Chapitre XIII
MENOPAUSE, MOLECULES ET RISQUES ARTERIELS ET VEINEUX LORS DU TRAITEMENT
SUBSTITUTIF DE LA MENOPAUSE
C. JAMIN
Introduction
Le risque cardiovasculaire chez la femme est très faible avant la
ménopause. Il n'existe que chez les fumeuses ou les femmes ayant de très forts facteurs
de risque associés : tabagisme, prise de contraceptifs oraux, HTA, diabète. La
morbimortalité cardiovasculaire n'apparaît qu'après 60 ans. Il pourrait s'agir d'un
effet de l'âge, mais de nombreux arguments plaident en faveur d'un rôle direct de la
carence hormonale.
Parmi ceux-ci citons :
ï Le risque est plus important et plus précoce lors de la castration.
ï A âge égal, le risque est plus élevé si la femme est
ménopausée.
ï Les stigmates d'athérome (calcifications aortiques, plaques
carotidiennes découvertes par écho-doppler) sont plus importants et plus précoces chez
les femmes castrées et augmentent avec la durée de la carence hormonale.
ï Par ailleurs il existe, après la ménopause et quel que soit l'âge,
des modifications des marqueurs du risque athéromateux (augmentation du cholestérol
total, du LDL cholestérol, augmentation des résistances artérielles par exemple). Ces
modifications sont réversibles lors de l'institution d'une thérapeutique substitutive
estroprogestative.
ï Enfin, récemment un modèle expérimental a été développé chez
le singe (1). Des guenons castrées reçoivent un régime hyperlipidique afin de créer
chez elles des lésions artérielles. Certaines de ces femelles reçoivent un traitement
estrogénique, estroprogestatif ou même simplement progestatif. D'autres ne sont pas
traitées. On étudie ainsi l'influence de ces traitements sur le développement de
l'athérome. On a pu de la sorte démontrer que, chez les femelles traitées, la surface
des plaques d'athérome est moindre, qu'il existe une faible accumulation du LDL marqué,
que la réactivité coronarienne constrictive de l'acétyl choline n'avait pas lieu, etc.
I - INFLUENCE DE LA MENOPAUSE SUR LE RISQUE CARDIOVASCULAIRE
La ménopause naturelle
La démonstration directe de la responsabilité de la carence hormonale
dans l'augmentation du risque cardiovasculaire a été traitée en comparant la
morbimortalité cardiovasculaire chez les femmes ménopausées ou non (ménopause
naturelle), de même âge. Ceci ne peut être fait que sur une tranche d'âge très courte
(45-55 ans), avant 45 ans les femmes ménopausées étant l'exception, alors qu'après 55
ans c'est le groupe non ménopausé qui se raréfie. Sur cette tranche d'âge, le risque
cardiovasculaire est plus élevé dans le groupe ménopause.
La ménopause chirurgicale
A fortiori, si l'on étudie non plus les ménopauses naturelles mais les
ménopauses chirurgicales, où l'on trouve un groupe ménopause plus jeune et qui permet
une analyse sur une plus longue période, on montre une augmentation nette du risque
d'athérome mesuré au niveau de l'aorte abdominale ou de la carotide interne. Par
ailleurs, la ménopause chirurgicale représente bien un surrisque de morbimortalité
cardiovasculaire. Il est logique d'envisager une responsabilité de la carence
estrogénique dans ce surrisque.
La durée de la ménopause
Si l'on s'intéresse à l'influence de la durée de la ménopause sur le
risque cardiovasculaire, là encore les résultats sont beaucoup plus probants pour les
ménopauses chirurgicales. En effet, pour les ménopauses naturelles les faibles
différences d'âge des groupes ménopause et non ménopause comparées à la durée
nécessaire à l'apparition du risque ne permettent pas de montrer un effet de l'âge de
la ménopause. En revanche, dans les ménopauses précoces et/ou chirurgicales les durées
comparées étant beaucoup plus longues, il apparaît bien un surrisque lié à la
ménopause.
