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Titre: Le pédiatre : médecin d'adultes ?
Année: 2004
Auteurs:
Spécialité: Pédiatrie
Theme: Leçon inaugurale

Le pédiatre :
médecin d'adultes ?

J.F. DOMMERGUES

Introduction

La mission du pédiatre est de soigner des enfants et des adolescents. L'accomplissement de ce rôle implique un investissement certain dans l'évaluation de la cellule familiale dans son ensemble, faisant de la pédiatrie une médecine globale. Doit-il pour autant, devenir le médecin des adultes formant cette constellation familiale ? Et si oui, dans quelles circonstances et jusqu'à quel point ? Doit-il, pour autant, continuer à suivre les patients adolescents lorsqu'ils atteignent l'âge adulte ? C'est autour de ces questions que s'articule notre réflexion aujourd'hui.

Plusieurs circonstances sont à envisager :

Dans le premier cas, dès la naissance, les symptômes présentés par un nouveau-né évoquent une maladie maternelle - que celle-ci soit transmise grâce aux échanges transplacentaires (origine infectieuse, métabolique, nutritionnelle, auto-immune...) - ou qu'elle soit imputable à une maladie héréditaire à identifier.

Le second cas est celui de l'impact d'une maladie de l'enfance parfois oubliée d'autant que ses manifestations cliniques en étaient essentiellement présentes dans l'enfance et qu'elles se sont ensuite atténuées. Dans les deux cas, le pédiatre se trouve détenteur d'informations essentielles pour la famille, notamment pour la santé de la mère, soit dans l'immédiat, soit plus tard et notamment pour la surveillance médicale spécifique de grossesses ultérieures éventuelles. Doit-il alors se transformer - pour un temps - en médecin d'adultes ? Nous illustrerons quelques-unes de ces situations en voyant comment l'exercice pédiatrique se doit de s'élargir aux autres membres de la cellule familiale pour répondre aux exigences qui découlent de ces informations.

Le troisième cas a trait à l'implication du pédiatre dans la santé des adolescents atteints de maladie chronique lorsque ces patients ont atteint l'âge adulte : doit-il, et si oui, comment « passer la main » ?

A la période néo-natale

Ne pouvant être exhaustif, nous avons choisi trois exemples dans les domaines de la neurologie, du métabolisme phosphocalcique, des maladies auto-immunes.

La maladie de Steinert

Le premier exemple emprunté à l'expérience clinique des neuropédiatres et de la réanimation néonatale est celui de la forme néonatale de la maladie de Steinert. La maladie maternelle était jusque-là méconnue et la maladie du nouveau-né sert de « révélateur ». Dans cette dystrophie myotonique autosomique dominante dont la forme congénitale sévère est observée chez des nouveau-nés de mères atteintes par la maladie, le diagnostic n'a le plus souvent pas été fait antérieurement chez la mère. Le nouveau-né « révélateur » se présente dans un tableau d'hypotonie généralisée avec détresse respiratoire après une grossesse marquée par la diminution des mouvements actifs fœtaux. La clé du diagnostic repose sur l'expression faciale figée de la mère et sur sa poignet de main caractéristique en raison du retard à la décontraction musculaire [1]. Cette poignée de main est lourde de sens, ce diagnostic entraînant pour la mère des conséquences majeures pour sa santé et ses éventuelles maternités.

Dans le domaine du métabolisme phosphocalcique et de la nutrition

L'investigation persévérante d'une hypocalcémie néonatale doit conduire à rechercher une maladie maternelle lorsque cette hypocalcémie n'est pas de cause immédiatement évidente et que sa durée excède la première semaine de vie. Le pédiatre doit être partie prenante de la démarche méthodologique concernant le diagnostic de l'affection maternelle. Les investigations doivent comporter des dosages de calcémie, phosphorémie, phosphatases alcalines, de 25 OHD3 et de parathormone pour dépister une hyperparathyroidie maternelle latente, en rapport avec un adénome parathyroïdien [2], une carence calcique ou en vitamine D.

Dans la situation « en miroir » plus rarement rencontrée d'une hypercalcémie néonatale inexpliquée, le pédiatre doit rechercher à l'inverse une hypoparathyroïdie maternelle.

