OBSERVANCE
MEDICAMENTEUSE CHEZ L'ENFANT
Enquête
par questionnaire auprès de 100 familles venues consulter aux urgences
hospitalières
J.Valleteau
de Moulliac 1,2 , O. Jouini 1 , V. Albonico 1, B.Chevallier 1
1.
Service de Pédiatrie de' l'Hôpital Ambroise Paré, 92100
Boulogne, France ,
2. pédiatre libéral, Paris
L'observance
thérapeutique se définit comme la qualité de l'adhésion
à un traitement médicamenteux prescrit chez des patients. La littérature
sur le sujet est abondante chez l'adulte, l'adolescent et porte surtout sur
les prescriptions effectuées au cours de la prise en charge de pathologies
chroniques (Hypertension artérielle, hypercholestérolémie,
asthme, maladies inflammatoires chroniques). Un étude récente
menée par l'industrie pharmaceutique américaine chiffre à
100 Milliards $/an pour les USA, le coût sociétal du non respect
des prescriptions médicamenteuses (1) . Dans cette étude, il est
indiqué que plus de 70% des patients américains ne suivent pas
exactement les prescriptions de leur médecin. Un étude canadienne
(non encore publiée mais présentée récemment lors
d'une réunion d'une société savante de santé Publique)
montrait que sur 100 médicaments prescrits, 20 % n'était pas achetés,
15% étaient achetés mais non donnés et 20% des médicaments
administrés n'étaient pas donnés selon les directives du
médecin prescripteur. A côté des coûts induits, la
non observance, peut également être responsable de l'apparition
de souches résistantes, si l'antibiothérapie est arrêtée
prématurément : ce facteur est considéré comme pouvant
être l'une des causes de la recrudescence actuelle de tuberculose aux
Etats-Unis.
Le
travail que nous effectuons a un double objectif : évaluer la compliance
des familles aux prescriptions médicales effectuées dans la cadre
de la médecine d'urgence et analyser l'importance respective des différents
facteurs susceptibles d'influencer l'observance médicamenteuse. Nous
rapportons ici les résultats d'une étude dite de faisabilité
portant sur 100 prescriptions médicamenteuses effectuées à
partir des urgences hospitalières et sur 100 questionnaires remplis à
l'issue d'une consultation médicale hors contexte de l'urgence.
Patients
et Méthodes
100
dossiers d'enfants vus consécutivement aux urgences enfants de l'hôpital
Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt, France au cours du mois de septembre
2001 pour une pathologie aiguë ayant entraîné à l'issue
de la consultation, un retour au domicile avec une prescription médicamenteuse
ont été étudiés. Les familles étaient informées
que dans le cadre d'une enquête portant sur l'organisation des urgences,
elles seraient contactées par téléphone dans un délai
de 8 à 10 jours. Un questionnaire téléphonique standardisé
était proposé aux familles lors de cet entretien téléphonique,
portant sur l'exécution de l'ordonnance et les motifs de la non observance
selon les cas (Schéma 1).
Parallèlement
: 100 familles venant en consultation non urgente ( 40 : pédiatrie ambulatoire,
60 : pédiatrie hospitalière) ont rempli un questionnaire portant
sur 10 items, relatifs à la prescription médicamenteuse en général
et leur interprétation de celle ci ( Schéma 2)
Définitions
: Une bonne observance a été retenue chaque fois qu'il n'y a eu
aucune élimination ou ajout médicamenteux, aucune réduction
de doses, du nombre de prises ou de la durée du traitement prescrit sur
l'ordonnance remplie par le médecin hospitalier ou ambulatoire.
Résultats
Toutes
les familles ont accepté de répondre au questionnaire téléphonique
et au questionnaire oral effectué lors d'une consultation non urgente.
Ainsi dans 68% des cas, une bonne observance a pu être constatée
et dans 32 % des cas, les modalités du traitement prescrit n'ont pas
été respectées. Les différentes données et
les résultats sont rapportés sur les Tableaux 1 et 2. Les raisons
ayant incité les familles à ne pas donner le traitement ou à
ne le donner que de manière inadaptée sont répertoriées
sur le Tableau 3.
