LE
TRAITEMENT DES MASTOPATHIES BENIGNES
D.ZARCA
17,
rue Pétrarque - 75116 Paris
Il
peut paraître paradoxal d'envisager le traitement des mastopathies bénignes.
Trois raisons peuvent cependant y conduire. Le doute diagnostique, la volonté
de traiter des manifestations douloureuses et la prévention des maladies
malignes chez des patientes à risque. C'est sur ce dernier point que
s'orientera le propos.
Données
préliminaires
De
nombreux éléments militent pour l'emploi de molécules modulant
la réponse cellulaire aux estrogènes dans le cadre de cette prévention.
- Les données réunies dans le cadre d'études épidémiologiques
et d'expériences animales, montrent que les strogènes endogènes
jouent un rôle important dans l'évolution de ce risque ouvrant
ainsi la voie à une approche pharmacologique de la diminution de l'incidence
de la maladie. (1, 2)
-
Le tamoxifène s'avère efficace dans le traitement de certains
cancers du sein évolués mais surtout, l'administration d'un traitement
adjuvant de tamoxifène réduit le risque de récidive sous
forme invasive ou in situ et diminue nettement le risque de cancer du sein controlatéral.
Cette dernière observation fait du tamoxifène un objet d'étude
particulièrement intéressant à titre d'agent chimioprophylactique.
C'est aujourd'hui la piste la plus solide, dans la prévention des cancers
du sein chez des patientes à risque. (3)
Etudes
cliniques sur l'emploi de tamoxifène
Trois
études cliniques, de valeurs inégales, ont cherché à
mettre en évidence, l'efficacité du tamoxifène dans le
cadre d'un usage prophylactique.
-L'étude
P-1 du National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project (NSABP) (4)
13 388 femmes ont été réparties au hasard pour recevoir
pendant cinq ans du tamoxifène (20 mg par jour) ou un placebo. Les participantes
avaient été recrutées dans cette étude présentaient
un risque accru de cancer du sein : 76,2 % des participantes comptaient au moins
une parente du premier degré atteinte d'un cancer du sein. Environ 7
% des participantes avaient un Carcinome lobulaire in situ (CLIS). Le risque
de cancer du sein des participantes s'établissait en moyenne à
3,2 % (évaluation du risque selon l'indice de Gail modifié).
Les femmes qui avaient des antécédents de thrombose veineuse profonde
ou d'embolie pulmonaire n'étaient pas admissibles.
Il n'était pas permis de suivre une hormonothérapie ou d'utiliser
des contraceptifs oraux pendant l'étude.
La proportion des femmes qui ont cessé prématurément de
suivre le traitement représentait 21,6 % du groupe traité au tamoxifène
et 19,7 % du groupe placebo. 67,0 % des participantes ont été
suivies pendant plus de 48 mois.
RESULTATS
L'administration
de tamoxifène a réduit de 49 % le risque de cancer invasif du
sein (p < 0,00001). Le risque de cancer du sein non invasif trouvait réduit
de 50 % (p < 0,002). Le nombre de tumeurs à récepteurs d'strogènes
positifs (RE+) a été réduit de 69 %. Pas d'effet notable
du tamoxifène sur les tumeurs à récepteurs d'strogènes
négatifs (RE-).
Le
tamoxifène s'est avéré efficace pour prévenir le
cancer du sein dans tous les sous-groupes (tableau). On n'a constaté
aucune hétérogénéité des risques relatifs
qui soit significative sur le plan statistique entre ces sous-groupes. Trois
patientes du groupe traité au tamoxifène et six du groupe placebo
sont décédées d'un cancer du sein.
