ALLERGIE
ALIMENTAIRE ET ASTHME
E.
Paty, V. Marchac, J . de Blic, P. Scheinmann
Hôpital
Necker Enfants-Malades, Paris.
L'
extraordinaire accroissement des manifestations allergiques, survenu ces dernières
décennies, est bien démontré par l'étude ISAAC.
En France, chez l'enfant de 13-14 ans, la prévalence des symptômes
d'asthme est de 10 à 15%, celle de la rhino-conjonctivite allergique
à peu près semblable et celle des symptômes de dermatite
atopique également de 10 à 15% (1). Au total , la prévalence
cumulative de l'atopie (asthme dermatite atopique, rhume des foins) est d'environ
30% (1). Il existe bien sur des corrélations entre ces différentes
manifestations. Mais il existe également, clairement, des discordances
entre les différents symptômes, à l'intérieur de
populations comparables: , même si le terrain atopique reste un pré-requis
fondamental . A la sensibilisation atopique se surajoutent des facteurs de risque
dont l'identification permettrait une économie de maladies et , mieux
encore, leur prévention tertiaire(1).
Ces
facteurs de risque ne peuvent être qu'environnementaux . L'influence du
lieu de résidence, et par conséquence du mode de vie, est illustrée
par la multiplication par un facteur 2 à 3 de la prévalence des
symptômes respiratoires chez les enfants immigrés, issus de pays
à faible prévalence d'asthme, et vivant en Australie depuis 5
à 14 ans . La génétique, elle, n'a pas pu changer en si
peu de temps (2). Parmi les grands changements de notre mode de vie, un des
principaux est notre façon de nous nourrir et de nourrir nos enfants.
Prévalence
de l'association asthme- allergie alimentaire
La
prévalence de l'allergie alimentaire est en hausse dans les pays occidentalisés;
elle est évaluée à 5 à 7% chez les tout jeunes enfants
et à 1 à 2% chez les plus grands (1,3). Il serait toutefois imprudent
de penser que les aliments sont directement responsables de crises d'asthme,
au même titre que les pneumallergènes ou les virus. Un travail
prospectif mené à Nancy et Toulouse sur 544 enfants allergiques
alimentaires montre que le ou les aliments n'entrainent d'asthme que dans 8,6%
des cas. En contraste les auteurs estiment que le principal symptôme d'allergie
alimentaire est la dermatite atopique, 5O,5% des cas (3). Cette faible fréquence
de déclenchement de crises d'asthme par un ou des aliments est retrouvée
par d'autres auteurs qui soulignent la nécessité de critères
stricts privilègiant les tests de provocation en double insu combinés
avec une évaluation des fonctions respiratoires . Ils soulignent également
les difficultés, avec des régimes d'éviction, à
démontrer la responsabilité de l'allergie alimentaire dans l'asthme.
En effet l'allergie alimentaire est presque toujours associée à
des allergies aux pneumallergènes, il est difficile de dissocier les
effets des aliments de ceux des pneumallergènes sur l'hyperréactivité
bronchique; de plus la variabilité de l'obstruction bronchique peut masquer
les effets bénéfiques d'une éviction alimentaire.
Dans notre expérience les aliments ne sont une cause d'asthme chronique
que dans un pourcentage réduit de cas, 2 à 5 % au maximum. Ces
chiffres bas correspondent à la réalité à la condition
de ne pas étiqueter allergique alimentaire un enfant sous le seul prétexte
qu'il a un ou des tests cutanés positifs . L'utilisation de tests de
provocation en double (ou au moins simple) aveugle permet d'éliminer
une grande proportion de diagnostics abusifs conduisant à des régimes
non moins abusifs voire carencés (4).
La
réalité clinique
La fréquence de l'allergie alimentaire aurait été multipliée
par un facteur 5 en France entre les années 1982 et 1995 (3). La prévalence
de l'allergie alimentaire est estimée à 4,19% chez l'enfant de
1 à 3 ans et de 2,80% entre 3 et 15 ans. Le lait , l'uf et l'arachide
sont les allergènes alimentaires principaux en pédiatrie (3).
