Le pédiatre : médecin d'adultes
?
J.F. DOMMERGUES
Introduction
La mission du pédiatre est de soigner des
enfants et des adolescents. L'accomplissement de ce rôle implique un investissement
certain dans l'évaluation de la cellule familiale dans son ensemble, faisant
de la pédiatrie une médecine globale. Doit-il pour autant, devenir le
médecin des adultes formant cette constellation familiale ? Et si oui, dans
quelles circonstances et jusqu'à quel point ? Doit-il, pour autant, continuer
à suivre les patients adolescents lorsqu'ils atteignent l'âge adulte ?
C'est autour de ces questions que s'articule notre réflexion aujourd'hui.
Plusieurs circonstances sont à
envisager :
Dans le premier cas, dès la naissance,
les symptômes présentés par un nouveau-né évoquent une
maladie maternelle - que celle-ci soit transmise grâce aux échanges transplacentaires
(origine infectieuse, métabolique, nutritionnelle, auto-immune...) - ou qu'elle
soit imputable à une maladie héréditaire à identifier.
Le second cas est celui de l'impact
d'une maladie de l'enfance parfois oubliée d'autant que ses manifestations
cliniques en étaient essentiellement présentes dans l'enfance et qu'elles
se sont ensuite atténuées. Dans les deux cas, le pédiatre se trouve
détenteur d'informations essentielles pour la famille, notamment pour la santé
de la mère, soit dans l'immédiat, soit plus tard et notamment pour la
surveillance médicale spécifique de grossesses ultérieures éventuelles.
Doit-il alors se transformer - pour un temps - en médecin d'adultes
? Nous illustrerons quelques-unes de ces situations en voyant comment l'exercice
pédiatrique se doit de s'élargir aux autres membres de la cellule familiale
pour répondre aux exigences qui découlent de ces informations.
Le troisième cas a trait à
l'implication du pédiatre dans la santé des adolescents atteints de maladie
chronique lorsque ces patients ont atteint l'âge adulte : doit-il, et si oui,
comment « passer la main » ?
A la période néo-natale
Ne pouvant être exhaustif, nous avons choisi
trois exemples dans les domaines de la neurologie, du métabolisme phosphocalcique,
des maladies auto-immunes.
La maladie de Steinert
Le premier exemple emprunté à l'expérience
clinique des neuropédiatres et de la réanimation néonatale est celui
de la forme néonatale de la maladie de Steinert. La maladie maternelle était
jusque-là méconnue et la maladie du nouveau-né sert de « révélateur ».
Dans cette dystrophie myotonique autosomique dominante dont la forme congénitale
sévère est observée chez des nouveau-nés de mères atteintes
par la maladie, le diagnostic n'a le plus souvent pas été fait antérieurement
chez la mère. Le nouveau-né « révélateur »
se présente dans un tableau d'hypotonie généralisée avec détresse
respiratoire après une grossesse marquée par la diminution des mouvements
actifs fœtaux. La clé du diagnostic repose sur l'expression faciale figée
de la mère et sur sa poignet de main caractéristique en raison du retard
à la décontraction musculaire [1]. Cette poignée de main est lourde
de sens, ce diagnostic entraînant pour la mère des conséquences majeures
pour sa santé et ses éventuelles maternités.
Dans le domaine du métabolisme phosphocalcique et de
la nutrition
L'investigation persévérante d'une hypocalcémie
néonatale doit conduire à rechercher une maladie maternelle lorsque cette
hypocalcémie n'est pas de cause immédiatement évidente et que sa
durée excède la première semaine de vie. Le pédiatre doit être
partie prenante de la démarche méthodologique concernant le diagnostic
de l'affection maternelle. Les investigations doivent comporter des dosages de calcémie,
phosphorémie, phosphatases alcalines, de 25 OHD3 et de parathormone pour dépister
une hyperparathyroidie maternelle latente, en rapport avec un adénome parathyroïdien
[2], une carence calcique ou en vitamine D.
Dans la situation « en miroir »
plus rarement rencontrée d'une hypercalcémie néonatale inexpliquée,
le pédiatre doit rechercher à l'inverse une hypoparathyroïdie maternelle.
Dans ces deux situations évoquées,
il peut s'agir d'une anomalie génétique portant sur le récepteur
sensible au calcium et aboutissant selon les cas à une inactivation ou à
une surexpression de ce récepteur, comme cela a été démontré
dans l'hypercalcémie familiale bénigne [3]. Le diagnostic est important
à faire pour éviter toute démarche médicale invasive. D'autres
éventualités sont possibles comme dans le cas clinique que nous exposons
qui illustre une situation particulière de pathologie « mère-enfant »
métabolique et nutritionnelle.
