Progestatifs
et sein : influence des schémas et des molécules
Thierry Maudelonde
Laboratoire de
Biologie Cellulaire
CHU de Montpellier
INSERM U540
Les effets
des progestatifs sur le sein sont très controversés. Depuis plus de 30 ans,
les partisans et les adversaires d’un effet proliférant de la progestérone sur
les cellules épithéliales mammaires échangent des arguments sans emporter la
totale conviction de leurs interlocuteurs. Les raisons de cette situation sont
nombreuses. Clinique tout d’abord, car il est difficile, pour des raisons éthiques
évidentes, de faire des prélèvements sur des seins humains normaux. Histologiques
parce que jusqu’à une époque récente, il était difficile d’isoler le tissu normal
du pathologique et, dans le tissu mammaire, l’épithélium du stroma dont les
fonctions paracrines sont mal connues. Biologiques car l’action de la progestérone
nécessite, pour partie, celle des estrogènes qui ont un effet prolifératif et
promoteur des cancers du sein démontré. Le sein est aussi un organe qui a la
particularité d’être en constante évolution (croissance puis involution du tissu
glandulaire) durant la période de préménopause de la femme. Le tissu glandulaire
est difficilement accessible, souvent minoritaire par rapport au tissu de soutien
et, par conséquent, les études clinico biologiques sur le tissu normal sont
peu fréquentes. La progestérone est supposée agir en inhibant l’action des estrogènes
qui sont parmi les principaux responsables du développement de la glande mammaire,
du moins lors de la puberté. Aussi peut-on être surpris des résultats de plusieurs
travaux faisant état d’une aggravation du risque de cancer du sein lors de l’adjonction
de progestatifs aux estrogènes dans le traitement substitutif de la ménopause.
Plusieurs questions peuvent donc être posées
Quel est véritablement
le rôle physiologique de la progestérone sur le sein ?
Il
est bien établi que les hormones stéroïdes jouent un rôle important dans le
développement cyclique du sein.
Cependant les effets de leurs fluctuations au cours de cycle menstruel n’a pas
été encore totalement élucidé. Masters et al (1977) et Meyer et al (1977) ont
montré par d’élégantes expériences de culture d’explants mammaires en présence
de thymidine tritiée que l’épithélium mammaire normal avait des variations cycliques
de synthèse d’ADN. Ces auteurs décrivaient une diminution de l’index de marquage
de l’ADN durant la phase folliculaire et une augmentation lors de la phase lutéale
alors que l’imprégnation progestative est optimale. D’autres auteurs trouvèrent
aussi que les lobules présentaient un pic d’activité mitotique lors de la fin
de la phase lutéale (25ème jour du cycle menstruel) suivi d’un pic apoptotique.
Il y a de nombreux arguments pour penser que cette prolifération aboutit à une
différenciation terminale ductulo lobulaire des canaux mammaires qui est le
lieu ou se développe préférentiellement les cancers du sein. Même si la prolifération
cellulaire et la mort cellulaire semblent en équilibre dans le tissu mammaire
restant, le développement mammaire induit par les hormones ovariennes durant
le cycle menstruel ne retourne jamais au point de départ du cycle précédent.
Chaque nouveau cycle contribue au développement du sein en induisant de nouveaux
bourgeons terminaux jusqu’à l’age de 35 ans. Apparaissent progressivement des
lobules de morphologie plus complexe et présentant plus de ductules que ceux
de type 1 et appelés lobules de type 2 par Russo J. Ils progressent en lobules
de type 3 présentant une moyenne de 80 ductules ou alvéoles dans un même lobule
et dont la taille est plus faible que ceux de type 1. L'activité mitotique est
moins importante dans les lobules de type 2 par rapport à ceux de type 1 et
elle l'est encore moins dans ceux de type. Les lobules de type 2 constituent
20% de la totalité des lobules jusqu'à la quarantaine pour décroître par la
suite. La proportion de lobules de type 3 s'accroît après l'age de 20 ans pour
atteindre 70% de la totalité des lobules et diminue à partir de 45 ans pour
atteindre 15% à la cinquantaine (Russo J, 1992)
La
progestérone est classiquement considérée comme l'hormone de la différenciation
par opposition aux estrogènes mais son rôle est toujours controversé et plus
complexe.
