Les erreurs de diagnostic en pédiatrie
hospitalière
J.-P. DOMMERGUES*
« Faire un diagnostic » est
une opération complexe dans l'exercice médical en général -
et tout spécialement en pédiatrie - dont le but est de permettre l'adoption
pour le malade du traitement le plus approprié à la maladie mise en cause
en fonction des connaissances du moment.
« Faire » un diagnostic s'apparente
classiquement par bien des côtés à un travail artisanal élaboré
à partir de différents ingrédients : l'interrogatoire, l'examen clinique,
les examens complémentaires.
Les voies du diagnostic
Poser un diagnostic peut se faire selon trois
principales voies :
- la reconnaissance
des formes ;
- la décision
dichotomique ou algorithmique ;
- la méthode
probabiliste [1].
Nous rappelons brièvement ces
trois voies avant de réfléchir à ce qui se passe dans la réalité
médicale quotidienne.
La reconnaissance des formes
Elle comporte les étapes suivantes : le recueil
des données ; le choix des éléments considérés comme des
indices pour le raisonnement diagnostique ; le regroupement du plus grand nombre
d'indices dans une « forme » qui paraît un ensemble cohérent
; la construction d'hypothèses diagnostiques en comparant cet ensemble avec
des tableaux cliniques de maladies déjà connues du médecin. Cette
démarche diagnostique est la plus classique. Elle fait appel à l'intuition
et à la connaissance antérieure du médecin.
Trois types d'écueil sont possibles
:
- les limites
de la connaissance et de la mémoire (biais d'incompétence) ;
- l'attraction
par une connaissance d'acquisition récente ou générant un intérêt
personnel pour le médecin, un diagnostic qui a impressionné le praticien...
(biais de motivation) ;
- une sélection
erronée des indices à cause d'une opinion pré-établie (biais
de préjugé).
Les algorithmes
On peut avoir recours à des algorithmes
décisionnels précisant la conduite à tenir devant tel symptôme
ou signe physique ou telle situation : toux chronique, ictère, anémie,
retard statural. Ils ont pour but de pallier les incertitudes et la composante personnelle
de la reconnaissance des formes. Ces algorithmes peuvent eux-même être
construits 1) à partir de schémas physiopathologiques, 2) à partir
d'études de recherche clinique de valeur scientifique variable. Ils s'avèrent
particulièrement utiles lorsqu'il s'agit de décider si l'on doit ou non
faire appel à des techniques sophistiquées (imagerie telle que tomodensitométrie,
IRM, épreuves fonctionnelles endocrinologiques etc...). Certaines disciplines
plus que d'autres, telles l'hématologie, l'endocrinologie, se prêtent
bien à ce type d'arbres de décision. (Par exemple : quand demander une
épreuve de stimulation de l'hormone de croissance devant un retard statural
? Comment conduire la démarche diagnostique devant une anémie ?).
L'arbre de décision peut également
être conduit en fonction du temps écoulé depuis le début de
la maladie, l'existence ou non d'une donnée initiale considérée comme
décisionnelle telle la présence ou l'absence d'altération de l'état
général dans l'algorithme de la conduite à tenir d'une fièvre
prolongée...
La décision algorithmique d'un
problème clinique est généralement très didactique, elle peut
donner un sentiment de sécurité au médecin qui l'applique mais sa
simplicité n'est souvent qu'apparente car la transformation de données
pour la plupart quantitatives en une réponse binaire « oui » «
non » peut poser problème.
La méthode probabiliste
Le raisonnement probabiliste consiste à évoquer
en premier lieu les hypothèses les plus fréquentes. Il est très habituel
dans l'exercice médical quotidien. La méthode probabiliste a sur les autres
méthodes les avantages suivants :
1) Elle n'élimine
aucune hypothèse diagnostique ; même si sa probabilité est faible,
une hypothèse peut être retenue dans la décision thérapeutique
si son contenu « d'utilité » est déterminant ou prioritaire.
2) Elle est transposable
à d'autres sous-populations dont on connaît les paramètres distinctifs.
3) Son processus logique
peut être soumis à l'analyse pour déterminer ces insuffisances, les
incertitudes...
4) Elle permet la
constitution et l'exploitation de banques de données. Il convient ensuite de
savoir à quel moment on ne s'autorise plus à garder ces hypothèses.
