Les 7 erreurs en nutrition du nouveau-né,
du nourrisson, de l'enfant et de l'adolescent
JF. DUHAMEL*, M. LAURANS*, A. ARION*, I. SEVIN*,
J. BROUARD*
L'exercice qui consiste à relever
lors de consultations ou hospitalisations en Pédiatrie, les erreurs dans l'apport
nutritionnel quantitatif ou qualitatif est difficile et quelque peu présomptueux
: difficile car il faut rapidement en notant les apports journaliers les
traduire en Kcalories, grammes, mg ou μg et rapporter ces valeurs aux recommandations
pour l'âge, le poids, le sexe et à l'activité, présomptueux
car le relevé même précis et parfois écrit de la famille ou
de l'enfant ne peut être accepté comme tel, que s'il reflète l'apport
moyen sur une semaine alors que les approximations quantitatives et qualitatives
sont obligatoirement nombreuses.
Néanmoins, cet exercice est nécessaire
d'autant qu'il s'agit d'un organisme en croissance et qu'en France comme en Europe
occidentale et en Amérique du Nord, les excès et plus rarement, les insuffisances
nutritionnelles sont de plus en plus nombreuses.
Dans ce cadre, nous avons essayé
de dégager aux différents âges de l'enfant et en l'absence de pathologie
aiguë ou chronique majeure, les erreurs qui pourront être à l'origine
de difficultés certaines. Ceci intéresse le nouveau-né, prématuré
ou à terme, le nourrisson, l'enfant et l'adolescent.
Le nouveau-né
Pour lui et en excluant les prématurés
de poids de naissance inférieur à 1 500 g, la première
erreur est de ne pas proposer l'allaitement maternel. Le lait de sa mère
place en effet le nouveau-né, sur le plan nutritionnel et de prévention
allergique comme sur le plan immunitaire, dans les conditions les plus favorables
hormis bien sûr les rares situations de contre-indications liées à
une pathologie maternelle sévère avec ou sans administration de médicaments
agressifs pour le nouveau-né, de rares pathologies métaboliques du nouveau-né
comme la galactosémie ou un trouble du cycle de l'urée et d'exceptionnels
problèmes mammaires. Il faut y ajouter, bien entendu, le tabagisme ou alcoolisme
maternel et la consommation de drogues.
Quelques nuances et informations récentes
doivent être apportées.
Des nuances d'abord car si indiscutablement
sur le plan nutritionnel, le lait de femme est inégalé, il faut reconnaître
que des progrès considérables ont été apportés à la
composition des préparations artificielles les plus récentes, réduction
de la charge protéïque, enrichissement en acides gras essentiels et poly-insaturés
à longue chaîne (PUFA), adaptation des apports minéraux et en micro-nutriments.
Sur le plan immunitaire également,
des avancées significatives sont apparues avec l'enrichissement en probiotiques
et en prébiotiques ; si sur ce plan, des évolutions sont encore à
prévoir, une étape importante a été franchie.
Pour les informations récentes
et les interrogations, on peut citer les travaux de B. SALLE et al quant
aux nécessaires supplémentations en vitamine D mais aussi A, E et C dès
la naissance et même à terme (1, 2).
La présence de l'acide docosahexaenoïque
dans le lait de femme et son rôle dans le développement de la vision et
du système nerveux semblent se confirmer (3, 4).
Le bénéfice de l'allaitement
maternel apparaît encore à d'autre niveaux : prévention de pathologies
allergiques telles l'asthme (5), la rhinite allergique (6) et probablement aussi
les dermatites atopiques (7).
En complément, l'allaitement maternel
semble réduire les risques de voir apparaître une maladie coeliaque (8),
il pourrait aussi avoir un effet protecteur quant au risque d'obésité
et ceci pour des raisons de composition, mais peut être aussi du contenu hormonal
(9), enfin l'allaitement maternel semble également réduire les risques
de mort subite du nourrisson (10).
D'autres travaux récents confirment
la responsabilité majeure de l'allaitement maternel dans la transmission du
virus HIV 1 (11).
Compte tenu de l'ensemble de ces données,
il est difficile de comprendre la place modeste de l'allaitement maternel en France
en comparaison de celle publiée dans d'autres pays européens et en particulier,
Scandinaves tant à la sortie de la maternité 50 % que dans la durée
de l'allaitement exclusif 10 semaines.
Ce dernier point est d'une grande importance
dans notre pays : compte tenu de notre sociologie et des lois sociales, quelle durée
recommander ? Il ressort d'une étude récente comportant trois mois versus
six mois d'allaitement exclusif qu'en regard des risques de pathologie digestive,
six mois seraient la meilleure proposition ; ceci conforte les recommandations de
l'OMS (12).
La seconde erreur est plus spécifique
au nouveau-né prématuré.