Dans ces deux situations évoquées, il peut s'agir d'une anomalie génétique portant sur le récepteur sensible au calcium et aboutissant selon les cas à une inactivation ou à une surexpression de ce récepteur, comme cela a été démontré dans l'hypercalcémie familiale bénigne [3]. Le diagnostic est important à faire pour éviter toute démarche médicale invasive. D'autres éventualités sont possibles comme dans le cas clinique que nous exposons qui illustre une situation particulière de pathologie « mère-enfant » métabolique et nutritionnelle.

Cas clinique

L'enfant A. est né au terme d'une grossesse marquée par un retard de croissance intra-utérin majeur (poids de naissance 1,560 kg au terme de 39 semaines). Le nouveau-né frappait par son hypotonie globale, des trémulations diffuses, des pauses respiratoires conduisant à un transfert en réanimation à quelques heures de vie. L'examen clinique montrait un craniotabès et les radios osseuses une ostéopénie marquée. Le bilan biologique permettait de découvrir une hypocalcémie et une hypophosphorémie profonde. Les anomalies biologiques se normalisaient en une dizaine de jours, sous perfusion calcique et supplémentation vitaminique D. On observait une reminéralisation squelettique progressive avec une courbe de rattrapage staturopondérale dans la première année de vie - avec des apports standart de calcium et de vitamine D. La réversibilité de tous les troubles suggérait une pathologie nutritionnelle maternelle et le bilan biologique demandé pour la mère révélait une hypocalcémie, une hypophosphorémie, une carence en vitamine D. La coexistence avec une anémie hypochrome conduisait à la recherche d'une malabsorption et une intolérance au gluten était confirmée par la présence d'anticorps spécifiques avec atrophie villositaire totale. Le régime sans gluten a entraîné une amélioration spectaculaire de la santé de la mère et une normalisation des anomalies biologiques.

 

Cette observation de grossesse menée à terme chez une femme atteinte d'intolérance au gluten non diagnostiquée est exceptionnelle, l'infertilité ou la répétition de fausses couches étant presque la règle dans ces cas [4] mais elle illustre la démarche active que nous voulons défendre. La carence calcique majeure du nouveau-né - inexpliquée - a permis de découvrir une forme pauci-symptomatique d'intolérance au gluten chez la mère. De rares cas de rachitismes néonatals, révélateurs de situations de grandes carences d'apport vitaminocalcique maternelles ne sont plus rapportés aujourd'hui que dans certains pays connaissant de graves problèmes de malnutrition.

Cette recherche d'une maladie maternelle doit être encore renforcée en cas d'anomalies métaboliques frappant de façon identique plusieurs nouveau-nés appartenant à la même fratrie. La littérature fait état d'observations d'adénomes parathyroïdiens pour lesquels la répétition insolite d'accidents hypocalcémiques néonatals dans une même fratrie a donné l'alerte. Le pédiatre se doit donc d'être particulièrement vigilant et pugnace pour veiller à ce que une exploration biologique suffisamment poussée soit faite chez ces mères en ne se contentant pas du seul dosage de la calcémie qui peut être ponctuellement normal dans certains cas authentiques d'hyperparathyroïdie, notamment s'il existe une carence en vitamine D associée chez la mère.

Dans le domaine de la pathologie auto-immune

Nous avons choisi l'exemple des affections auto-immunes de type lupus et/ ou autre connectivite apparentée.

De nombreux cas de bloc auriculoventriculaire néonatals sont décrits chez les nouveau-nés de mère lupique. Le lupus maternel peut être méconnu et les troubles de conduction du nouveau-né être révélateurs [5]. Ces nouveau-nés sont porteurs d'anticorps anti RO/SSA d'origine maternelle agissant sur les voies de conduction cardiaque.

Le diagnostic du LED maternel est parfois facile à faire devant des signes évocateurs cutanés et\ou articulaires mais il s'agit de cas paucisymptomatiques, ou totalement latents ; le suivi à long terme de ces mères permet d'assister après quelques années dans un pourcentage important de cas à l'émergence clinique d'une pathologie de type connectivite auto-immune. Convaincre ces mères de la nécessité d'un suivi pour elles-mêmes auprès d'un interniste d'adultes fait donc partie de notre rôle de « pédiatre-médecin d'adultes ».

