). Pour être FOSHU, un aliment
doit avoir fait la preuve de son effet physiologique ou bénéfique sur la santé.
La certification
FOSHU est donnée après examen du dossier scientifique concernant le produit
fini. Des données concernant les effets d'ingrédients isolés ne sont pas suffisantes,
et l'autorisation donnée pour un produit contenant un ingrédient considéré comme
actif ne peut pas être extrapolée à un autre aliment contenant le même principe
actif.
Ne peuvent
prétendre au statut FOSHU que les aliments, à l'exclusion des pastilles, gélules
ou capsules, devant être consommés dans le cadre d'une alimentation ordinaire,
et non lors de l'apparition de symptômes spécifiques.
182
produits bénéficiaient en mars 2000 du label FOSHU (tableau 2). Pour 65% d'entre
eux, l'allégation santé concerne la régulation du transit intestinal, due à
la présence d'oligosaccharides (40% des produits concernés), de bactéries lactiques
(30%) ou de fibres solubles (30%). La gamme des aliments concernés va du yaourt
au vinaigre, en passant par le sucre de table, les biscuits, le chocolat, les
saucisses et les nouilles.
Tableau
2. Principaux aliments fonctionnels au Japon (FOSHU)
182 produits en mars 2000
Allégation
|
Nombre
de produits
|
Composant
actif
|
Régulation
du transit intestinal
Total
|
51
36
35
122
|
Oligosaccharides
Bactéries lactiques
Fibres solubles
|
Réduction
du taux de cholestérol
Total
|
9
1
2
12
|
Protéines
de soja
Alginate
Chitosah
|
Hypertension
Total
|
10
3
13
|
Peptides
Extraits végétaux (Tochucha et guave)
|
Favorise l'absorption
du calcium
|
10
|
|
Prévient la
carie dentaire
|
5
|
|
États-Unis
L'initiative
suivante est venue des États-Unis, avec l'introduction du "Nutrition Labeling
and Education Act" (NLEA), voté en 1990 dans le but de donner aux consommateurs
plus d'information scientifique sur les aliments qu'ils consomment. Au terme
de cet acte, des allégations reliant la consommation d'un ingrédient alimentaire
à une réduction du risque de maladie peuvent être autorisées par la Food and
Drug Administration (FDA).
Pour
donner son accord à une telle allégation, la FDA évalue les données scientifiques
disponibles et détermine si elles peuvent être considérées comme ayant fait
l'objet d'un accord parmi la communauté scientifique (Significant Scientific
Agreement – SSA).
Les
modalités de constitution du dossier permettant à la FDA d'évaluer si l'allégation
proposée fait bien l'objet d'un SSA ont été révisées par la FDA en décembre
1999.
En 1997,
la FDA a assoupli la procédure d'autorisation par le Food and Drug Administration
Modernisation Act qui admet qu'une allégation puisse être autorisée si elle
a fait l'objet d'une "déclaration autorisée" (authorisation statement)
par un organisme scientifique fédéral tel que l'Institut National de la Santé
(NIH) ou l'Académie des Sciences. Une notification doit être faite à la FDA
120 jours avant la mise sur le marché du produit, en précisant exactement la
formulation de l'allégation. La FDA peut intervenir a posteriori pour demander
la suppression de ces allégations, ce qu'elle a déjà fait à plusieurs reprises.
Jusqu'à présent, une seule allégation a été approuvée par cette procédure :
celle reliant la consommation de farines entières à la réduction du risque de
maladies cardio-vasculaires et de certains cancers (décembre 1999). Il y a à
l'heure actuelle 13 allégations santé autorisées aux États-Unis (voir tableau
3).
Tableau
3. Allégations santé approuvées aux États-Unis
Caractéristique
nutritionnelle
|
Réduction
du risque
|
Riche en calcium
|
Ostéoporose
|
Pauvre en
sodium
|
Hypertension
|
Pauvre en
graisses
|
Certains cancers
|
Pauvre en
acides gras saturés et en cholestérol
|
Maladies cardio-vasculaires
|
Pauvre en
graisses et bonne source de fibres
|
Certains cancers
|
Pauvre en
graisses, acides gras saturés, cholestérol et > 0.6 g de fibres solubles
par portion
|
Maladies cardio-vasculaires
|
Pauvre en
graisses, contenant de la vitamine A, de la vitamine C et des fibres
(brocoli)
|
Certains cancers
|
Riche en acide
folique (> 40 mg par portion)
|
Malformation
du tube neural chez le bébé
|
Polyalcools
|
Carie dentaire
|
Fibres solubles,
faisant partie d'un régime pauvre en graisses saturées et en cholestérol
|
Maladies cardio-vasculaires
|
Protéine de
soja (25 g/jour) dans un régime pauvre en graisses et en cholestérol
26 octobre 1999
|
Maladies cardio-vasculaires
|
Céréales complètes
décembre 1999, procédure FDAMA
|
Maladies cardio-vasculaires
et certains cancers
|
Stérols (>
0.65 g par portion) ou
stanols (> 1.7 g par portion)
végétaux
8 septembre 2000
|
Maladies cardio-vasculaires
|
Codex Alimentarius
Le Codex
a conduit très rapidement un gros effort de réflexion en matière d'allégations
nutritionnelles, dans le cadre de son Comité sur l'Étiquetage des Denrées Alimentaires.