Cas clinique
L'enfant A. est né au terme d'une grossesse
marquée par un retard de croissance intra-utérin majeur (poids de naissance
1,560 kg au terme de 39 semaines). Le nouveau-né frappait par son hypotonie
globale, des trémulations diffuses, des pauses respiratoires conduisant à
un transfert en réanimation à quelques heures de vie. L'examen clinique
montrait un craniotabès et les radios osseuses une ostéopénie marquée.
Le bilan biologique permettait de découvrir une hypocalcémie et une hypophosphorémie
profonde. Les anomalies biologiques se normalisaient en une dizaine de jours, sous
perfusion calcique et supplémentation vitaminique D. On observait une reminéralisation
squelettique progressive avec une courbe de rattrapage staturopondérale dans
la première année de vie - avec des apports standart de calcium
et de vitamine D. La réversibilité de tous les troubles suggérait
une pathologie nutritionnelle maternelle et le bilan biologique demandé pour
la mère révélait une hypocalcémie, une hypophosphorémie,
une carence en vitamine D. La coexistence avec une anémie hypochrome conduisait
à la recherche d'une malabsorption et une intolérance au gluten était
confirmée par la présence d'anticorps spécifiques avec atrophie villositaire
totale. Le régime sans gluten a entraîné une amélioration spectaculaire
de la santé de la mère et une normalisation des anomalies biologiques.
Cette observation de grossesse menée
à terme chez une femme atteinte d'intolérance au gluten non diagnostiquée
est exceptionnelle, l'infertilité ou la répétition de fausses couches
étant presque la règle dans ces cas [4] mais elle illustre la démarche
active que nous voulons défendre. La carence calcique majeure du nouveau-né
- inexpliquée - a permis de découvrir une forme pauci-symptomatique d'intolérance
au gluten chez la mère. De rares cas de rachitismes néonatals, révélateurs
de situations de grandes carences d'apport vitaminocalcique maternelles ne sont
plus rapportés aujourd'hui que dans certains pays connaissant de graves problèmes
de malnutrition.
Cette recherche d'une maladie maternelle
doit être encore renforcée en cas d'anomalies métaboliques frappant
de façon identique plusieurs nouveau-nés appartenant à la même
fratrie. La littérature fait état d'observations d'adénomes parathyroïdiens
pour lesquels la répétition insolite d'accidents hypocalcémiques
néonatals dans une même fratrie a donné l'alerte. Le pédiatre
se doit donc d'être particulièrement vigilant et pugnace pour veiller
à ce que une exploration biologique suffisamment poussée soit faite chez
ces mères en ne se contentant pas du seul dosage de la calcémie qui peut
être ponctuellement normal dans certains cas authentiques d'hyperparathyroïdie,
notamment s'il existe une carence en vitamine D associée chez la mère.
Dans le domaine de la pathologie auto-immune
Nous avons choisi l'exemple des affections auto-immunes
de type lupus et/ ou autre connectivite apparentée.
De nombreux cas de bloc auriculoventriculaire
néonatals sont décrits chez les nouveau-nés de mère lupique.
Le lupus maternel peut être méconnu et les troubles de conduction du nouveau-né
être révélateurs [5]. Ces nouveau-nés sont porteurs d'anticorps
anti RO/SSA d'origine maternelle agissant sur les voies de conduction cardiaque.
Le diagnostic du LED maternel est parfois
facile à faire devant des signes évocateurs cutanés et\ou articulaires
mais il s'agit de cas paucisymptomatiques, ou totalement latents ; le suivi à
long terme de ces mères permet d'assister après quelques années dans
un pourcentage important de cas à l'émergence clinique d'une pathologie
de type connectivite auto-immune. Convaincre ces mères de la nécessité
d'un suivi pour elles-mêmes auprès d'un interniste d'adultes fait donc
partie de notre rôle de « pédiatre-médecin d'adultes ».
La réévaluation d'une maladie de l'enfance
Les thrombopénies chroniques immunes de l'enfance
Le passage transplacentaire d'anticorps antiplaquettaires
persistant malgré la rémission de la thrombopénie maternelle peut
être responsable d'une thrombopénie néonatale. La considération
à porter à des antécédents de thrombopénie dans l'enfance
de la mère est parfois décisive dans la compréhension d'une thrombopénie.