Les études d’inactivation du récepteur de la progestérone (RP) chez la souris
(Lydon JP¨, 1995) ont permis d'obtenir des souris femelles homozygotes pour
l’absence de RP fonctionnel dont les seins présentaient des canaux galactophores
mais pas de lobules soulignant effectivement le rôle important de la progestérone
dans la différenciation terminale du sein. Le rôle de la progestérone paraît
beaucoup plus complexe. En culture de cellules mammaires cancéreuses ou normales
ayant des RE et des RP, les progestatifs se comportent comme des anti-oestrogènes
en faisant chuter les RE. Ils inhibent aussi la prolifération cellulaire oestrogéno-induite.
Ils ont des effets propres capables d'influencer la prolifération (production
du récepteur du facteur de croissance épidermique (R-EGF), augmentation de l'expression
de c-myc, diminution du IGF1-R) et la différenciation cellulaire (induction
de l'acide gras synthétase) (Chalbos D, 1992).
In vivo, les effets sont aussi complexes . Dans le sein normal chez les femmes
en période d'activité génitale, plusieurs études montrent une augmentation du
nombre des mitoses en fin de phase lutéale mise en évidence par l'index de thimidine
tritié ou par des analyses histologiques, et plus précisément au niveau des
canaux intralobulaires. Cet effet peut être du à la progestérone seule ou bien
à une synergie avec les oestrogènes. Dans le travail de Londacre, il y a une
chute de la prolifération cellulaire en phase lutéale dans l'endomètre des mêmes
femmes suggérant une spécificité tissulaire de l'effet de la progestérone. La
progestérone est capable d’induire des marqueurs de la différenciation terminale
du sein en glande lactante, tel que l’acide gras synthétase (Chalbos D, 1992).
Les études in vivo précitées montrant une augmentation d'un index de prolifération
en fin de phase lutéale sont en accord avec ces récents travaux et suggèrent
au moins une action synergique de la progestérone avec les oestrogènes dans
le développement des structures lobulaires qui terminent la différenciation
du sein.
La progestérone aurait donc un effet global antiprolifératif par une action
notamment anti-oestrogénique liée partiellement à une diminution du taux de
RE et une augmentation de l’activité 17bêta-hydroxysteroide-déshydrogénase
qui transforme l’estradiol en estrone et diminue ainsi le taux intratissulaire
de l'oestradiol ( Gompel A, 1986). Mais la progestérone n’est pas uniquement
un inhibiteur de l’action estrogénique. Elle a ses propres effets. Il est possible,
comme le suggère Sutherland, que la progestérone bloque les cellules mammaires
dans la phase GO du cycle cellulaire et pousse les cellules déjà entrées dans
le cycle cellulaire vers une phase G0 où elles se trouvent ensuite fixer. Cette
prolifération transitoire pourrait se faire par induction de protéines du cycle
cellulaire (cycline D1, c-myc, c-fos) par la progestérone via ses récepteurs
(RPA et RPB) (Graham JD, 1997).
Les
progestatifs ont-ils le même effet que la progestérone naturelle sur les cellules
mammaires ?
Ils
se regroupent en deux grandes familles : les dérivés de la progestérone
et ceux de la testostérone. Les premiers se répartissent en 3 groupes :
les progestatifs dits naturels qui sont la progestérone, les dérivés 17-hydroxy
progestérone (acétate de médroxy-progestérone, acétate de cyprotérone et acétate
de chlormadinone) et ceux de la 19-nor progestérone (la démégestone, la promégestone,
l’acétate de nomegestrol). La seconde famille sont surtout représenté par les
progestatifs utilisés dans les pilules contraceptives (norethindrone, norgestrel,
norethynodrel et gestodène. En fonction de leur structure, les progestatifs
sont capables de se fixer avec des affinités variables sur plusieurs membres
de la famille des récepteurs nucléaires en induisant ou en inhibant leur fonction.
Outre les récepteurs de la progestérone naturelle, le récepteur des androgènes,
celui des glucocorticoïdes, des minéralocorticoïdes et ceux des estrogènes peuvent
être concernés si bien qu’un progestatif, tout en ayant un effet progestatif
majeur va posséder d’autres activités biologiques qui lui donneront une action
globale bien particulière. Ce qui, en pratique clinique, permet d’adapter le
progestatif à certaines caractéristiques du patient. Il est donc possible qu’un
progestatif donné puisse avoir des effets sur la prolifération des cellules
mammaires qui sont différents de ceux des autres progestatifs. Un mécanisme
moléculaire qui se fait jour est la possible régulation de l’expression des
cofacteurs (co-activateurs et co-inhibiteurs) qui régissent l’activité biologique
des récepteurs nucléaires par la progestérone. L’augmentation ou la diminution
d’un de ces cofacteurs influe automatiquement sur la fonction biologique des
autres hormones stéroïdes.