La réévaluation d'une maladie de l'enfance

Les thrombopénies chroniques immunes de l'enfance

Le passage transplacentaire d'anticorps antiplaquettaires persistant malgré la rémission de la thrombopénie maternelle peut être responsable d'une thrombopénie néonatale. La considération à porter à des antécédents de thrombopénie dans l'enfance de la mère est parfois décisive dans la compréhension d'une thrombopénie. Dans certains cas, il peut s'agir de mères ayant des antécédents de thrombopénie aiguë ou chronique, maladie oubliée car en rémission depuis de nombreuses années, spontanément ou à la faveur d'une splénectomie. Parfois même, le chiffre de plaquettes est normal chez la mère grâce à une thrombolyse compensée dont l'étude isotopique plaquettaire pourrait apporter la preuve [6]. Le rôle du pédiatre sera de retrouver et d'exploiter cette anamnèse remontant à l'enfance et de la « faire parler ».

Le risque infectieux après splénectomie

Une circonstance particulière d'intervention justifiée du pédiatre dans la santé des adultes de la famille nous paraît être celle des affections hématologiques constitutionnelles ayant entraîné des splénectomies dans l'enfance. Nous sommes régulièrement amenés - le plus souvent à l'occasion d'un diagnostic de sphérocytose héréditaire chez un jeune enfant - à dresser un arbre généalogique sur deux à quatre générations - dans lequel un nombre parfois impressionnants de patients adultes porteurs de l'affection ont été splénectomisés dans l'enfance. Cette splénectomie a été effectuée à une époque où ce geste chirurgical était systématique devant toute sphérocytose, même parfaitement bien tolérée - époque à laquelle les risques infectieux à long terme d'infections bactériennes invasives fulminantes étaient inconnus. On sait aujourd'hui que ces risques persistent toute la vie, mais ce danger reste encore peu connu d'un grand nombre de médecins et la prophylaxie anti-infectieuse en est mal prise en charge [7]. Instruit de ce risque, le pédiatre se doit de faire bénéficier l'ensemble des membres de la famille splénectomisés , d'une prophylaxie anti-infectieuse, quel que soit leur âge, comme le montre l'histoire suivante...

 

L'histoire de la famille D. est exemplaire. L'enfant J.D., âgé de quatre est adressé pour l'exploration d'une splénomégalie. Les examens biologiques permettent de poser le diagnostic de sphérocytose héréditaire. La reconstitution de l'arbre généalogique montre que le père, un oncle paternel, la grand-mère maternelle ont été splénectomisés dans l'enfance dès la découverte de l'affection. Sur nos conseils, le père et l'oncle bénéficient d'une vaccination anti-pneumococcique par leur médecin traitant. Deux mois plus tard, lors d'une nouvelle consultation, on apprend le décès de la grand-mère maternelle, non vaccinée, âgée de 52 ans, splénectomisée 40 ans plus tôt, " jamais malade ", dans un tableau d'infection fulminante à pneumocoques...

Le relais entre pédiatres et médecins d'adulte

Les progrès médicaux concernant les maladies chroniques ont permis à la majorité des adolescents qui en sont atteints de devenir des adultes (par exemple aujourd'hui le tiers des patients atteints de mucoviscidose est constitué de jeunes adultes) pour lesquels le passage de responsabilité du pédiatre au médecin d'adultes a été l'objet de mises au point récentes [8-10]. Dans un premier temps, le pédiatre peut être tenté de poursuivre la prise en charge et ceci pour une multitude de « bonnes raisons ».

Mettre fin à des liens souvent très forts noués entre l'enfant, l'adolescent et sa famille n'est pas facile ; l'investissement personnel du pédiatre est d'autant plus fort que ces liens se sont tissés depuis de nombreuses années.

Le pédiatre est d'autant plus tenté de prolonger la prise en charge que persistent des problèmes de développement (retard de croissance, retard pubertaire, atteinte cognitive) qui lui paraissent relever de la compétence pédiatrique.

Dans certains cas, l'expérience des médecins d'adultes est faible, voire inexistante pour certaines affections rares dans lesquelles l'espérance de vie ne dépassait pas jusqu'ici la période de l'adolescence et le pédiatre est alors naturellement conduit à prolonger sa prise en charge... Enfin l'intérêt scientifique pour le devenir à l'âge adulte des affections chroniques de l'enfant peut inviter les pédiatres à prolonger le suivi pour recueillir des informations propres à leur permettre une « auto-évaluation » à long terme de leur action.