Le lait est impliqué dans environ 30% des cas entre 1 et 6 ans et environ
10% des cas entre 7 et 15 ans(3). Tous ces chiffres montrent bien l'importance
du problème et la nécessité d'un diagnostic (et ainsi d'un
traitement) précoce ; 2 écueils sont à éviter :
un diagnostic par excès avec ses conséquences sociales et nutritionnelles
potentielles ; un diagnostic retardé avec son risque d'accidents anaphylactiques
et/ou de pérennisation des lésions cutanées. Il faut penser
à une allergie alimentaire chez l'enfant asthmatique dans les cas suivants
: absence de facteurs étiologiques habituels ; mauvais contrôle
de l'asthme par les traitements usuels ; autres manifestations (dermatite atopique,
urticaire, syndrome oral) ; crises post-prandiales, brutales ; allergie au latex,
aux pollens.
Arachide et asthme
Nous avons étudié prospectivement 124 enfants (41 filles) dont
l'histoire etait évocatrice d'allergie à l'arachide et qui avaient
des tests cutanés positifs à l'arachide. Aucun d'entre eux n'avait
eu de manifestation menaçant la vie. 108/124 avaient d'autres manifestations
atopiques: dermatite atopique, pollinose, asthme (65%). 31 enfants ont réagi
à la simple application d'arachide sur la lèvre inférieure.
Les 93 autres ont eu un test de provocation oral à l'arachide. 63 tests
ont été positifs; 6% de ces tests ont induit un "wheezing"
isolé. Il est à noter que les parents avaient accusé l'arachide
d'être responsable d'dème de Quincke et dyspnée (haute
ou basse) dans 25% des cas; c'est seulement dans 6% des cas que l'arachide était
rendu responsable de "wheezing" isolé.
Pour des raisons de sécurité évidentes aucun test de provocation
n'a été effectué en cas d'accident anaphylactique. Cependant
les manifestations anaphylactiques sont désormais à redouter chez
1 à 2% des enfants. Chez l'enfant la première cause d'accident
anaphylactique est alimentaire devant les piqûres d'insectes ( guêpes),les
médicaments (beta-lactamines), le latex, les accidents d'immunothérapie.
La sévérité de l'accident est accrue chez l'asthmatique
qui, en pédiatrie, est un atopique dans 80 à 90% des cas. Le problème
actuel est donc de s'enquérir systématiquement de la tolérance
aux aliments chez tout enfant asthmatique, a fortiori si l'anamnèse est
en faveur d'une polysensibilisation et/ou d'une symptomatologie multiforme.
Lait
de vache et asthme
Il
est admis que les symptômes respiratoires sous forme de wheezing, stridor,
toux récidivants apparaissent plus volontiers dans le contexte de manifestations
systémiques mais plus rarement en tant que symptômes isolés.
Ils sont difficiles à retrouver lors des tests de provocation ( ). Ainsi
les parents rapportent des symptômes respiratoires chez 36% des nourrissons
allergiques au lait de vache ; mais le test de provocation ne les retrouve que
dans 15% des cas. Mais l'association asthme et allergie au lait de vache est
bien reconnue chez le grand enfant qui ne peut toujours pas tolérer le
lait.
La
question classique est celle de la tolérance au soja. Il apparaît
que les allergies croisées avec le soja sont plus rares que ce qui était
classiquement admis. Elles n'intéresseraient que 8 à 14% des allergiques
aux protéines du lait de vache. Dans ce même ordre d'idées
F. Rancé et E. Bidat proposent d'effectuer un prick test au lait de soja
chez les allergiques au lait de vache.
Ces données sont confortées par le registre volontaire des allergiques
américains à l'arachide et aux fruits secs. Les malades et/ou
leurs familles rapportent des allergies associées à l'uf
(29%), au lait de vache (22%), au soja 511%), au blé (6%), au poisson
(4%), et aux coquillages (2%). Les maladies atopiques sont la dermatite atopique
(50%), l'asthme (46%), et la rhinite allergique (27%). L'asthme s'accompagne
de réactions plus sévères en cas d'ingestion de l'aliment
dangereux. On sait que les ingestions accidentelles d'aliments allergisants
sont en fait fréquentes (75%) en 10 ans et se produisent le plus souvent
en dehors du domicile, ce qui en accroît le risque.
