LA MÉNOPAUSE ET LA FEMME DE PLUS DE 60 ANS
hormonothérapie substitutive et système nerveux
L. BOUBLI, C. D'ERCOLE, B. BLANC, M. KONTOSTOLIS et L. CRAVELLO
L'hormonothérapie de la ménopause vise à supprimer les conséquences de la faillite
ovarienne. Cette substitution hormonale agit favorablement sur la qualité de la vie en
évitant les effets secondaires gênants de la privation hormonale (bouffées de chaleur)
mais elle vise surtout à prévenir les conséquences graves de la privation estrogénique
au premier rang desquelles figurent l'ostéoporose et la pathologie coronarienne. Au plan
social, les enjeux sont très importants du fait de l'augmentation de l'espérance de vie
des femmes : la possibilité de préserver l'intégration sociale est facilitée par cette
hormonosubstitution.
L'évolution est cependant menacée par les conséquences neurologiques et
psychiatriques du vieillissement et la pathologie dégénérative du système nerveux
central. Dans cette perspective, la place de l'hormonosubstitution mérite d'être
analysée.
SYSTèME NERVEUX ET MéNOPAUSE
Les modifications sont souvent plus liées à l'âge et au vieillissement qu'à
l'hormono privation. En particulier, un certain degré d'atrophie cérébrale s'installe
du fait de la déperdition neuronale.
Objectivement, l'effondrement des taux hormonaux s'accompagne d'une hypertrophie des
neurones infundibulaires [19]. Cette modification morphologique va de pair avec une
augmentation de l'expression des gènes codant pour certains neurotransmetteurs
(neurokinin B et substance PMA) [20]. Ces modifications sont liées au rétrocontrôle
résultant de la chute des taux hormonaux.
LA PATHOLOGIE
Le système nerveux central est menacé par diverses pathologies regroupées
essentiellement en deux entités :
- les conséquences de l'atteinte vasculaire peuvent résulter de deux types d'atteinte
:
- les hémorragies sont souvent aiguës et liées électivement à l'hypertension
artérielle ;
- les manifestations thrombo emboliques peuvent s'installer plus progressivement et
sont sous-tendues par un terrain à risque métabolique. Les accidents vont récidiver et
vont aboutir à une dégradation de plus en plus marquée. La symptomatologie est bien sur
fonction des territoires impliqués.
- la pathologie dégénérative primitive est surtout représentée par la maladie
d'Alzheimer [15]. C'est la plus fréquente des démences (270 000 sujets atteints en
France), touchant jusqu'à 40 % des sujets de plus de 80 ans.C'est une démence
progressive associée à une perte neuronale. Les troubles de mémoire sont souvent les
premiers signes consistant surtout en une altération de la mémoire secondaire (mettant
en jeu l'hippocampe). Les troubles du langage sont caractéristiques : manque du mot avec
dissociation automatico volontaire aboutissant à une aphasie transcorticale sensorielle.
Les troubles praxiques sont associés : commençant par une perturbation de l'espace
euclidien (apraxie constructive) puis de l'espace centré par le corps (apraxie
idéomotrice). Troubles gnosiques et manifestations psychiatriques viennent compléter le
tableau clinique. Les lésions neuropathologiques sont dominées par la perte neuronale
débutant au niveau de l'hippocampe et entraînant la disparition de 40 à 60 % des grands
neurones pyramidaux. Le substratum est une dégénérescence neuro fibrillaire sous forme
de filaments situés dans le péricaryon des neurones, constitués de protéines tau,
composant du cytosquelette anormalement phoshorylé. L'hormonodépendance peut être
évoquée devant la forte prévalence féminine de l'affection surtout après 65 ans
Il pourrait également s'agir de la perte d'un pouvoir protecteur des estrogènes. Des
formes mixtes peuvent aussi exister associant lésions dégénératives et séquelles
vasculaires. D'autres étiologies peuvent être impliquées, en particulier thyroïdiennes
[2].HORMONOTHéRAPIE ET SYSTèME NERVEUX
Les interactions entre système nerveux et estrogènes se manifestent très
précocement dès la vie intra-utérine [14]. Les mécanismes régissant l'interaction
croissance nerveuse et estrogènes sont encore mal connus. L'imprégnation hormonale
modifie le comportement du fait d'une action directe sur le système nerveux central. Une
expérience de transfection sur des lignées cellulaires (PC12-WT, SER8, AR8) a permis
d'objectiver cette action hormonale. L'estradiol parait plus particulièrement impliqué
dans certaines modifications morphologiques (augmentation de la fréquence et de la
longueur des gap junctions), favorisant la communication intercellulaire. Il est
intéressant de noter qu'une action favorable des androgènes se manifeste également.
