Chapitre XXV
EPIDEMIOLOGIE DES ETATS PRENEOPLASIQUES DE L'ENDOMETRE
LEFRANC J. P. ; TRUCHET F. ; KAMEL R.
Introduction
L'existence de lésions pré-néoplasiques de l'endomètre est
unanimement reconnue. Mais, l'étude de la littérature consacrée à la maladie
hyperplasiante de l'endomètre révèle de très nombreuses contradictions quant à leur
limite et à leur terminologie. La fréquence et l'incidence de ces lésions sont très
imprécises et très mal connues. Limité aux femmes présentant des facteurs de risques,
le dépistage laisse échapper plus de 20% des cancers et probablement davantage de
lésions frontières [3].
DEFINITIONS
L'hyperplasie de l'endomètre est souvent comparée aux dysplasies du
col utérin. Comme elles, certaines régressent spontanément grâce à des traitements
médicaux, certaines persistent malgré eux, et certaines évoluent vers l'adénocarcinome
endométrial. Mais, contrairement aux dysplasies cervicales, il n'existe pas de dépistage
de lésions pré-néoplasiques de l'endomètre.
Les lésions pré-néoplasiques de l'endomètre regroupent un large
éventail d'anomalies histologiques; hyperplasie kystique, hyperplasie adénomateuse,
hyperplasie atypique. Le carcinome in-situ définit par Hertig [7] constitue une forme
assez particulière: formation de glandes adossées les unes contre les autres et
tapissées de cellules claires; mais le curetage est insuffisant pour éliminer une
possible invasion.
Cependant, cette classification apparaît controversée, et il semble
que l'élément péjoratif soit la présence d'atypies cellulaires. A l'inverse, une
hyperplasie sans atypie cellulaire ne semble pas être une lésion réellement
pré-invasive.
Enfin, il existe de nombreux cas de cancers de l'endomètre où aucune
hyperplasie, ni hyperoestrogénie ne sont constatées et ils sont souvent de plus mauvais
pronostic.
HISTORIQUE
Cullen, en 1900, décrivait déjà "l'hyperplasie atypique"
comme la première modification de l'endomètre avant l'apparition du cancer. En 1932,
Taylor constatait que sur 257 cas d'hyperplasie, 2 seulement s'étaient transformés en
cancer. Inversement, sur 152 cas de carcinome endométrial, 15 seulement montrait des
signes histologiques d'hyperplasie associée au cancer. De 1947 à 1963, Gusberg [5 - 6]
classe les différentes formes d'hyperplasie, et note que la persistance de la stimulation
oestrogénique représente l'élément le plus important du développement des
hyperplasies; mais la question du facteur qui déclenche la transformation de
l'hyperplasie atypique en cancer, reste sans réponse. En 1949, Gusberg , Kaplan et Hertig
[7] arrivent à la même conclusion: le développement d'un cancer endométrial est
précédé souvent, bien des années auparavant, par une hyperplasie atypique. Si une
hyperplasie glandulaire banale ne se transforme pas généralement en cancer, par contre
l'hyperplasie atypique aboutira au cancer si elle n'est pas diagnostiquée et traitée à
temps [5].
INCIDENCE
La fréquence des lésions pré-néoplasiques de l'endomètre est très
imprécise et très mal connue. En effet, la plupart des prélèvements utérins sont en
règles pratiqués chez des patientes symptomatiques (méno- et/ou métrorragies). Il
apparaît difficile d'en apprécier l'incidence réelle.
Après la ménopause, l'involution de la muqueuse utérine se fait
progressivement vers l'atrophie. Mais on peut voir persister 10% d'endomètres
prolifératifs et 3% d'hyperplasies. De même, longtemps après l'aménorrhée peuvent
réapparaître des endomètres hyperplasiques, spontanément, ou sous l'influence d'une
tumeur ovarienne sécrétante [12], ou sous l'influence d'un traitement hormonal
substitutif non équilibré par un progestatif.
L'incidence du cancer de l'endomètre augmente régulièrement (25/100
000), par rapport au cancer du col utérin (20/100 000), dont l'incidence diminue grâce
au dépistage et au traitement des dysplasies.
L'épidémiologie des états précancéreux de l'endomètre révèle de
nombreuses difficultés ; si la présence d'une lésion pré-néoplasique précède de 10
ans le cancer invasif, dans un cas sur deux l'adénocarcinome endométrial n'est pas
associé à une hyperplasie.
