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Titre: Progestatifs et sein : influence des schémas et des molécules
Année: 2001
Auteurs: - Maudelonde T.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Progestatifs

Progestatifs et sein : influence des schémas et des molécules

Thierry Maudelonde

Laboratoire de Biologie Cellulaire
CHU de Montpellier
INSERM U540

Les effets des progestatifs sur le sein sont très controversés. Depuis plus de 30 ans, les partisans et les adversaires d’un effet proliférant de la progestérone sur les cellules épithéliales mammaires échangent des arguments sans emporter la totale conviction de leurs interlocuteurs. Les raisons de cette situation sont nombreuses. Clinique tout d’abord, car il est difficile, pour des raisons éthiques évidentes, de faire des prélèvements sur des seins humains normaux. Histologiques parce que jusqu’à une époque récente, il était difficile d’isoler le tissu normal du pathologique et, dans le tissu mammaire, l’épithélium du stroma dont les fonctions paracrines sont mal connues. Biologiques car l’action de la progestérone nécessite, pour partie, celle des estrogènes qui ont un effet prolifératif et promoteur des cancers du sein démontré. Le sein est aussi un organe qui a la particularité d’être en constante évolution (croissance puis involution du tissu glandulaire) durant la période de préménopause de la femme. Le tissu glandulaire est difficilement accessible, souvent minoritaire par rapport au tissu de soutien et, par conséquent, les études clinico biologiques sur le tissu normal sont peu fréquentes. La progestérone est supposée agir en inhibant l’action des estrogènes qui sont parmi les principaux responsables du développement de la glande mammaire, du moins lors de la puberté. Aussi peut-on être surpris des résultats de plusieurs travaux faisant état d’une aggravation du risque de cancer du sein lors de l’adjonction de progestatifs aux estrogènes dans le traitement substitutif de la ménopause. Plusieurs questions peuvent donc être posées 

Quel est véritablement le rôle physiologique de la progestérone sur le sein ?

Il est bien établi que les hormones stéroïdes jouent un rôle important dans le développement cyclique du sein.
Cependant les effets de leurs fluctuations au cours de cycle menstruel n’a pas été encore totalement élucidé. Masters et al (1977) et Meyer et al (1977) ont montré par d’élégantes expériences de culture d’explants mammaires en présence de thymidine tritiée que l’épithélium mammaire normal avait des variations cycliques de synthèse d’ADN. Ces auteurs décrivaient une diminution de l’index de marquage de l’ADN durant la phase folliculaire et une augmentation lors de la phase lutéale alors que l’imprégnation progestative est optimale. D’autres auteurs trouvèrent aussi que les lobules présentaient un pic d’activité mitotique lors de la fin de la phase lutéale (25ème jour du cycle menstruel) suivi d’un pic apoptotique. Il y a de nombreux arguments pour penser que cette prolifération aboutit à une différenciation terminale ductulo lobulaire des canaux mammaires qui est le lieu ou se développe préférentiellement les cancers du sein. Même si la prolifération cellulaire et la mort cellulaire semblent en équilibre dans le tissu mammaire restant, le développement mammaire induit par les hormones ovariennes durant le cycle menstruel ne retourne jamais au point de départ du cycle précédent. Chaque nouveau cycle contribue au développement du sein en induisant de nouveaux bourgeons terminaux jusqu’à l’age de 35 ans. Apparaissent progressivement des lobules de morphologie plus complexe et présentant plus de ductules que ceux de type 1 et appelés lobules de type 2 par Russo J. Ils progressent en lobules de type 3 présentant une moyenne de 80 ductules ou alvéoles dans un même lobule et dont la taille est plus faible que ceux de type 1. L'activité mitotique est moins importante dans les lobules de type 2 par rapport à ceux de type 1 et elle l'est encore moins dans ceux de type. Les lobules de type 2 constituent 20% de la totalité des lobules jusqu'à la quarantaine pour décroître par la suite. La proportion de lobules de type 3 s'accroît après l'age de 20 ans pour atteindre 70% de la totalité des lobules et diminue à partir de 45 ans pour atteindre 15% à la cinquantaine (Russo J, 1992)

