Progestatifs
et seins
M.
Espié
Centre
des maladies du sein-oncologie médicale Hôpital St Louis Paris
L'action
des progestatifs sur la glande mammaire a été réactualisée
par le biais de travaux épidémiologiques portant pour l'essentiel
sur le traitement hormonal substitutif de la ménopause et le risque de
cancer du sein et qui semblent montrer une augmentation plus importante du risque
en cas d'association oestroprogestative.
Etudes
épidémiologiques :
-
Contraception progestative :
-
Skegg [1] a mené une étude cas témoins chez des femmes
atteintes de cancer du sein qui avaient pris une contraception par levonorgestrel
0,03 mg ou par norethisterone (0,35 mg) et a retrouvé globalement un
risque relatif non augmenté à 1,1 (0,73-1,5). Il a observé
cependant un risque plus élevé en cas de contraception progestative
prise avant 34 ans RR = 2,3 (IC : 1,2-4,3), le risque semblant lié avec
la durée (p= 0,06) et en cas d'utilisation dans les dix années
précédant le cancer RR= 1,6 (1-2,4). Le risque était par
contre diminué si les progestatifs avaient été utilisés
plus de dix ans auparavant (RR= 0,44 IC : 0,22-0,90). Il n'a pas retrouvé
d'effet protecteur avec la durée d'utilisation.
- Des résultats similaires avaient été notés avec
les progestatifs injectables (dépo medroxyprogesterone), Paul en effet
[2] avait retrouvé un risque de cancer du sein multiplié par deux
en cas d'utilisation avant l'âge de 34 ans et un risque relatif de 1,7
si les progestatifs avaient été utilisés dans les cinq
ans précédant l'apparition du cancer.
- La WHO [1] avait noté un risque relatif de 2 (IC :1,5-2,8) en cas de
prise avant 35 ans ou en cas d'utilisation de progestatifs à but contraceptifs
dans les cinq dernières années.
Shapiro [3] a mené une étude cas-témoins en Afrique
du sud en comparant 419 femmes atteintes appariées à 1625 témoins.
Elles avaient utilisé une contraception par DMPA en injectable. Il a
observé un risque relatif de 0,9 (IC : 0,7-1,2). Il n'a pas été
noté d'effet durée. Il a retrouvé par contre à nouveau
un risque majoré entre 35 et 44 ans : RR = 2,3 (1,3-4,1) chez les femmes
en cours d'utilisation.
Ces études peuvent simplement refléter une surveillance accrue
chez ces femmes ou un éventuel effet promoteur sur des cancers infra
cliniques mais ne mettent pas en évidence un effet protecteur par rapport
au cancer du sein.
-
L'hormonothérapie substitutive de ménopause
Son
incidence possible sur le cancer du sein ne saurait échapper à
personne avec un doute persistant sur les traitements de longue durée.
Il convient cependant de noter que nous n'avons aucune donnée sur le
THSM tel qu'il est prescrit en France, les travaux épidémiologiques
étant pour l'essentiel Nord Américains ou Scandinaves. Les progestatifs
utilisés sont pour l'essentiel de l'acétate de médroxyprogestérone
et les estrogènes des estrogènes conjugués équins.
Jusqu'en 1999-2000 nous n'avions que très peu de données sur ces
associations, les publications concernant pour l'essentiel des traitement à
base d'estrogènes utilisés seuls.
Colditz en 1998 [4] a repris les données de l'étude prospective
des infirmières américaines et a conclut que le risque de développer
un cancer du sein était plus élevé sous estroprogestatifs
que sous estrogènes seuls (p = 0,02). Â dix ans d'utilisation le
risque relatif était de 1,1 versus 1,58 ce qui correspond au risque d'une
nullipare.
Schairer [5] de même, dans l'étude prospective du Breast cancer
detection demonstration project a retrouvé un risque annuel augmenté
de 2% sous estrogènes seuls et de 8% sous estroprogestatifs sans qu'en
fait la différence entre ces deux modalités thérapeutiques
ne soit statistiquement significative.
Il existe très peu d'études s'intéressant aux différents
types de progestatifs et à leur mode d'administration. Magnusson [6]
retrouve une élévation du risque plus importante en cas d'association
d'estrogènes et de progestatifs dérivés de la testostérone
surtout lorsque les progestatifs sont administrés en continus. Le risque
relatif par année d'utilisation est de 1,19 (1,09-1,31) versus 1,03 (0,94-1,13)
pour les traitements séquentiels. Cet auteur ne retrouve pas d'augmentation
significative du risque en cas d'utilisation d'estrogènes et de progestatifs
dérivés de la progestérone, mais le nombre des cas étudiés
est faible.
