THM : quelle durée pour l'os et
quelles conséquences pour le sein et le cœur ?
C. JAMIN
Les bénéfices osseux du THM
Le traitement hormonal substitutif de la ménopause
(THM) a sans aucun doute démontré son efficacité dans la prévention
primaire et secondaire du risque de perte osseuse post-ménopausique ainsi que
du risque fracturaire. Il a été démontré que les estrogènes
administrés en début de ménopause prévenaient la perte osseuse
post-ménopausique et qu'il s'agissait d'un maintien du contenu minéral
osseux et d'une prévention de l'altération de la structure osseuse. Cet
effet se poursuit tout au long de la prise du traitement et la perte osseuse reprend
son rythme normal à l'arrêt de la substitution hormonale (2, 7).
Les femmes sous traitement ont un contenu
minéral osseux supérieur à celles qui n'en ont jamais pris ou qui
ont cessé d'en prendre. Si l'on compare à des femmes qui n'ont jamais
pris de traitement, des femmes qui ont commencé ou tôt ou tard un THM,
seules celles encore sous traitement au moment de l'évaluation ont un contenu
minéral osseux différent de celui des femmes n'ayant jamais utilisé
le traitement. En revanche les femmes ayant utilisé dans le passé un THS
ont un contenu minéral osseux peu différent de celles n'en ayant jamais
utilisé. Une petite différence doit être cependant notée : lorsque
le traitement a été commencé tôt après le début de
la ménopause, il persiste à distance un petit effet bénéfique
(1).
Lorsqu'on compare le contenu minéral
osseux des femmes en cours de traitement, on constate que celles qui ont commencé
la prise d'hormones tout de suite après la ménopause ont un contenu minéral
osseux sur tous les sites supérieur à celui des femmes ayant commencé
le traitement à distance de la ménopause (8).
Le risque fracturaire est diminué
chez les femmes en cours de traitement, que celui-ci ait été débuté
tard ou tôt (2, 11). La diminution du risque fracturaire est cependant plus
importante chez les femmes ayant débuté le traitement tôt après
la ménopause (2,9). L'efficacité préventive du THS s'observe quel
que soit le groupe de femmes étudié, en particulier la diminution du risque
relatif de fracture est le même quel que soit l'âge, le poids, le statut
tabagique, l'histoire des chutes et les antécédents personnels ou familiaux
de fracture, la prise de calcium, l'utilisation d'un traitement hormonal subsitutif
antérieur et le poids (11).
Bien évidemment ceci n'est vrai
qu'en termes de risque relatif (RR) et en termes de risque attribuable, l'influence
du RR augmentant avec les facteurs de risque de fracture classiques.
Après l'arrêt du traitement
le bénéfice en termes de contenu minéral osseux de même qu'en
termes de risque fracturaire, tant au niveau vertébral qu'osseux, semble disparaître
rapidement.
Pour conclure on peut dire à ce
jour que l'efficacité du THM en termes de contenu minéral osseux est d'autant
plus important que le traitement a été commencé plus tôt et
poursuivi sur une plus longue durée. Le bénéfice pour le contenu
minéral osseux s'amenuise rapidement avec l'arrêt du traitement. Pour
le risque fracturaire la diminution est elle aussi d'autant plus importante que
le traitement a été débuté tôt et pris pendant longtemps.
Cependant tant pour le contenu minéral osseux que pour le risque fracturaire,
le traitement reste efficace quel que soit l'âge auquel il a été
débuté, y compris pour des débuts très tardifs.
Ceci peut s'expliquer ainsi : il existe
en début de ménopause une destruction de la micro architecture osseuse,
ce qui entraîne une baisse du contenu minéral osseux et une fragilisation
de l'os. Sous traitement hormonal les estrogènes ralentissent fortement cette
altération de la micro-architecture ainsi que la diminution de la charge calcique.
Or si le traitement est débuté tardivement la destruction de la micro-architecture
a déjà eu lieu et est irréversible. Le traitement hormonal substitutif
n'agit alors plus que sur la diminution de la charge caicique et la poursuite de
la destruction de la trame protéique. Ainsi un traitement débuté
tardivement diminue le risque fracturaire mais ne sera jamais aussi efficace que
si, ayant été débuté tôt, il avait prévenu les altérations
irréversibles de la structure osseuse.
Il existe par ailleurs des effets anti-fracturaires
des traitements hormonaux de la ménopause, par d'autres biais que la structure
osseuse ou son contenu en calcium. La diminution du risque fracturaire à distance
de la ménopause est beaucoup trop rapide pour être expliquée par
ces simples phénomènes structurels.