Ainsi chez la femme de plus de 45 ans il semble difficile de mettre en
évidence une augmentation du risque cardiovasculaire du fait de problèmes
méthodologiques, en particulier liés au faible étalement de l'âge de la ménopause. En
revanche, la ménopause précoce et la castration augmentent bien le risque
casdiovasculaire du fait de l'augmentation de la durée d'exposition au risque
"carence hormonale" et, pour la seconde, de la carence hormonale plus profonde
qu'elle induit, et enfin plus techniquement de la faisabilité des études.
II - INFLUENCE DE LA MENOPAUSE SUR LES MARQUEURS DU RISQUE
CARDIOVASCULAIRE
Une autre approche de la relation entre carence hormonale et risque
cardiovasculaire consiste à examiner l'évolution des facteurs de risque. Si l'on admet
que l'évolution de ces facteurs de risque se produit sur une période courte, il est plus
aisé de comparer des femmes ménopausées et non ménopausées, ou mieux de faire une
étude prospective et d'examiner l'évolution au cours du temps des différents
paramètres, en comparant des femmes qui deviennent ménopausées et d'autres chez
lesquelles les sécrétions ovariennes persistent.
Les quatre paramètres étudiés sont : la coagulation, la tension
artérielle, l'équilibre glucidique et enfin les lipides sanguins (10).
ï La mesure des facteurs de coagulation ne donne qu'une image très
imparfaite du risque thrombotique.
Les études portant sur les anomalies de l'hémostase liées à la
ménopause sont très peu nombreuses (2, 11). C'est essentiellement l'étude de Meade qui
fait référence. Il existe, lors de l'installation de la carence hormonale, une
élévation significative du facteur VII et du fibrinogène. Ces deux modifications ont
par ailleurs été trouvées être des marqueurs sensibles du risque vasculaire. Pour
d'autres auteurs, il existe également en post-ménopause une élévation de
l'hémoglobinémie et de l'inhibiteur physiologique du t PA le PAI 1.
ï La tension artérielle augmente progressivement avec l'âge, tant
chez la femme que chez l'homme. Cette élévation est plus marquée chez la femme après
la ménopause, et les chiffres deviennent supérieurs à ceux de l'homme. La
responsabilité de la carence hormonale dans l'évolution de la pression artérielle n'est
à ce jour pas démontrée.
ï Les rapports entre carence hormonale et équilibre glucidique ne sont
pas non plus très clairs. Il semble que l'incidence du diabète augmente après la
ménopause sans qu'il existe de preuve de la responsabilité de la baisse de
l'estradiolémie. Ainsi l'augmentation du poids liée à l'âge et sa répartition
androïde liée à la ménopause pourrait jouer un certain rôle.
ï Mais c'est bien au niveau du métabolisme lipidique que les
conséquences de la ménopause apparaissent le plus nettement (9). Il existe une petite
élévation des VLDL, des triglycérides et une légère baisse de l'apo C2. Par ailleurs,
le taux des HDL2 baisse un peu, avec diminution de l'apo A1. Mais la modification la plus
marquée porte sur le cholestérol et surtout sa fraction LDL, avec élévation marquée
de l'apo B. Au niveau de la régulation fine de ce métabolisme, on accuse la baisse des
récepteurs apo BE estrogène-dépendants d'être responsables de l'augmentation à long
terme du risque d'athérome.
III - EFFETS DES TRAITEMENTS ESTROPROGESTATIFS SUR LES FACTEURS DE
RISQUE
Hormonothérapie et coagulation
Estrogenes et coagulation (2, 10)
Action des estrogènes sur le foie
La plupart des protéines plasmatiques circulantes sont produites dans
le foie, y compris le fibrinogène (facteur I), la prothrombine (facteur II) et les
facteurs V, VII, IX, X et XIII, tous essentiels au processus normal de coagulation
sanguine. Sont également synthétisés dans le foie des éléments du système
fibrinolytique qui aident à empêcher la thrombose dans les situations à risque
(antithrombine III, protéine C, protéine S).
Sous l'impact hépatique des estrogènes, le foie augmente ou inhibe la
synthèse de la plupart de ces protéines, parfois dans des proportions considérables.
L'estradiol est le stimulant essentiel des hépatocytes. Ces derniers possèdent des
récepteurs de cette hormone à un niveau élevé.
