Indications génétiques de la mammectomie et de l’ovariectomie
JP LEFRANC, J DAUPLAT , A BREMOND
et les membres * de l’Expertise collective INSERM /FNCLCC
JP LEFRANC : Hôpital Pitié-Salpêtrière
47 Boulevard de l’Hôpital 75013 PARIS
J DAUPLAT : Centre Jean Perrin
30 Place Henri Dunant 63000 CLERMONT-FERRAND
A BREMOND : Centre Léon Bérard
28 rue LAENNEC 69008 LYON
* : N ALBY, F EISINGER , M ESPIE , J FEINGOLD , F KUTTENN , JP LEBRUN ,
J PIERRET , H SOBOL , D STOPPA-LYONNET , D THOUVENIN , H TRISTANT
Coordinateur : P JANIAUD , INSERM , 94000 CRETEIL
La mise en évidence possible de mutations géniques portant sur BRCA1 et BRCA2 dans des familles à fréquence particulièrement élevé de cancers du sein et de l’ovaire , conduit à s’interroger sur l’opportunité des mastectomies et ovariectomies prophylactiques .
Bien que la population concernée soit réduite par rapport à l’ensemble des cancers du sein ou de l’ovaire observés , la gravité du choix d’une intervention mutilante particulièrement chez une femme jeune a conduit la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer à demander à l’INSERM à proposer , au vu de la littérature internationale et selon la procédure de l’Expertise collective , des recommandations concernant la mammectomie ou l’ovariectomie prophylactiques . L’évolution probable des connaissances , et particulièrement la publication de résultats concernant cette chirurgie prophylactique , pourraient éventuellement conduire à modifier ces recommandations .
I LA MAMMECTOMIE PROPHYLACTIQUE
I 1 LES CANCERS MAMMAIRES “ GENETIQUES ”
Ils ne concernent classiquement qu’entre 5% et 10% de l’ensemble des
cancers du sein et s’observent dans le cadre de syndrômes de cancers du sein seuls , ou de syndrômes sein/ ovaire . En FRANCE , l’incidence annuelle liée à une prédisposition génique est évaluée entre 1300 et 2600 . Le risque cumulatif de cancer mammaire en cas de mutation génique est évalué respectivement par EASTON et WHITTEMORE entre 40 et 85 % . Ces chiffres apparaissent très supérieurs à ceux observés en cas d’antécédents familiaux uniques au premier degré de cancers du sein qui multiplie le risque par rapport à la population témoin par 2 à 3 .
La probabilité qu’un cancer du sein soit lié à une mutation de BRCA1 ou BRCA2 varie avec l’âge : 33% entre 2O et 29 ans , 22 % entre 30 et 39 ans , 13% entre 40 et 49 ans et 1% à 80 ans .
Il semble que les cancers du sein liés à une mutation de BRCA1 ou BRCA2 présentent des
caractéristiques biologiques : fréquence des grades SBR III pour JACQUEMIER et EISINGER , et pour MARCUS : multifocalité et aneuploîdie fréquentes , indice de prolifération plus élevé , rareté des carcinômes in situ.
Les taux de récidive et de décès de ces cancers diagnostiqués à des stades moins avancés apparaissant cependant inférieurs à ceux observés dans les cas sporadiques ayant par ailleurs les mêmes caractéristiques . Le meilleur pronostic des formes familiales a déja été rapporté par ALBANO et PORTER .
I 2 BILAN DES MASTECTOMIES PROPHYLACTIQUES EN DEHORS DES INDICATIONS “ GENETIQUES ”
I 2 1 Les indications
La mastectomie prophylactique totale ou sous- cutanée , a été proposée dès les années 50 . A la suite de LEIS en 1971 , différents auteurs ont proposé des critères plus ou moins stricts afin de sélectionner les femmes susceptibles de bénéficier d’une mastectomie prophylactique: antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein , antécédents personnels de lésions histologiques “ à risque ” (hyperplasie atypique ou non , carcinôme lobulaire in situ , et ...), antécédents de biopsies multiples , mastodynied , ,cancérophobie , angoisse de la patiente voire du praticien ... La découvert de cancers occultes sur pièce de mastectomie a constitué un argument fort en faveur de cette pratique .
I 2 2 Les résultats
Aucune évaluation fiable de l’effet prophylactique et des conséquences psychologiques n’est en fait disponible . Surtout , différentes séries (Pennisi, Woods) rapportent des cas de cancers après mastectomie prophylactique notamment sous-cutanée (o,3%-1%). L’effet prophylactique ne peut donc être
formellement garanti , la mastectomie totale , retirant la plaque aérolo-
mamelonnaire , paraissant cependant plus efficace et la mastectomie avec conservation de l’étui et reconstruction immédiate constituant pour BARTON 1991) un comprLomis entre mastectomie totale et sous-cutanée .