Ainsi, pour être efficace en termes
osseux, le THS doit être débuté tôt et poursuivi très longtemps.
Les risques du THS
Les risques du traitement hormonal substitutif
dépendent de l'âge et de la durée de celui-ci.
Le risque de thrombose veineuse est
maximum en termes de RR en début de traitement, mais se poursuit tout au long
de sa durée, pour peu que l'estrogène soit administré par voie orale.
Comme le risque spontané est relativement faible à l'âge de 50 ans,
l'augmentation du risque attribuable, hors des femmes à risque, est modeste
jusqu'à l'âge de 65 ans. Au-delà l'augmentation du risque spontané
rend l'augmentation du RR beaucoup moins acceptable. 65 ans est précisément
l'âge auquel le THM est efficace en termes de diminution du risque fracturaire
vertébral. En première approche on peut donc dire que si un THS est prescrit
pour la prévention fracturaire, l'utilisation des formes orales est contre-indiquée
au-delà d'un certain âge, âge mal défini mais probablement supérieur
à 60 ans.
Le risque coronarien n'a été
démontré qu'avec l'estrogénothérapie orale administrée
en association avec du médroxyprogestérone acétate, et même
s'il existe des arguments pour penser que cette augmentation du risque serait moindre
ou inexistante avec les formes non orales et/ou avec d'autres progestatifs, rien
ne permet aujourd'hui de l'affirmer. Le risque coronarien comme le risque vasculaire
cérébral est maximum en début de traitement, mais là encore
le risque spontané augmentant avec l'âge, le risque attribuable est relativement
faible chez les femmes récemment ménopausées, mais devient préoccupant
au-delà d'un certain âge, en particulier le risque d'accident vasculaire
cérébral est non acceptable chez des femmes au-delà de 65 ans avec
le traitement testé, oestrogènes conjugués équins oraux plus
médroxyprogestérone acétate.
Si on intègre ceci dans le risque
global, l'augmentation du risque artériel, coronarien et vasculaire cérébral,
est maximum en termes de risque attribuable à l'âge où le traitement
est efficace en termes de risque ostéoporotique.
Le cancer du sein
Le THM augmente les découvertes de cancer
du sein globalement de manière relativement mineure, avec un RR à 1,2.
Il n'y a à ce jour pas de raison
de penser que le risque est différent suivant l'estrogène utilisé,
sa voie d'administration ainsi que le progestatif utilisé.
Mais là, contrairement à
ce qui touche au risque vasculaire, le risque relatif augmente avec la durée
du traitement.
L'augmentation du risque disparaît
rapidement à l'arrêt du traitement : il est donc probable qu'il s'agit
d'un phénomène de promotion de cancers existants. Ainsi comme le risque
spontané de cancer du sein augmente avec l'âge, la révélation
de ces cancers par stimulation exogène augmente elle aussi logiquement avec
l'âge. Globalement le RR est faible mais il semble que sur de longues durées
de traitement (7 à 10 ans), le RR devient élevé, induisant de ce
fait un risque attribuable élevé.
On manque de données sur l'influence
des traitements sur de plus longues durées. En effet s'il s'agit bien d'un
effet de promotion, il serait logique de constater une diminution après un
certain temps. Cette diminution, possible d'après certains travaux, est cependant
loin d'être prouvée.
L'influence des traitements sur la
mortalité globale par cancer du sein est aujourd'hui encore objet de débats.
Il reste admis, malgré les récents résultats de l'étude WHI,
que les cancers découverts seraient de forme histologique mieux différenciée
et de meilleur pronostic.
Ainsi le risque de cancer du sein en
termes de découverte devient non acceptable pour des durées compatibles
avec une protection osseuse.
Pour conclure, on se trouve donc face
à ce paradoxe (4, 5) : le THM a une efficacité prouvée vis à
vis de la prévention de la perte osseuse et du risque fracturaire, à la
condition que celui-ci soit débuté tôt et poursuivi longtemps. Le
risque est diminué même s'il est commencé de manière tardive.
Si le traitement est commencé tôt et poursuivi longtemps, les bénéfices
osseux sont à terme obérés par l'augmentation du risque attribuable
en termes vasculaires et par l'augmentation des risques relatifs et attribuables
de cancer du sein. Si le traitement est commencé tard son efficacité anti-fracturaire
existe même si elle est moindre, mais dans ce cas c'est l'induction du traitement
qui devient dangereuse en termes vasculaire, sachant que nous disposons de peu de
données pour le sein, même si dans l'étude WHI les traitements de
courte durée chez les femmes d'un âge avancé ne semblent pas augmenter
le risque de cancer du sein.
