cancer invasif du col utérin et grossesse
D. ZARCA, D. CASTAIGNE et G. MICHEL
La conjonction d'un cancer du col avec une grossesse est une éventualité
rare. Son incidence est assez mal évaluée, elle
se situe selon les études entre 1/10 000 et 2/1 000.Lorsque
la découverte en est faite, il faut conjuguer deux impératifs
parfois totalement divergents : traitement de la mère et
prise en charge du ftus.
Cette association pose schématiquement quatre grands problèmes,
qui seront envisagés plus loin.
- Celui du diagnostic, qui est loin d'être évident,
compte tenu des remaniements cervicaux observés en début
de gestation.
- Celui du pronostic de l'affection.
- Celui de la date du traitement chirurgical et du délai
entre le diagnostic et la prise en charge thérapeutique.
- Enfin et de manière plus accessoire, du devenir de la
grossesse et du mode d'accouchement.
DIAGNOSTIC
Le diagnostic de cancer invasif du col utérin (CCU), évoluant
au cours d'une grossesse n'est pas toujours simple. Une récente
étude hollandaise [1] portant sur 44 patientes atteintes
d'un CCU au cours de la grossesse, montre que le diagnostic n'a
été effectué que 23 fois durant la grossesse
et 21 fois dans les six mois qui ont suivi l'accouchement.
Ce délai au diagnostic peut évidemment être
considérablement réduit par une politique de dépistage
systématique en début de grossesse.
Le problème réside ici dans le diagnostic de certitude
d'invasion. Pour les lésions avancées, des biopsies
effectuées idéalement sous contrôle colposcopique
permettent très généralement le diagnostic.
Ces biopsies sont bien évidemment plus hémorragiques
qu'en dehors de la gestation et doivent être encadrées
d'une antibiothérapie et éventuellement d'un traitement
tocolytique.
Elles nécessitent généralement un tamponnement
hémostatique prolongé.Pour les lésions les
plus limitées (Ia), la certitude d'invasion peut n'être
obtenue que par un geste chirurgical.La conisation au cours de
la grossesse n'est évidemment pas un acte anodin. Elle
est susceptible d'entraîner des complications parfois très
sérieuses (prématurité, avortements précoces,
infections ovulaires et hémorragies).A noter cependant
qu'une récente étude de Férenczy [2] portant
sur 53 patientes enceintes qui ont subi une électro-résection
à l'anse diathermique ne montre pas les complications évolutives
de la grossesse décrites avec les conisations chirurgicales.
PRONOSTIC
Le problème du pronostic de l'affection est loin d'être
une simple question théorique. Il conditionne en effet
la date de mise en route du traitement.
Un début de réponse peut être apporté
pour les stades précoces de la maladie (Ia, Ib et IIa)
; l'étude de Van der Vange [1] portant sur 44 patientes
atteintes d'un cancer du col appariées à une population
contrôle de femmes atteintes non enceintes mais présentant
les mêmes caractéristiques d'âge, de grade,
de stade, de type tumoral et de modalités de prise en charge
thérapeutique, ne montre pas de différences statistiques
de survie pour ce qui concerne les stades précoces. Compte
tenu de la faiblesse de l'échantillon, aucune constatation
ne peut être effectuée pour les stades avancés.
Hopkins [3] dans les mêmes conditions ne retrouve pas non
plus de différence de survie, en appariant sa population
de 35 patientes enceintes de stade IB et 170 patientes de même
âge moyen, non enceintes, traitées de 1960 à
1989.Le problème de la période de grossesse de découverte
de la maladie est plus accessoire. Notons simplement que la période
de découverte ne semble pas modifier le pronostic : Hopkins
[3], en effet ne trouve pas de différence significative
de survie selon le trimestre de découverte de la grossesse
pour les stades IB.
Survie à 5 ans : 90 % pour 10 patientes pour lesquelles
la découverte du CCU s'est effectuée au second trimestre,
75 % (5 patientes) au troisième trimestre et 75 % pour
le post partum (20 patientes).
RETARD AU TRAITEMENT
La date de la prise en charge thérapeutique est évidemment
l'un des points principaux à considérer.
Pour tenter d'apporter une réponse, il est nécessaire
de se référer aux données de la littérature.