La
prolifération des cellules mammaires est–elle induite par les progestatifs seuls
ou bien par l’association estrogènes-progestatifs?
Les
résultats des études fondamentales sur lignées de cellules le plus souvent cancéreuses
sont parfois contradictoire avec les données des études cliniques faites le
plus souvent sur le sein porteur de mastopathies bénignes. Il est possible que
les effets soient tout à fait différents sur le sein normal et pathologique.
Cependant la progestérone naturelle paraît antiproliférative aux doses prescrites
(Foidart JM 1998) dans toutes les études cliniques faites mais, du fait d’un
métabolisme cellulaire important aucune étude, in vitro, sur lignées cellulaires
mammaires humaines n’a pu être faites. Certains progestatifs semblent avoir
un effet plus ambigü. Selon les auteurs, les progestatifs stimulent de façon
modeste, conséquente, ou au contraire l'inhibe ou ne fait rien. Une publication
récente (Poulin R, 1990) étudiant l'effet de différent progestatifs sur la prolifération
d'une lignée de cellules mammaires cancéreuses montre que l'effet antiprolifératif
est d'autant plus important que l'affinité du produit pour le récepteur des
androgènes (RA) est faible. Norethindrone et norgestrel (dérivés de la 19-nortestosterone)
avaient la plus forte activité androgénique et se montraient les moins efficaces
pour inhiber la prolifération cellulaire induite par les oestrogénes probablement
parce qu'ils se lient au récepteur des oestrogènes (RE). Cette étude a été confirmé
par un travail plus récent qui montre que les dérivés androgéniques stimulent
la prolifération de cellules mammaires cancéreuses RE+ en culture par un effet
estrogénique via leur liaison aux récepteurs des estrogènes (Jordan VC) alors
que le lynestrénol diminue de façon conséquente le taux des RE dans les cellules
mammaires (T. Maudelonde) et à un effet antiprolifératif peut-être du à son
fort pouvoir antigonadotrope. Certains progestatifs comme l’acétate de médroxyprogestérone
Dans le modèle de Jordan VC et al, n’induisent pas de prolifération mais, en
association aux estrogènesce dernier induit, chez la femme normale postménopausée,
une prolifération accrue des cellules mammaires (Hofseth LJ, 1999). Par contre,
d’autre comme la promégestone, in vivo et in vitro, en culture de cellules épithéliales
mammaires, est antiproliférative, même en présence d’estrogènes alors quelle
appartient au même sous-groupe soulignant la nécessité de ne pas généraliser
les résultats d’une étude sur un progestatif donné.
Les
études statistiques publiées doivent-elles nous faire modifier nos attitudes
thérapeutiques ?
En clinique,
il a été fait état d’une augmentation du risque accru de cancer du sein lors
de l’adjonction d’un progestatif aux estrogènes, et ce risque serait plus important
en cas de traitement continu qu’en cas de traitement cyclique (Schairer C ,
2000; Magnusson C , 1999; Ross RK, 2000 ). En fait, outre les biais méthodologiques
largement discutés ( Rockhill B 2000) par les spécialistes, le type de progestatif
devrait être pris en compte. A l’heure actuelle, tout reste à faire sur les
associations d’estrogène naturel comme nous avons l’habitude de le prescrire
associé à des progestatifs, en général non androgénique, mais dont les propriétés
particulières, les métabolites et la demi- vie qui peut parfois être très longue
doivent jouer un rôle déterminant comme le suggèrent les études clinico-biologiques
précédemment citées.
Cette
augmentation du risque de cancer du sein dans les traitement estro-progestatifs
par rapport au traitement estrogénique simple devrait être rapprochée de l’augmentation
de la densité mammaire lors des traitements estro-progestatifs de la ménopause.