I 3 METHODES DE DEPISTAGE OU PREVENTIVES NON CHIRURGICALES
I 3 1 Le dépistage
La détection d’une mutation génique aurait surtout un impact quand elle montrerait que la femme n’en est pas porteuse .
. Aucun dépistage des cancers du sein par la biologie n’est actuellement possible .
Aucune donnée concernant le dépistage mammographique des cancers du sein en contexte génétique n’est actuellement disponible . Il est cependant apparu aux membres de l’Expertise que ce dépistage , concernant les femmes chez lesquelles la mutation avait été affirmée par la biologie devait être commencé à 30 ans , sauf si l’histoire familiale révélait des cas très précoces de cancers mammaires , à raison d’une mammographie annuelle couplée à un examen clinique , et jusqu’à ce que le gain espéré ne soit pas éventuellement compromis par la limitation de l’espérance de vie liée à l’apparition d’une pathologie .
Si l’autopalpation n’est pas recommandée , l’examen clinique des seins doit être réalisé 2 à 3 fois par an par un médecin dont le rôle éducatif apparait très important pour que toute anomalie clinique (nodule , anomalie cutanée , écoulement ) survenant entre deux examens médicaux soit prise en compte par ces femmes .
I 3 2 La prévention
Aucun moyen de prévention , portant sur le mode de vie ( régime ...) ou sur l’hormonothérapie n’a été retenue par les membres de l’Expertise collective , particulièrement le tamoxifène , que ce soit en pré ou en post ménopause , molécule dont l’effet préventif dans une population “ à risque ” est en cours d’évaluation dans le cadre d’essais prospectifs à l’étranger .
I 4 INDICATIONS DES MAMMECTOMIES PROPHYLACTIQUES
I 4 1 L’attitude nord-américaine
LYNCH et Watson ont les premiers proposé une surveillance intensive des femmes supposées porteuses d’une mutation génique ainsi qu’une ovariectomie après 35 ans
BIESECKER et coll. conseillent aux consultantes chez lesquelles une mutation était possible mais non prouvée par la biologie une surveillance ,
et informent celles porteuses de la mutation des possibilités de la
mastectomie et de l’ovariectomie prophylactiques .
KING a insisté sur le fait que l’efficacité des solutions proposées (surveillance , mammectomie et
manipulations hormonales par castration ovarienne ou Tamoxifène ) n’étaient pas démontrées .
Les publications nord-américaines insistent toutes sur l’importance majeure de l’information .
I 4 2 Les éléments de décision
Différents paramètres doivent être pris en considération :
-l’affirmation ou non par la biologie d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 chez une femme issue d’une famille présentant plusieurs cas de cancers du sein et dans une moindre mesure de l’ovaire
-l’âge de la femme et l’âge le plus jeune de survenue de cancer du sein dans la famille
-les antécédents personnels de la consultante et notamment mammaires , certains pouvant réduire son espérance de vie , d’autres constituant en eux-mêmes un facteur de risque ( lésions prolifératives atypiques)
-les possibilités de dépistage et de surveillance, liées à l’adhésion de la femme et au rendement probable des examens cliniques et radiologiques
-l’efficacité probable , mais non absolue et actuellement mal évaluée de la mammectomie prophylactique , le risque résiduel de cancer ne devant cependant pas dépasser 1 à 3% et le gain en terme d’espérance de vie chez une femme de 30 ans étant selon SCHRAG compris entre 2,9 et 5,3 ans
-le risque cumulé de cancer à 75 ans , en cas de mutation génique, en l’absence d’une prévention efficace , évalué à 80%
-le risque de cancer contro-latéral , en cas de mutation génique et d ’atteinte d’un premier sein , dépassant à 70 ans 60%
-le taux de mortalité résiduel en cas de cancer, tenant compte de l’efficacité possible du dépistage et des thérapeutiques disponibles , évalué entre 15% et 40%
La mammectomie prophylactique reste, au plan médical et médico-légal, malgré la reconstruction une mutilation qui ne se justifie que si elle présente un intérêt thérapeutique dont l’appréciation relève des médecins . La
demande de la consultante est en soi insuffisante à légitimer la réalisation d’une mammectomie prophylactique .
La consultante reste cependant , compte-tenu de l’importance de enjeux et qu’il s’agit d’une chirurgie prophylactique s’adressant à des individus non malades , l’acteur principal la décision.