Dans
la série française de Nancy, l'asthme est essentiellement rencontré
entre 4 et 15 ans ; l'uf et le lait sont les principaux allergènes
alimentaires à cet âge. On souligne que l'allergie alimentaire
est la manifestation la plus précoce de l'allergie. L'allergie alimentaire
caractérise la fraction la plus atopique de la population : 57% des allergiques
alimentaires ont une rhinite (perannuelle ou saisonnière), de l'asthme
ou de l'eczèma.
Syndrome
d'allergie sévère
Un
nombre croissant d'enfants ont , très tôt , une dermatite atopique
et un asthme et souffrent de multiples allergies alimentaires. C'est ce que
nous avons appelé le syndrome d'allergie sévère de l'enfant
. Il s'agit d'enfants à haut risque familial d'atopie puisque 75% ont
des parents et/ou frères et soeurs qui ont des manifestations majeures
d'allergie: dermatite atopique de l'enfance, asthme précoce, pollinose.
L'histoire de ces enfants atteints d'allergie sévère débute
dans les tout premiers mois de la vie par une dermatite atopique suivie par
des manifestations d'allergie alimentaire puis par de l'asthme. Le suivi d'au
moins 5 ans des 40 enfants inclus dans cette étude donne l'impression
d'une totale indépendance des diverses manifestations cliniques. Ces
manifestations n'apparaissent pas simultanément mais dans un délai
de mois à années. La dermatite atopique précède
l'allergie alimentaire qui n'apparait pas comme la cause déclenchante
de la dermatite atopique. L'allergie alimentaire, en revanche, est responsable
d'oedèmes et paresthésies oropharyngées, d'urticaire et
plus encore de manifestations anaphylactiques cutanées, gastrointestinales
et systémiques pouvant mettre la vie de l'enfant en danger. Ce fait n'est
pas étonnant si, on considère les trophallergènes en cause:
oeuf, poisson, lait de vache, arachide, noix, amande, noisette. La responsabilité
des aliments est affirmée par la concordance entre la clinique et les
tests cutanés. La clinique retrouve des histoires répétées
d'accidents anaphylactiques provoqués par l'aliment considéré.
Ce n'est qu' en leur absence que des tests de provocation, effectués
en milieu hospitalier spécialisé, sont envisagés. Contrairement
à l'expérience de F. Rancé la moutarde n'apparait pas impliquée
de manière notable dans notre série, ce qui souligne simplement
que la répartition des allergénes alimentaires est étroitement
dépendante des habitudes alimentaires et culturelles.
Ces
enfants ont un terrain immuno-allergique particulier: en effet la moitié
ont des taux d'IgE sériques > 1000 avec des sommets à 20000-24000
ui/ml, en l'absence de déficit immunitaire patent. Etant asthmatiques
ils ont des tests cutanés positifs aux pneumallergènes majeurs
acariens et phanères d'animaux. L'évaluation de la responsabilité
des allergènes alimentaires dans la survenue et l'entretien des manifestations
d'eczéma et d'asthme est donc plus complexe. Il n'a pas été
possible de démontrer la culpabilité première des aliments
dans la dermatite atopique de ces enfants atteints d'allergie sévère.
Tout au plus les aliments ont semblé parfois pouvoir aggraver une poussée.
En aucun cas l'éviction totale de l'aliment responsable de manifestation
anaphylactiques n'a guéri la dermatite atopique ni guéri l'asthme.
Lors des tentatives de réintroduction de l'aliment, même quand
cette réintroduction a été un échec, c'est à
dire qu'elle n'a pas été bien tolérée, elle n'a
pas entraîné de réveil de la dermatite atopique ni de l'asthme
malgré la survenue d'urticaire et/ou de dyspnée signant la persistance
de allergie alimentaire.
