CERTAINS CANCERS INVASIFS DU COL UTERIN SONT-ILS INEVITABLES ? FORMES
RAPIDES, FEMMES JEUNES, IMMUNODEPRIMEES
L. JUNCKER, J.P. LEFRANC ET A. DE GAYFFIER
L'incidence et la mortalité du cancer invasif du col ont diminué dans les pays
développés en particulier après mise en place de programmes de dépistage : en Suède
par exemple un dépistage systématique tous les trois ans a fait disparaître 75 % des
cancers invasifs [1].
Alors que ces résultats laissaient imaginer que le problème du cancer invasif était
en passe d'être réglé, ont été individualisées des formes cliniques pouvant
échapper au dépistage même bien conduit : formes évoluant rapidement, femmes jeunes et
femmes immunodéprimées.
1. FORMES RAPIDES
Le cancer du col dans sa forme habituelle est une tumeur à croissance lente évoluant
sur plusieurs années pour passer d'une néoplasie intraépithéliale au cancer invasif.
Il semble exister des formes d'évolution rapide pour lesquelles ce délai est
considérablement réduit et qui surviennent chez des patientes ayant eu des frottis
négatifs moins de trois ans avant. Ces formes rapides, peu décrites dans la
littérature, sont estimées de façon très variable, de 4 à 22 % des cancers
invasifs [2].
Leur individualisation peut être sujette à discussion et à critique étant donné
les erreurs possibles du prélèvement cytologique et de la lecture du frottis (faux
négatifs), la non relecture des lames lors de certaines études rétrospectives et la
corrélation difficile entre cytologie et histologie.
Tableau I - Incidence de faux négatifs des frottis en cas de cancer du col (d'après
M.E. Crowther [3])
Il y a des formes endocervicales et des tumeurs desquamant peu ou de façon
irrégulière non ou difficilement accessibles au dépistage cytologique [4].
Le fait que les " formes rapides " représentent un sous-groupe à part des
cancers invasifs du col est estimé de façon variable selon les auteurs. Pour certains
elles semblent plus fréquentes chez les sujets jeunes, plus volumineuses pour un même
stade et avec taux d'envahissement ganglionnaire plus important (tumeur en poussée
évolutive ?) [5].
Il n'existe pas de facteurs de risque évidents : seule a été notée l'association
plus fréquente du papillomavirus HPV 16 qui semble un marqueur de progression rapide [6].
Pour Peters [4] les erreurs de dépistage (technique de prélèvements, lecture des
lames) n'expliquent pas les formes à croissance rapide : il existe des formes évoluant
trop rapidement ou ne desquamant pas leur permettant d'échapper à un dépistage bien
fait.
Le pronostic de ces formes rapides semble plus défavorable.
2. FEMMES JEUNES
Le cancer du col de la femme jeune est défini en général par un âge frontière de
35 ans pour certains, 40 ans pour d'autres.
Depuis 25 ans, l'incidence et la mortalité du cancer invasif du col chez la femme
jeune ont augmenté considérablement alors qu'ils diminuent dans l'ensemble de la
population.
En Grande-Bretagne l'âge moyen au moment du diagnostic est passé de 50 à 35 ans en
10 ans [7].
Les causes évoquées sont : le changement du comportement sexuel avec l'augmentation
des maladies sexuellement transmises, HPV et autres cofacteurs mal connus, le tabac et la
contraception oestroprogestative pour lesquels les études sont contradictoires.
Tableau II - Incidence et mortalité pour les patientes jeunes (d'après M.E. Crowther
[3])
La proportion d'adénocarcinomes, classiquement de 5 à 10 %, a augmenté pour les
femmes jeunes atteignant pour certaines études 50 % [3].
Tableau III - Augmentation de l'incidence des adénocarcinomes chez les patientes
jeunes (d'après M.E. Crowther [3])
Pour certains auteurs, il y a plus d'échecs du dépistage cytologique chez les femmes
jeunes car les faux négatifs sont particulièrement fréquents, jusqu'à 50 % [2] et il y
a une tendance à minimiser un frottis anormal [8]. Le diagnostic cytologique
d'adénocarcinome cervical est plus difficile que celui du carcinome épidermoide
expliquant de nombreux faux négatifs.