Dans la pratique médicale quotidienne
Dès l'interrogatoire du patient et en fonction
du contexte, des hypothèses diagnostiques - au plus trois ou quatre -
sont formulées et implicitement hiérarchisées. Les questions sont
alors choisies en fonction de leur rôle attendu dans l'une ou l'autre des hypothèses
: elles font alors fonction de « point d'ancrage » : si la réponse
élève la probabilité de l'une d'entre elles, la question suivante
aura pour fonction de l'élever encore si la nouvelle réponse lui est favorable
et inversement si les réponses sont négatives. La démarche diagnostique
exprime donc un processus itératif où la recherche des informations successives
est orientée par les réponses précédentes afin d'élever
la probabilité de la maladie jusqu'à un seuil décisionnel où
une décision peut être raisonnablement prise.
L'interrogatoire
Il s'intéresse au passé, à l'histoire
personnelle du patient, aux problèmes de santé déjà repérés
dans la famille, aux symptômes que le malade rapporte et à leur retentissement.
La maladie a également une histoire, si tant est que le malade ne consulte
pas dès l'apparition du premier symptôme comme on le voit trop souvent
aujourd'hui aux urgences dans une ambiance d'intolérance au symptôme...
L'interrogatoire confronte le médecin
d'enfants à plusieurs membres de sa famille et les différentes versions
de la mère, du père, voire des grands-parents apportent chacune leur part
d'ombre et de lumière sur les symptômes, et leur retentissement sur la
vie de l'enfant. L'interrogatoire de l'enfant, en présence de ses parents
mais également le dialogue avec l'enfant seul peut être décisif pour
orienter le diagnostic.
Ces dernières années ont
mis notamment en exergue la valeur de l'interrogatoire de l'enfant douloureux
considéré comme l'interlocuteur le plus important en la matière.
Un enfant de 2 ou 3 ans qui se plaint de la tête, c'est insolite et ce signe
peut être le seul indicateur d'une tumeur cérébrale ; un enfant plus
grand peut être capable de donner des détails sur le déroulement
d'une « crise » de migraine.
La construction de l'histoire de la
maladie doit permettre une hiérarchisation des symptômes avec pour
ambition l'élaboration d'un « maître symptôme »
qui servira de tuteur au raisonnement diagnostique (exemple : fièvre isolée,
toux chronique isolée, amaigrissement, détresse respiratoire...).
L'examen clinique
Il est guidé et orienté en fonction
des symptômes du malade mais le déborde très largement. L'art de
mettre en confiance l'enfant doit s'exercer pour permettre de réaliser un examen
complet. Quelques exemples parmi d'autres : chacun sait que devant des douleurs
abdominales, on risque de passer à côté d'un purpura rhumatoïde
si l'on ne fait pas enlever les chaussettes pour rechercher le purpura pétéchial
débutant ; à côté d'un saturnisme si l'on oublie de s'intéresser
aux conditions du logement ; à côté d'un diabète en cours de
décompensation si l'on oublie de poser la question de l'amaigrissement concomitant,
toujours présent dans ce cas... Devant une angine, il est de bonne pratique
de rechercher une grosse rate, devant une fièvre un purpura débutant...
Les pièges des examens complémentaires
Beaucoup d'examens de laboratoire prescrits à
l'enfant sont encore prescrits avec une réflexion insuffisante sur leurs indications
et leurs interprétations. Ceci nous a conduit au fil des ans à observer
puis à essayer de caricaturer à des fins didactiques un certain nombre
de comportements médicaux. Nous les stigmatiserons par la description de quelques
syndromes qui ne sont réellement nouveaux que par le vocable qui leur est attribué
mais que chacun peut observer quotidiennement. C'est ainsi que l'anxiété
ou le « manque d'idées » peuvent inciter à demander des examens
« tous azimuths » liés au seul embarras du médecin. Ce «
syndrome du parapluie » (à l'image d'un parapluie que l'on ouvre
« pour se couvrir » dans un orage d'incertitude et de doute) affecte particulièrement
les hôpitaux. Il est sujet à de petites épidémies avec un maximum
saisonnier en novembre et en mai, au moment des changements des internes inquiets
devant les situations souvent nouvelles qu'ils rencontrent. À l'inverse, la
prescription d'examens complémentaires doit tenir compte de l'apport que l'on
en attend. Autrement dit, il est nécessaire de poser la question préalable
: quelle est la sensibilité et quelle est la spécificité de cet examen
?
