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Titre: Génétique et cancer du sein
Année: 1998
Auteurs: - Uzan S.
Spécialité: Gynécologie
Theme: oncogénétique

Génétique et cancer du sein

***

 

S.UZAN (1,4), C. BOULEUC (2,4), F. SOUBRIER (3,4)

1. Service de G.&O. et Médecine de la Reproduction (Prof. S. Uzan)

2. Service d'Oncologie Médicale (Prof. V. Izrael)

3. Service de Génétique Moléculaire (Prof. F. Soubrier)

4. Département des Tumeurs du Sein (Prof. S. Uzan)

***

INTRODUCTION :

Ce sujet, indiscutablement prometteur a donné lieu à un optimisme excessif lors des premières publications le concernant. N'a t-on pas pensé que :

- "le" gène du cancer du sein était identifié,

- l'on pourrait ainsi identifier les patientes ayant le risque le plus élevé,

- l'on pourrait envisager des traitements génétiquement plus adaptés

Ces trois assertions sont quasi totalement fausses.

Si le cancer du sein est indiscutablement une affection liée à des altérations génétiques, la plupart de ces altérations sont sporadiques, imprévisibles et comme nous le verrons plus loin somatiques. Ces altérations doivent être opposées à d.'autres altérations qualifiées de germinales existant au niveau de tout le patrimoine génétique de l'individu et expliquant sa plus grande sensibilité au cancer du sein.

De cette constatation, il découle que le dépistage de masse par des instruments génétiques n'est a priori pas envisageable, car les altérations germinales donc prédisposantes sont très nombreuses, très différentes les unes des autres et probablement encore inconnues pour une grande part.

La manipulation imprudente de ces informations, pourrait avoir un impact social et psychologique négatif.

 

 

D'autres questions doivent également être posées :

- ces connaissances concernant la génétique (en particulier pour les formes familiales), ont elles un impact sur la prise en charge des formes déclarées

- doivent elles avoir un impact sur la prise en charge des porteuses saines.

Le nombre et l'importance de ces questions font que les connaissances concernant l'onco-génétique ne peuvent en aucune façon être confinées à quelques spécialistes. Elles doivent être portées rapidement, clairement et efficacement à la connaissance de tous les médecins, car ces questions dépassent largement le cadre de la génétique pour atteindre celui de la santé publique et de la prévention.

Ces connaissances sont d'autant plus importantes qu'elles concernent une vaste population, près de 10 % des femmes présenteront un cancer du sein qui rappelons le, sera dans 90 à 95 % des cas, une forme sporadique, c'est à dire non prévisible par la génétique. Le cancer du sein est responsable de 10 à 12 000 morts par an. Nous en rapprocherons le cancer de l'ovaire, impliqué dans ces formes génétiques, qui est responsable d'environ 2000 morts par an.

L'impact psychologique des découvertes concernant la génétique et le cancer du sein est lié à quelques chiffres dont les plus impressionnants sont les suivants :

- sous réserve de mortalité comparable des cancers sporadiques et des cancers génétiquement favorisés, une femme porteuse de BRCA1 à 30% de risque de mort par cancer du sein (contre 3% de risque théorique) et 30 % de risque de mort par cancer de l'ovaire (contre 0.5 % théorique). Mais rappelons que ces chiffres concernent 5 à 7 % au maximum des cancers du sein.

L'un des découvreurs de BRCA1 a résumé notre situation actuelle en déclarant :

" Nous sommes dans une période de purgatoire, ce n'est pas l'Enfer, mais pas non plus le Paradis !"

 

Tout ceci nous conduit à une médecine prédictive, présomptive (présomption d'innocence ?) pour laquelle, il est donc absolument nécessaire de structurer nos connaissances (et surtout nos ignorances) sans semer des doutes inutiles chez nos patientes et leur future descendance (le diagnostic prénatal du sur-risque de cancer du sein serait désormais possible !)