Discussion
La
méthodologie choisie pour notre étude, ainsi que celles des études
publiées dans la littérature sur ce sujet peut prêter à
discussion pour l'objectif proposé. En effet, les résultats et
leur interprétation ne reposent que sur les dires des familles et non
pas sur des éléments objectifs (étude des consommations
des médicaments, dosages sanguins ou urinaires). La seconde phase de
cette étude sera multi-centrique ( 1000 dossiers) et inclura une enquête
parallèle auprès des pharmaciens afin de mieux appréhender
les raisons objectives et les conséquences au moment de l'achat des médicaments.
L'étroitesse
relative de notre échantillon (étude préliminaire) et le
fait de prévenir les familles d'un appel téléphonique peuvent
représenter un biais dont il faut tenir compte pour l'interprétation
des résultats. Cette étude préliminaire confirme les données
de la littérature : la bonne observance médicamenteuse ne concerne
que 40 à 50% des prescriptions médicamenteuses effectuées
aux urgences (adultes et enfants confondus). Le degré de mauvaise observance
semble cependant plus faible chez l'enfant de l'ordre de 30 à 40% ( 2-4).
Toutes ces études permettent cependant de dégager un certain nombre
de déterminants qui, probablement intriqués, permettent de mieux
comprendre les raisons de la mauvaise observance. On peut schématiquement
individualiser trois facteurs : les facteurs liés à la pathologie
en cause et au contenu de l'ordonnance, le facteurs " pédagogiques
" et la relation médecin -malade
Les
facteurs liés à la maladie et au contenu de l'ordonnance
Un
revue de la littérature montre une meilleure adhésion dans deux
circonstances : lorsqu'il s'agit d'une pathologie respiratoire ou neurologique
(inquiétude) ou dermatologique (effet visible) et lorsque les parents
sont conscients qu'un arrêt prématuré du traitement pouvait
induire une rechute immédiate (3,4). Ainsi les médications à
visée respiratoire et cutanée recueillent un taux d'observance
meilleur. La voie d'administration des médicaments prescrits, notée
comme importance chez l'adulte, n'est pas considérée comme l'un
des facteurs de mauvaise observance dans la plupart des études, à
l'exception des présentations jugées inadaptées à
l'âge de l'enfant (comprimés avant six ans). L'adhésion
est d'autant meilleure que le nombre de médicaments est plus faible et
diminue fortement au delà du troisième médicament prescrit
(4). La place du médicament sur l'ordonnance semble jouer un rôle
dans une analyse portant sur 1014 ordonnances (l'observance passe de 76 à
34% entre le 1er et le 4ème médicament de l'ordonnance) ( 4).
La durée de la prescription et le nombre de prises quotidiennes sont
associées à une moins bonne exécution de l'ordonnance.
Ces deux facteurs sont les plus souvent impliqués dans trois études
portant sur plus de 1500 enfants vus aux urgences pour une pathologie aiguë
( 2-5). Trois prises par jour et une durée supérieure à
7 jours sont significativement associés à une observance imparfaite
et ces deux éléments sont rapportés aussi bien dans le
recueil téléphonique que dans le questionnaire rempli par les
familles. La survenue d'un possible effet secondaire (selon les dires des parents)
ne représente que 10 à 15% des arrêts inopinés du
traitement prescrit (antibiotiques, anti-inflammatoires). Certaines autres explications
possibles sont données par les familles : ordonnance complexe, mal rédigée.
Le coût du médicament n'a jamais été avancé
par aucune famille. Dans une étude américaine, comparant l'observance
en fonction des conditions socio-économiques, aucune différence
significative n'a été notée (9)
Les
facteurs pédagogiques
Si
le fait de donner une information précise, concise et clairement compréhensible
pour les familles est un devoir du médecin consultant, ceci ne semble
pas influer sur la qualité de l'observance, le temps consacré
à l'explication du traitement est à l'inverse étroitement
lié à la bonne exécution de l'ordonnance. Ainsi dans l'étude
de Matsui (4) portant sur des prescriptions faites en urgence comme l'étude
de Milgrom (7) concernant des enfants asthmatiques, la non explication de l'ordonnance
est rapportée par les familles comme la principale raison de la non-compliance.
