ALIMENTATION
DU NOURRISSON ET DIARRHEES AIGUES MODEREES :
EXISTE-T-IL ENCORE UNE CONTROVERSE ?
JP
Olives - Gastroentérologie et Nutrition - Hôpital des Enfants -
CHU Toulouse
L'incidence
annuelle des diarrhées aiguës infantiles dans les pays industrialisés
est estimée actuellement entre 1,3 à 2,3 épisodes par enfant,
les chiffres étant plus élevés chez les enfants séjournant
en collectivité. Aux Etats-Unis, plus de 200 000 enfants sont hospitalisés
chaque année pour diarrhée aiguë, ce qui représente
environ 900 000 journées d'hospitalisation (1). Les enquêtes publiées
récemment montrent que les recommandations thérapeutiques et/ou
diététiques largement diffusées concernant l'utilisation
des solutions de réhydratation orale (SRO) et les indications très
limités des médicaments sont peu suivies (2). De nombreuses études
confirment que les diarrhées aiguës dans les pays favorisés
sur le plan économique sont peu sévères et évoluent
favorablement de manière spontanée (3). La poursuite de protocoles
thérapeutiques surannés conduisant à la prescription de
nombreux médicaments et/ou à l'indication d'hospitalisation inutiles
ont un coût considérable en terme de santé publique. Dans
les pays en voie de développement, l'incidence des diarrhées aiguës
infantiles est nettement plus élevée : le nombre d'épisodes
variant de 3 à 9 par an et par enfant (3).
Diarrhées
aiguës et intolérance au lactose :
Toute
diarrhée aiguë peut être à l'origine de troubles de
la digestion et de l'absorption de certains nutriments. Des lésions épithéliales
et une atrophie villositaire modérée ont surtout été
démontrées au cours des infections à rotavirus.
Elles sont à l'origine d'une diminution des activités disaccharidasiques.
Les troubles de la motricité intestinale peuvent également diminuer
les capacités d'absorption des hydrates de carbone. La survenue d'un
déficit en lactase et d'une intolérance secondaire en lactose
ont pendant longtemps été considérés comme des complications
fréquentes des diarrhées aiguës et ont été
à l'origine de la mise en uvre de régimes spéciaux
ou de protocoles de réintroduction très progressive du lait. Si
le déficit en lactose secondaire à l'atrophie villositaire qui
accompagne la malnutrition reste une complication fréquente et redoutable
dans les pays pauvres chez un enfant qui va présenter en plus une diarrhée
aiguë, l'intolérance au lactose au cours des diarrhées aiguës
habituellement rencontrée dans les pays développés est
devenue exceptionnelle (3). L'étude par méta-analyse des différentes
études publiées depuis une quinzaine d'années concernant
la tolérance au lactose au cours des protocoles de réalimentation
des diarrhées aiguës du nourrisson montrent qu'à partir de
1985, il n'y a pas de différence entre les groupes d'enfants recevant
du lactose et ceux chez qui il est exclu (ou réintroduit progressivement),
pour ce qui concerne la durée du syndrome diarrhéique et le nombre
d'échecs ou de rechutes (4).
Au contraire, les quantités de lait ingérées et la prise
de poids sont supérieures chez les enfants recevant du lactose. Une étude
récente menée sous l'égide de la Société
Européenne (ESPGHAN) chez 230 enfants dans 12 centres hospitaliers en
Europe confirme ces données et conduit cette société à
ne plus recommander l'utilisation des laits sans lactose et à préconiser
une renutrition très précoce au cours de tout épisode de
diarrhée aiguë (5).
Diarrhées
aiguës et sensibilisation aux protéines alimentaires
Une
autre complication a également conduit la prescription de régime
spéciaux plus particulièrement chez le jeune nourrisson : il s'agit
du risque de sensibilisation aux protéines du lait de vache. Cette entité
a été un temps dénommée " syndrome post-entéritique
" et semblait plus spécifiquement liée à l'infection
à rotavirus (6).
En fait cette complication paraît peu fréquente et fait discuter
l'utilisation systématique d'hydrolysats de protéines, ou des
formules partiellement hydrolysées chez les nourrissons de moins de 4
mois présentant un épisode diarrhéique. Seule une évolution
supérieure à une semaine justifie, chez les très jeunes
enfants, l'utilisation de formules extensivement hydrolysées.
