Réflexion
sur les recommandations en pédiatrie
Dr
J.J. RIVES
INTRODUCTION
L'exercice
de la médecine suppose une formation initiale conduisant à une
qualification. Une fois le diplôme obtenu plus rien ne s'oppose à
l'exercice de toute une carrière de médecin - même sans
contact avec le patient.
Avant d'être une exigence du Code de Déontologie (1), l'actualisation
de connaissances est une exigence personnelle.
Mais il s'agit exclusivement de compétences de nature scientifique. La
pratique, notion différente, de la médecine, introduit, particulièrement
dans le secteur ambulatoire, une relation soignant-soigné qui fait intervenir
la relation personnelle et des éléments humains et sociaux qui
peuvent influencer la démarche scientifique. (famille, école,
travail, loisirs, etc.…)
Il existe donc une situation où alors que les bases scientifiques du
raisonnement médical apparaissent bien établies tout un chacun
peut constater des comportements médicaux variés, quelquefois
contradictoires, voire saugrenus.
Devant ces faits différents organisateurs, dans différents pays,
ont élaboré des recommandations dans des domaines apparemment
bien établis, pouvant être acceptées par une importante
majorité d'entre nous, répondant à une démarche
communément admise comme conforme aux données les plus récentes
de la science, et conduisant à la meilleure qualité possible dans
la plus parfaite économie de moyens.
Pour élaborer ainsi une recommandation, il faut analyser la situation
de départ, c'est l'évaluation de la pratique, puis réunir
un comité d'experts, venant des divers modes d'exercice, chargé
d'élaborer ce qu'il est convenu d'appeler un " consensus. Celui-ci
devra ensuite être diffusé à l'ensemble des professionnels
concernés, qui jugeront en leur âme et conscience. Enfin, il faut
à échéances régulières vérifier si
la diffusion d'une recommandation a effectivement eu l'effet escompté
sur les pratiques et analyser les résultats pour remettre l'ouvrage sur
le métier et…. tout recommencer.
Cette
démarche est de fait dérivée du productivisme entreprenieurial,
essentiellement d'inspiration anglo-saxonne. Si on l'accepte il faut convenir
que chacune de ses étapes doit être régulière.
Que penseriez-vous d'une conférence de Consensus par exemple sur la rhinopharyngite
du nourrisson, composée exclusivement d'hospitalo-universitaires, dictant
une conduite à tenir inapplicable à des libéraux stupéfaits,
menacés de sanctions financières édictées par un
organisme d'Assurance agissant sans contrôle, pour économiser une
boite d'Octofène® qui n'aurait pas un SMR suffisant, bien que remboursé
à 35% ?
Plus
sérieusement, le patient du début du 3° millénaire
a changé sa relation au médecin. Le pédiatre est en première
ligne pour savoir que depuis longtemps déjà les parents vont chercher
sur Internet une information qu'ils pensent " sérieuse ". Ils
veulent participer à la décision médicale.
Pendant
ce temps notre administration a tenté d'imposer sa vue personnelle :
l'évaluation des pratiques permettant de repérer des comportements
déviants, le contrôle autorise la sanction. Pour dorer la pilule
on a orienté la FMC médicale en fixant des thèmes précis
et en la finançant pour l'intégrer dans la démarche d'évaluation.
Quoi
qu'il en soit nous avons vu, avec retard sur ce que nous connaissions sous le
nom d'Evidence Based Médicine (E.B.M.), apparaître des " référentiels
", qui ont même déjà des synonymes : Conférence
de Consensus, RMO (2), BPC, RPC…. Et qui sont censés être
basés sur des faits démontrés, sans équivoque.
L'E.B.M.
comporte donc le risque de se limiter aux éléments quantifiables
et irréfutables finalement assez éloignés des sciences
du vivant.
Rapidement on glisse de la preuve irréfutable à un " niveau
de preuve satisfaisant " (3) puis à un " travail rigoureux
" ce qui traduit bien que, même en 2001, la médecine reste
un art et pas uniquement une technique basée sur la science.
Les
R.C.P et les Pédiatres
"Why
don't physicians follow clinical practices guidelines ?"