Il existe trois groupes principaux d'estrogènes exogènes :
ó les estrogènes de synthèse : l'éthinylestradiol est le plus
courant. Ils entraînent d'importantes modifications de la coagulation et ne doivent donc
pas être utilisés chez la femme ménopausée.
ó les estrogènes équins,
ó les estrogènes dits naturels.
Estrogènes équins
Les études sont anciennes et disparates : il existe une
élévation de l'antitrypsine, du plasminogène. Les effets sur l'antirhrombine III sont
minimes ou nuls et semblent liés à la dose. L'activation de la coagulation par ce
produit utilisé même à faible dose est attestée par l'augmentation des fragments
1 + 2.
Estrogènes naturels
L'estradiol a été utilisé soit par voie orale, soit par voie
parentérale. Les premiers travaux (1978) montraient que l'estradiol par voie orale ne
modifiait ni le facteur VII ni l'antithrombine III. Cependant, en 1982, Elkik et
coll. (4) trouvaient sous 2 mg d'estradiol per os une baisse de l'antithrombine
III.
D'autres études ont montré avec le valérianiate d'estradiol (2 mg/j)
une augmentation du facteur VII et une baisse de l'antithrombine III. Conard a montré une
baisse de l'antithrombine III. En revanche, Conard a montré l'absence d'effets sur les
facteurs de coagulation de l'estradiol, à condition qu'il soit utilisé par voie non
digestive et a contrario le risque de modifications sur les facteurs les plus sensibles
lors de l'utilisation de la même molécule par voie orale. Chetkowski et coll., en 1985,
confirmaient l'innocuité de la voie transdermique.
Estrogènes et plaquettes
Les estrogènes diminuent l'agrégation plaquettaire induite et la
libération d'ATP.
Progestatifs et facteurs de la coagulation
Les progestatifs ont été beaucoup moins étudiés que les estrogènes.
Effets sur les plaquettes
Peu d'études ont mesuré les paramètres plaquettaires. L'acétate de
chlormadinone ne modifie pas l'agrégation plaquettaire. La production de prostacycline
(anti-agrégant puissant) n'est pas modifiée par les dérivés 19-nortestostérone
(lévonorgestrel, lynestrénol et noréthistérone).
Effets sur la coagulation
Les facteurs II (prothrombine), VII (proconvertine), X (facteur Stuart),
VIII (antihémophilique A), IX (antihémophilique B), V (accélérine) et le fibrinogène,
ont été étudiés sous acétate de chlormadinone, diacétate d'éthynodiol,
rétroprogestérone, acétate de médroxyprogestérone. Aucune modification n'a été mise
en évidence.
Fibrinolyse
La lyse du caillot semble être très modérément réduite sous
acétate de chlormadinone. Le temps de lyse des euglobulines et le niveau de plasminogène
et son activateur sont normaux. L'acétate d'éthynodiol et la rétroprogestérone ne
modifient pas ces paramètres. Le médroxyprogestérone-acétate diminue le taux du
plasminogène.
Antithrombine III et protéine C
Les dérivés prégnanes et norprégnanes ne modifient pas ces
paramètres. En revanche, le lynestrénol (Orgamétril) diminue l'antithrombine III.
En résumé
Les estrogènes synthétiques surtout et les estrogènes équins, étant
susceptibles d'entraîner des anomalies de l'hémostase, le choix s'orientera vers les
estrogènes dits naturels. Le 17 -estradiol est actuellement le composé le plus
adapté pour le traitement de la ménopause. Administré par voie parentérale, le
17 -estradiol n'entraîne aucune anomalie de l'hémostase, pas de diminution de
l'antithrombine III, pas d'augmentation de fibrinogène ou de facteur VII.
Les progestatifs dérivés de la progestérone, associés au traitement
estrogénique, n'induisent pas d'effets notables sur l'hémostase.
Hormonothérapie et tension artérielle
Estrogénothérapie
Globalement, l'hormonothérapie post-ménopausique n'entraîne aucune
modification de la tension artérielle, ceci quelles que soient la molécule naturelle
utilisée et sa voie d'administration. Cependant, il ne s'agit que de données globales
alors que les variations individuelles semblent fréquentes et peu documentées.