Il faut remarquer la gravité des tableaux cliniques qui fait parfois
parler d'allergie maligne. L'asthme est sévère, persistant, nécessitant
de fortes doses de corticoides inhalés malgré lesquelles des consultations
et hospitalisations en urgence pour crises sont souvent indispensables. La dermatite
atopique persiste étendue chez un quart des enfants avec un recul de
5 à 9 ans et n'est considérée comme guérie que dans
40% des cas. L'allergie alimentaire ne disparait totalement dans aucun cas.
Ainsi l'allergie au lait persiste 4 fois sur 10, à l'oeuf 15/27 (55%),
au poisson 13 /16 (81%) et à l'arachide 8 / 8 c'est à dire toujours.
Ces
enfants sont donc handicapés à divers points de vue dont le point
de vue social en raison des interdictions alimentaires même si grâce
aux traitements à visée cutanée et respiratoire leur qualité
de vie est tout à fait acceptable. Notre expérience est tout à
fait comparable à celle des auteurs toulousains.
AU TOTAL :
La force des liens entre asthme et allergie alimentaire se précise régulièrement.
Ce n'est pas un hasard si, en pneumoallergologie pédiatrique, les manifestations
les plus sévères d'allergie alimentaire surviennent chez les enfants
porteurs de dermatite atopique et d'asthme. Cette association ne signifie pas
nécessairement qu'il existe des relations de cause à effet entre
les trois syndromes. Il peut s'agir de l'expression multiforme d'un terrain
génétique confronté à des agressions dont le nombre
et la qualité ont été récemment modifiés
au détriment des enfants à risque atopique. Le rôle des
aliments est difficile à délimiter en matière d'asthme
en raison de l'intervention attendue des allergènes inhalés. De
plus il est possible que les allergènes alimentaires induisent des anomalies
infra-cliniques de la muqueuse respiratoire se traduisant notamment par une
hyperréactivité clinique. Mais la conjonction d'une polysensibilisation
et de symptômes polyviscéraux aggrave certainement le pronostic
. La démonstration d'allergie(s) alimentaire(s) chez l'asthmatique change
la prise en charge, la complique et rend encore plus impérieux le contrôle
de l'asthme. L'ingestion malencontreuse d'aliments dangereux accroit le risaque
de mort apr choc anaphylactique. Les tentatives de désensibilisation
n'ont pas abouti. Il est possible que le 21ème siècle soit celui
de vaccins novateurs (ADN vaccins) ,qui ,même administrés par voie
orale, diminueraient l'intensité des réactions anaphylactiques
déclenchées par les allergènes alimentaires (5).
La prévention est évidemment le souhait primordial des parents
et des médecins. A l'heure actuelle l'intérêt des régimes
alimentaires restrictifs pendant la grossesse est loin d'être prouvé.
Cependant le passage trans-placentaire des trophallergènes paraît
bien plus plausible que celui des pneumallergènes. Après la naissance,
à défaut d'allaitement maternel (même si des allergènes
alimentaires peuvent passer dans le lait maternel), les hydrolysats de protéines
ont la préférence et concernent les nouveau-nés à
haut risque allergique (déterminé par les antécédents
familiaux) . L'intérêt des probiotiques devra être confirmé..
En
attendant il est essentiel, pour les médecins, de veiller à ce
que les enfants allergiques sévères ne soient pas exclus des activités
scolaires et péri-scolaires sous des prétextes de sécurité.
Les institutions ont le devoir de former leur personnel pour accueillir avec
le minimum de restrictions une part croissante de la population pédiatrique.
Le seul traitement actuel de l'allergie alimentaire est l'éviction, ce
qui nécessite, au domicile comme à l'école, une alimentation
adaptée et sure et la mise à disposition immédiate des
médicaments de secours par voie orale, inhalée et, pour l'adrénaline,
injectable (6). Il faut garder en mémoire que même de très
faibles doses d'aliments peuvent déclencher des symptômes polyviscéraux.
MOTS
CLES : Allergie alimentaire (arachide - lait de vache) et Asthme
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