(CABANA and al. - JAMA 1999.) |
|
Et
de répondre : |
1
RCP inconnue
|
|
|
2
RCP connue, mais non reconnue : |
-
livre de recettes
- atteinte à la liberté de prescrire
- excès normatif
- etc. |
Décret
du 29 décembre 1999, N°99-1130:
" relatif à l'évaluation des pratiques professionnelles
et à l'analyse de l'évolution des dépenses médicales
"
- Organise l'évaluation des pratiques libérales par volontariat. |
Deux
" agences " nous concernant ont été installées
:
ANDEM : Agence Nationale pour le Développement de l'Evaluation
Médicale
ANAES : Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation
en Santé
Il
s'agit donc bien d'une formalisation, à la mode des pays anglo-saxons,
d'un processus destiné à l'amélioration de la qualité
des soins et de leurs coûts.
|
PRENONS
DONC DES EXEMPLES :
1/
RHINOPHARYNGITE (4)
Conférence
de consensus sur l'antibiothérapie / rhinopharyngite aiguë
Est connue par 60% des pédiatres, mais seulement 45% disent l'appliquer
et 7% auraient modifié leur pratique.
Cependant 24% des enfants ont reçu une ABO ! (dont ½ déconseillée
par la Conférence de Consensus)
2/
DIARRHEE AIGUE (5)
Référence : évaluer SRO et pratique
|
A
l'admission :
|
-
SRO : 35% (pédiatres 58% - Médecins généralistes
29%)
- Lait de régime 46%
- Médicaments : 94% (AB : 33%) |
|
NB
: Lille, 326 nourrissons - janvier 96 : |
33%
déshydratés
1 Décès et 2 séquelles ( pas de SRO !) |
Faut-il
discuter des indications d'un lait de régime.
3/
REFLUX GASTRO-OESOPHAGIEN. [R.M.O.]
Ne
concerne que le secteur libéral !
4/
FLUOR
Recommandations sur l'administration du fluor en santé bucco
dentaire liée à l'enfance en France. 2000 - UFSBD
|
préconise
le fluor médicamenteux : |
- de 6 mois à 3 ans : 0.25mg/j.
- de 3 à 6 ans : 0.50mg/j.
- > 6 ans : 1mg/j. |
|
Murray
1993 (U.K.) : "fluridation should start at birth"
Groeneveld 1990 (Netherlands): " the best effect if….
from birth"
Prescrire 1996 : référence aux recommandations canadiennes
Droz AFP, juin 2001 : "Aujourd'hui les auteurs américains
et européens retardent de 6 mois la supplémentation du fluor
et ne la préconisent qu'à partir de l'éruption de
la première dent "
(0 à 6 mois : 0 - 6 à 36 mois 0.25mg/j.)
[Or
la première molaire permanente (dent de 6 ans) débute sa
minéralisation à la naissance, sa maturation est la plus
courte elle est donc très exposée à la carie : 35%
(73% du CAO).]
*
NDLR : "la grande majorité des recommandations sont
en accord avec celles de l'article de DROZ et al. à l'exception
de l'âge de début de la supplémentation - en effet
l'AFSSAPS le recommande dès la naissance. "
5/
BRONCHIOLITE
Conférence de Consensus septembre 2000.
" leur teneur n'engage en aucune manière la responsabilité
de l'ANAES "
Base
: 460 000 nourrissons par an, encombrement du système de
soins, ambiguïtés diagnostiques et disparités de prises
en charge.
1.
L'état des connaissances sur le thème retenu est jugé
insuffisant.
2. Données de la littérature parfois contradictoires
3. Pourquoi seuls 20% des nourrissons atteintes par le VRS font-ils une
bronchiolite ?
4. Le diagnostic est clinique. Aucun examen complémentaire n'est
indiqué.
5. La mortalité est souvent nulle dans les séries récentes.
6. L'évolution vers un asthme est essentiellement conditionnée
par l'existence d'une atopie.
7. L'hospitalisation s'impose en présence d'un critère de
gravité.
8. Une SaO2 < 94% est un des indicateurs de gravité - l'absence
d'étude ne permet pas de conclure sur son caractère indispensable
en médecine de ville.
|
9.