L'étude de Duggan [4] portant sur 27 patientes, montre
que pour 8 patientes qui ont opté pour une prise en charge
thérapeutique différée pour atteindre la
maturité ftale, il n'a pas été constaté
de récidive. Le délai moyen de mise en route du
traitement a été de 144 jours (53-212 jours).Il
s'agissait de 3 lésions micro-invasives et de 5 T1b (volume
maximal tumoral : 4 cm). L'échantillon est évidemment
trop modeste pour en tirer des enseignements définitifs.
Une méta-analyse incluant ces 8 patientes et portant sur
56 patientes ayant eu un délai minimum de 6 semaines avant
traitement retrouve des résultats semblables pour des tumeurs
classées T1a (26 patientes), T1b (20), T2 (5 patientes).Le
nombre de patientes considéré ne permet pas de tirer
des conclusions sur les tumeurs stade II mais il semble bien que
pour les patientes classées Ia et vraisemblablement Ib,
un délai dans la prise en charge thérapeutique soit
tolérable.
Pour les tumeurs plus volumineuses, une prise en charge immédiate
semble s'imposer.
PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
Le traitement du cancer du col durant la grossesse diffère
assez peu des protocoles classiques.
Si le CCU est découvert en début de grossesse, il
est préférable d'effectuer la colpo hystérectomie
élargie (CHL) précédée de quelques
jours par une interruption thérapeutique de grossesse (la
CHL est exceptionnellement pratiquée sur utérus
gravide).Si le CCU est découvert plus tardivement, il y
a un quasi-consensus sur la pratique d'une césarienne à
36 semaines d'aménorrhée, suivie immédiatement
ou secondairement par la chirurgie radicale si elle est carcinologiquement
souhaitable.
Pour les stades opérables, le traitement comporte généralement
l'association radio chirurgicale classique (à l'exception
notable de l'absence de curie-thérapie utéro vaginale
préopératoire, remplacée par une curie thérapie
post-opératoire)
La chirurgie peut intervenir dans le même temps que l'évacuation
utérine (césarienne ou avortement) ou secondairement.
L'hystérectomie élargie après césarienne
est loin d'être toujours évidente. Non pas pour les
problèmes hémorragiques qui sont relativement contrôlables
mais plutôt pour la difficile visualisation du col (surtout
si le travail a débuté) le risque est important
de laisser un reliquat cervical ou d'effectuer une colpectomie
insuffisante. De plus les complications urinaires semblent plus
fréquentes.
MODE D'ACCOUCHEMENT
Comme on l'a vu, le diagnostic de CCU est loin d'être toujours
fait durant la grossesse.
Compte tenu des risques évidents de dystocie et d'hémorragie
cervicale en cours de grossesse, il est évident que la
césarienne s'impose dans tous les cas à partir du
stade Ib. Pour les lésions Ia, il pourrait être tentant
de réaliser l'accouchement par voie basse, pour effectuer
secondairement le traitement chirurgical ou radio chirurgical
classique.
Le problème est alors celui d'éventuelles récidives
vaginales par colonisation d'un site de déchirure ou d'épisiotomie.
Neuf cas de récidive sur les sites d'épisiotomie
sont relevés dans la littérature américaine,
dont 6 correspondent à des lésions initialement
classées en Ib. Leur pronostic est très sombre,
puisqu'elles ont très généralement entraîné
le décès des patientes atteintes.
La plus grande prudence est donc de mise. Il faut éviter
la voie basse, quel que soit le stade tumoral et en cas de découverte
en post partum de la lésion, faire une surveillance très
attentive du site d'épisiotomie avec des colposcopies répétées.
CONCLUSION
Le diagnostic d'invasion est loin d'être toujours évident
en cours de grossesse, alors qu'il ne pose pas de problème
avant elle. Une conisation effectuée pour une lésion
ne mettant pas en jeu dans un délai bref le pronostic vital
de la patiente risque d'entraîner une évolution catastrophique
de la grossesse.
Même si le pronostic du cancer du col utérin n'est
pas altéré par la grossesse (ce qui reste à
prouver), la prise en charge de celle-ci en est rendue nettement
plus complexe, posant des problèmes moraux, parfois très
lourds à gérer.
Ces deux éléments militent pour un dépistage
systématique par frottis dès qu'existe un désir
de grossesse ou au minimum au cours de la première consultation.
BIBLIOGRAPHIE
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: JOURNÉES
DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE
ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 11 - 18 janvier 1996
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