Plusieurs études ont montré que sous estro-progestatif, la densité mammaire
était plus augmentée qu’en cas de prise d’estrogène seul. Celle de Persson I
et al la trouvait augmentée dans 10% des cas de traitement cyclique et dans
28% des cas de traitement continu ( Persson I). Ce risque supérieur pourrait
s’expliquer par l’apoptose déclenchée par l’arrêt de l’apport de progestatif.
Or l’augmentation de la densité mammaire paraît s’associer à une élévation de
la fréquence d’hyperplasie atypique et de carcinome lobulaire in situ
Au total,
si les grandes études épidémiologiques ont mis en évidence le rôle promoteur
des cancers du sein par les estrogènes, celui des progestatifs ou de l’association
estro-progestative reste à préciser. Le risque diminue en raison inverse du
délai existant depuis l’arrêt du THS (tout traitement confondu) évoquant un
effet sur des cellules cancéreuses préexistantes. L’ambiguïté qui demeure quand
aux actions biologiques des progestatifs doit nous inciter à la prudence et
à tenir compte de ces études et à privilégier le traitement cyclique, ne serait-ce
quand attendant des études plus adaptées à nos thérapeutiques.
BIBLIOGRAPHIE
Chalbos D, Joyeux
C, Galtier F, Rochefort H. Pprogestin-induced fatty acid synthetase in human
mammary tumours : from molecular to clinical studies. J Steroid Biochem
Mol Biol. 43:223-228, 1992.
Foidart JM, Colin
C, Denoo X et al. Estradiol and progesterone regulate the proliferation of human
breast epithelial cells. Fertil Steril.69:963-969, 1998.
Gompel A, Malet C,
Spritzer P, Lalardrie JP, Kuttenn F, Mauvais-Jarvis P Progestin effects on cell
proliferation and 17bêta-hydroxysteroid dehydrogénase activity in normal
human breast cells in culture. J Clin Endocrinol Metab. 63:1174-1180, 1986.
Graham JD, Clarke
CL. Physiological action of progesterone in target tissues. Endocrine Reviews.18:502-519,
1997.
Hofseth LJ, Raafat
AM, Osuch JR, Pathak DR, Slomski CA, Haslam SZ. Hormone replacement therapy
with estrogen or estrogen plus medroxyprogesterone acetate is associated with
increased epithelial proliferation in the normal postmenopausal breast. J Clin
Endocrinol Metab.84:4559-4565, 1999.
Jordan VC, Jeng MH,
Catherino WH, Parker CJ. The estrogenic activity of synthetic progestins used
in oral contraceptives. Cancer.71:1501-1505, 1993.
Lydon JP, DeMayo
FJ, Funk CR, Mani SK, Hughes AR, Montgomery CA, Shyamala G, Conneely OM, O’Malley
BW. Mice lacking progesterone receptor exhibit pleiotropic reproductive abnormalities.
Genes Develop.9 :2266-2278, 1995.
Magnusson C, Baron
JA, Correja N, Bergström R, Adami HO, Persson I.Breast cancer risk following
long term oestrogen and estrogen-progestin replacement therapy. Int J Cancer.81:339-344,
1999.
Persson I, Thurfjell
E, Holmberg L . Effect of estrogen and estrogen-progestin replacement regimens
on mammographic breast parenchymal density. J Clin Oncol.15:3201-3207, 1997.
Poulin R, Baker D,
Poirier D, Labrie F. Multiple actions of synthetic "progestins" on
the growth of ZR-75-1 human breast cancer cells: An in vitro model for the simultaneous
assay of androgen, progestin, estrogen, and glucocorticoid agonistic and antagonistic
activities of steroids. Breast Cancer Res Treatment. 17:197-210, 1990
Rockhill B, Colditz
GA, Rosner B. Bias in breast cancer analyses due to error in age at menopause
Am J Epidemiol.151:404-408, 2000.
Ross RK, Paganini-Hill
A, Wan PC, Pike MC effect of hormone replacement therapy on breast cancer risk:
estrogen versus estrogen plus progestin. J Natl Cancer Inst.92:328-332, 2000.
Russo J, Tivera R,
Russo IH, Influence of age and parity on the development of the human breast.
Breast Cancer Res Treat.23:211-218,1992.
Schairer C, Lubin
J, Troisi R, Sturgeon S, Brinton L, Hoover R. Menopausal estrogen and estrogen-progestin
replacement therapy and breast cancer risk. JAMA, 283:485-491, 2000.
|