Ainsi, une femme ménopausée sous estrogènes peut développer une
hypertension artérielle. Quelle est la part du traitement dans l'apparition de cette
HTA ?
Différentes études peuvent nous éclairer à ce propos ; elles
portent essentiellement sur les estrogènes équins (Prémarin) (10).
ó Crane et coll. se rendent compte que certaines femmes sous
estrogènes équins (Prémarin) développent une HTA sévère au cours du traitement. Ils
ont pu démontrer que ces femmes ont une perturbation de leur système
rénine-angiotensine sous Prémarin et que l'arrêt du traitement entraînait un retour à
la normale.
ó Pfeffer et coll. remarquent une augmentation de l'incidence de
l'hypertension parmi les femmes ménopausées qui utilisent des estrogènes équins. Il se
produit, en effet, une élévation moyenne (15 mm) sur la pression artérielle
systolique chez 12 p. cent des femmes sous Prémarin sur une période de plus de six mois
et une HTA systolique sévère chez 1,7 p. cent des femmes traitées.
ó Ni Hammond, ni Nachtigall et coll. ne retrouvent aucune HTA quand les
estrogènes équins sont utilisés.
ó Wren (18) démontre que bien que 16 p. cent des femmes recevant
du Prémarin développent une augmentation de la pression artérielle systolique, il
existe un pourcentage égal qui présente une baisse ; la pression moyenne de tout le
groupe est inchangée sur une certaine période. Cette différence dans les résultats
nous fait nous interroger sur cette inégalité des femmes ménopausées sous estrogènes
devant la maladie hypertensive et les traitements estrogéniques par voie orale.
ó Hassager et coll. ne trouvent aucune augmentation de la tension
artérielle chez les femmes traitées par de l'estradiol par voie orale ou par voie
cutanée, alors que le groupe sous placebo voit sa tension artérielle s'élever.
L'utilisation de l'estradiol pour ces auteurs permet d'éviter l'élévation de la tension
artérielle diastolique liée à la carence hormonale.
Ainsi, il apparaît de nouveau pour la tension artérielle, comme pour
le risque hépatique, glucidique ou thrombotique, une inégalité entre les individus face
aux estrogènes oraux. La majorité des femmes ne développe aucune pathologie mesurable,
un certain nombre présente une amélioration des paramètres mesurés et un autre groupe
une aggravation.
Effet de l'hormonothérapie substitutive sur les paramètres de la
tension artérielle
Suivant la dose, la molécule, la voie d'administration, il existe une
augmentation de certains facteurs de risque et dans le cas particulier une élévation de
l'angiotensinogène liée à l'impact hépatique des estrogènes donnés par voie orale et
des molécules de synthèse. Par ailleurs, il existe un facteur protecteur lié à un
effet des estrogènes, quel qu'il soit, par production de prostaglandine E ou de
prostacycline à l'intérieur des cellules endothéliales (17).
Ainsi, l'administration extradigestive d'estradiol aura un très léger
effet hypotenseur retrouvé dans l'ensemble des études cliniques. Les estrogènes donnés
par voie orale auront un effet variable suivant la puissance de la molécule utilisée, la
dose, mais surtout la susceptibilité individuelle. Avec les molécules et les doses
habituellement utilisées aujourd'hui, il n'y a pas statistiquement d'effet sur la tension
artérielle. Cependant, chez certains sujets à risque (anomalie de la sécrétion
hépatique d'agents presseurs, de la sensibilité vasculaire à ces derniers, insuffisance
de sécrétion d'agents vasodilatateurs ?), les estrogènes par voie orale sont
parfois susceptibles d'élever la tension artérielle ; l'effet statistique étant
masqué par le groupe de sujets ayant une tension artérielle qui baisse.
Progestatifs
Physiologiquement et pharmacologiquement, la progestérone a un effet
natriurétique lié à un effet antiminéralocorticoïde (dont est dérivée la
spironolactone).
La progestérone ne modifie pas la production d'angiotensinogène,
contrairement aux estrogènes.
Les progestatifs de synthèse habituellement employés ne reproduisent
pas l'action natriurétique de la progestérone (qu'il s'agisse de dérivés de la
progestérone ou de la nortestostérone).