Chez la rate ovariectomisée, l'administration d'estrogènes stimule l'arborisation
neuronale et peut aboutir à la cicatrisation de 75 % des lésions [8]. Chez la rate,
l'estradiol induit des modifications coordonnées dans l'extension gliale et des
modifications neuronales dans le noyau arqué. Ces modifications peuvent intervenir par le
biais du système gabaergique. La transformation gliale et le métabolisme des synapses
pourraient dépendre de molécules spécifiques d'adhérence ou reconnaissance sur les
membranes gliales ou neuronales [10].
L'action neurotrophique pourrait s'exercer par le biais d'un NGF (nerve growth factor),
CHAT ou d'un rétrocontrôle de p75NGFR et de trkA. La résultante est une modulation de
la fonction cholinergique dans l'hippocampe et le cortex. Ces processus sont impliqués
dans l'entretien de processus de mémorisation et d'apprentissage ainsi que dans des
changements dans la fonction cognitive et peuvent être affectés par le vieillissement et
la pathologie dégénérative. Par ailleurs les récepteurs aux estrogènes sont largement
distribués dans le système nerveux central, les plus grandes concentrations se trouvant
dans l'hypothalamus, les amygdales et les noyaux de la base. Or ces structures sont
impliquées dans les fonctions de mémorisation. A l'inverse des estrogènes, certains
métabolites progestatifs pourraient être des antagonistes des récepteurs Gabaergiques
particulièrement les dérivés réduits en 3 a OH 5 aboutissant à un effet dépresseur
du système nerveux central de type pseudo anesthésique, plus puissant que le
methohexital
[1].HORMONOTHéRAPIE SUBSTITUTIVE ET PATHOLOGIE DU SYSTèME NERVEUX CENTRAL
La pathologie circulatoire : l'hormonothérapie substitutive permet d'obtenir une
réduction significative de l'index de pulsatilité des artères carotides internes et
cérébrales moyennes (6 mois de traitement). A 22 semaines de traitement la réduction
était de 25 %. Cet effet semble sous dépendance estrogénique seule et ne semble pas
affecté par le traitement progestatif [18]. Falkeborn M. observe une réduction du risque
d'AVC sous HTS [5].
Pour Finucane, l'HTS permet d'obtenir une réduction à la fois de l'incidence et de la
mortalité par AVC (relative risk, 0.37 ; 95 % confidence interval, 0.14 - 0.92) [6].
D'autres données sont plus discutées et pourraient faire apparaître un possible
effet dose (voir tableau ci-après).
La maladie d'Alzheimer
L'étude de A. Paganini Hill concluait à un rôle protecteur de l'hormonosubstitution
(or 0,69 ic 95 % 0,46-1,03) [17]. La diminution du risque était corrélée avec
l'augmentation de la durée du traitement et l'augmentation de la dose d'estrogènes.
D'autres facteurs anamnestiques évoquaient indirectement l'implication des estrogènes.
Facteurs de risque de la maladie d'Alzheimer
A l'inverse, l'étude de Brenner ne retrouve pas de rôle favorable de la substitution
(OR 1,1 IC 95 % 0,6-1,8) et ce quelle que soit la forme de l'HTS [4]. Graves ne note pas
non plus de réduction du risque (OR 1,15 IC 95 % 0,50+2,64) [9].
Les modalités méthodologiques expliquent probablement ces discordances.