Explications peu claires, incomplètes (à quoi sert chacun des
médicaments) ou trop brèves sont rapportées par près
de 60% des familles interrogées. Un médicament jusque là
inconnu des familles a moins de chance d'être administré qu'un
médicament connu de la famille ( 10) . La discordance entre les informations
écrites sur la notice et celles données ou non données
par le médecin prescripteur est un facteur de risque de non-observance.
Les recommandations de l'Académie Américaine de Pharmacie (1)
incitent les prescripteurs et les pharmaciens non seulement à expliquer
le rôle de chaque molécule prescrite mais à mettre l'accent
sur les bénéfices attendus de la prescription, en insistant sur
la nécessité de poursuivre le traitement jusqu' à son terme.
Certaines études portant sur le comportement du patient préconisent
même l'instauration d'un partenariat, en donnant au patient (ou sa famille)
les moyens d'évaluer l'efficacité du traitement et des directives
en cas d'effets secondaires ( 5, 6)
La
relation médecin-malade
38%
de mauvaise observance après une prescription, 10 à 15 % seulement
lorsque la prescription est effectuée par le médecin traitant
de l'enfant ( 5). Prés d'un patient sur trois, vu en consultation hospitalière
demande l'avis de leur médecin traitant avant de donner le traitement
prescrit. Ceci souligne le rôle essentiel de la relation de confiance
instaurée entre le médecin et son patient (ou sa famille). L'acte
de prescrire est un acte relationnel. Plusieurs études montrent chez
l'adulte, que la qualité de la relation avait plus d'effet sur l'observance
que la quantité d'information donnée. Une étude rapporte
que la prescription en ambulatoire par un médecin inconnu était
suivie dans 44% des cas, mais celle d'un médecin de confiance dans 92%
des cas (cité dans 7).
Conclusions
La mauvaise observance apparaît dans notre étude, comme dans les
autres comme un phénomène fréquent en pédiatrie
comme chez l'adulte. Ceci doit être intégré dans le raisonnement
médical dans la mesure où la bonne exécution de l'ordonnance
doit être établie devant un " pseudo-échec " thérapeutique
avant une escalade préjudiciable à l'enfant. Les raisons qui motivent
ce comportement sont complexes : deux données sont à privilégier
dans l'objectif d'améliorer l'observance :
1. la
complexité de l'ordonnance, le caractère incommode de certaines
présentations, le nombre excessif de molécules proposées
( 2 voire 3 médicaments semblent suffisants dans plus de 95% des cas)
: ce sont les ordonnances les plus copieuses qui sont le moins bien respectées.
2. L'attitude et le comportement du médecin : information sur le traitement,
objectifs poursuivis.
Le
rôle instructeur assuré par le pharmacien peut dans une certaine
mesure compléter l'action du médecin.
Bibliographie
1.
National Council on patient information and education. Children and mismedication.
America'soverlooked drug problem
Am Pharm 1989; 29 : 249-81
2. KROGH C, WALLNER L
Prescription filling pattern of patients in a family practice
J Fam Prac 1987 ; 24 : 301-302
3. BEARDON PH, McGILCHRIST MM, Mc KENDRICK AD et al.
Primary non compliance with prescribed medication in primary care.
BMJ 1993, 307 : 846-848
4. MATSUI D, JOUBERT GI, RIEDER MJ
Compliance with prescription filling in the paediatric emergency department
Arch Pediatr Adolesc Med 2000 , 154 : 195-198
5. LEVY RA
Failure to refill Prescriptions
In Cramer JA, Spilker B eds. Patient compliance in Medical Practice and Clinical
trials. New York, NY, Raven Press, 1991: 11-18
6. MATILLON Y, PASQUIER J
L'observance médicamenteuse
La Presse Med 1980, 9, 1056-8
7. MILGROM H, BENDER B, ACKERSON L et al.
Non compliance and treatment failure in asthma in children
J Allergy Clin Immunol 1996, 98 : 1051-7
8. MATSUI. D
Drug compliance in paediatrics : clinical and research issues
Pediatr Clin North Am 1997 ; 44 : 1-14
9. SAUNDERS CE
Patient compliance in filling prescriptions after discharge from the emergency
department.
