Technique et intérêt du Doppler utérin à 11-14 SA
E. Cynober* ; M. Uzan** ; L. Carbillon** ; B.
Carbonne*
Le
Doppler utérin a démontré, depuis de nombreuses années, son intérêt pronostic
en cas d’antécédents de pathologies
vasculaires obstétricales( RCIU, pré-éclampsie, HRP…) ou médicales (HTA
préexistante, lupus, maladies de « système », néphropathies…) et son
intérêt étiologique en cas de découverte d’un RCIU. Chez les patientes à bas
risque, de nombreux essais ont montré que le Doppler utérin au 2ème trimestre
(22-24 SA) pouvait discriminer une population à haut risque vasculaire mais
qu’en dépit de l’institution d’un traitement par Aspirine à cette période et
d’une surveillance renforcée de la grossesse, l’issu en était
inchangée (1 ;2)! De nombreuses études montrent cependant l’intérêt
des traitements administrés dès le 1er trimestre de la grossesse en
cas d’antécédents obstétricaux pathologiques « lourds » (Mort fœtale
in utéro (MFIU), Pré-éclampsie sévère…) [essais CLASP et Epreda]. Dès 1997,
Harrington et al. ont montré que l’existence d’un notch bilatérale entre 12 et
16 SA prédisait un risque notable de pré-éclampsie (PE) (risque X 22) (3).
L’intérêt du Doppler utérin effectué à 11-14 SA serait de dépister une
population à risque vasculaire en population générale et peut être d’envisager
l’administration d’un traitement préventif.
1-
Technique
Le
spectre de l’artère utérine est facilement obtenu par voie abdominale dans la
plupart des cas, tout comme la coupe du fœtus permettant de mesurer la LLC et la
clarté nucale ce qui évite le passage systématique par voie vaginale et la
prolongation inutile de l’examen. La voie vaginale peut être employée en cas de
difficulté technique. L’artère utérine se repère très facilement en Doppler
couleur sur le bord latéral de l’utérus, mais contrairement au 2ème
et 3ème trimestre de la grossesse, elle ne doit pas être enregistrée
au niveau du « pseudo-croisement » avec l’artère iliaque externe qui
se révèle souvent trop haut à ce terme. L’enregistrement doit se faire sur la
partie verticale de l’artère utérine juste au dessus de la crosse. L’analyse du
spectre de l’artère tient compte à ce terme, principalement, de l’existence un
non d’une incisure protodiastolique (notch) et de son caractère uni ou
bilatéral.
2-
Résultats
A
11-14 SA, Martin et al. ont enregistré le Doppler utérin de façon satisfaisante
chez 96% des cas sur une population de 3324 grossesses non sélectionnées. Ils
ont montré que l’index de pulsatilité (IP) utérin à ce terme avait une bonne
sensibilité pour la pré-éclampsie et le RCIU avant 32 SA. Dans cette étude, il
existe un IP > 2.35 chez 5% des patientes et chez 60% des PE survenant avant
32 SA et 28% des RCIU sévères nécessitant une extraction avant 32 SA. Dans
cette série, 75% des patientes avaient un notch uni ou bilatéral(4). Hollis et
al. ont montré que l’IP est difficilement reproductible contrairement au notch
et à l’index de résistance (IR) (5). Dans l’étude d’Harrington et al. de
multiples paramètres ont été évalués (notch bilatéral, IR moyen, IP moyen,
vélocité moyenne, vélocité maximale, diamètre des artères utérines, IR et IP
ombilicaux) ; c’est le notch bilatéral qui se révèle à ce terme (12-16 SA)
avoir la sensibilité la plus élevé pour la prédictivité de la PE (93%). Dans
cette série 44.4% des patientes n’avaient aucun notch à 16 SA (3). Dans la
série de 265 patientes « à bas risque » de Hollis et al. l’index de
résistance (IR) utérin est mesuré entre 11 et 14 SA. Le 5ème
percentile est à 0.53, le 50ème à 0.71 et le 95ème à
0.85. Il y a une corrélation négative significative entre le poids de naissance
et l’IR moyen des artères utérines au 1er trimestre. La différence
de poids de naissance entre les patientes sans notch et avec un notch bilatéral
est également significative (p< 0.001). L’IR et le notch contribue
indépendamment à la prédiction du poids de naissance ! (6). Carbillon et
al. ont conduit une étude prospective sur une série de 171 patientes non
sélectionnées comprenant 47% de primipares. A 12 SA, 33% des patientes
n’avaient aucun notch (2N0), 42% avaient 2 incisures (2N+) et 25% avaient 1
notch (1N+). Les explorations vélocimétriques ont été répété à 22 SA chez ces
patientes : 81% des patientes sont alors 2N0, 11% sont 2N+ et 8% sont 1N+.