Indépendamment de l'incidence sur la survenue de la maladie, la substitution hormonale
pourrait améliorer le pronostic de cette pathologie. Fillitt note une amélioration des
scores cognitifs sous HTS en cas de maladie d'Alzheimer [7].Pour Honjo, l'amélioration de
la symptomatologie de la démence sénile type Alzheimer sous estrogènes peut avoir
différentes explications : effet antidépresseur, amélioration du flux vasculaire
cérébral, stimulation neuronale directe, suppression de l'apoliporotéine E [12]. Okhura
conclut à l'amélioration de la fonction de mémorisation sous HTs [16].
Enfin, Henderson observe une amélioration du MMS sous HTS (14,9±8,1vs 6,5±7,6 p<
0,005) [11]. Au total, si le rôle protecteur du traitement estrogénique est difficile à
affirmer spécifiquement en cas de maladie d'Alzheimer, du fait de la difficulté sur des
études rétrospectives de différencier les atteintes dégénératives des séquelles
d'accidents vasculaires, par contre, l'hormonosubstitution pourrait diminuer le préjudice
lié à cette pathologie.
Les autres anomalies
La schizophrénie
L'hypoestrogénie est souvent évoquée dans le terrain des patientes atteintes de
schizophrénie. Les estrogènes pourraient avoir un effet protecteur vis-à-vis de la
schizophrénie et de ses manifestations peut être par le biais d'une modulation de la
sensibilité des récepteurs dopaminergiques -D2-cérébraux [21]. Ils pourraient même
avoir une action pseudo neuroleptique [22].
Les tumeurs cérébrales
La ménopause était réputée réduire le risque de survenue d'un méningiome (RR =
0,58 ; IC95 % = 0,18-1,90), et cet effet était plus prononcé en cas de ménopause
chirurgicale (RR= 0,12 ; 95 % IC= 0,01-1,30). A l'inverse, la ménopause spontanée va de
pair avec une augmentation de risque de voir se développer des gliomes ou des neurinomes
de l'acoustique (RR = 1,77 ; 95 % IC = 0,67-4,68), sauf en cas de ménopause chirurgicale
qui s'accompagnait d'une réduction de risque (RR = 0,33 ; 95 % IC = 0,04-3,09). En fait,
il ne semble pas y avoir de rôle spécifique de l'hormono substitution dans le
développement de la pathologie tumorale [23].
La maladie de Parkinson
Elle est par contre aggravée par le traitement estrogénique [24]. Les
strogènes modulent l'activité de la dopamine dans le système extrapyramidal. Ils
semblent avoir un effet antidopaminergique qui aggrave habituellement les symptômes.
La mémoire
L'action des strogènes est habituellement favorable : l'estrogénothérapie
semble exercer un effet spécifique et global. La mesure des scores cognitifs varierait
chez les femmes ménopausées avec les concentrations d'estradiol [25]. On a pu établir
une relation inverse entre taux d'hormones circulant et humeur, ce qui souligne le rôle
de SHBP [26]. L'administration d'ECE améliorerait les tests de mémoire verbale
(p<0,05) [13]. L'estrogénothérapie améliore et ou entretient des aspects de mémoire
verbale, mais est sans effet, ou éventuellement même a une influence négative sur la
mémoire spatiale [27]. Enfin, chez des femmes asymptomatiques, l'effet des estrogènes
serait nul.
Au total, l'impact de l'hormonothérapie substitutive sur la pathologie neurologique
mérite des études prospectives. Les possibilités thérapeutiques conventionnelles sont
très réduites devant ces tableaux et plus particulièrement en cas d'anomalie
dégénérative. L'hormonothérapie substitutive, pourrait améliorer de façon
significative la qualité de vie des femmes et surtout limiter l'exclusion sociale dont
sont victimes les patientes atteintes d'accidents neurologiques. Si cette perspective se
confirme, il s'agit là d'un enjeu majeur de l'hormonothérapie substitutive.
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: JOURNÉES DE TECHNIQUES
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janvier 1996
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