L'étude de la littérature souligne la difficulté des études
rétrospectives. Wentz et Sherman [16] ont analysé plus de 10 000 curettages et ont
retrouvé des résultats comparables:
Hyperplasie Kystique
|
5,6% |
4,8% |
- |
Hyperplasie Adénomateuse
|
2,9% |
2,4% |
2,7% |
Hyperplasie Atypique
|
1,1% |
1,4% |
1,4% |
Une étude faite dans le Service de Chirurgie Gynécologique de l'Hôpital de la
Salpétrière analyse 200 examens histologiques prélevés de janvier 1991 à janvier 1992
(100 curettages biopsiques et 100 hystérectomies).
TABLEAU 2
200 Patientes ( 100 CB, 100 HT )
Hyperplasie Glandulo-Kystique ( n = 18 ) 9%
Hyperplasie Adenomateuse ( n = 13 ) 6,5%
Sans Atypie 4,5%
Atypie Cellulaire 2,0%
Adénocarcinome 5,0%
ETIOLOGIE
Les principales études épidémiologiques montrent que les lésions pré-cancéreuses
sont induites par une stimulation oestrogénique excessive [14]. La sécrétion continue
d'estrogènes détermine une hyperplasie endométriale. Aussi est-il tentant de
considérer les estrogènes comme une cause essentielle dans la constitution des états
pré-cancéreux, d'autant que des facteurs endocriniens se retrouvent souvent chez les
femmes présentant des lésions précancéreuses de l'endomètre. Mais, l'administration
d'oestrogènes induit un faible pourcentage de cancer.
Les oestrogènes seraient donc un facteur promoteur plus qu'un facteur d'initiation ou
un facteur carcinogène complet [2].
Le syndrome de Stein-Leventhal constitue une cause connue d'hyperoestrogénie
endogène, fréquemment incriminée dans la génèse des hyperplasies et des cancers de
l'endomètre. Des études récentes relèvent le jeune âge des patientes (surtout avant
50 ans), le caractère bien différencié des lésions et la fréquence des associations
hyperplasie et cancer.
Dikran et Chamlian [4] ont retrouvé parmi 97 jeunes patientes porteuses d'une
hyperplasie de l'endomètre , 24 syndrome de Stein-Leventhal, et ont analysé 12 produits
de curetage;
TABLEAU 3
97 femmes porteuses d'une hyperplasie de l'endomètre ( < 40 ans )
Syndrome de Stein - Leventhal, n = 24 ( 25% )
Curetage Biopsique, n = 12
---> 6 Hyperplasies adénomateuses
---> 5 Hyperplasies atypiques
---> 1 (Carcinome in situ
L'insuffisance lutéale; Kaiser [9] , en 1983, élargit le cadre étiologique de
l'hyperoestrogénie à l'ensemble des troubles fonctionnels ovariens dans lesquels
l'anovulation se solde par un déficit chronique en progestérone. Les cycles
anovulatoires plus fréquents à l'approche de la ménopause pourraient expliquer
l'incidence accrue des hyperplasies et des cancers de l'endomètre dans les ménopauses
tardives.
Les tumeurs sécrétantes de l'ovaire : en 1936, Novak [13] attire l'attention
sur le rôle des tumeurs sécrétantes de la thèque ou de la granulosa dans la génèse
du cancer de l'endomètre. Gusberg et Hertig confirment ces données et retrouvent un
nombre élevé de lésions pré-néoplasiques:
TABLEAU 4
|
n |
lésions pré-néoplasiques |
Adénocarcinome |
Gusberg- Kardon |
115 |
43% |
21% |
Mansell - Hertig |
75 |
9% |
15% |
L'oestrogénothérapie: des études épidémiologiques montrenque le risque de
survenue de l'hyperplasie dépend de la durée du traitement et de la dose. L'effet
protecteur est total avec l'administration d'un progestatif pendant 12 à 13 jours par
mois [16].
Il a été noté l'incidence accrue des hyperplasies endométriales sous contraception
orale séquentielle lorsqu'il existe une composante progestative à la fois trop faible et
trop courte [1].
FACTEURS DE RISQUE
Les hyperplasies adénomateuses de l'endomètre partagent avec l'adénocarcinome
endométrial les mêmes facteurs de risque: obésité, nulliparité, hypertension
artérielle, diabète.
L'âge moyen est de 51 ans en cas d'hyperplasie simple, et de 56 ans en cas
d'hyperplasie atypique [15].
L'obésité constitue le facteur de risque le plus fréquemment cité dans la
littérature: elle est présente dans 21 à 83 % des hyperplasies. L'aromatisation accrue
de l'androstenedione en estrone, notamment dans les tissus adipeux, contribue chez les
obèses à l'augmentation des oestrogènes circulants.