Dans certains cas, il peut s'agir de mères ayant des antécédents
de thrombopénie aiguë ou chronique, maladie oubliée car en rémission
depuis de nombreuses années, spontanément ou à la faveur d'une splénectomie.
Parfois même, le chiffre de plaquettes est normal chez la mère grâce
à une thrombolyse compensée dont l'étude isotopique plaquettaire
pourrait apporter la preuve [6]. Le rôle du pédiatre sera de retrouver
et d'exploiter cette anamnèse remontant à l'enfance et de la « faire
parler ».
Le risque infectieux après splénectomie
Une circonstance particulière d'intervention
justifiée du pédiatre dans la santé des adultes de la famille nous
paraît être celle des affections hématologiques constitutionnelles
ayant entraîné des splénectomies dans l'enfance. Nous sommes régulièrement
amenés - le plus souvent à l'occasion d'un diagnostic de sphérocytose
héréditaire chez un jeune enfant - à dresser un arbre généalogique
sur deux à quatre générations - dans lequel un nombre parfois
impressionnants de patients adultes porteurs de l'affection ont été splénectomisés
dans l'enfance. Cette splénectomie a été effectuée à une
époque où ce geste chirurgical était systématique devant toute
sphérocytose, même parfaitement bien tolérée - époque
à laquelle les risques infectieux à long terme d'infections bactériennes
invasives fulminantes étaient inconnus. On sait aujourd'hui que ces risques
persistent toute la vie, mais ce danger reste encore peu connu d'un grand nombre
de médecins et la prophylaxie anti-infectieuse en est mal prise en charge [7].
Instruit de ce risque, le pédiatre se doit de faire bénéficier l'ensemble
des membres de la famille splénectomisés , d'une prophylaxie anti-infectieuse,
quel que soit leur âge, comme le montre l'histoire suivante...
L'histoire de la famille D. est exemplaire.
L'enfant J.D., âgé de quatre est adressé pour l'exploration d'une
splénomégalie. Les examens biologiques permettent de poser le diagnostic
de sphérocytose héréditaire. La reconstitution de l'arbre généalogique
montre que le père, un oncle paternel, la grand-mère maternelle ont été
splénectomisés dans l'enfance dès la découverte de l'affection.
Sur nos conseils, le père et l'oncle bénéficient d'une vaccination
anti-pneumococcique par leur médecin traitant. Deux mois plus tard, lors d'une
nouvelle consultation, on apprend le décès de la grand-mère maternelle,
non vaccinée, âgée de 52 ans, splénectomisée 40 ans plus
tôt, " jamais malade ", dans un tableau d'infection fulminante à pneumocoques...
Le relais entre pédiatres et médecins d'adulte
Les progrès médicaux concernant les
maladies chroniques ont permis à la majorité des adolescents qui en sont
atteints de devenir des adultes (par exemple aujourd'hui le tiers des patients atteints
de mucoviscidose est constitué de jeunes adultes) pour lesquels le passage
de responsabilité du pédiatre au médecin d'adultes a été
l'objet de mises au point récentes [8-10]. Dans un premier temps, le pédiatre
peut être tenté de poursuivre la prise en charge et ceci pour une multitude
de « bonnes raisons ».
Mettre fin à des liens souvent
très forts noués entre l'enfant, l'adolescent et sa famille n'est pas
facile ; l'investissement personnel du pédiatre est d'autant plus fort que
ces liens se sont tissés depuis de nombreuses années.
Le pédiatre est d'autant plus
tenté de prolonger la prise en charge que persistent des problèmes de
développement (retard de croissance, retard pubertaire, atteinte cognitive)
qui lui paraissent relever de la compétence pédiatrique.
Dans certains cas, l'expérience
des médecins d'adultes est faible, voire inexistante pour certaines affections
rares dans lesquelles l'espérance de vie ne dépassait pas jusqu'ici la
période de l'adolescence et le pédiatre est alors naturellement conduit
à prolonger sa prise en charge... Enfin l'intérêt scientifique pour
le devenir à l'âge adulte des affections chroniques de l'enfant peut inviter
les pédiatres à prolonger le suivi pour recueillir des informations propres
à leur permettre une « auto-évaluation » à long
terme de leur action.
Les craintes des malades adolescents
Les mêmes craintes peuvent être partagées
par l'adolescent et sa famille : peur de l'inconnu, peur de perdre une relation
privilégiée. L'adolescent peut avoir l'impression d'être « lâché »
à un moment critique où il perçoit une aggravation actuelle ou à
venir de sa maladie et il éprouve alors un véritable sentiment d'abandon.