Utilisation
des formules lactées avec probiotiques dans le traitement des diarrhées
aiguës du nourrisson
Les
probiotiques sont d'après la définition de Fuller des suppléments
alimentaires en micro-organismes vivants qui affectent l'hôte de façon
bénéfique en améliorant l'équilibre de la flore
microbienne intestinale. Depuis quelques années, ils sont de plus en
plus utilisés dans le traitement diététique des diarrhées
aiguës du nourrisson. Les mécanismes précis d'action des
probiotiques dans les diarrhées aiguës ne sont que partiellement
connus. Les actions possibles comprennent : la production de substances antimicrobiennes,
la compétition pour les nutriments et les facteurs de croissance des
agents pathogènes, un effet inhibiteur sur l'adhésion des agents
pathogènes, la modification des toxines et de leurs récepteurs
et enfin une stimulation spécifique et non spécifique du système
immunitaire intestinal muqueux et systémique.
Une étude détaillée par méta-analyse (H. Szajewska
- communication personnelle) de 10 articles publiés entre 1996 et 2001
concernant l'effet des probiotiques dans les diarrhées aiguës de
l'enfant (âge : 1 à 48 mois) a permis de comparer l'effet de différentes
souches : lactobacillus GG, lactobacillus reuteri, lactobacillus acidophilus,
saccharomyces boulardii, streptococcus thermophilus lactis, lactobacillus acidophilus
et lactobacillus bulgaricus. L'effet de ces souches a pu être étudié
sur deux groupes homogènes de 731 et 773 enfants pour ce qui concerne
respectivement le risque de diarrhée persistant au delà de 3 jours
et la durée de la diarrhée exprimée en heures. Les conclusions
de ce travail montent que, à l'évidence, il existe un effet statistiquement
significatif pour lactobacillus GG et à un degré moindre pour
lactobacillus reuteri ; cet effet est plus marqué pour les diarrhées
à rotavirus que pour les diarrhées dues à d'autres germes
pathogènes (7). Pour confirmer ces résultats, de futures études
avec une méthodologie rigoureuse (randomisation, double aveugle et contre
placebo) sont indispensables. De plus, pour parvenir à des conclusions
scientifiquement acceptables, les protocoles devront comparer des souches de
probiotiques parfaitement définies avec des doses d'organismes vivants
identiques et le poids des selles ou l'excrétion fécale devront
être quantifiés.
Diarrhées aiguës et réalimentation précoce
La
nécessité d'une alimentation précoce, voire très
précoce 4 heures après le début de la réhydratation,
n'est plus à discuter (8). L'alimentation précoce maintient ou
améliore l'état nutritionnel sans aggraver le syndrome diarrhéique.
La prise en charge de l'enfant diarrhéique doit se fonder plus sur la
surveillance de la courbe de poids que sur l'aspect de selles. C'est déjà
au milieu du 20ème siècle que quelques auteurs avaient montré
la supériorité d'une alimentation normale par rapport à
la réintroduction progressive des aliments. Les conclusions des études
récentes et les recommandations actuelles peuvent être résumées
de la façon suivante (9,10) :
- pour les enfants atteints de diarrhée aiguë modérée
ou bénigne en Europe, une réintroduction rapide de l'alimentation
avec le lait habituel de l'enfant, non dilué, doit être proposée
dès la 3ème ou 4ème heure de la réhydratation avec
SRO, tout en poursuivant celle-ci. Si l'enfant est nourri au sein, l'allaitement
maternel sera maintenu pendant toute la durée de l'épisode diarrhéique.
- il n'y a pas plus de complications et de rechutes chez les enfants avec déshydratation
modérée ou absente qui reçoivent immédiatement un
lait non dilué que chez eux à qui une réintroduction progressive
est proposée.
- l'utilisation de formules sans lactose n'est pas justifiée lorsque
l'enfant a reçu dans un premier temps une SRO et qu'il est par ailleurs
nourri avec des aliments solides.
Lorsque l'enfant reçoit une alimentation diversifiée celle-ci
peut être poursuivie normalement durant l'épisode diarrhéique,
cependant certains aliments semblent améliorer le confort en ralentissant
le transit et en augmentant la consistance des selles c'est le cas du riz, de
la carotte, de la banane, de la pomme ou du coing.
Dans un certain nombre de cas, rares dans notre pays, la reprise de l'alimentation
habituelle et impossible, soit parce qu'un syndrome diarrhéique important
persiste, soit parce que la diarrhée rechute lors de la réintroduction
des aliments en particulier lactés. Ces diarrhées à rechutes
ou prolongées s'observent particulièrement chez l'enfant de moins
de six mois, lorsqu'existe un état de malnutrition ou après une
infection à rotavirus. Ces situations doivent conduire à moduler
l'apport alimentaire ou supprimer dans un premier temps les apports lactés
et le gluten et à utiliser des aliment naturels solides en proportion
équilibrée.