L’information de la consultante doit être prudente , la plus complète et la plus compréhensible possible , exposant les différentes alternatives , et les décisions doivent prises par une équipe multi-disciplinaire comprenant : oncologue , généticien , biologiste moléculaire , chirurgien , radiologue , gynéco-endocrinologue , psychologue clinicien et spécialiste de l’évaluation .
Une éventuelle décision de mammectomie prophylactique ne saurait être prise avant que la femme n’ait été vue à plusieurs reprises en consultation Un délai d’au moins 6 mois
apparaît comme un minimum à respecter .
I 4 3 Les recommandations de l’Expertise collective
Deux cas doivent être individualisés :
-La consultante est indemne de cancer mammaire :
*le groupe d’experts s’est déclaré opposé à la réalisation d’une mammectomie prophylactique bilatérale avant l’âge de 30 ans , ou lorsque la recherche d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 chez la consultante a été
négative ou lorsque , la mutation n’a pu être recherchée (par exemple parentes ayant été atteintes décédées ) et que la probalité de mutation est inférieure à 25%.
*le groupe d’experts , sans la préconiser , a estimé envisageable la mammectomie prophylactique bilatérable uniquement chez les femmes chez lesquelles une mutation a été identifiée .
-La consultante est atteinte d’un cancer du sein uni-latéral :
*Concernant le sein atteint : les données de la littérature ne permettent pas de faire de recommandations particulières mais les mammectomies totales seront , à stade égal , probablement plus souvent pratiquées que dans les formes sporadiques .
*Concernant le sein contro-latéral indemne : une mammectomie
prophylactique n’est envisageable qu’en cas de mutation prouvée et si le sein atteint a été traité par mastectomie totale.
La mammectomie totale avec conservation de l’étui cutané doit être préférée à la mammectomie sous-cutanée et une reconstruction immédiate de qualité doit être systématiquement proposée , l’implantion de prothèses devant respecter les recommandations de l’ANDEM .
Une surveillance régulière et prolongée doit être instituée et une évaluation du résultat est indispensable .
II L’OVARIECTOMIE PROPHYLACTIQUE
Le cancer épithélial de l’ovaire revêt malgré une chirurgie souvent lourde et les possibilités de la chimiothérapie un pronostic globalement défavorable et est responsable en France chaque année de plus de 3000 décès . L’extension des lésions échappant à la thérapeutique entraine des douleurs et des troubles du transit qui rendent la phase terminale de la maladie particulièrement pénible .
La spécificité et la valeur prédictive positive des explorations radiologiques et biologiques , particulièrement échographie et marqueurs tumoraux , sont actuellement insuffisants pour permettre un dépistage de masse , de sorte que le diagnostic reste porté , dans la majorité des cas , au stade de carcinose abdominale .
II 1 LES CANCERS DE L’OVAIRE “ GENETIQUES ”
Ils représentent 1 à 2 % des cancers de l’ensemble des cancers de l’ovaire
et s’observent dans le cadre de :
- syndrômes de cancers familiaux spécifiques de ce site , liés dans les
3/4 des cas à une mutation de BRCA1 dont la pénétrance dépasse à 70 ans 80%
-syndrômes de cancers de l’ovaire et du sein , liés dans la grande majorité des cas à une mutation de BRCA1 , la pénétrance pour le cancer de l’ovaire étant alors comprise entre 40 % et 70%
-syndrômes de LYNCH II ( Human non polyposis colorectal cancer )
associant des cancers de l’ovaire à des cancers du colon et de l’endomètre avec une pénétrance de 10% .
En FRANCE , l’incidence annuelle des cancers de l’ovaire liés à une prédisposition est évaluée entre 200 et 400 .
L’âge de survenue des formes “ génétiques ” est , par rapport aux formes
sporadiques , abaissé de 10 ans ( 48,9 ans pour les cancers spécifiques de site contre 59 ans ) , et le risque de cancer de l’ovaire en cas de mutation génique est à 40 ans de 10% . La probabilité de mourir d’un cancer de l’ovaire en cas de mutation de BRCA1 est évaluée à 30% .
II 2 BILAN DE L’OVARIECTOMIE PROPHYLACTIQUE
L’ablation d’ovaires sains dans un but prophylactique ou thérapeutique est en fait depuis longtemps pratiquée notamment dans le cadre des interventions pour pathologie gynécologique bénigne ou traitement des cancers du sein. Des cas de carcinoses péritonéales , également observées avec des ovaires sains en place , et identiques aux carcinoses en rapport avec un cancer de l’ovaire
ont été décrites par BLOSS et WEBER .