Dans cette série, il a été observé 5.3% de PE, 0.6% d’éclampsie, de 2.3% d’HTA
gravidique, 1.1% d’hématome rétroplacentaire (HRP), 1.7% de MFIU et 14.5% de
RCIU. La valeur prédictive négative est optimale à 12 SA (94%) et la valeur
prédictive positive est optimale à 22 SA (84%). Cette étude permet de distinguer
une population à bas risque ; en effet, les 57 patientes 2N0 à 12 SA, le
sont restées à 22 SA et n’ont présenté que 3 complications vasculaires
(5%) : 1 cas de PE et 2 cas de RCIU. Les 81 patientes qui présentaient 1
ou 2 incisures à 12 SA et aucune à 22 SA représentent un groupe à risque
intermédiaire avec 13 complications vasculaires (16%) : 1 cas de PE, 3 cas
d’HTA gravidique et 9 cas de RCIU. Les 33 patientes avec des incisures à 22 SA
(11% 2N+ et 8% 1N+) représentent un groupe à haut risque avec 84% de
complications vasculaires. On peut donc à ce terme, en population générale,
individualiser 3 groupes de risque de complications vasculaires: les
patientes à bas risque qui ne présentent pas de notch dès 12 SA, les patientes
à haut risque qui ont toujours des incisures à 22 SA et un groupe à risque
intermédiaire qui avaient des incisures à 12 SA mais qui en sont indemnes à 22
SA (7). Dans une série plus récente de 263 patientes, Carbillon et al. montrent
que les poids moyens de naissance diminuent de façon statistiquement
significative en fonction du terme de disparition du notch :3273g pour les
patientes avec 0 notch à 12 et 22 SA, 3180g pour les patientes avec un ou 2
notchs à 12 SA et 0 notch à 22 SA, 2698g pour les patientes avec un ou 2 notchs
à 12 SA et 1 notch à 22 SA et 2418g pour les patientes dont les 2 incisures ont
persistées à 22 SA (8). Dans une population à très haut risque telle que celle
décrite dans la série de Bats et al. (patientes porteuses du syndrome des
antiphospholipides avec au moins un antécédent de MFIU) le Doppler utérin est
également informatif dès 12 SA : un notch bilatéral est présent chez 38%
des patientes et est associé à un poids de naissance plus bas que chez les
patientes avec 1 ou 0 notch (2626 +/- 688g vs 3178 +/- 353g, p= 0.01) à âge
gestationnel équivalent. La valeur prédictive positive d’un notch bilatéral
atteint 50% dès le 1er trimestre dans cette population à haut
risque. La valeur prédictive positive du notch bilatérale est supérieure à 90%
au 1er et au 2ème trimestre de la grossesse et descend
autour de 80% au 3ème trimestre (9). Du point de vu thérapeutique,
l’étude de Vainio et al. est particulièrement intéressante : 90 patientes
à haut risque de PE ou de RCIU avec un notch bilatéral à 12-14 SA sont randomisées
pour recevoir 0.5mg/kg/j (n= 45) ou un placebo (n= 45). Dans le groupe traité
par Aspirine on note une réduction significative de l’HTA gravidique (11.6% vs
37.2%, RR=0.31) et de la PE (4.7% vs 23.3%, RR=0.2). L’incidence de l’ HTA avant 37 SA est aussi significativement
diminuée (2.3% vs 20.9%, RR= 0.22). La réduction de l’incidence du RCIU n’est
en revanche pas significative (2.3% vs 7%). Les auteurs montrent par ailleurs
que l’utilisation de l’aspirine n’est pas associé à un excès de risque de saignements
maternel ou fœtal (10).
Conclusion
La
pratique du Doppler utérin lors de l’échographie de 11-14 SA permet de
discriminer un groupe de patientes à haut risque vasculaire, en population
générale. Ces patientes peuvent bénéficier d’une prise en charge renforcée tant
sur le plan clinique qu’échographique et peut être bénéficier (après que des
essais cliniques l’ai confirmé) d’un traitement préventif par l’aspirine. Dans
les grossesses à haut risque vasculaire qui bénéficient précocement d’un traitement
préventif, le Doppler utérin de 11-14 SA à un intérêt pronostique permettant
une prise en charge plus adaptée de ces grossesses.
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* Maternité de l’Hôpital St Antoine, Paris
**
Maternité de l’Hôpital Jean Verdier, Bondy
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