Nombre
de patientes incluses |
13
388
|
|
Dose
Tamoxifène |
20
mg/J
|
|
Nombre
de cancers découverts pendant l'étude |
Invasifs
|
264
|
Non
invasifs
|
104
|
Réduction
du risque sous tam. |
Invasifs
|
49
% p < 0,00001
|
Non
invasifs
|
50
% p < 0,002
|
Réduction
du nombre des tumeursR.E+ |
69%
|
|
Réduction
du nombre des tumeurs en cas de C.L.I.S |
56%
|
|
Réduction
du nombre des tumeurs en cas d' H.A |
86%
|
|
EFFETS
SECONDAIRES
Accidents
:
Augmentation significative du taux de cancers de l'endomètre, d'embolies
pulmonaires et d'apparition de nouvelles cataractes.
Incidents
:
Augmentation significative de patientes se plaignant de bouffées de chaleur
et d'écoulemens vaginaux.
L'étude
italienne : (5)
5 408 femmes en bonne santé, âgées de 35 à 70 ans,
qui avaient subi une hystérectomie pour pathologie bénigne (48
% avaient subi une ovariectomie bilatérale en cours d'intervention.),
ont été recrutées puis ont été réparties
au hasard pour recevoir pendant cinq ans du tamoxifène ou un placebo.
Les participantes pouvaient suivre une hormonothérapie substitutive
pendant l'étude.
L'existence de facteurs de risque de cancer du sein, n'a pas été
pris en compte dans l'inclusion des patientes. Les participantes présentaient
donc généralement un faible risque de cancer du sein. Les femmes
qui avaient des antécédents de thromboembolie veineuse ont été
exclues.
RESULTATS
Au
total, 41 tumeurs du sein ont été décelées : 19
dans le groupe traité par tamoxifène et 22 dans le groupe témoin
(p = 0,64). Une analyse de sous-ensemble de la fréquence du cancer du
sein chez les femmes qui recevaient aussi une hormonothérapie substitutive
pendant l'étude a révélé une réduction considérable
de l'incidence de cancer du sein dans le groupe traité par tamoxifène
: 8 cas pour 390 femmes qui recevaient des placebos par rapport à un
cas pour 362 femmes qui recevaient du tamoxifène (p = 0,02). On n'a signalé
aucun décès attribuable au cancer du sein.
Dans le groupe traité au tamoxifène, 38 participantes ont eu des
problèmes thromboemboliques comparativement à 18 des participantes
du groupe placebo (p = 0,0053). Les cinq cas confirmés d'accident cérébral
vasculaire qui ont été relevés pendant l'étude se
sont produits dans le groupe traité par tamoxifène.
Le taux de cancer de l'endomètre n'était pas indiqué.
Étude
du Royal Marsden Hospital : (6)
2 471 patientes incluses. Tamoxifène (20 mg par jour) versus placebo.
Les patientes admissibles étaient âgées de 30 à
70 ans et avaient au moins l'une de leurs parentes du premier degré,
atteinte d'un cancer du sein. Les femmes qui avaient des antécédents
thromboemboliques étaient exclues.
Il n'était pas permis aux participantes de prendre des contraceptifs
oraux, mais les femmes ménopausées pouvaient poursuivre ou commencer
une hormonothérapie substitutive.
Les participantes de cette étude étaient généralement
plus jeunes que celles de l'étude du NSABP et de l'étude italienne
: l'âge médian était de 47 ans, et 62 % des participantes
étaient âgées de moins de 50 ans. 26% des participantes
ont suivi pendant l'étude une hormonothérapie substitutive concomitante.
RESULTATS
Pas
de différence entre le groupe traité au tamoxifène et le
groupe placebo pour le nombre de cas de cancer du sein enregistrés (34
et 36 cas, respectivement; risque relatif de 0,94). Il y a eu quatre décès
attribuables au cancer du sein dans le groupe traité par tamoxifène
et un dans le groupe témoin. Dans le groupe des participantes qui ont
reçu du tamoxifène, on a compté quatre cas de cancer de
l'endomètre, et dans le groupe placebo, un cas.
Commentaires
Les
trois études n'ont relevé aucune différence pour le nombre
de décès attribuables au cancer du sein enregistré dans
chacun des groupes de traitement.
L'étude du NSABP, semble montrer clairement une diminution de l'incidence
des cancers du sein chez les patientes à risque. Cette donnée
n'est pas retrouvée de façon évidente dans les études
européennes, peut-être en raison de différences des populations
étudiées.