Action des stéroïdes sexuels sur la glycorégulation
Estrogènes
Les estrogènes de synthèse et les estrogènes équins sont
soupçonnés d'altérer la tolérance glucidique en stimulant la sécrétion de l'hormone
de croissance.
Paradoxalement, l'estradiol naturel améliore la tolérance aux
glucides. Il exerce une action directe sur les cellules bêta-langerhansiennes par
l'intermédiaire des récepteurs estrogéniques présents à leur surface. Cette action
est visible sur une hypertrophie des cellules bêta et une hyperplasie des îlots.
Outre cet effet positif sur l'insulinogénèse, l'estradiol favorise
l'action insulinique au niveau périphérique et hépatique en stimulant la
glycogénogénèse, l'assimilation musculaire du glucose et la lipidogénèse.
Très récemment, il a été mis en évidence une différence de
réponse de l'insulinosécrétion entre Prémarin et estradiol transcutané, avec anomalie
de la réponse insulinique après charge en glucose IV pour la voie orale associée à une
disparition du pic précoce d'insulinosécrétion.
Progestatifs
La progestérone naturelle stimule l'insulinosécrétion des
cellules bêta par un effet trophique direct, mais également par le biais d'un
hyperinsulisme réactionnel lié à la résistance à l'insuline induite au niveau
musculaire et adipositaire.
En pratique, la prescription de progestérone orale micronisée
entraîne une hyperinsulinémie sans altération de l'équilibre glycémique. Chez la
femme diabétique, l'équilibre glycémique et les besoins insuliniques ne sont pas
modifiés.
Les progestatifs de synthèse, les dérivés prégnanes et la
rétroprogestérone paraissent dénués d'effet significatif sur la tolérance glucidique.
Les dérivés de la 19-nortes tostérone (noréthindrone, diacétate d'éthynodiol,
lynestrénol et le norgestrel), utilisés per os provoquent, après plusieurs mois
d'utilisation, une élévation de la réponse insulinique et glycémique. Cette
altération de l'insolunosensibilité est d'autant plus importante qu'une prédisposition
diabétique existe.
Apports d'estroprogestatifs et profil lipidique
Effets des estrogenes (9)
A forte dose (la notion de forte dose dépend de la molécule), les
estrogènes augmentent le taux du cholestérol, des triglycérides, des LDL, des HDL, des
VLDL, de l'apo B, de l'apo A, de l'apo C2.
Au fur et à mesure que l'on diminue la dose apportée pour se
rapprocher des doses physiologiques, les paramètres précités évoluent de la façon
suivante :
ó l'élévation du cholestérol total disparaît avec inversion de
l'effet et baisse du cholestérol total, ceci suit l'évolution des LDL et de l'apo
B ;
ó évolution identique des triglycérides et des VLDL ;
ó pour les HDL, la baisse de la dose d'estrogènes entraîne une baisse
des HDL qui restent cependant toujours supérieures au taux de base ;
Pour être complet, signalons deux travaux préliminaires, l'un mettant
en évidence une baisse de la Lp (a) sous estrogènes conjugués et un autre mettant en
évidence une diminution de l'oxydation des LDL avec diminution de leur transfert vers
l'intima.
Mais ces évolutions, si elles sont retrouvées chez tous les individus,
ne se retrouvent pas identiques à dose d'estradiol constante. Ainsi, il est bien connu
par exemple que sous éthinylestradiol à la dose de 30µg par jour certaines femmes
voient leur cholestérolémie monter, d'autres rester stable, d'autres baisser. La notion
de dose dépend de chaque femme suivant son capital génétique.
Mais aussi, à effet estrogénique équivalent, les effets métaboliques
sont différents suivant la voie d'administration encore appelés effets de premier
passage hépatique.
Ainsi, à effet thérapeutique équivalent, à doses
substitutives :
ó l'estradiol 17 par voie orale a tendance à élever les VLDL, les
triglycérides et le taux de HDL et à faire baisser les LDL ;
ó par voie parentérale, les LDL baissent aussi mais plus lentement,
les HDL s'élèvent de façon moindre et les triglycérides et les VLDL baissent.
