Grossesse et exposition au DES : quelles
problématiques, quelles certitudes dans la prise en charge des grossesses
?
F. BRETELLE*, A. AGOSTINI*, L. PIECHON*, M.
CAPELLE*, I. RONDA*, V. ROGER*, L. CRAVELLO*, B. BLANC*
Introduction
Dès 1977 l'attention a été attirée
sur l'existence de lésions utérines secondaires à l'exposition au
Distilbène. Cet œstrogène a été prescrit sur l'hypothèse
d'une chute des oestrogènes dans les urines dans les fausses couches précoces.
Cette idée n'avait pas été évaluée avant d'être commercialisée
et le produit largement prescrit.
Le diéthylstilbestrol (DES) est
un œstrogène non stéroïdien synthétisé pour la première
fois aux États-Unis en 1938. Il a été commercialisé en France
de 1948 à 1977 sous les noms de spécialités Distilbène®,
Stilboestrol-Borne®, Cycladiène® et Hexoestrol® dans l'indication
«prévention des avortements spontanés, des accouchements prématurés
et des hémorragies gravidiques ». L'inefficacité du DES dans ses
indications obstétricales a été prouvée dès 1953. L'indication
« avortements spontanés à répétition » a été
supprimée du dictionnaire Vidal en 1976. En France, le DES a été
déclaré contre-indiqué durant la grossesse en 1977, soit 6 ans après
l'interdiction américaine. La nocivité du DES pour les filles exposées
in utero (appelées « filles DES ») a été établie
par une augmentation du risque de survenue de 2 types de pathologies génitales
:
- des tumeurs
(adénocarcinome à cellules claires du vagin et du col de l'utérus)
dont la découverte a motivé l'arrêt de commercialisation du Distilbène®
dans ses indications obstétricales en 1971 aux États-Unis, et la contre-indication
d'utilisation chez la femme enceinte en France en 1977 ;
- des anomalies
morphologiques cervico-vaginales, utérines et tubaires. Les anomalies utérines
induites par le DES (hypoplasie utérine et utérus en « T »)
auraient des conséquences sur la fertilité et le bon déroulement
de la grossesse (fausses couches spontanées, grossesses extra-utérines,
accouchements prématurés et hémorragies de la délivrance).
En France, les conséquences de
l'utilisation du DES sont toujours d'actualité. Le pic d'utilisation du DES
se situe entre 1964 et 1974. L'âge de procréer pour les filles exposées
in utero se situe en majeure partie entre 1975 et 2015. Des complications
obstétricales pourront être observées sur la 2e génération
jusqu'à cette dernière date.
Le nombre de femmes enceintes ayant
été traitées par DES a été estimé à 200 000 d'après
les données extraites d'une enquête de l'INSERM et des chiffres de ventes
du laboratoire. Le nombre de filles exposées in utero au DES a été
estimé à 80 000 (avec, pour hypothèses, un taux de fausses couches
spontanées de 20 % et un sex-ratio de ?).
Responsabilité du DES
dans la survenue d'accidents gravidiques
De nombreuses études ont montré que
les grossesses des patientes DES étaient l'objet de complications (1-12).
La plupart des études cas témoin
présentent un faible niveau de preuve de par la qualité de leur groupe
témoin. L'étude de Herbst et al. (1) constitue la suite de l'étude
de Dieckmann et al. qui évaluaient l'effet du diethystillbestrol en 1953 (13).
Le taux de GEU était de de 6 % chez les filles exposées contre 0,3 % dans
le groupe témoin, le taux de fausses couches de 21 % contre 11 % chez les témoins,
et un taux d'accouchements prématurés de 20 % contre 6 % chez les témoins.
La seconde étude est une étude réalisée sur questionnaire réalisée
chez 1 683 patientes exposées au DES (12).
Le taux de naissance vivante lors de
la première grossesse était de 84,5 % chez les contrôles comparés
à 64,1 % chez les patientes exposées (RR 0,76, CI 0,72, 0,80). Le
taux d'accouchement prématuré était de 4,1 % chez les contrôles
contre 11,5 % chez les patientes exposées, le taux de GEU de 0,77 % contre
4,2 %. Les fausses couches spontanées étaient rapportées chez 19,2
% des patientes exposées au DES comparés à 10,3 % des témoins (RR
2,00, CI 1,54-2,60). Les pertes fœtales au second trimestre étaient plus fréquente
également dans le groupe exposé au DES (6,3 % versus 1,6 % ; RR 4,25,
CI 2,36, 7,66).