Beaucoup de pédiatres n'ont pas
intégré que le rattrapage staturo-pondéral des prématurés
doit également intégrer la notion de composition corporelle. Ainsi, le
prématuré dont la croissance pondérale devrait atteindre 18 à
20g/kg/jour doit pour cela recevoir, après quelques semaines de vie, 130 à
135 kcal/kg avec 3 à 3,5g/kg de protéines et un enrichissement en acides
gras polyinsaturés à longue chaîne, avec un complément d'apports
en calcium, phosphore et magnésium, en oligoéléments et en vitamines
pour ceux recevant du lait de femme.
La nécessité de ces compléments
caloriques minéraux et en micronutriments ont été démontrés
en France par l'équipe de B. SALLE, elle reste pourtant insuffisamment suivie.
Nous devons en particulier insister
sur la nécessité de supplémentations en vitamines liposolubles et
ceci quel que soit le mode d'alimentation (13), en fer même pour ceux traités
par l'érythropoïetine (14) et en zinc (15). Pour le nouveau-né avec
un retard de croissance intra-utérin, le lait de femme semble avoir, comme
chez le nouveau-né à terme, un impact sur le développement cognitif,
les auteurs proposent ici aussi 24 semaines d'allaitement (16).
Les troisième et quatrième
erreurs : intéressent le nourrisson. Il s'agit d'une part de la réduction
trop rapide du nombre de repas, de l'autre d'une diversification trop précoce.
Compte tenu de la biologie du développement
du tube digestif, il est souhaitable de respecter pour le nombre de repas la règle
de 6 repas jusqu'à un poids de 5 kg, de 5 repas de 5 à 8 kg puis de 4
repas.
Pour la diversification, que le nourrisson
soit allaité ou sous alimentation artificielle, aucune diversification n'est
souhaitable avant 4 ou 6 mois. Elle doit dans tous les cas être progressive
et doit écarter initialement les aliments les plus responsables d'une intolérance
ou d'allergie (17).
Il faut par ailleurs respecter les
règles d'utilisation des laits de suite jusqu'à l'âge d'un an, d'une
supplémentation systématique en vitamine D quel que soit aussi le mode
d'alimentation et de l'adjonction de fluor dès la naissance quand la concentration
du fluor dans l'eau est inférieure à 0,3 mg/l (18).
Chez l'enfant
Après l'âge de trois ans et l'abandon
du lait de croissance, il faut rester attentif à l'apport en laitages donc
en calcium, en fer donc en viande et en poisson. En règle, entre 3 et 10 ans,
période de croissance très progressive, les erreurs sont moins fréquentes
que chez le nourrisson et l'adolescent.
L'adolescent et surtout l'adolescente
cumulent les risques des trois dernières erreurs :
Apports insuffisants en fer, en
calcium et en vitamine D (19, 20, 21).
Pour le fer d'abord, si une étude
européenne récente situe la carence à 7,2 % à l'âge de
12 mois, après 10 ans chez l'adolescent et surtout l'adolescente, les niveaux
de déficits sont plus élevés en raison d'un apport insuffisant d'une
part et d'une majoration des besoins de l'autre.
C'est ainsi que dans notre pays, comme
dans ceux qui nous entourent, les niveaux des carences se situent à environ
15 % chez les garçons et à 20 à 25 % dans le sexe féminin ;
les conséquences apparaissent au niveau physique, immunitaire mais aussi intellectuel
et méritent prévention ou traitement (22).
Pour le calcium, il faut d'abord souligner
que l'AFSSA en 2001 a relevé les apports recommandés en calcium de 1 000
à 1 200mg/jour dès l'âge de 10 ans.
Les enquêtes récentes effectuées
en France en milieu rural ou urbain ont montré que si chez les garçons,
les apports en calcium sont le plus souvent corrects, chez les jeunes filles, au
contraire, 25 % au moins d'entre elles ont des apports insuffisants (20). L'erreur
est donc ici très significative.
Enfin, reste toujours chez le préadolescent
et l'adolescent le problème de la vitamine D. Ici aussi, plusieurs études
concordantes ont mis en évidence dans les deux sexes même en fin de l'été
un niveau de 25 OH D inférieur à 10 ng/ml chez 20 % et même inférieur
à 6 ng/ml chez 10 % (21). Ceci souligne l'intérêt d'administrer des
doses de charges de cholecalciferol (D3) 100 000 unités en octobre et éventuellement
aussi en février ou mars chez ces enfants en phase de croissance rapide. ou
à la peau pigmentée.
Conclusion
Voilà sept des principales erreurs à
rechercher lors de nos consultations pédiatriques. Bien sûr, certains
pourraient ajouter que d'autres aspects méritent attention, insuffisance des
apports en fruits et légumes, contrôle insuffisant de la composition des
repas dans les cantines, place croissante de la restauration rapide. Tout ceci est
exact et s'ajoute aux données précédentes. Mon message se devait
d'être bref. C'et la raison pour laquelle j'ai retenu en première ligne,
les sept erreurs dont les conséquences sont plus néfastes.
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CHU Clémenceau - Caen 14000 - France.
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