En revanche, les estrogènes de synthèse ainsi que les estrogènes
semi-naturels (Prémarin) ont les mêmes effets métaboliques quelle que soit la voie
d'administration.
Comment peut-on expliquer l'évolution de ces paramètres sous
estrogènes ?
ó Les estrogènes augmentent l'épuration hépatique des LDL en
augmentant la synthèse des récepteurs apo B-E. Il est probable que cette augmentation de
la captation régulée des LDL entraîne une inhibition de l'activité de l'HMGCOA
réductase, donc de la production de cholestérol. Ces deux effets concourent à la baisse
de la cholestérolémie et du LDL cholestérol.
ó A faibles doses, les estrogènes augmentent la production d'apo A1,
entraînant une augmentation de production des HDL. Lorsque l'on augmente la dose
d'estrogènes au-delà des doses physiologiques, l'effet atteint rapidement un maximum et
ne progresse plus. Ceci explique l'augmentation modérée des HDL sous estrogènes avec un
faible impact hépatique.
ó A faibles doses, l'estradiol augmente la production d'apo C2
entraînant une meilleure épuration des VLDL. Là encore, au-delà des doses
physiologiques, il n'y a pas d'accroissement de l'effet. Ceci explique la baisse de la
triglycéridémie et des VLDL sous faibles doses d'estrogènes.
ó Par ailleurs, à doses pharmacologiques (2 mg d'estradiol par
voie orale) il y a inhibition de l'hepatic triglyceride lipase (HTGL). Ceci est
probablement responsable de l'élévation importante des HDL et des VLDL lors de
l'utilisation orale des estrogènes. L'impact de cette diminution de la captation des
HDL2, principale responsable de l'augmentation des HDL sous estrogènes oraux, n'est
certainement pas extrapolable à l'effet bénéfique observé lors des études
épidémiologiques.
Ainsi, en résumé, l'on peut dire que les estrogènes atteignant le
foie à taux physiologiques entraînent :
ó une baisse des LDL par une meilleure épuration et une plus faible
production,
ó une baisse des VLDL par une meilleure épuration,
ó une augmentation des HDL par une plus forte production.
A plus forte dose sur le foie :
ó l'effet sur les LDL dépend de la susceptibilité individuelle et de
la dose,
ó l'élévation des VLDL est liée à une plus grande production et
probablement une plus faible épuration,
ó l'élévation supplémentaire des HDL est liée à une baisse de la
captation hépatique des HDL2.
Effets des progestatifs
Il semble que la progestérone n'ait aucun effet sur le métabolisme
lipidique, comme en témoigne l'absence de modifications lors du cycle menstruel après
l'ovulation. Quant aux progestatifs, leurs effets dépendent de leur structure
moléculaire et de leur dose. La progestérone naturelle donnée per os ne modifie pas,
elle non plus, l'équilibre lipidique. Il est probable qu'il en est de même pour la
dihydroprogestérone (Duphaston). Les dérivés de la 17-hydroxyprogestérone n'ont pas un
effet notable. La tolérance métabolique des 19-norprogestérone semble elle aussi
excellente.
En revanche, ont ne retrouve pas du tout ces excellents résultats avec
des dérivés de la 19-nortestostérone, lynestrénol, (Orgamétril) la noréthistérone
(Norluten, Primolut-Nor) utilisés per os. Ces produits entraînent constamment, aux doses
préconisées dans des traitements substitutifs par voie orale, une baisse du cholestérol
total, des phospholipides, des triglycérides, des HDL2, des VLDL (faiblement) et de
l'apoprotéine A1. L'apport de doses beaucoup plus faibles par voie non digestive est à
l'étude, les résultats publiés montrent des modifications beaucoup moins importantes.
La physiopathologie de ces modifications est en rapport avec l'effet androgénique de ces
molécules sur le foie.
Il semble logique, devant les résultats exposés ci-dessus, d'utiliser
ces molécules progestatives dénuées d'effets métaboliques, conservant ainsi les effets
bénéfiques apportés par l'utilisation de l'estradiol 17 .
IV - INFLUENCE DES HORMONES SUR LES PAROIS ARTERIELLES ET LE COEUR
Après la ménopause il existe une augmentation des résistances
artérielles, mesurée par Doppler. Ceci a été mis en évidence au niveau de l'artère
utérine (3) et retrouvé au niveau d'autres troncs artériels comme l'artère mammaire
interne, les artères brachiale et carotidienne (5).