ONCOGENESE

Le cancer est un phénomène multi-étapes lié à l'action d'agents mutagènes et cancérogènes qui vont :

- endommager les gènes réglant la prolifération et la migration cellulaire,

- provoquer une action sur la croissance des cellules tumorales,

- générer une néo-vascularisation.

Ces phénomènes aboutiront progressivement et à partir de la cellule normale à une période d'initiation, puis de promotion-progression, et enfin d'extension par l'apparition de métastases.

- La progression à partir de la cellule normale vers la cellule cancéreuse, c'est à dire son initiation, sa promotion et sa progression est sous le contrôle de deux types d'agents :

- Des anti-oncogènes qui auront pour effet de bloquer le cycle, de bloquer la différenciation, de réparer l'ADN, de provoquer l'apoptose (c'est à dire la mort des cellules mutées) ; les anti-oncogènes répondent le plus souvent à un mécanisme de transmission de type récessif.

- A l'inverse, les oncogènes vont induire des altérations somatiques (mutations, translocations, amplifications,..). Ils vont favoriser la prolifération des cellules tumorales, et vont bloquer l'apoptose ; la transmission de ces oncogènes (dont l'étape initiale et celle du proto-oncogène) s'effectue généralement sur le mode dominant.

 

La différence entre cancer sporadique et cancer survenant chez des individus génétiquement prédisposés, peut être résumée comme suit :

- dans les cancers sporadiques, le passage de la cellule normale à un nouveau clone de cellule cancéreuse s'effectue par des mutations siégeant au niveau somatique,

- A l'inverse, les patientes ayant une prédisposition génétique ont dans leur patrimoine génétique (au niveau germinal et dans toutes les cellules de leur organisme) des cellules déjà porteuses de mutations (des cellules "déjà engagées" dans le processus de transformation ) qui subiront (ou non pour quelques patientes) une des mutations supplémentaires aboutissant à la cellule cancéreuse.

Pour nous résumer le lien entre l'inné et l'acquis est aisé : le risque de cancer résulte du fait que les cellules apparemment normales chez les individus prédisposés ont toutes déjà franchi une des étapes de la cancérogenèse.

Les mutations au niveau germinal peuvent concerner :

- des gènes du métabolisme des carcinogènes-endogènes ou exogènes, c'est à dire la susceptibilité individuelle aux agents toxiques et mutagènes.

- les systèmes de réparation de l'ADN tel que le système P53.

Le gène P53 nous servira d'exemple. Il peut être à la fois impliqué dans des mutations somatiques aboutissant in fine à la cellule tumorale ou être impliqué (beaucoup plus rarement) dans des mutations germinales.

Ce gène peut être pris comme exemple d'anti-oncogènes. Lorsqu'il est actif, et lorsque la cellule subit une lésion de son ADN, P53 a pour rôle soit de réparer l'ADN et d'induire une prolifération de cellules normales, soit en cas d'échec de réparation de l'ADN d'induire l'apoptose, c'est à dire la mort cellulaire.

Par contre P53 peut devenir soit inactif, soit muté et il n'assurera pas cette fonction de protection. La cellule lésée pourra ainsi se développer sous la forme d'un nouveau clone de cellules tumorales.

La liste des gènes impliqués dans tous ces mécanismes est déjà extrêmement longue et ne fera qu'augmenter dans les années à venir :

Certains sont impliqués dans des mécanismes de prédisposition : BRCA1, BRCA2, P53 (dans le syndrome de Li Fraumeni), etc...
- D'autres gènes sont plutôt impliqués dans des altérations somatiques (donc dans des cancers sporadiques). Il peut s'agir soit d'oncogènes, soit de gènes suppresseurs de tumeurs, tels P53 dont nous avons déjà parlé.

UN INSTRUMENT POUR LE DEPISTAGE ??

La réponse à cette question est très probablement non. En effet, même si un certain nombre d'exemples de diagnostics précoces par la recherche d'une mutation existent, la difficulté technique (et les coûts) rendent illusoire (actuellement) toute tentative de dépistage de masse par cette technique.