Les craintes des malades adolescents

Les mêmes craintes peuvent être partagées par l'adolescent et sa famille : peur de l'inconnu, peur de perdre une relation privilégiée. L'adolescent peut avoir l'impression d'être « lâché » à un moment critique où il perçoit une aggravation actuelle ou à venir de sa maladie et il éprouve alors un véritable sentiment d'abandon. La crainte que les motivations des médecins d'adultes ne soient pas à la hauteur des exigences des jeunes en matière d'intérêt sur leur qualité de vie, leurs préoccupations personnelles est explicitement exprimée par les adolescents malades. Plusieurs études se sont intéressées aux inquiétudes, aux attentes et aux besoins de jeunes drépanocytaires : ceux-ci expriment leur inquiétude à quitter une structure familière, un endroit confortable, un centre fréquenté depuis la naissance, leur crainte d'être confié à un médecin d'adultes qui serait peu familier des soins aux drépanocytaires. Il est vrai que les consultations et les hospitalisations pédiatriques se sont toujours passé dans un milieu maternant, hautement féminisé. Le changement d'environnement peut être facteur de déstabilisation pour un jeune adulte habitué à être protégé, et ce d'autant que cette transition n'aurait pas été préparé par une prise en charge spécifique à l'adolescence visant à préparer cette autonomie.

Côtoyer en consultation ou en hospitalisation des adultes atteints de la même affection et parfois dans un état de santé très dégradé préfigurant ce qui risque de leur arriver, côtoyer des vieillards malades représentent des épreuves dont parlent beaucoup de malades lors de leur passage en milieu adulte. Des craintes plus spécifiques sont exprimées selon les maladies en cause. Pour les adolescents mucoviscidosiques non encore touchés par les surinfections pulmonaires à Pseudomonas, la crainte d'être contaminé dans un environnement adulte à risque plus élevé de transmission est fondée sur un risque réel.

Les obstacles liés à la maladie

Le relais sera d'autant plus facile qu'il existe des spécialistes d'organe de la même discipline médicale en médecine adulte, le médecin relais étant alors d'emblée apte à faire face aux aspects techniques spécifiques de la maladie. Le meilleur exemple en a été fourni par le diabète : la fin des querelles liées aux différences historiques de conception entre pédiatres et médecins d'adultes a été le préalable, le pré-requis indispensable pour une cohérence de prise en charge et pour l'établissement d'un contrat crédible.

Le cas le plus difficile est représenté par les maladies héréditaires du métabolisme. Toutes les raisons pour pérenniser la prise en charge pédiatrique sont a priori réunies devant ces maladies le plus souvent révélées tôt dans les premières années de vie, très souvent avant l'âge de deux ans et parfois dès la période néonatale. Les patients et leur famille ont une perception aiguë de la fragilité de leur enfant et ont pu faire l'expérience de l'ignorance de l'immense majorité des médecins, de la gravité et de la rapidité des décompensations métaboliques. Elles ont conscience de leur dépendance à la fois des rares pédiatres hyper spécialisés qui « ont sauvé » leur enfant et des plateaux techniques des hôpitaux dans lesquels ils sont pris en charge. En France, nous vivons aujourd'hui un tournant dans ce domaine, un certain nombre de collègues internistes adultes sont très intéressés par la prise en charge de ces jeunes et prêts à s'impliquer dans un travail de long cours avec les pédiatres spécialisés qui les ont jusqu'ici pris en charge.

Les obstacles venant des parents

Les parents partagent les craintes et les réticences de leurs adolescents malades, ils ne les estiment pas en mesure d'être autonomes, de se débrouiller dans les structures de soins pour adultes, de respecter des rendez-vous, et pensent parfois qu'ils pourraient continuer à jouer un rôle protecteur. Ils craignent souvent de se voir relayés à l'arrière-plan et de ne plus être considérés comme des interlocuteurs importants alors qu'ils continuent de représenter pour le jeune adulte malade un soutien le plus souvent indispensable [10].

La dynamique de la phase de transition

Le pédiatre, l'adolescent et sa famille ont à faire un travail personnel visant à la mise en perspective des enjeux réels à plus long terme. L'instauration dès le début de l'adolescence d'un style relationnel qui favorise son autonomie (le recevoir seul, respecter la confidentialité) est le premier moyen de préparer le terrain de la transition. Ce travail fait en priorité avec l'adolescent modifie également la place des parents (toujours interlocuteurs à part entière mais « en second ») et leur permet de mieux accepter le principe du relais et de leur part un certain changement de rôle. Dans ce travail relationnel, la perspective de cette transition mérite d'être abordée longtemps à l'avance (des mois, des années) avec l'adolescent et sa famille : le projet aura tout le temps de mûrir...