AM J Emerg Med 1987 ; 5 : 283-6
10. BERGMAN A, WERNER R
Failure of children to receive penicillin by mouth
N. Engl J Med 1967, 263 : 1334-8
Schéma
1. Questions posées à la famille lors du recueil téléphonique
entre J8 et J15.
|
·
Avez vous acheté et/ou donné tous les médicaments
prescrits ?
Sinon, Pourquoi ?
· Pour chacun des médicaments prescrits : quelle posologie,
quelle durée, combien de prises ?
Si les réponses sont différentes de la prescription : Pourquoi
?
· Y a t'il eu des événements indésirables
?
· Avez vous appelé votre médecin traitant à
l'issue de la consultation hospitalière ?
Pourquoi ? a t'il changé la prescription ?
|
Schéma
2 : Perception de l'ordonnance par 100 familles (questionnaire proposé
en dehors de l'urgence)
A propos de l'ordonnance donnée par votre médecin concernant votre
enfant quels sont les éléments qui pourraient vous influencer
faire que vous ne donniez pas le médicament prescrit et ou ne respectiez
les modalités du traitement ?
( NSP : ne se prononce pas)
|
OUI
|
NON
|
NSP
|
Identité
du médecin precripteur |
59
|
20
|
21
|
Nombre
de médicaments |
36
|
50
|
14
|
Si
oui, à partir de combien |
>
3
|
25
|
|
|
>
4
|
11
|
|
|
Place
du médicament sur l'ordonnance |
52
|
22
|
26
|
Le
1er médicament est il le plus important ? |
Oui |
30
|
|
|
Non
|
6
|
|
|
NSP |
16
|
|
|
Médicament
inconnu jusque là |
45
|
32
|
23
|
Aspect
- goût |
60
|
18
|
22
|
Données
de la notice |
31
|
30
|
29
|
Prises
> 2/jour |
52
|
12
|
36
|
Durée
du traitement |
41
|
29
|
30
|
A
partir de quelle durée |
>
7 j |
23
|
|
|
>
10 j
|
18
|
|
|
Effets
indésirables |
76
|
5
|
19
|
Vous
décidez de vous même |
24
|
|
|
Vous
appelez votre médecin |
26
|
|
|
Pas
de réponse |
26
|
|
|
Côut |
2
|
76
|
22
|
Tableau
I : Etude l'observance en fonction du mode de consultation
|
Bonne
observance
|
Mauvaise
observance
|
Urgences
hospitalières |
61
|
39
|
Pédiatrie
ambulatoire |
9O
|
10
|
Tableau
II : Caractéristiques des patients en fonction de la qualité de
l'observance médicamenteuse pour le groupe des consultations hospitalières
|
Bonne
compliance
(n : 68)
|
Mauvaise
compliance
(n :32)
|
Age
moyen |
34 ( +/- 4, 2)
|
39
( +/- 5 ,7) NS
|
Venue
aux urgences |
|
|
Adressés |
7
|
4
( NS)
|
Non
adressés |
61
|
28
( NS)
|
Venue
nuit ou week end |
32
|
18
( NS)
|
Pathologies |
|
|
Respiratoire
: 14 |
12
|
2
( NS)
|
Digestif
: 15 |
6
|
9
p : 0.01
|
ORL
: 60 |
36
|
24 ( NS)
|
Dermatologique
: 10 |
8
|
2 ( NS)
|
Appel
secondaire au Médecin traitant |
13
|
15
( NS)
|
Tableau
III Raisons données par les familles non compliantes à l'issue
de la consultation hospitalières ( n : 38 patients)
·
Réduction de la durée du traitement car allait mieux : 12
· Non respect de la 3 ème prise quotidienne : 11
· Allergie supposée : 4
· Mauvaise compréhension de l'ordonnance : 4
· Ordonnance non attentivement lue : 1
· Diagnostic récusé par le MT : 1
· Pas d'explication claire : 5
|
|