En cas d'échec, l'attitude diététique sera plus prudente
et ce d'autant que l'enfant à moins de 3 mois, que la diarrhée
reste grave et qu'il existe un état de malnutrition.
Dans ce cas, il est préférable d'éliminer les protéines
antigéniques et l'alimentation polymérique et de proposer une
diète semi élémentaire équilibrée sous la
forme d'un hydrolysat de protéines.
Exceptionnellement la persistance et la gravité de ce syndrome, malgré
l'utilisation d'une nutrition entérale à débit continu,
conduisent à l'indication d'une nutrition parentérale et à
la recherche de facteurs favorisants de diarrhée grave prolongée.
Conclusion
L'analyse
des études publiées et des recommandations de l'OMS et des sociétés
scientifiques concernant la prise en charge diététique des diarrhées
aiguës de l'enfant montre une parfaite homogénéité
des conclusions et un consensus sur l'ensemble des directives et recommandations.
Il n'y a donc pas de controverse.
Par contre, plusieurs enquêtes confirment que, tant dans les pays favorisés
que dans les pays pauvres, ces protocoles sont peu, ou pas du tout, appliqués
(2,3).
A l'évidence, les recommandations sont connues des médecins, la
compréhension des mécanismes de la diarrhée est acquise
et l'utilité (ou l'inutilité) des thérapeutiques est admise.
Donc plus qu'une controverse, c'est un décalage qui est observé
et qui conduit parfois à une mauvaise prise en charge et souvent à
une augmentation inacceptable du coût économique de la diarrhée
dans toutes les régions du globe.
Il
est essentiel que le médecin spécialiste ou généraliste
comprenne et entende à la fois la demande des parents et le bien fondé
des recommandations thérapeutiques. Seuls un échange, une écoute
et une réflexion peuvent ouvrir sur le sens de l'acte médical
dans le traitement d'une des affections les plus répandues dans le monde.
La prise en compte de ce décalage conduira à modifier les pratiques
médicales et permettra surtout de stimuler une recherche de nouvelles
thérapeutiques dont les conséquences pratiques sont considérables.
Références
bibliographiques
1
- American Academy of Pediatrics. Provisional Committee on Quality improvement,
Subcommittee on Acute gastroenteritis. Practice parameter : the management of
acute gastroenteritis in young children. Pediatrics, 1996, 97 : 424-435.
2 - Szajewska H, Hoekstra JH, Sandhu B. Management of acute gastroenteritis
in Europe and the impact of the new recommendations : a multicenter study. J
Pediatr Gastroenterol Nutr 2000 ; 30:522-7
3 - Olives JP, Ghisolfi J. Diarrhées aiguës. In. J Schmitz, J. Navarro.
Gastroentérologie Pédiatrique. Paris. Flammarion Medecine Sciences
- Paris 2000 : 274-5
4 - Brown KH, Peerson JM, Fontaine O. Use of non human milks in the dietary
management of young children with acute diarrhea : a meta-analysis of clinical
trials. Pediatrics 1994, 93 : 17-27.
5 - Sandhu BK, Isolauri E, Walker-Smith and al. A multicentre study on behalf
of the European Society of Paediatric Gastroenterology and Nutrition. Working
group on acute diarrhoea. J Pediatr Gastroenterol Nutr, 1997, 24 : 522-527.
6 - Walker-Smith JA. Cow's milk intolerance as a cause of post-enteritis diarrhea.
J. Pediatr Gastroenterol Nutr 1982, 1 : 163-173.
7 - Szajewska H, Mrukowicz JZ. Probiotics in the treatment and prevention of
acute infectious diarrhea in infants and children : a systematic review of published
randomized double blind placebo-controlled trials. (Communication Personnelle)
J Pediatr Gastroenterol Nutr 2002 (à paraître)
8 - Dupont C. Renutrition précoce au cours des diarrhées aiguës
infantiles. Med Therap Pediatr 1998, 1 : 49-53.
9 - Walker-Smith JA, Sandhu BK, Isolauri E et al. Medical position paper. Guidelines
prepared by the ESPGHAN working group on acute diarrhoea. Recommendations for
feeding in childhood gastroenteritis. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1997, 24
: 619-620.
10 - Guandalini S. Treatment of acute diarrhea in the new millenium (editorial).
J Pediatr Gastroenterol Nutr 2000 ; 30 :486-9
|