La crainte que les motivations des médecins d'adultes ne soient pas à
la hauteur des exigences des jeunes en matière d'intérêt sur leur
qualité de vie, leurs préoccupations personnelles est explicitement exprimée
par les adolescents malades. Plusieurs études se sont intéressées
aux inquiétudes, aux attentes et aux besoins de jeunes drépanocytaires
: ceux-ci expriment leur inquiétude à quitter une structure familière,
un endroit confortable, un centre fréquenté depuis la naissance, leur
crainte d'être confié à un médecin d'adultes qui serait peu
familier des soins aux drépanocytaires. Il est vrai que les consultations et
les hospitalisations pédiatriques se sont toujours passé dans un milieu
maternant, hautement féminisé. Le changement d'environnement peut être
facteur de déstabilisation pour un jeune adulte habitué à être
protégé, et ce d'autant que cette transition n'aurait pas été
préparé par une prise en charge spécifique à l'adolescence visant
à préparer cette autonomie.
Côtoyer en consultation ou en
hospitalisation des adultes atteints de la même affection et parfois dans un
état de santé très dégradé préfigurant ce qui risque
de leur arriver, côtoyer des vieillards malades représentent des épreuves
dont parlent beaucoup de malades lors de leur passage en milieu adulte. Des craintes
plus spécifiques sont exprimées selon les maladies en cause. Pour les
adolescents mucoviscidosiques non encore touchés par les surinfections pulmonaires
à Pseudomonas, la crainte d'être contaminé dans un environnement
adulte à risque plus élevé de transmission est fondée sur un
risque réel.
Les obstacles liés à la maladie
Le relais sera d'autant plus facile qu'il existe
des spécialistes d'organe de la même discipline médicale en médecine
adulte, le médecin relais étant alors d'emblée apte à faire
face aux aspects techniques spécifiques de la maladie. Le meilleur exemple
en a été fourni par le diabète : la fin des querelles liées
aux différences historiques de conception entre pédiatres et médecins
d'adultes a été le préalable, le pré-requis indispensable pour
une cohérence de prise en charge et pour l'établissement d'un contrat
crédible.
Le cas le plus difficile est représenté
par les maladies héréditaires du métabolisme. Toutes les raisons
pour pérenniser la prise en charge pédiatrique sont a priori réunies
devant ces maladies le plus souvent révélées tôt dans les premières
années de vie, très souvent avant l'âge de deux ans et parfois dès
la période néonatale. Les patients et leur famille ont une perception
aiguë de la fragilité de leur enfant et ont pu faire l'expérience
de l'ignorance de l'immense majorité des médecins, de la gravité
et de la rapidité des décompensations métaboliques. Elles ont conscience
de leur dépendance à la fois des rares pédiatres hyper spécialisés
qui « ont sauvé » leur enfant et des plateaux techniques
des hôpitaux dans lesquels ils sont pris en charge. En France, nous vivons
aujourd'hui un tournant dans ce domaine, un certain nombre de collègues internistes
adultes sont très intéressés par la prise en charge de ces jeunes
et prêts à s'impliquer dans un travail de long cours avec les pédiatres
spécialisés qui les ont jusqu'ici pris en charge.
Les obstacles venant des parents
Les parents partagent les craintes et les réticences
de leurs adolescents malades, ils ne les estiment pas en mesure d'être autonomes,
de se débrouiller dans les structures de soins pour adultes, de respecter des
rendez-vous, et pensent parfois qu'ils pourraient continuer à jouer un rôle
protecteur. Ils craignent souvent de se voir relayés à l'arrière-plan
et de ne plus être considérés comme des interlocuteurs importants
alors qu'ils continuent de représenter pour le jeune adulte malade un soutien
le plus souvent indispensable [10].
La dynamique de la phase de transition
Le pédiatre, l'adolescent et sa famille ont
à faire un travail personnel visant à la mise en perspective des enjeux
réels à plus long terme. L'instauration dès le début de l'adolescence
d'un style relationnel qui favorise son autonomie (le recevoir seul, respecter la
confidentialité) est le premier moyen de préparer le terrain de la transition.
Ce travail fait en priorité avec l'adolescent modifie également la place
des parents (toujours interlocuteurs à part entière mais « en
second ») et leur permet de mieux accepter le principe du relais et de
leur part un certain changement de rôle. Dans ce travail relationnel, la perspective
de cette transition mérite d'être abordée longtemps à l'avance
(des mois, des années) avec l'adolescent et sa famille : le projet aura tout
le temps de mûrir...