LYNCH et TOBACMAN notamment ont rapporté des cas de carcinoses péritonéales après ovariectomie réalisée chez des femmes à risque génétique.
Plus récemment PIVER a évalué le taux de ces carcinoses après ovariectomie “ prophylactique ” à 1,85% et STRUEWING(1995) rapporte , un risque de carcinoses péritonéales après ovariectomie prophylactique plus de 8 fois supérieur au chiffre observé dans une population standard , la réduction du
risque évaluée à 56% n’étant pas significative .
Quelles qu’en soient les explications (cancer occulte présent lors de l’ovariectomie , ovariectomie incomplète , origine péritonéale de des carcinoses explicables par une embryologie commune avec les ovaires) , ces constatations doivent être prises en considération tant dans les indications que dans la réalisation des ovarectomies prophylactiques.
II 3 LES MOYENS DE PREVENTION NON CHIRURGICALE ET DE DEPISTAGE
L’efficacité préventive de la contraception orale , largement documentée dans une population standard , n’est pas , en matière de formes génétiques , démontrée .
L’efficacité du dépistage dans cette population à très haut risque reste actuellement inconnue .
II 4 INDICATIONS DES OVARIECTOMIES PROPHYLACTIQUES
II 4 1 L’expérience nord-américaine
L’importance du risque de cancer de l’ovaire lié à une mutation de BRCA1, l’abscence de moyen efficace de dépistage et le pronostic défavorable ont en
1994 amené la Conférence de Consensus du National Institute of Health (Bethesda , USA) à recommander une ovariectomie prophylactique après obtention des grossesses désirées ou l’âge de 35 ans .
II 4 2 Les éléments de décision
En dehors des principes généraux identiques à ceux édictés pour la mammectomie prophylactique , concernant l’indispensable multi-disciplinarité
et l’importance essentielle de l’information de la consultante , le délai de réflexion recommandé par les membres de l’Expertise collective étant de 3 mois , ils concernent :
-l’appartenance à une famille de syndromes de cancers de l’ovaire
spécifiques du site , ou de syndromes sein/ovaire ou de LYNCH 2
-l’existence ou non d’une mutation génique affirmée par la biologie
-l’âge de la consultante , ses antécédents obstétricaux et ses désirs à cet égard ,
-ses antécédents médicaux , une pathologie pouvant obérer son espérance de vie ou justifier une intervention sur le pelvis
II 4 3 Les recommandations de l’Expertise collective
-Le groupe d’experts est opposé à la pratique de l’ovariectomie prophylactique chez les femmes de moins de 35 ans ou de moins de 40 ans sans enfant , ou lorsque la probabilité d’avoir une mutation est inférieure à 12,5%
-Le groupe d’experts estime envisageable l’ovariectomie prophylactique
chez les femmes ayant , dans le cadre d’un syndrome spécifique de cancer de l’ovaire ou d’un
syndrome sein/ovaire , au moins 50% de risque d’avoir hérité de la mutation et ayant eu les grossesses qu’elles souhaitaient
-Le groupe d’experts recommande l’ovariectomie prophylactique chez les femmes appartenant à une famille de
syndromes de cancers de l’ovaire spécifiques du site ou de syndromes sein/ovaire , chez lesquelles une mutation a été affirmée par la biologie et ayant eu les grossesses qu’elles souhaitaient .
La réalisation de l’ovariectomie , bilatérale , doit obéir à certaines règles :
-voie coelioscpique sauf contre-indication , avec exploration soigneuse du pelvis et notamment des ovaires , du grand épiploon, cytologie péritonéale
-annexectomie large après repérage de l’uretère et non ovariectomie a minima , afin d’éviter de laisser des fragments d’ovaire , la pièce opératoire étant extraite après ensachage
-examen anatomo-pathologique soigneux de la pièce opératoire à la recherche d’un éventuel cancer occulte ou d’une dysplasie ovarienne décrite par GUSBERG puis PLAXE .
Un traitement hormonal substitutif est préconisé sous réserve d’une surveillance rigoureuse des seins .
Une hystérectomie peut être indiquée compte-tenu d’un risque d’atteinte endométriale (LYNCH 2) ou d’une pathologie bénigne associée .
Une surveillance régulière et prolongée doit être instituée et une évaluation du résultat est indispensable
BIBLIOGRAPHIE
Prise en charge du risque héréditaire de cancers du sein et de l’ovaire
Expertise collective INSERM/FNCLCC . A paraitre , edit. INSERM ,1998
Monsieur P JANIAUD
Monsieur F EISINGER
INSERM
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