C'est à ce niveau qu'il a été trouvé une relation résistance/durée
de la ménopause.
L'administration d'estrogènes entraîne une baisse des résistances au
niveau de l'ensemble des artères étudiées. Si l'effet s'installe rapidement, il semble
qu'il faille plusieurs mois pour qu'il atteigne son niveau maximum.
La dose nécessaire de même qu'un éventuel effet dose ont été peu
étudiés.
En péri-ménopause, les moyennes d'estradiolémies nécessaires à
l'obtention de cet effet maximum vasodilatateur se situeraient à environ 60 pg/ml. Ce
chiffre ne peut être étendu aux taux nécessaires à la substitution hormonale tant les
situations sont différentes.
L'effet de l'adjonction d'un progestatif sur cette diminution des
résistances est peu connu. L'on sait que la progestérone sécrétée en seconde partie
de cycle ne modifie pas le tonus vasculaire. En thérapeutique, l'acétate de nonegestrol
n'influence pas l'effet bénéfique de l'administration d'estradiol par voie
transdermique. En revanche, certains progestatifs ayant un effet andiogénique entraînent
une diminution de l'effet bénéfique de l'administration d'estradiol.
Au niveau cardiaque, les estrogènes provoquent une augmentation du flux
d'éjection systolique et auraient globalement un effet inotrope positif (12). Par
ailleurs, ils augmenteraient la phase active d'éjection auriculaire, entraînant une
meilleure perfusion coronaire (16).
Nous avons déjà vu que les estrogènes s'opposent au vasospasme
coronaire paradoxal induit par l'acétyl choline sur les artères athéromateuses chez la
guenon castrée. Cet effet a pu être démontré aussi chez la femme (8).
Enfin, l'administration aiguë d'estradiol par voie perlinguale chez des
femmes ayant un angor augmente, lors d'une épreuve d'effort, le temps nécessaire à
l'obtention d'un sous-décalage du segment ST et diminue l'importance de ce sous-décalage
(13).
Comment les estrogènes agissent-ils sur le tonus vasculaire ?
Cette question est en pleine discussion. Le tonus vasculaire tient à
l'équilibre entre des facteurs vasoconstricteurs (Tx A2 endotheline, angiotensine 2)
et vasodilatateurs (Pg I2, EDRF). Des travaux expérimentaux préliminaires semblent
aller dans le sens d'une augmentation de la production locale de Pg I2 (17) et de
dérivés nitrés (EDRF) (7).
V - AUTRES EFFETS DES ESTROGENES
De nombreuses autres voies sont en cours d'exploration pour expliquer
les effets bénéfiques des estrogènes sur le risque cardiovasculaire.
Estrogènes et stress
Il vient d'être démontré que les manifestations cliniques du stress
ainsi que les réactions hormonales (sécrétions surrénaliennes) sont très nettement
diminuées chez des femmes recevant des estrogènes.
Estrogènes et apnée du sommeil
Des travaux préliminaires montrent que la fréquence des apnées du
sommeil serait diminuée chez les femmes sous hormonothérapie substitutive.
`
VI - TRAITEMENTS DE LA MENOPAUSE ET MALADIE CARDIOVASCULAIRE
Nous disposons, pour répondre à cette question, de 32 études
publiées entre 1974 et 1991. 12 études cas témoins et 20 études cohortes groupant
10 370 utilisatrices (6, 14).
Malgré des réserves méthodologiques liées à la non-randomisation
des groupes étudiés, en faisant une méta-analyse de toutes ces publications, on
constate que le risque cardiovasculaire global des femmes ménopausées sous
estrogénothérapie est inférieur à 1 (RR = 0,6 ± 0,3 et même RR = 0,5 ±
0,3 pour les publications postérieures à 1985).
Ainsi, en d'autres termes, l'estrogénothérapie diminuerait de 40 à
50 % le risque de développer une pathologie cardiovasculaire et/ou d'en mourir.