Il existe probablement des cancers du col à comportement biologique différent et à
croissance rapide expliquant des frottis normaux peu de temps avant le diagnostic. Ces
formes ne semblent cependant pas plus fréquentes chez les sujets jeunes [3].
Le cancer de la femme jeune est plus souvent asymptomatique et est souvent
diagnostiqué par un frottis systématique [9].
Les erreurs de diagnostic sont également plus fréquentes car le col peut être
macroscopiquement sain ou la lésion considérée comme bénigne.
3. IMMUNODEPRIMEES
Une immunodépression peut accompagner de nombreux états pathologiques (cancer,
infection, malnutrition, ...) ou être iatrogénique (immunosuppresseurs, ...).
Les cancers du col et leurs états précurseurs chez les patientes immunodéprimées
ont été étudiés surtout depuis l'apparition de l'infection par le VIH.
L'épithélium cervical normal présente les principaux éléments de la réponse
immunitaire (cellules de Langerhans, cellules T, macrophages). La guérison des lésions
cervicales à Papillomavirus semble impliquer la réponse immunitaire : cette réponse est
variable en fonction de l'évolution de l'infection. Autour des lésions en régression,
les cellules de Langerhans, les macrophages et les cellules T sont nombreuses. En cas
d'immunodépression, l'évolution des néoplasies intraépithéliales et à HPV est
modifiée : les cellules de Langerhans sont beaucoup moins nombreuses, témoin direct de
l'immunodépression locale.
Le VIH en particulier modifie l'histoire naturelle des dysplasies même en l'absence
d'infection à HPV. Il déprime directement la réponse immunitaire locale et stimule la
production de cytokines et la prolifération des cellules épithéliales.
L'immunodépression s'accompagne d'une élévation de la fréquence des néoplasies
intraépithéliales qui est chiffrée de façon variable selon les études : ceci a été
montré en particulier pour les patientes greffées [10] et les patientes VIH+
immunodéprimées [11].
Cependant le rôle causal de l'immunodépression dans la progression d'une néoplasie
intraépithéliale vers un cancer invasif n'est pas établi. En particulier, aucune étude
à ce jour n'a montré une augmentation significative de la fréquence du cancer invasif
chez les patientes VIH+ ni d'évolution plus rapide des néoplasies intraépithéliales
(CIN) en cancer invasif. On ne sait pas si l'immunodépression due au VIH peut accélérer
la progression des CIN vers une lésion invasive ou si elle ne favorise que la persistance
des CIN.
Les lésions chez les patientes immunodéprimées sont caractérisées par leur
multifocalité : col, vagin et vulve.
La surveillance des patientes est particulière, même si le nombre de cancers invasifs
est minime. En effet le pronostic général des maladies causales tendant à s'améliorer
il faut éviter un décès par cancer du col à ces patientes.
Cette surveillance passe par des examens répétés au moins annuels avec frottis et/ou
colposcopie. Il semble licite de surveiller les lésions de bas grade, les lésions de
haut grade doivent être traitées.
4. CONCLUSION
L'étiologie et la biologie de ces trois formes particulières de cancer invasif du col
sont peu connues ou inexpliquées actuellement. Leur prise en charge passe par une
meilleure compréhension des différents cofacteurs exo- ou endogènes intervenant dans la
carcinogenèse permettant un dépistage et un traitement appropriés.
BIBLIOGRAPHIE
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1996.
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an increase in the prevalence of cervical neoplasia. Br. J. Obs. Gynaecol., 1993;100
:149-153.
L. JUNCKER, J.P. LEFRANC ET A. DE GAYFFIER* Clinique chirurgicale et
gynécologique (Pr. J. Blondon), Hôpital de la Salpêtrière, 47-83 boulevard de
l'Hôpital, 75651 Paris Cedex 13.
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