Valoriser la démarche, la présenter comme une expérience positive permet une meilleure projection dans un futur d'adulte. Dire que le milieu pédiatrique n'est pas nécessairement le meilleur pour un jeune adulte est déjà facteur de maturation. Il ne s'agit pas pour le pédiatre de laisser croire que l'on va organiser une prise en charge identique à celle qui était proposée jusque-là ; il faut clairement annoncer que « ce ne sera pas pareil », que ce sera « autrement » mais aussi et surtout expliciter pourquoi « c'est normal que ce soit autrement » [10]. La culture des pédiatres les porte plus naturellement à prendre en compte la croissance, le développement et les soucis de la famille, la culture des médecins d'adulte les porte davantage à considérer l'autonomie du patient, l'insertion dans la vie professionnelle, les problèmes de procréation. Les médecins d'adulte sont naturellement mieux placés que les pédiatres pour répondre aux questions qui se posent à l'âge adulte ; citons, entre autres exemples, la question de la stérilité dans la mucoviscidose.

Le devoir réciproque d'information

De la part du pédiatre, les informations sur la maladie seront au mieux transmises au correspondant adulte par la rédaction d'un document de synthèse plus que par la totalité des résumés souvent fastidieux et redondants... Prendre la peine de rédiger pour cette occasion un document original permet de mettre un point d'orgue final à notre prise en charge pédiatrique dont il représente une sorte d'acte testamentaire [10].

Les informations données sur le patient doivent être fournies en tenant compte du respect de la vie personnelle, de la confidentialité entretenue jusque-là avec l'adolescent ; autrement dit, il nous paraît souhaitable que le jeune adulte reste maître de la confidentialité concernant les éventuels avatars de son histoire personnelle qu'il reste libre de livrer ou non à son nouveau médecin.

De la part du médecin référent adulte, il est nécessaire que les pédiatres puissent attendre un retour d'information. Les pédiatres se plaignent, de cette absence de « retour » : une enquête faite en 1996 en Ile de France avait montré la pauvreté des relations médicales et l'insuffisance de transmission des informations entre les pédiatres et les diabétologues, et ceci malgré leur perception des enjeux du passage. Pour progresser, il appartient aux pédiatres de dire clairement aux médecin d'adultes ce qu'ils attendent de ce retour et d'être très explicites dans leurs exigences : il ne s'agit pas d'avoir de temps en temps des nouvelles d'un être cher parti au loin, mais de poser les bases d'une coopération avec les médecins d'adulte nous permettant de faire objectivement le bilan de l'action pédiatrique à long terme.

Au mieux , un véritable travail de recherche clinique sur ces patients et leur devenir à long terme peut permettre de souder les médecins d'enfants et d'adultes dans un projet fédérateur et gratifiant pour tous.

Le moment du transfert

Il est fonction de la maturité de l'adolescent, de sa famille plus que de l'âge civil ans... Certains moments sont meilleurs que d'autres : l'adolescent et sa famille paraissent mûrs, la maladie est en phase calme, la croissance et la puberté sont terminées, les problèmes personnels de l'adolescence s'estompent... On peut égaler profiter de certaines « opportunités » : fin de terminale, déménagement, début de vie en couple, voire départ à la retraite du pédiatre... Il y a aussi les « mauvais moments » : il faudrait éviter par exemple de faire ce passage pour des raisons de non-compliance dans une ambiance vécue comme punitive...

Que proposer pendant la phase de transition ?

Dans les programmes éducatifs de transition, les jeunes drépanocytaires expriment le vœu de suivre des programmes d'information et d'éducation sur la maladie (reconnaissance des signes précoces de crises, d'infection...). De fait, dans un travail nord-américain, 50 % des jeunes ne connaissaient pas leur type de drépanocytose SS ou SC, leur type d'assurance-maladie, le mode de transmission de la maladie.

Dans une enquête canadienne sur les patients adultes atteints de cardiopathie congénitale, un tiers d'entre eux s'avérait être totalement ignorant du type de leur cardiopathie et les deux-tiers des jeunes femmes n'avaient jamais discuté avec leur médecin des risques éventuels d'une future grossesse. Il n'est donc sûrement pas inutile de reprendre avec les adolescents de nouvelles explications sur la maladie, et de répondre à des questions nouvelles.