Dikran [4] retrouve dans une série concernant 97 patientes suivies pour une
hyperplasie de l'endomètre les chiffres suivants:
TABLEAU 5
Obésité |
23% |
Nulliparité |
55% |
Hypertension Artérielle |
3% |
Diabète |
2% |
Une étude menée dans le Service de Chirurgie Gynécologique de la Salpétrière
analyse ces différents facteurs de risques chez 50 patientes ayant bénéficiées d'une
hystérectomie pour une hyperplasie endométriale symptomatique résistante aux
traitements médicaux:
TABLEAU 6
Facteurs de risque |
24% |
Obésité |
14% |
Hypertension artèrielle |
4% |
Nulliparité |
8% |
Diabète |
0% |
Une autre série réalisée dans le même service étudie chez 200 patientes opérées
entre janvier 1991 et janvier 1992, (100 curetages et 100 hystérectomies) le pourcentage
de lésions pré- néoplasiques de l'endomètre et les facteurs de risque qui s'y
rattachent.
TABLEAU 7
|
Hyperplasie Glandulo-kystique |
Hyperplasie adénomateuse |
Adénocarcinome |
Obésité |
40% |
0% |
20% |
HTA |
20% |
0% |
30% |
Diabète |
10% |
0% |
10% |
Nulliparité |
0% |
0% |
90% |
Tumeur Ovarienne |
0% |
n = 2 |
n = 1 |
Plusieurs facteurs de risque |
10% |
|
10% |
POTENTIEL PRE-NEOPLASIQUE
Il n'y a pas d'étude réellement prospective et bien contrôlée pour connaître la
fréquence de l'évolution vers un cancer invasif.
L'hyperplasie glandulo-kystique de l'endomètre ne doit pas être considéré comme une
lésion précancéreuse et son risque d'évolution vers un cancer est le même que dans la
population générale.
Le risque de dégénérescence de l'hyperplasie adénomateuse atypique varie entre 5 à
30%, dans un délai supérieur à 5 ans.
Chamlian [4] étudie en 1970 , 73 patientes porteuses d'une hyperplasie de
l'endomètre:
TABLEAU 8
Plusieurs curetages, n = 47
Persistance de l'hyperplasie |
34% |
Hyperplasie moins sévère |
9% |
Hyperplasie plus sévère |
9% |
A 15 ans, les résultats sont les suivants:
TABLEAU 9
73 Patientes à 15 ans
Adénocarcinome |
23% |
Hyperplasie adénomateuse |
11% |
Au total, 25% des lésions pré-néoplasiques de l'endomètre apparaissent réversibles
à distance, et 75% d'entre elles persistent et peuvent s'aggraver en adénocarcinome
endométrial.
Kurman [11] étudie 170 patientes porteuse d'hyperplasie endométriale et note des
chiffres comparables en ce qui concerne le potentiel pré-néoplasique des hyperplasies
atypiques;
TABLEAU 10
Type d'hyperplasie |
Patientes n |
Regression n% |
Persistance n% |
Adéno carcinome
n% |
Simple |
93 |
80 |
19 |
1 |
Complexe |
29 |
80 |
17 |
3 |
Atypie simple |
13 |
69 |
23 |
8 |
Atypie complexe |
35 |
57 |
14 |
29 |
CONCLUSION
L'étude de la littérature consacrée à l'épidémiologie des états
pré-néoplasiques de l'endomètre révèle de nombreuses lacunes. Il apparait difficile
d'apprécier la fréquence exacte de cette pathologie, sans qu'il soit possible
malheureusement d'avoir des renseignements plus précis.
L'élément péjoratif des états prénéoplasiques de l'endomètre est la présence
d'atypies cellulaires. Le risque de dégénérescence est alors d'environ 30 %. Les
adénocarcinomes développés sur de telles lésions sont de meilleur pronostic.
Il semble qu'il existe 2 types d'adénocarcinome de l'endomètre; le type 1, associé
à des lésions d'hyperplasie pré-néoplasique développées sur un terrain à risque; le
type 2, où aucune hyperplasie , ni hyper- oestrogénie ne sont retrouvées et ils sont
souvent de plus mauvais pronostic.
Ces données, conjuguées à l'absence de résultats réellement contrôlés sur
l'incidence des lésions pré-néoplasiques de l'endomètre, compliquent la mise au point
d'un dépistage efficace du cancer du corps de l'utérus.
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LEFRANC J. P. ; TRUCHET F. ; KAMEL R. . SERVICE CHIRURGICAL ET GYNECOLOGIQUE LA
SALPETRIERE, PARIS
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