La progestérone est classiquement considérée comme l'hormone de la différenciation par opposition aux estrogènes mais son rôle est toujours controversé et plus complexe.
Les études d’inactivation du récepteur de la progestérone (RP) chez la souris (Lydon JP¨, 1995) ont permis d'obtenir des souris femelles homozygotes pour l’absence de RP fonctionnel dont les seins présentaient des canaux galactophores mais pas de lobules soulignant effectivement le rôle important de la progestérone dans la différenciation terminale du sein. Le rôle de la progestérone paraît beaucoup plus complexe. En culture de cellules mammaires cancéreuses ou normales ayant des RE et des RP, les progestatifs se comportent comme des anti-oestrogènes en faisant chuter les RE. Ils inhibent aussi la prolifération cellulaire oestrogéno-induite. Ils ont des effets propres capables d'influencer la prolifération (production du récepteur du facteur de croissance épidermique (R-EGF), augmentation de l'expression de c-myc, diminution du IGF1-R) et la différenciation cellulaire (induction de l'acide gras synthétase) (Chalbos D, 1992).
In vivo, les effets sont aussi complexes . Dans le sein normal chez les femmes en période d'activité génitale, plusieurs études montrent une augmentation du nombre des mitoses en fin de phase lutéale mise en évidence par l'index de thimidine tritié ou par des analyses histologiques, et plus précisément au niveau des canaux intralobulaires. Cet effet peut être du à la progestérone seule ou bien à une synergie avec les oestrogènes. Dans le travail de Londacre, il y a une chute de la prolifération cellulaire en phase lutéale dans l'endomètre des mêmes femmes suggérant une spécificité tissulaire de l'effet de la progestérone. La progestérone est capable d’induire des marqueurs de la différenciation terminale du sein en glande lactante, tel que l’acide gras synthétase (Chalbos D, 1992). Les études in vivo précitées montrant une augmentation d'un index de prolifération en fin de phase lutéale sont en accord avec ces récents travaux et suggèrent au moins une action synergique de la progestérone avec les oestrogènes dans le développement des structures lobulaires qui terminent la différenciation du sein.
La progestérone aurait donc un effet global antiprolifératif par une action notamment anti-oestrogénique liée partiellement à une diminution du taux de RE et une augmentation de l’activité 17bêta-hydroxysteroide-déshydrogénase qui transforme l’estradiol en estrone et diminue ainsi le taux intratissulaire de l'oestradiol ( Gompel A, 1986). Mais la progestérone n’est pas uniquement un inhibiteur de l’action estrogénique. Elle a ses propres effets. Il est possible, comme le suggère Sutherland, que la progestérone bloque les cellules mammaires dans la phase GO du cycle cellulaire et pousse les cellules déjà entrées dans le cycle cellulaire vers une phase G0 où elles se trouvent ensuite fixer. Cette prolifération transitoire pourrait se faire par induction de protéines du cycle cellulaire (cycline D1, c-myc, c-fos) par la progestérone via ses récepteurs (RPA et RPB) (Graham JD, 1997).

Les progestatifs ont-ils le même effet que la progestérone naturelle sur les cellules mammaires ?

Ils se regroupent en deux grandes familles : les dérivés de la progestérone et ceux de la testostérone. Les premiers se répartissent en 3 groupes : les progestatifs dits naturels qui sont la progestérone, les dérivés 17-hydroxy progestérone (acétate de médroxy-progestérone, acétate de cyprotérone et acétate de chlormadinone) et ceux de la 19-nor progestérone (la démégestone, la promégestone, l’acétate de nomegestrol). La seconde famille sont surtout représenté par les progestatifs utilisés dans les pilules contraceptives (norethindrone, norgestrel, norethynodrel et gestodène. En fonction de leur structure, les progestatifs sont capables de se fixer avec des affinités variables sur plusieurs membres de la famille des récepteurs nucléaires en induisant ou en inhibant leur fonction. Outre les récepteurs de la progestérone naturelle, le récepteur des androgènes, celui des glucocorticoïdes, des minéralocorticoïdes et ceux des estrogènes peuvent être concernés si bien qu’un progestatif, tout en ayant un effet progestatif majeur va posséder d’autres activités biologiques qui lui donneront une action globale bien particulière. Ce qui, en pratique clinique, permet d’adapter le progestatif à certaines caractéristiques du patient. Il est donc possible qu’un progestatif donné puisse avoir des effets sur la prolifération des cellules mammaires qui sont différents de ceux des autres progestatifs. Un mécanisme moléculaire qui se fait jour est la possible régulation de l’expression des cofacteurs (co-activateurs et co-inhibiteurs) qui régissent l’activité biologique des récepteurs nucléaires par la progestérone. L’augmentation ou la diminution d’un de ces cofacteurs influe automatiquement sur la fonction biologique des autres hormones stéroïdes.

La prolifération des cellules mammaires est–elle induite par les progestatifs seuls ou bien par l’association estrogènes-progestatifs?