Lorsque l'on prend l'ensemble des
études, il existait une augmentation du risque :
- d'avortements
spontanés précoces (avant 15 semaines d'aménorrhée) et tardifs
(de 16 à 28 semaines d'aménorrhée) (avortements spontanés précoces
: taux de 16 à 37 % de FCS chez les patientes DES, taux de 9 à 16 % chez
les populations témoins - avortements spontanés tardifs : taux
de 4 à 14 % de FCS chez les patientes DES, taux de 0,5 à 1,6 % chez les
populations témoins) ;
- de grossesses
extra-utérines : taux de 5 à 15 % de GEU chez les patientes DES -
taux de 0 à 2 % chez les populations témoins ;
- d'accouchements
prématurés : taux de 11 à 32 % chez les patientes DES - taux
de 0 à 7 % chez les populations ;
- d'hémorragies
de la délivrance : taux de 8 % chez les patientes DES - taux de 0 % chez
les populations témoins, associées à une augmentation du risque de
délivrance artificielle : taux de 44 % chez les patientes DES - taux
de 18 % ;
- de prééclampsie
(OR 2,4 IC 95 % 1,2-4,5) (8,14).
3 cas de rupture utérine sur utérus
DES non cicatriciel ont été rapportés dans la littérature ainsi
que 2 cas de placenta percreta.
Association entre les anomalies utérines
et des pathologies gravidiques des patientes DES
La présence d'une malformation utérine
était associée de manière significative à une augmentation des
:
- GEU : taux
de 9 % chez les patientes DES avec anomalie à l'HSG - taux de 3 % chez
les patientes DES avec HSG normale ;
- accouchements
prématurés : taux de 22 % chez les patientes DES avec anomalie à
l'HSG - taux de 10 % chez les patientes DES avec HSG normale.
Les taux de FCS précoces et tardives
ne différaient pas de manière significative entre les 2 groupes.
Autres facteurs associés
aux anomalies gravidiques des patientes DES
D'autres facteurs associés aux anomalies
gravidiques des patientes DES ont été discutés. La présence
d'anomalies cervico-vaginales ne paraissait pas être associée à une
fréquence augmentée de FCS ni de GEU. Le taux de MAP n'était pas
plus élevé chez les porteuses d'anomalies cervico-vaginales.
Prise en charge obstétricale des patientes DES
Faut il réaliser des métroplasties d'aggrandissement
?
Quatre études rétrospectives non contrôlées
(15-18) ont été analysées par l'ANAES. La totalité des études
était monocentrique. Deux études (15,16) avaient pour objectif d'apprécier
la faisabilité de l'HA ; les 2 autres (17,18) avaient pour objectif d'apprécier
les résultats de l'HA dans le traitement des anomalies utérines liées
à une exposition au DES in utero.
Sur le plan fonctionnel, l'efficacité
a été jugée sur :
- l'évolution
avant-après HA du taux global de grossesses, ainsi que sur les taux de grossesses
observés chez les patientes DES selon qu'elles avaient une stérilité
primaire ou une infertilité primo-secondaire. Les grossesses survenues dans
les suites de l'HA l'ont été spontanément, ou avec une AMP (FIV ou
IIU). Le délai d'obtention d'une grossesse après l'intervention n'a été
précisé que dans 1 seule étude (18) ; il était de 14,6 mois
[2-41] ;
- la capacité
des patientes à mener leur grossesse à terme. Des MAP ont été
notées dans 3 études (15-17). Un cerclage a été réalisé
de manière prophylactique dans 1 étude (16) en raison de la présence
d'une béance cervico-isthmique radiologique, et de manière curative dans
1 autre étude (15). Une toxémie gravidique a été observée
chez 2 patientes de l'étude de Nagel et Malo (15). Quatre FCS et 2 GEU ont
été notées par Aubriot et al. (17) sur un effectif total de 51 patientes.
Les taux de césariennes ont été communiqués dans 2 études
(17,18) : ils sont respectivement de 33 % et de 50 %. Le motif de ces césariennes
n'a pas été exposé dans l'étude d'Aubriot et al. (17) ; il n'était
pas lié à la réalisation d'une HA ou à une dystocie dans l'étude
de Barranger et al. (18). Aucune étude n'a donné d'informations sur les
modalités de délivrance des patientes ayant eu un accouchement par voie
basse.