Les
premières normes sur l'étiquetage nutritionnel, définies en 1985, ont été révisées
en 1993 pour faire apparaître la notion d'allégation nutritionnelle.
Puis
en 1997, le Codex a émis une recommandation spécifique sur l'utilisation des
allégations nutritionnelles ( tableau
4 ), en les
regroupant en 3 catégories principales :
-
allégation concernant la teneur en nutriments, par exemple : source de calcium,
riche en fibres, ou pauvre en graisses
- allégations
comparatives, qui comparent les teneurs en nutriments ou les valeurs énergétiques
des deux aliments ou plus (par exemple : teneur réduite, moins que..., plus
que...)
- et
une première "allégation fonctionnelle", décrivant le rôle physiologique
d'un nutriment sur la croissance, le développement et les fonctions normales
de l'organisme
par exemple : le calcium aide au développement de dents et d'os solides
les protéines aident à construire et réparer les tissus de l'organisme
Tableau
4. Codex (ALINORM 01/22 – Appendice VIII)
Allégation
nutritionnelle
Toute représentation
qui affirme, suggère ou implique qu'un aliment a des propriétés nutritionnelles
particulières, y compris, mais pas uniquement limitée à sa valeur énergétique
et à sa teneur en protéines, graisses, hydrates de carbone, vitamines
et sels minéraux.
Allégation
santé
Toute représentation
qui affirme, suggère ou implique une relation entre un aliment ou un
constituant de l'aliment a un effet sur la santé.
|
Depuis 1999,
l'introduction d'"allégations santé" est en discussion. Le dernier
projet (ALINORM 01/22/Appendix VIII) distingue les "allégations nutritionnelles"
des "allégations santé" (tableau 5).
Tableau
5. CODEX (ALINORM 01/22 – App. VIII)
Allégations
nutritionnelles
- teneur en nutriment
(source de calcium, riche en fibres)
- allégation comparative
(plus riche, teneur réduite)
Allégations
santé
- fonction nutritionnelle
(le calcium aide au développement des os)
- amélioration d'une
fonction
(l'acide folique aide à diminuer le taux d'homocystine plasmatique)
- réduction du risque
de maladie
(un apport de calcium suffisant pour réduire le risque d'ostéoporose.
L'aliment est riche en calcium)
|
L'allégation
fonctionnelle mentionnée ci-dessus devient une allégation santé, à laquelle
on envisage d'en ajouter deux autres :
-
allégation relative à l'amélioration d'une fonction : ces allégations se réfèrent
à l'effet spécifique d'un aliment ou de ses constituants, dans le contexte
de l'alimentation globale, sur une fonction physiologique ou biologique, en
dehors de ses fonctions purement nutritionnelles
- allégation
relative à la réduction du risque de maladie. L'allégation doit être constituée
de deux parties :
1. une information sur la relation nutriment/aliment – santé, suivie par
2.
une information sur la composition de l'aliment se rapportant à l'information
1.
Réduction
du risque signifie modification substantielle d'un ou des facteurs de risque
importants que l'on admet être présents dans le développement d'une maladie
chronique ou d'un état de santé non souhaitable. La présentation d'une allégation
de réduction du risque doit donc être faite de telle façon que le consommateur
ne l'interprète pas comme une prévention de la maladie.
Le Comité
du Codex sur les Aliments Diététiques (CX/NFSDU) est chargé de définir les critères
scientifiques nécessaires pour établir les bases d'une allégation santé.
Europe
Il n'existe pas de législation harmonisée sur les aliments fonctionnels
ou sur les allégations santé.
Les allégations nutritionnelles ont été définies dans le
cadre général de la Directive étiquetage du 24 septembre 1990 : "toute
représentation ou message publicitaire qui énonce, suggère ou implique qu'une
denrée alimentaire spécifique possède des propriétés nutritionnelles particulières
de par l'énergie qu'elle fournit, fournit à un taux réduit ou accru, ou ne fournit
pas, et/ou de par les nutriments qu'elle contient, contient en proportion réduite
ou accrue, ou ne contient pas".