Y a-t-il d'autres stratégies ?
Le THM est efficace dans la première partie
de la ménopause sur la symptômalogie ménopausique et sur la préservation
de la micro-architecture osseuse. Pour peu que les traitements soient bien choisis
et les terrains sélectionnés, il ne semble pas y avoir d'inconvénient
majeur à l'utilisation de ces traitements hormonaux en début de ménopause
sur des durées de 5 à 7 ans. L'arrêt du traitement fait disparaître
le bénéfice osseux, il faut donc chez les femmes à risque trouver
une solution ultérieure.
Le raloxifène donne les mêmes
inconvénients au niveau veineux que le THM oral et on ne sait rien sur son
influence sur les risques artériels. Il n'a pas d'effet néfaste, même
au contraire, sur le risque mammaire. Malheureusement ce traitement n'a démontré
d'efficacité que sur les fractures vertébrales : il pourrait donc malgré
tout représenter une réponse au problème posé en relais chez
les femmes n'ayant qu'un risque vertébral (10).
Les bisphosphonates ont eux démontré
une efficacité au niveau fémoral et vertébral en prévention
de la perte osseuse, y compris avec de faibles doses, et en diminution du risque
fracturaire avec les doses classiques. Ils pourraient représenter une solution
chez les femmes chez qui on arrête un THM après la durée définie
ci-dessus chez les femmes à risque osseux, évalué sur la mesure du
contenu minéral osseux. Cependant nul ne sait quelles seraient les conséquences
de l'utilisation au-delà de 10 ans de ce type de traitement, donc statistiquement
au-delà de 65 ans. Même si leur effet rémanent est supérieur
à celui du THS, l'arrêt des biphosphonates à 65 ans fera à terme
perdre tout effet protecteur osseux. Il y a donc une nécessité urgente
de poursuivre l'évaluation de ces traitements sur de très longues durées,
en particulier en relais du THM.
La tibolone
La tibolone pourrait elle être proposée
en début de ménopause à la place du traitement hormonal classique
ou en relais de celui-ci. Elle est en effet efficace sur la symptômatologie
ménopausique. La tibolone prévient la perte osseuse post-ménopausique
au même titre que les traitements estrogéniques et représente donc
indiscutablement un outil dans la prévention primaire (10). Des travaux sur
le risque fracturaire sont en cours mais aujourd'hui ce traitement n'est pas proposé
en prévention secondaire ou primo-secondaire, à savoir chez les femmes
qui ont un contenu minéral osseux très bas. Certains arguments et études
suggèrent que ce traitement n'aurait pas les mêmes inconvénients
mammaires que le traitement hormonal classique, ce qui permettrait de le poursuivre
bien au-delà des durées admises aujourd'hui pour le THM. Les travaux disponibles
sur le risque veineux ne nous donnent pas les mêmes inquiétudes qu'avec
le THM oral. Nous manquons en revanche de résultats sur le risque vasculaire
artériel, coronarien et vasculaire cérébral. Les résultats seront
certainement disponibles dans les critères secondaires des études en cours
sur l'ostéoporose et le cancer du sein.
La tibolone pourrait donc représenter
un traitement alternatif intéressant pour la prévention du risque fracturaire,
grâce à une utilisation de plus longue durée.
Ainsi la prise en charge préventive
du risque d'ostéoporose est aujourd'hui encore ouverte à discussion (6).
Le THM, soit estro-progestatif classique, soit tibolone, peut être utilisé
dans la prévention de l'altération de la micro-architecture osseuse et
de la baisse du contenu calcique en début de ménopause. Le traitement
estroprogestatif devra être interrompu au fur et à mesure que les facteurs
de risque vasculaire et mammaire apparaissent : un relais est donc nécessaire,
soit par le raloxifène, soit par les biphosphonates, sachant qu'aujourd'hui
ni l'un ni l'autre ne représentent de solution validée sur de très
longues durées de traitement. Il est possible que la tibolone puisse être
poursuivie bien au-delà des durées admises aujourd'hui pour le traitement
estroprogestatif, mais il faut attendre les résultats des études en cours
pour pouvoir être affirmatif.
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POUR LE SEIN ET LE CœUR ? 337
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