Valoriser la démarche, la présenter
comme une expérience positive permet une meilleure projection dans un futur
d'adulte. Dire que le milieu pédiatrique n'est pas nécessairement le meilleur
pour un jeune adulte est déjà facteur de maturation. Il ne s'agit pas
pour le pédiatre de laisser croire que l'on va organiser une prise en charge
identique à celle qui était proposée jusque-là ; il faut clairement
annoncer que « ce ne sera pas pareil », que ce sera « autrement »
mais aussi et surtout expliciter pourquoi « c'est normal que ce soit autrement »
[10]. La culture des pédiatres les porte plus naturellement à prendre
en compte la croissance, le développement et les soucis de la famille, la culture
des médecins d'adulte les porte davantage à considérer l'autonomie
du patient, l'insertion dans la vie professionnelle, les problèmes de procréation.
Les médecins d'adulte sont naturellement mieux placés que les pédiatres
pour répondre aux questions qui se posent à l'âge adulte ; citons,
entre autres exemples, la question de la stérilité dans la mucoviscidose.
Le devoir réciproque d'information
De la part du pédiatre, les informations
sur la maladie seront au mieux transmises au correspondant adulte par la rédaction
d'un document de synthèse plus que par la totalité des résumés
souvent fastidieux et redondants... Prendre la peine de rédiger pour cette
occasion un document original permet de mettre un point d'orgue final à notre
prise en charge pédiatrique dont il représente une sorte d'acte testamentaire
[10].
Les informations données sur le
patient doivent être fournies en tenant compte du respect de la vie personnelle,
de la confidentialité entretenue jusque-là avec l'adolescent ; autrement
dit, il nous paraît souhaitable que le jeune adulte reste maître de la
confidentialité concernant les éventuels avatars de son histoire personnelle
qu'il reste libre de livrer ou non à son nouveau médecin.
De la part du médecin référent
adulte, il est nécessaire que les pédiatres puissent attendre un retour
d'information. Les pédiatres se plaignent, de cette absence de « retour »
: une enquête faite en 1996 en Ile de France avait montré la pauvreté
des relations médicales et l'insuffisance de transmission des informations
entre les pédiatres et les diabétologues, et ceci malgré leur perception
des enjeux du passage. Pour progresser, il appartient aux pédiatres de dire
clairement aux médecin d'adultes ce qu'ils attendent de ce retour et d'être
très explicites dans leurs exigences : il ne s'agit pas d'avoir de temps en
temps des nouvelles d'un être cher parti au loin, mais de poser les bases d'une
coopération avec les médecins d'adulte nous permettant de faire objectivement
le bilan de l'action pédiatrique à long terme.
Au mieux , un véritable travail
de recherche clinique sur ces patients et leur devenir à long terme peut permettre
de souder les médecins d'enfants et d'adultes dans un projet fédérateur
et gratifiant pour tous.
Le moment du transfert
Il est fonction de la maturité de l'adolescent,
de sa famille plus que de l'âge civil ans... Certains moments sont meilleurs
que d'autres : l'adolescent et sa famille paraissent mûrs, la maladie est en
phase calme, la croissance et la puberté sont terminées, les problèmes
personnels de l'adolescence s'estompent... On peut égaler profiter de certaines
« opportunités » : fin de terminale, déménagement,
début de vie en couple, voire départ à la retraite du pédiatre...
Il y a aussi les « mauvais moments » : il faudrait éviter
par exemple de faire ce passage pour des raisons de non-compliance dans une ambiance
vécue comme punitive...
Que proposer pendant la phase de transition ?
Dans les programmes éducatifs de transition,
les jeunes drépanocytaires expriment le vœu de suivre des programmes d'information
et d'éducation sur la maladie (reconnaissance des signes précoces de crises,
d'infection...). De fait, dans un travail nord-américain, 50 % des jeunes ne
connaissaient pas leur type de drépanocytose SS ou SC, leur type d'assurance-maladie,
le mode de transmission de la maladie.
Dans une enquête canadienne sur
les patients adultes atteints de cardiopathie congénitale, un tiers d'entre
eux s'avérait être totalement ignorant du type de leur cardiopathie et
les deux-tiers des jeunes femmes n'avaient jamais discuté avec leur médecin
des risques éventuels d'une future grossesse. Il n'est donc sûrement pas
inutile de reprendre avec les adolescents de nouvelles explications sur la maladie,
et de répondre à des questions nouvelles.