Les résultats des études fondamentales sur lignées de cellules le plus souvent cancéreuses sont parfois contradictoire avec les données des études cliniques faites le plus souvent sur le sein porteur de mastopathies bénignes. Il est possible que les effets soient tout à fait différents sur le sein normal et pathologique. Cependant la progestérone naturelle paraît antiproliférative aux doses prescrites (Foidart JM 1998) dans toutes les études cliniques faites mais, du fait d’un métabolisme cellulaire important aucune étude, in vitro, sur lignées cellulaires mammaires humaines n’a pu être faites. Certains progestatifs semblent avoir un effet plus ambigü. Selon les auteurs, les progestatifs stimulent de façon modeste, conséquente, ou au contraire l'inhibe ou ne fait rien. Une publication récente (Poulin R, 1990) étudiant l'effet de différent progestatifs sur la prolifération d'une lignée de cellules mammaires cancéreuses montre que l'effet antiprolifératif est d'autant plus important que l'affinité du produit pour le récepteur des androgènes (RA) est faible. Norethindrone et norgestrel (dérivés de la 19-nortestosterone) avaient la plus forte activité androgénique et se montraient les moins efficaces pour inhiber la prolifération cellulaire induite par les oestrogénes probablement parce qu'ils se lient au récepteur des oestrogènes (RE). Cette étude a été confirmé par un travail plus récent qui montre que les dérivés androgéniques stimulent la prolifération de cellules mammaires cancéreuses RE+ en culture par un effet estrogénique via leur liaison aux récepteurs des estrogènes (Jordan VC) alors que le lynestrénol diminue de façon conséquente le taux des RE dans les cellules mammaires (T. Maudelonde) et à un effet antiprolifératif peut-être du à son fort pouvoir antigonadotrope. Certains progestatifs comme l’acétate de médroxyprogestérone Dans le modèle de Jordan VC et al, n’induisent pas de prolifération mais, en association aux estrogènesce dernier induit, chez la femme normale postménopausée, une prolifération accrue des cellules mammaires (Hofseth LJ, 1999). Par contre, d’autre comme la promégestone, in vivo et in vitro, en culture de cellules épithéliales mammaires, est antiproliférative, même en présence d’estrogènes alors quelle appartient au même sous-groupe soulignant la nécessité de ne pas généraliser les résultats d’une étude sur un progestatif donné.

Les études statistiques publiées doivent-elles nous faire modifier nos attitudes thérapeutiques ?

En clinique, il a été fait état d’une augmentation du risque accru de cancer du sein lors de l’adjonction d’un progestatif aux estrogènes, et ce risque serait plus important en cas de traitement continu qu’en cas de traitement cyclique (Schairer C , 2000; Magnusson C , 1999; Ross RK, 2000 ). En fait, outre les biais méthodologiques largement discutés ( Rockhill B 2000) par les spécialistes, le type de progestatif devrait être pris en compte. A l’heure actuelle, tout reste à faire sur les associations d’estrogène naturel comme nous avons l’habitude de le prescrire associé à des progestatifs, en général non androgénique, mais dont les propriétés particulières, les métabolites et la demi- vie qui peut parfois être très longue doivent jouer un rôle déterminant comme le suggèrent les études clinico-biologiques précédemment citées.

Cette augmentation du risque de cancer du sein dans les traitement estro-progestatifs par rapport au traitement estrogénique simple devrait être rapprochée de l’augmentation de la densité mammaire lors des traitements estro-progestatifs de la ménopause. Plusieurs études ont montré que sous estro-progestatif, la densité mammaire était plus augmentée qu’en cas de prise d’estrogène seul. Celle de Persson I et al la trouvait augmentée dans 10% des cas de traitement cyclique et dans 28% des cas de traitement continu ( Persson I). Ce risque supérieur pourrait s’expliquer par l’apoptose déclenchée par l’arrêt de l’apport de progestatif. Or l’augmentation de la densité mammaire paraît s’associer à une élévation de la fréquence d’hyperplasie atypique et de carcinome lobulaire in situ

Au total, si les grandes études épidémiologiques ont mis en évidence le rôle promoteur des cancers du sein par les estrogènes, celui des progestatifs ou de l’association estro-progestative reste à préciser. Le risque diminue en raison inverse du délai existant depuis l’arrêt du THS (tout traitement confondu) évoquant un effet sur des cellules cancéreuses préexistantes. L’ambiguïté qui demeure quand aux actions biologiques des progestatifs doit nous inciter à la prudence et à tenir compte de ces études et à privilégier le traitement cyclique, ne serait-ce quand attendant des études plus adaptées à nos thérapeutiques.

BIBLIOGRAPHIE

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