Près de la moitié des participantes de l'étude italienne
avaient subi une ovariectomie, ce qui pourrait avoir réduit le risque
de cancer du sein, et le degré d'observance thérapeutique était
faible.
L'étude anglaise rassemblait des participantes plus jeunes dont les antécédents
familiaux de cancer du sein étaient plus chargés. Certaines de
ces femmes auraient donc pu présenter des anomalies génétiques
associées au cancer du sein et être moins susceptibles de répondre
à l'administration de tamoxifène.
Enfin cette étude du Royal Marsden Hospital, qui reposait sur un petit
échantillon, était peut-être trop faible sur le plan de
la puissance statistique pour permettre de déceler une différence
significative.
Les
trois études ont montré une augmentation des problèmes
vasculaires à titre de réponse secondaire au traitement au tamoxifène.
Deux études montrent une augmentation de l'incidence des cancers de l'endomètre.
Toutes relèvent des effets indésirables de l'emploi du tamoxifène,
à titre de bouffées de chaleur.
Conclusions
:
Actuellement
la seule molécule qui ait pu montrer une activité évidente
dans la prévention du cancer du sein est le tamoxifène. D'autres
molécules comme le raloxifène, sont en cours d'évaluation
(étude STAR du NSABP) dans cette indication et ne sont donc pas utilisables.
(7)
Comme on le voit au travers des nombres, l'impact positif de l'emploi du tamoxifène
n'est pas évident en terme de prévention des décès
liés à la maladie, mais semble nettement réduire l'incidence
de celle-ci pour les patientes à risque.
Les effets indésirables et les accidents liés à l'emploi
du tamoxifène, sont loin d'être anodins et doivent strictement
en limiter l'emploi à des patientes sélectionnées, pour
leur haut niveau de risque (hyperplasie atypique, carcinome lobulaire in situ,
anomalies génétiques type BRCA2…)
Mots-clés
: Mastopathies, prévention du cancer du sein, tamoxifène
Bibliographie
1
Nayfield SG, Karp JE, Ford LG, Dorr FA, Kramer BS. Potential role of tamoxifen
in prevention of breast cancer. J Natl Cancer Inst 1991;83:1450-9
2
Powles TJ, Hardy JR, Ashley SE, Cosgrove D, Davey JB, Dowsett M, et al. Chemoprevention
of breast cancer. Breast Cancer Res Treat 1989;14(1):23-31
3 Fisher B, Dignam J, Wolmark N, Wickerham DL, Fisher ER, Mamounas E, et al.
Tamoxifen in treatment of intraductal breast cancer: National Surgical Adjuvant
Breast and Bowel Project B-24 randomised controlled trial. Lancet 1999;353:1993-2000.
4 Fisher B, Costantino JP, Wickerham DL, Redmond CK, Kavanah M, Cronin WM, et
al. Tamoxifen for prevention of breast cancer: report of the National Surgical
Adjuvant Breast and Bowel Project P-1 Study. J Natl Cancer Inst 1998;90:1371-88.
5 Veronesi U, Maisonneuve P, Costa A, Sacchini V, Maltoni C, Robertson C, et
al. Prevention of breast cancer with tamoxifen: preliminary findings from the
Italian randomised trial among hysterectomised women. Italian Tamoxifen Prevention
Study. Lancet 1998;352:93-7.
6 Powles T, Eeles R, Ashley S, Easton D, Chang J, Dowsett M, et al. Interim
analysis of the incidence of breast cancer in the Royal Marsden Hospital tamoxifen
randomised chemoprevention trial. Lancet 1998;352:98-101
7 Cummings SR, Eckert S, Krueger KA, Grady D, Powles TJ, Cauley JA, et al. The
effect of raloxifene on risk of breast cancer in postmenopausal women: results
from the MORE randomized trial. Multiple Outcomes of Raloxifene Evaluation.
JAMA 1999;281:2189-97.
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