Pouvoir rencontrer leur futur médecin,
rencontrer d'autres jeunes suivis par le même référent adulte choisi
font partie des souhaits exprimés par les adolescents drépanocytaires
et ces vœux pourraient être intégrés comme des objectifs de base
de ces phases de transition dans toutes les maladies chroniques.
Le « passage du témoin »
Différentes formules ont pu se mettre en
place en ce qui concerne les consultations : elles dépendent beaucoup des moyens
humains disponibles et doivent s'appuyer dans un premier temps sur des structures
existantes. Il peut s'agir de l'organisation de consultations par un médecin
d'adultes venant en milieu pédiatrique, à l'inverse de consultations du
pédiatre en milieu d'adultes, de l'association des deux formules, de l'organisation
de consultations communes ou alternées. Chaque formule a ses avantages et ses
inconvénients. Pour notre part nous avons trouvé important de programmer
une ou deux consultations communes qui permettent de bien situer les objectifs et
de répondre d'une seule voix aux questions : ces consultations concrétisent
pour le jeune et sa famille la coopération dans ce relais médical. Elles
sont bien sûr d'autant plus faciles à organiser qu'il existe une unité
de lieu dans un hôpital accueillant à la fois les enfants et les adultes.
La disponibilité des uns et des autres ne permet cependant généralement
pas de poursuivre plus longtemps ces consultations communes. Il n'est pas sûr
d'ailleurs que cela serait toujours souhaitable.
Les consultations alternées n'ont
un intérêt que pendant un temps limité car au -delà il
existe un risque d'ambiguïté dans la prise de responsabilité et dans
la cohérence du langage tenu au patient et on court le risque que dans certains
cas, le patient ne soit perdu... ou tenté d'en jouer.
Nous ne pouvons terminer cet éditorial
sans évoquer le problème de la prise en charge en milieu adulte des jeunes
souffrant d'un handicap neurologique et/ou cognitif. Les réticences des neurologues
adultes, le déficit majeur de structures de soins adaptés nous laissent
très souvent sans solution face à l'angoisse légitime des parents
qui appréhendent tous ce passage à l'âge adulte. Tout, ou presque
tout, reste à faire dans ce domaine.
Garder à l'esprit l'idée
de souplesse dans ces phases de transition nous paraît fondamental : il faut
imaginer en fonction de la pathologie, du nombre de patients à transférer,
du caractère personnalisé du transfert versus le centre de soins spécialisé
dans telle ou telle affection... L'exemple de la mucoviscidose illustre au mieux
ce besoin. La nécessité de poursuivre à l'âge adulte un travail
multidisciplinaire impliquant notamment pneumologues, gastroentérologues, kinésithérapeutes,
l'importance des files actives a incité plus rapidement que dans d'autres domaines
à rechercher des formules de soins multidisciplinaires [11]. Dans notre pays,
une organisation de soins structurée en réseaux vient d'être mise
en place sous la responsabilité de « centres de ressources et de
compétences de la mucoviscidose » (CRCM) situés en milieu hospitalier.
Une des missions de ces CRCM est l'accompagnement des jeunes lors du transfert des
centres pédiatriques vers les centres d'adulte. Même si de telles structures
sont spécifiquement destinées à répondre aux besoins des jeunes
atteints de mucoviscidose, leur expérience aura sûrement des retombées
positives dans l'avenir sur la prise en charge d'autres maladies chroniques.
Conclusion
Au total, dans les deux premières situations
envisagées dans notre exposé, il est apparu que, aussi bien à la
période néonatale que plus tard dans l'enfance, le pédiatre avait
parfois le privilège de détenir des clés ouvrant sur des diagnostics
sur d'autres membres de la famille. Ces opportunités très particulières
sont à saisir, autorisant le pédiatre à jouer un nouveau rôle,
en devenant, pour un temps, « médecins d'adultes », en
sortant alors - ponctuellement - de son emploi habituel, dans des circonstances
privilégiées qu'il ne doit pas méconnaître.
Dans la troisième situation, le
« passage du témoin » dans cette course de relais médecine
d'adolescent - médecine d'adultes reste délicat ; il sera d'autant
mieux vécu que le patient aura été traité avec un souci d'autonomisation
progressive durant son adolescence sans pour autant laisser pour compte des parents
dont la continuité du soutien reste le plus souvent indispensable pour le jeune
adulte atteint de maladie chronique.
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