Pouvoir rencontrer leur futur médecin, rencontrer d'autres jeunes suivis par le même référent adulte choisi font partie des souhaits exprimés par les adolescents drépanocytaires et ces vœux pourraient être intégrés comme des objectifs de base de ces phases de transition dans toutes les maladies chroniques.

Le « passage du témoin »

Différentes formules ont pu se mettre en place en ce qui concerne les consultations : elles dépendent beaucoup des moyens humains disponibles et doivent s'appuyer dans un premier temps sur des structures existantes. Il peut s'agir de l'organisation de consultations par un médecin d'adultes venant en milieu pédiatrique, à l'inverse de consultations du pédiatre en milieu d'adultes, de l'association des deux formules, de l'organisation de consultations communes ou alternées. Chaque formule a ses avantages et ses inconvénients. Pour notre part nous avons trouvé important de programmer une ou deux consultations communes qui permettent de bien situer les objectifs et de répondre d'une seule voix aux questions : ces consultations concrétisent pour le jeune et sa famille la coopération dans ce relais médical. Elles sont bien sûr d'autant plus faciles à organiser qu'il existe une unité de lieu dans un hôpital accueillant à la fois les enfants et les adultes. La disponibilité des uns et des autres ne permet cependant généralement pas de poursuivre plus longtemps ces consultations communes. Il n'est pas sûr d'ailleurs que cela serait toujours souhaitable.

Les consultations alternées n'ont un intérêt que pendant un temps limité car au -delà il existe un risque d'ambiguïté dans la prise de responsabilité et dans la cohérence du langage tenu au patient et on court le risque que dans certains cas, le patient ne soit perdu... ou tenté d'en jouer.

Nous ne pouvons terminer cet éditorial sans évoquer le problème de la prise en charge en milieu adulte des jeunes souffrant d'un handicap neurologique et/ou cognitif. Les réticences des neurologues adultes, le déficit majeur de structures de soins adaptés nous laissent très souvent sans solution face à l'angoisse légitime des parents qui appréhendent tous ce passage à l'âge adulte. Tout, ou presque tout, reste à faire dans ce domaine.

Garder à l'esprit l'idée de souplesse dans ces phases de transition nous paraît fondamental : il faut imaginer en fonction de la pathologie, du nombre de patients à transférer, du caractère personnalisé du transfert versus le centre de soins spécialisé dans telle ou telle affection... L'exemple de la mucoviscidose illustre au mieux ce besoin. La nécessité de poursuivre à l'âge adulte un travail multidisciplinaire impliquant notamment pneumologues, gastroentérologues, kinésithérapeutes, l'importance des files actives a incité plus rapidement que dans d'autres domaines à rechercher des formules de soins multidisciplinaires [11]. Dans notre pays, une organisation de soins structurée en réseaux vient d'être mise en place sous la responsabilité de « centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose » (CRCM) situés en milieu hospitalier. Une des missions de ces CRCM est l'accompagnement des jeunes lors du transfert des centres pédiatriques vers les centres d'adulte. Même si de telles structures sont spécifiquement destinées à répondre aux besoins des jeunes atteints de mucoviscidose, leur expérience aura sûrement des retombées positives dans l'avenir sur la prise en charge d'autres maladies chroniques.

Conclusion

Au total, dans les deux premières situations envisagées dans notre exposé, il est apparu que, aussi bien à la période néonatale que plus tard dans l'enfance, le pédiatre avait parfois le privilège de détenir des clés ouvrant sur des diagnostics sur d'autres membres de la famille. Ces opportunités très particulières sont à saisir, autorisant le pédiatre à jouer un nouveau rôle, en devenant, pour un temps, « médecins d'adultes », en sortant alors - ponctuellement - de son emploi habituel, dans des circonstances privilégiées qu'il ne doit pas méconnaître.

Dans la troisième situation, le « passage du témoin » dans cette course de relais médecine d'adolescent - médecine d'adultes reste délicat ; il sera d'autant mieux vécu que le patient aura été traité avec un souci d'autonomisation progressive durant son adolescence sans pour autant laisser pour compte des parents dont la continuité du soutien reste le plus souvent indispensable pour le jeune adulte atteint de maladie chronique.

Bibliographie

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