LA DECOUVERTE D'UNE MUTATION QUAND ELLE EST POSSIBLE COMPORTE DE NOMBREUSES CONSEQUENCES.

1. L'impact social et psychologique peut être extrêmement lourd à l'échelle individuelle et à l'échelle de l'entourage. Nous présenterons plusieurs enquêtes témoignant des conséquences psychologiques de la découverte d'une telle mutation et du sur-risque qu'elle implique.

Des implications parfois insoupçonnées (problèmes d'assurance !) doivent être également analysées : à titre d'exemple, 18 % des porteuses de BRCA1 n'envisageaient pas de chirurgie prophylactique uniquement pour ne pas être identifiées par leur assurance qui pourrait ainsi les savoir menacées de ce risque et pourrait également savoir que d'autres membres de leur famille sont menacés par ce risque...

2. L'impact sur la prise en charge des formes déclarées de cancer chez les patientes porteuses de la mutation est encore mal évalué. Nous nous poserons en particulier la question de savoir si la présence de cette mutation modifie le pronostic et surtout si elle doit modifier notre stratégie thérapeutique en particulier sur trois questions que sont la mastectomie du côté atteint, la mastectomie bilatérale, l'ovariectomie.

La présence de cette mutation nous questionne également sur l'intérêt de mettre en route systématiquement un traitement adjuvant qu'il soit chimiothérapique ou hormonal. On peut toutefois espérer que la compréhension de ces mécanismes permettra d'améliorer nos stratégies de chimioprévention en essayant par l'utilisation de certains produits d'agir soit en bloquant la cancérogénèse, soit en détournant la multiplication des cellules tumorales vers l'apoptose ou la différenciation.

3. L'impact sur la prise en charge des porteuses saines est également très important. Nous avons déjà évoqué les problèmes psychologiques, mais il faut savoir que de nombreuses questions devront être réglées dans les années à venir : place de la mastectomie et de l'ovariectomie, modalités de la surveillance mammaire, place des nouveaux examens, échographie avec agent de contraste, RMN, ......

D'importantes questions concernent également la qualité de vie des patientes porteuses saines. Quel type de contraception pour elle ? Faut-il ou non leur donner un traitement hormonal substitutif ? Existe t-il une prévention ?

En effet, ces patientes, même si elles sont porteuses de l'anomalie, ne développeront pas forcément de cancer du sein :

S'il est effectivement possible de dépister des mutations très tôt, cela ne préjuge pas du potentiel évolutif car le cancer suppose de nombreuses autres mutations et la participation d'autres facteurs (cellules endothéliales, néo-vascularisation).

Enfin, rappelons que de nombreuses patientes porteuses de l'anomalie échapperont au cancer :

- soit de façon heureuse (15% d'entre elles) sans jamais subir les mutations nécessaires à l'éclosion d'une cellule cancéreuse

- soit (malheureusement) parce qu'elles n'atteindront pas l'âge où ces mutations s'exprimeront sous la forme d'un cancer du sein.

 

 

Les nombreuses questions que nous venons de soulever témoignent de la complexité de ce problème qui doit être abordé avec les médecins et avec les patientes avec la plus grande prudence.

Ceci soulève la question de : qui doit être formé en oncogénétique ?

La réponse est évidente : tous les médecins qui à un moment ou à un autre seront en relation avec des patientes qui peuvent leur poser des questions ne doivent pas par leur ignorance générer de fausses inquiétudes, en laissant planer un doute. Il faut au contraire relativiser toutes nos connaissances et adresser les patientes en consultation d'onco-génétique :

- non pas dès qu'elles posent la moindre question concernant la génétique,

- mais dans les cas ou cela parait utile ( 2 ou 3 antécédents familiaux très précis comme nous le verrons dans les autres exposés de cette table ronde) ou lorsque l'on perçoit que seule une consultation spécialisée pourra lever efficacement une angoisse chez la patiente.

S'il n'est pas question d'occulter des informations pour une patiente, sa descendance ou sa famille, il n'en faut pas moins la transmettre avec la plus grande prudence.