Les allégations santé sont, à l'heure actuelle, traitées au niveau
national, et chaque pays à une approche différente. Le pays le plus "progressiste"
est peut-être la Suède, qui a introduit en 1996 un système proche de celui considéré
par le Codex, à savoir une allégation en deux parties : la première se référant
à l'une des 8 relations approuvées aliment/santé, la deuxième à la composition
du produit relative à cette relation. Les relations approuvées sont : obésité/énergie,
cholestérol sanguin/qualité des graisses, hypertension/sodium, athérosclérose
– cholestérol sanguin – hypertension/acides gras polyinsaturés n-3 du poisson,
constipation/fibres alimentaires, ostéoporose/calcium, caries dentaires/hydrates
de carbone fermentés cibles, carence en fer/fer.
La Commission Européenne interroge toutefois les
États Membres sur l'opportunité de prévoir une législation communautaire, pour
faciliter la circulation des produits. Elle a également subventionné un programme
d'action concerté sur la "Science des Aliments fonctionnels en Europe"
(FUFOSE) en lui fixant pour but de :
- évaluer l'état actuel des connaissances scientifiques
à disposition
- examiner ces données plutôt dans une perspective
"effet fonctionnel" que dans une perspective "produit"
- arriver à un consensus sur les modifications
utiles des aliments et de leurs ingrédients, et sur les options possibles
pour leur application.
Les conclusions
du groupe de travail coordonné par ILSI Europe ont été publiées récemment. Elles
comprennent :
1. Une définition des aliments fonctionnels :
"un
aliment peut être considéré comme fonctionnel s'il a été démontré de façon
satisfaisante qu'il exerce un effet bénéfique sur une ou plusieurs fonctions
cibles de l'organisme, au-delà des effets nutritionnels de base, de manière
à améliorer la santé et le bien-être et/ou à réduire le risque de maladie".
2. Une
stratégie de développement des aliments fonctionnels qui s'appuierait sur :
- l'identification
et la compréhension des mécanismes d'interaction entre un composant alimentaire
et une fonction spécifique de l'organisme
- la validation
des effets du composant au moyen de modèles appropriés, de préférence en faisant
appel a des biomarqueurs spécifiques
- la démonstration
par des études appropriées, chez l'homme, que les effets observés sont bénéfiques
pour la santé
Evolution
des aliments fonctionnels
Au travers
de cette évolution de la législation, on peut suivre en filigrane l'évolution
du marché, et partant des souhaits des consommateurs. Le législateur au début
des années 1990 visait, à travers un étiquetage nutritionnel, à orienter le
consommateur dans ses choix alimentaires, en lui recommandant de privilégier
les aliments bons pour sa santé au détriment de ceux dont la consommation excessive
peut avoir des effets néfastes.
Aujourd'hui,
le consommateur veut aller au-delà de cette éducation nutritionnelle et recherche
des aliments qui lui permettent de rester en bonne santé le plus longtemps possible
et de maintenir ses performances physiques et intellectuelles à leur meilleur
niveau.
Pour
répondre à cette attente, il est à prévoir que le développement des aliments
fonctionnels passera par l'augmentation, dans les aliments existants, de la
teneur en composants actifs, ou par l'augmentation de la consommation d'aliments
jusque-là peu utilisés.
On peut
dire aujourd'hui qu'il y a accord à l'échelle internationale sur les points
suivants :
- Les
aliments fonctionnels sont destinés à être utilisés dans le cadre d'une alimentation
normale; ce ne sont pas des aliments de régime
- Les allégations
attribuées à ces aliments fonctionnels doivent être spécifiquement prouvées;
elles ne doivent être ni fausses, ni trompeuses
- Les travaux
portent donc à l'heure actuelle sur la définition des dossiers scientifiques
et le type de preuves à présenter à l'autorité de réglementation des allégations
: Significant Scientific Agreement de la FDA américaine, Scientific Criteria
for Health Related Claims du Comité du Codex sur la Nutrition et les Aliments
Diététiques et de Régime – les aliments doivent être sans danger.
- Les aliments
fonctionnels doivent être sans danger.
Une procédure existe déjà pour vérifier leur innocuité totale : celle fixée
par la législation "novel foods". Mais au-delà de l'innocuité du
produit elle-même, il faudra également s'assurer que les modifications du
régime induites par leur consommation n'entraînent pas de déséquilibres alimentaires.
Dans la
mesure où ces diverses conditions sont déjà bien prises en considération par
tous les intervenants, on ne peut que partager l'opinion exprimée par le Prof.
Roberfroid lors de la réunion de l'ESPGHAN à Varsovie en juin 1999 :
"Le
développement des aliments fonctionnels est une opportunité unique d'améliorer
la qualité des aliments proposés au consommateur pour son bien-être et sa
santé. La science des aliments fonctionnels n'est rien d'autre que le progrès
vers une alimentation optimale".
|