Quels traitements ? |
Hydratation,
nutrition et couchage à 30°. |
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|
Désobstruction
nasale et exclusion du tabac. |
|
|
Médicaments |
Broncho-dilatateurs |
inutiles et pas d'A.M.M. |
|
|
Corticoïdes
|
efficacité
non démontrée |
|
|
Antiviraux
|
"
Il n'y a pas lieu.. " |
|
|
Antibiotiques
|
non
indiqués |
|
|
Antitussifs
|
aucune
indication |
|
|
Muco-actifs
|
aucune
indication |
|
|
Oxygénothérapie
|
à
l'hôpital |
10.
Mention spéciale pour la Kinésithérapie. (Conférence
de Consensus Lyon 1994.) |
|
1.
Des travaux de validation doivent être poursuivis pour obtenir une
base scientifique solide.
2. Sa prescription n'est pas systématique, elle dépend de
l'état clinique. (sans donner aucun critère)
3. Exclusivement par kinésithérapeutes spécialement
formés.
|
11.
Comment améliorer l'organisation des soins ? |
|
En
ville : " redonner au médecin une place centrale dans la
filière de soins… "
A l'hôpital : " organiser un accueil et une orientation pertinente
: retour en médecine ambulatoire.. " |
12.
Prévention : |
lavage
des mains à l'eau et au savon
Décontamination des surfaces en collectivité
Entrée en crèche après l'âge de 6 mois - prolongation
du congé de maternité. |
CONCLUSION.
Les
recommandations dites de bonne pratique clinique devraient être un élément
essentiel de la décision médicale. Tout médecin confronté
à un cas inhabituel recherche l'expérience de ses confrères,
soit par des recherches bibliographiques (de plus en plus par Internet), soit
en interrogeant des collègues faisant autorité, recherchant ainsi
la conduite à tenir la plus pertinente.
Que l'Administration, nos Tutelles, organisent un système offrant la
meilleure accessibilité des sources de référence en utilisant
les capacités techniques offertes par le développement de l'informatique,
des bases de données et d'Internet, eut été un vrai service
rendu aux médecins et aux malades. Cela aurait même eu un certain
panache !
Par contre que l'on utilise des arguments négatifs, culpabilisants pour
les praticiens, comme le fait la CNAM par exemple, pour justifier une politique
faite de contraintes, utilisant l'évaluation à des fins pseudo-économiques,
conduisant à des menaces de sanctions jusqu'aux plus graves comme l'interdiction
d'exercer, constitue un abus de confiance. D'autant que dans le même temps
nos gestionnaires persistent à rembourser des pratiques non évaluées,
et honorent certains praticiens en créant une spécialité
non reconnue : les médecins à exercice particulier.
L'expérience démontre que toute action élaborée
sans tenir compte de son acceptation par ceux qui sont chargés de l'appliquer
est vouée à l'échec. Je souhaite simplement que, le plus
rapidement possible, le bon sens reprenne le dessus. Je rêve seulement
que notre Société Savante, la Société Française
de Pédiatrie, qui aurait là un rôle éminent à
jouer, instaure des commissions d'élaboration de références
pédiatriques en impliquant les pédiatres des différents
modes d'exercice et publie ses référentiels par les moyens modernes
d communication, par exemple son site Internet, et que chaque pédiatre,
en son âme et conscience puisse les utiliser sans arrière pensée.
BIBLIOGRAPHIE
1-
SAURY R. La conférence de consensus : valeur médico-juridique.
Bulletin de l'Ordre des Médecins, Mai 1994
2- PAOLAGGI J.B., COSTE J. Le raisonnement médical, de la science à
la pratique clinique. pp 230-233 ; 2001 ESTEM Ed.
3- DURIEUX P. & Coll. Mise en uvre des recommandations médicales
: revue systématique des revues systématiques. Gastroenterol.
Clin. Biol. 2000; 24:1018-1025
4- CHALUMEAU M. & Coll. Connaissance et application par des pédiatres
de ville de la conférence de consensus sur le rhinopharyngites aiguës
de l'enfant. Arch. Pédiatr. 2000 ; 7 : 481-8
5- MARTINOT A. & Coll. Evaluation du traitement ambulatoire des diarrhées
aiguës du nourrisson. Arch. Pédiatr. 1997 ;4 : 832-838
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