Une étude importante vient cependant contrarier cet optimisme : Il
s'agit de l'étude de Framingham publiée en 1985 par Wilson. Bien que des critiques aient
été émises sur ce travail, il ne faut pas en sous-estimer l'importance. Cette étude a
été débutée avant que les risques métaboliques des estrogènes oraux ne soient pris
en compte. Dans les études ultérieures, la sélection des femmes a été plus rigoureuse
et ceci peut avoir optimisé les résultats. Un travail prospectif de Sullivan (15),
venant après ceux de Gruchow et Mac Farland, a étudié la survie à 10 ans de femmes
ayant bénéficié d'une coronarographie. Dans cette étude, le bénéfice de
l'estrogénothérapie semble d'autant plus important que le degré de sténose était le
plus élevé au départ. L'importance du nombre de perdues de vue dans ces études doit
malgré tout rendre circonspect quant à l'opportunité d'utiliser des estrogènes par
voie orale sur un tel terrain.
L'influence d'un traitement progestatif associé sur le risque
cardiovasculaire n'a pratiquement pas été étudiée dans des études de morbimortalité.
Cette influence est extrapolée à partir de l'évolution des facteurs de risque sous
traitement. Les progestatifs utilisés en France donnent de bonnes garanties d'innocuité
métabolique, mais on sait peu de leur influence sur les effets vasculaires et cardiaques
directs des estrogènes.
Ainsi, contrairement au dogme communément admis, les travaux publiés
du fait de leurs faiblesses méthodologiques ne permettent pas d'être complètement
affirmatif vis-à-vis d'un effet protecteur cardiovasculaire de l'hormonothérapie
substitutive utilisée per os dans la population générale. On peut simplement conclure
que, dans les populations sélectionnées étudiées (saines), les estrogènes oraux
diminuent le risque cardiovasculaire.
VII - BENEFICES REELS CARDIOVASCULAIRES DE L'HORMONOTHERAPIE
SUBSTITUTIVE
Ce problème peut être abordé de deux façons :
ïL'une optimiste : la mortalité coronarienne est responsable de
30 % des décès des femmes ménopausées, et une femme ménopausée a 40 % de
risque de souffrir d'une coronaropathie.
Une modification du risque coronarien de 50 % a une très forte
influence sur la morbimortalité de la femme ménopausée. Le bénéfice à attendre est
infiniment supérieur aux autres effets préventifs et contrebalance d'éventuels effets
secondaires.
ïUne autre vision moins idyllique est probablement plus juste
S'il est exact que le risque cardiovasculaire est élevé chez la femme
ménopausée, il ne faut pas oublier que l'espérance de vie d'une femme de 50 ans est de
35 ans (près de 10 ans supérieure à celle de l'homme) et, de ce fait, il y a peu de
chance que l'on puisse, par ces mesures thérapeutiques, réellement modifier cette
espérance.
Si la durée de vie calculée peut être augmentée en moyenne d'un an
par l'utilisation d'un traitement hormonal (dont il reste à déterminer à durée), en
réalité cette augmentation passe à 2 ans dès qu'il existe des facteurs de risque
d'athérome, et c'est cette modification de 2 ans sur 30 % de la population qui
expliquerait le résultat global. Ceci rejoint le travail de Sullivan (15) qui a montré
que l'augmentation de la durée de vie n'existe que chez les femmes ayant au préalable
une sténose coronarienne serrée. Il semble bien que la prévention cardiovasculaire chez
les sujets sains (la seule qui ait été démontrée) n'a pas de réel sens. En revanche,
une prévention efficace dans les groupes à risque (dyslipidémie, HTA, diabète,
tagagisme...) apporterait un réel bénéfice global et individuel. Il en est de même de
la prévention secondaire. Il reste à démontrer que les traitements qui ont fait leurs
preuves sur la population générale (saine) gardent les mêmes propriétés dans ces
sous-groupes.
Dans cette attente, il paraît logique - si l'on ne veut pas prendre de
risques inutiles - d'utiliser les produits ayant, bien entendu, les mêmes effets
bénéfiques mais sans effets délétères sur les marqueurs de la coagulation, de la
glycorégulation, de la tension artérielle, etc.
Ceci pose clairement le problème du choix des molécules et des voies
d'administration.
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