Quant à Ross [7] , il a retrouvé une élévation du
risque plus importante en cas d'utilisation estro-progestative en séquentiel
(OR = 1,38 IC : 1,13-1,68) plutôt qu'en continu (OR = 1,09 IC : 0,88-1,35)…
Ces
études bien sûr ne permettent pas de conclure qu'il ne faut pas
prescrire de progestatifs mais aux Etats-Unis cependant le consensus s'est fait
sur le fait de ne pas associer de progestatifs aux oestrogènes chez les
femmes hystérectomisées [7]
Études
cliniques :
·
mastodynies
Les Progestatifs
de synthèse sont largement utilisés en France dans le syndrome
prémenstruel à polarité mammaire. L'hypothèse
d'une insuffisance lutéale longtemps soutenue en France ne semble pas
confirmée par de récents travaux..
Une étude suédoise [8] très minutieuse, permet de corréler
la sévérité des symptômes à l'hyperestrogénie,
les variations de la Progestérone n'étant pas significatives.
Ces auteurs notent aussi une élévation de la LH.
Il faut
cependant reconnaître que l'adjonction de progestérone par voie
locale ou générale permet d'obtenir des améliorations,
probablement par plusieurs mécanismes :
-l'activité anti-strogène sur les capillaires avec action
anti-oedémateuse
-les propriété anti-inflammatoires conjonctives diminuant l'activité
fibroblastique et la fibrose réactionnelle
- l'activité anti-gonadotrope lorsque ces progestatifs sont administrés
per os pendant le cycle ou même en continu. Les dérivés
Nor-pregnane (Nomégestrol, Promegestone…) occupent actuellement
une place de choix.
En fait la qualité de la réponse à l'hormonothérapie
dépend de la qualité du tissu qui le reçoit et c'est
peut-être pour cela que les réponses varient considérablement
d'une femme à l'autre.
Cependant lorsque l'on s'intéresse aux études publiées
les résultats ne sont pas très probants dés qu'il s'agit
d'essais randomisés pour certains en double aveugle. La majorité
d'entre eux sont négatifs [9] [10] , [11] , [12] . Euhus [13] retrouve
par contre un effet positif avec l'acétate de médroxyprogestérone
utilisé en parentérale. Il s'agit d'une étude cas témoin.
L'acétate de medroxyprogestérone était utilisé
à but contraceptif. 671 patientes ont été comparées
à 1433 témoins appariés sur l'âge. 9 % des femmes
sous acétate de médroxyprogestérone se sont plaintes
de mastodynies contre 21 % des témoins (p < 0,01).
·
Mastopathies bénignes et risque de cancer du sein
Il faut
citer le travail de Plu Bureau et coll. [14] chez les femmes souffrant de
mastopathie bénigne. On y trouve un effet protecteur des dérivés
19 nor-testostérone et non des composés pregnanes et norpregnanes
; cependant l'absence de randomisation et de nombreux problèmes méthodologiques
limitent les portées de cet essai. Ces auteurs ont retrouvé
le même effet protecteur lorsque la progestérone percutanée
y était associée [15]
Des études complémentaires sont très certainement nécessaires.
·
Le cancer du sein
L'acétate
de médroxyprogestérone et l'acétate de mégestrol
sont les deux progestatifs utilisés dans le traitement du cancer du
sein métastasé. Ces deux molécules ont la même
activité et comme toutes les autres hormonothérapies permettent
d'obtenir chez des malades non sélectionnés des taux de réponse
de l'ordre de 30% et une durée de la réponse de 8 à 12
mois. Les taux de réponse seront nettement plus élevés
en présence de récepteurs hormonaux positifs pour atteindre
60 à 70 %.
Les anti-progestatifs sont également efficaces et sont en cours de
développement, celui-ci étant ralenti par leurs effets indésirables.
EN
CONCLUSION
Les
travaux in vitro ou ceux de la pharmacologie clinique sont souvent contradictoires.
L'activité des progestatifs de synthèse est différente
selon leur type (importance de la liaison aux récepteurs de la progestérone
mais aussi aux autres récepteurs stéroïdiens), selon l'organe
cible traité (différence entre glande mammaire et endomètre),
et selon qu'il s'agit de tissu normal ou pathologique, qu'il soit bénin
ou malin.
Au sein d'un même organe, la réponse peut être différente
selon qu'il s'agit du stroma ou des cellules épithéliales. On
a pu noter une certaine efficacité de la progestérone et des progestatifs
de synthèse dans les mastodynies et la maladie fibrokystique, sans que
ce résultat soit constant et qu'on en saisisse clairement le mécanisme.
Certains progestatifs de synthèse à hautes doses sont utilisés
dans le traitement du cancer du sein en phase avancée ; en contraception
orale et dans le traitement de la ménopause, les progestatifs ne semblent
avoir ni effet protecteur ni effet délétère évident
vis à vis de la glande mammaire.
BIBLIOGRAPHIE
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