La multiplication des examens conduit
en outre à des prises de sang itératives, source de désarroi et de
douleur pour l'enfant et de dépenses de santé abusives. La difficulté
peut également conduire à des résultats faussés par l'attrition
tissulaire liée au traumatisme des prélèvements (kaliémie, phosphorémie,
bilan d'hémostase, lactacidémie etc...). Ces faux résultats peuvent
générer de fausses hypothèses diagnostiques et sont susceptibles
d'entraîner de nouveaux examens... véritable « syndrome de la
boule de neige »...
Au maximum, l'enfant subit le «
syndrome de Saint-Sébastien » dénommé ainsi par analogie
avec le martyr de Saint-Sébastien transperçé par d'innombrables flèches
et dont le martyr a inspiré de nombreux peintres...
Le « syndrome de l'autoroute
» consiste à prendre une position diagnostique apparemment simple et à
ne pas vouloir la changer ou la remettre en question par analogie avec l'automobiliste
sur autoroute qui refuse de s'intéresser à d'autres voies de communication...
Nous en présenterons un exemple lors du congrès à propos d'un enfant
appartenant à une famille d'hypercholestérolémie.
Le syndrome du « bruit épidémique
ambiant » consiste par exemple à étiqueter bronchiolite toute
détresse respiratoire se présentant aux urgences pédiatriques entre
le 15 novembre et le 15 janvier... L'analyse de telles erreurs de diagnostic met
le plus souvent en lumière un défaut d'interrogatoire ou un défaut
d'examen clinique rigoureux.
Quelques réflexions spécifiques à la
pédiatrie
La compétence parentale
En contrepoint de l'affolement de certains parents
qui vient entraver leurs compétences dès les premiers symptômes de
maladie chez leur enfant, il faut savoir tirer parti de l'appréciation globale
intuitive des parents. Elle est à considérer en référence à
l'expérience qu'ils ont de leur enfant dans sa vie quotidienne : ils sont les
seuls à pouvoir mesurer l'écart entre son état actuel (vigilance,
tonus, vie relationnelle, expression faciale, motilité spontanée, qualité
du sommeil, coloration, tolérance de la fièvre, etc.) et son état
« normal ». Plusieurs exemples seront présentés au cours de
la table ronde du congrès illustrant cette compétence et les erreurs liées
à sa méconnaissance.
L'attente des parents face à leur pédiatre
L'élaboration du diagnostic se fait face
à des parents qui attendent en premier de leur pédiatre qu'ils les rassurent
sur la bénignité de la maladie en cours. Le « penchant naturel »
du pédiatre et l'empathie qui se crée avec les enfants et leurs parents
seraient donc de nature à influencer plus ou moins consciemment le pédiatre
dans son objectivité lorsqu'il analyse des symptômes ou des signes et
qu'il doit les retenir comme potentiellement graves. Il y a là un nouveau biais
dans le traitement des informations au moment où sont formulées les hypothèses
diagnostiques.
Exemples pratiques d'erreurs de diagnostic en pédiatrie
hospitalière
Des cas cliniques illustrant des erreurs de diagnostic
aux différents stades de l'élaboration d'un diagnostic seront présentés
aux JTA 2005. Pour permettre une réflexion didactique réelle, ils ne sont
pas « dévoilés » dans ce texte qui a simplement pour but de
fournir un support d'ensemble applicable à la discussion de chaque cas.
Bibliographie
[1] Grenier B : Évaluation
de la décision médicale. Masson, Paris.
* Fédération de
Pédiatrie Hôpital de Bicêtre et Faculté de médecine Paris-Sud.
654 J.-P. DOMMERGUES
LES ERREURS DE
DIAGNOSTIC EN PéDIATRIE HOSPITALIèRE
655
656 J.-P. DOMMERGUES
LES ERREURS DE
DIAGNOSTIC EN PéDIATRIE HOSPITALIèRE
657
658 J.-P. DOMMERGUES |