Selon Barranger et al. (18), l'HA semblait
améliorer le taux de natalité chez des patientes avec un utérus hypoplasique
et une histoire d'infertilité primaire et/ou de FCS répétées
et/ou d'accouchements prématurés. Selon Aubriot et al. (17), l'HA n'était
jamais recommandée d'emblée mais elle pouvait être proposée
en particulier en cas de striction médio-cavitaire, de stérilité
inexpliquée et de pertes fœtales à répétition.
Ainsi les recommandations de l'ANAES
en 2003 sont prudentes, et précisent que les données issues de 4 études
ne permettent pas d'évaluer l'efficacité et la sécurité de l'HA
dans le traitement des anomalies utérines secondaires à l'exposition au
DES. La métroplastie ne doit pas être systématique. Cette intervention
doit être réservée aux patientes exposées au DES, une hypoplasie
ou anomalie utérine et n'ayant pu mener une grossesse à terme. Cette
intervention ne semble pas de plus améliorer la fertilité des patientes.
Place de l'acide salicylique dans la prise en charge des
utérus distilbène
La vascularisation des utérus distilbène
n'est pas identique à la population générale. L'index de pulsatilité
utérine des utérus DES est supérieur à celui des utérus
non exposés dans les 2 phases du cycle menstruel (19,20). En phase lutéale,
les indices de pulsatilité restent supérieurs ou égaux à 3,
à l'inverse des utérus non exposés. Salle et al. ont émis 2
hypothèses (anomalie histologique des artères utérines induite par
le DES - insensibilité des artères utérines par défaut
de récepteur à l'action vasodilatatrice de l'œstradiol) qui traduiraient
une diminution des flux sanguins nécessaires à une bonne implantation
embryonnaire (20). Il a en effet été démontré qu'en cas du
Doppler des artères utérines au premier trimestre chez des patientes
à risque, l'administration d'aspirine diminuait le risque de complication vasculaire
(21). Ainsi on peut imaginer qu'un traitement préventif par acide salicylique
puisse présenter un certain degré d'efficacité. Il n'existe pas à
l'heure actuelle d'essai sur l'intérêt d'un tel traitement.
Faut-il cercler les utérus distilbène ?
Le rôle de l'incompétence cervicale
dans les pertes fœtales et accouchement prématuré est difficile à
mettre en évidence. En effet, l'étiologie des accidents obstétricaux
est multifactorielle chez les patientes exposées au DES. Le cerclage n'est
pas recommandé de principe chez les patientes ayant un utérus DES. Deux
études prospectives n'ont pas mis en évidence de bénéfice à
la mise en place en prophylactique en situation à risque modéré et
élevé (22)a. .Son utilisation en prophylaxie n'améliore
pas le pronostic obstétrical b c. Il est recommandé par certains
auteurs de surveiller le col par échographie dès 14 sad. Le
but est de déceler précocement une incompétence cervicale et de mettre
en place un cerclage.
Pour le reste de la prise en charge
il n'y a que des incertitudes. En effet l'évaluation de la prise en charge
des grossesses est rendue délicate par la faiblesse méthodologique des
études et en général le faible nombre de cas. La plupart des recommandations
sont issues du principe de précaution et ne sont pas évaluées arrêt
de travail précoce, repos... Cependant ces mesures peuvent également augmenter
le stress de ces patientes ce qui est potentiellement générateur de complications
obstétricales. Il est primordial que l'obstétricien puisse gérer
son stress de façon à pouvoir gérer celui de la patiente. Il
faut rappeler que le taux de naissance vivante reste raisonnable malgré le
risque d'accidents obstétricaux (84 % vs 64 %).
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during pregnancy in diethylstilbestrol-exposed offspring. Obstet Gynecol. 1989 ;
73 : 230-9.
* Hôpital de la Conception,
147 Boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 05
462 F.
BRETELLE, A. AGOSTINI, L. PIECHON, M. CAPELLE, I. RONDA,
V. ROGER, L. CRAVELLO, B. BLANC
GROSSESSE ET EXPOSITION
AU DES 463
464 F.
BRETELLE, A. AGOSTINI, L. PIECHON, M. CAPELLE, I. RONDA,
V. ROGER, L. CRAVELLO, B. BLANC
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AU DES 465
466 F.
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GROSSESSE ET EXPOSITION
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