Les causes majeures de mortalité
maternelle Pré-éclampsie et éclampsie : stratégie
anesthésique et de réanimation
D. BENHAMOU
Mortalité liée aux pathologies hypertensives : aspects
épidémiologiques et causes des décès
Les pathologies hypertensives sont une des complications
maternelles les plus fréquentes au cours de la grossesse et peuvent compliquer
plus de 10 % des grossesses en France. L'hypertension gravidique est la forme la
plus mineure, associée à la grossesse et disparaissant en post-partum,
sans autre anomalie viscérale. L'association à une protéinurie définit
la pré-éclampsie qui dans sa forme la plus grave associe une protéinurie
massive et des atteintes des grandes fonctions (foie, coagulation, système
nerveux central, rein...). L'HTA peut dominer le tableau ou au contraire apparaître
modérée dans un contexte de défaillance d'organe(s) prédominant.
L'éclampsie, caractérisée par la crise convulsive, éventuellement
itérative en est la forme la plus aiguë. Les pathologies hypertensives
graves (pré-éclampsie - éclampsie) représentent dans tous
les pays industrialisés une cause essentielle de mortalité maternelle.
En France, dans cette première enquête du Comité National d'Experts
sur la Mortalité Maternelle (CNEMM), elle apparaît en seconde position,
responsable de 14 % des décès maternels, ce qui la situe dans la même
position que dans l'enquête préliminaire française réalisée
en 1990 - 1992.
L'âge moyen des patientes décédées
d'une pathologie hypertensive est de 31 ans. Huit d'entre elles avaient un age Ž
35 ans (32 %) et deux avaient 40 ans ou plus (8 %). Ainsi, l'association largement
établie entre l'âge maternel élevé et le risque de décès
ou de morbidité accrue est également retrouvée pour la pathologie
hypertensive dans cette enquête et confirme les résultats similaires retrouvés
dans les enquêtes triennales réalisées au Royaume-Uni. En revanche,
seule une d'entre elles avait moins de 25 ans alors que la pré-éclampsie
est traditionnellement plutôt une complication de la primipare. De fait, l'âge
élevé est associé à une fréquence élevée de la
multiparité (44 % des cas). Le début des signes hypertensifs survient
à des termes très variables mais en moyenne à 32 SA, soit à
un terme assez tardif. Dans les rares cas de cette série où les premiers
signes se sont manifestés en post-partum, ils sont alors survenus de façon
brutale et gravissime d'emblée.
Dans cette série, la symptomatologie
prédominante et la cause du décès sont le plus souvent de nature
neurologique avec une hémorragie intracrânienne dans 56 % des cas. Une
symptomatologie respiratoire (OAP, ARDS) n'est retrouvée que dans 5 cas alors
qu'une situation hémorragique prédominante avec troubles de la coagulation
et atteinte hépatique est rencontrée également dans 20 %. On notera
que l'insuffisance rénale aiguë n'a été au centre du tableau
que dans deux cas. Il est cependant possible que le pourcentage élevé
d'hémorragies intracrâniennes associées à la pré-éclampsie
traduise un biais d'analyse. il est en effet possible qu'en raison de la difficulté
à distinguer les séquences, certaines « éclampsies »
ne soient en réalité que des convulsions secondaires à un processus
neuro-vasculaire primitif.
Prise en charge des manifestations circulatoires et
respiratoires de la pré-éclampsie
Vasoconstriction, volume sanguin circulant inadéquat
et tonus sympathique élevé sont les trois caractéristiques principales
de l'hypertension artérielle gravidique, accompagnée de dysfonction multiviscérale
qui constitue la pré-éclampsie. Ces anomalies sont les cibles du traitement
symptomatique de la maladie qui associe les médicaments vasodilatateurs et
le remplissage vasculaire.
Le traitement antihypertenseur des
formes graves de pré-éclampsie repose sur les médicaments vasodilatateurs
injectables : la dihydralazine et la nicardipine. Pour cette dernière, la perfusion
d'entretien est précédée d'une dose de charge en cas de poussée
hypertensive sévère (bolus iv itératifs de 0,5 -1 mg ou perfusion
iv de 1μg/kg/min pendant 15-20 min). En cas d'échec ou d'apparition d'un
effet secondaire, un second antihypertenseur et associé, par exemple le labétalol.
Le remplissage vasculaire est souvent
nécessaire, en particulier lorsqu'il existe une oligurie et pour prévenir
les effets secondaires du traitement vasodilatateur. Le bénéfice du remplissage
vasculaire systématique n'est pas démontré. Le risque d'œdème
pulmonaire est réel par surcharge volumique et dysfonction ventriculaire.
Le monitorage cardiorespiratoire est
indispensable à la prise en charge d'une femme présenant une pré-éclampsie.
Ses modalités dépendent de la sévérité de la maladie. La
mesure semi-continue de la pression artérielle et l'oxymétrie pulsée
sont les mesures incontournables, éventuellement associées à une
surveillance électrocardioscopique. En l'absence de rapport concernant l'utilisation
rationnelle des techniques ultrasonores, le cathéterisme artériel pulmonaire
peut être nécessaire pour traiter la patiente en cas d'œdème pulmonaire,
d'anurie ou d'hypertension artérielle résistante à la bithérapie.
Le cathéterisme artériel périphérique est utile pour la précison
et la continuité de la mesure de pression, la possibilité de prélèvements
sanguins itératifs et l'amélioration du confort de la patiente.
La prise en charge cardiorespiratoire
des formes graves est essentiellement destinée à préparer l'accouchement
et à en surveiller la réalisation. L'hypertension artérielle et les
dysfonctions viscérales régressent lentement et parfois s'aggravent après
la délivrance; ceci justifie la prolongation de la surveillance et l'adaptation
du traitement au cours de la période post-partum.
Prévention et traitement de l'éclampsie
Compte tenu des données iconographiques et
hémodynamiques concernant les mécanismes de l'éclampsie, une approche
thérapeutique « physiopathologique » devra tenir compte
de ces diverses composantes :
- le vasospasme, prédominant
à l'étage des artères piales, pouvant être présent malgré
une PA normale (ce qui peut expliquer la survenue d'éclampsie sans HTA). Il
doit a priori être traité au moyens d'agents vasodilatateurs spécifiques.
- l'encéphalopathie hypertensive,
responsable d'un oedème hémodynamique, d'une hypertension intra-crânienne,
de céphalées, d'hémorragies par suffusion, d'altération de la
pression de perfusion doit être prévenue par le maintien de la pression
artérielle dans des limites raisonnables.
- la souffrance neuronale, manifestée
cliniquement par les convulsions, est plus probablement la conséquence de l'ischémie
induite par le spasme, qu'un processus épileptique venant de l'hyperexcitabilité
neuronale. La mauvaise perfusion du parenchyme concerné peut expliquer la faible
efficacité des anticomitiaux classiques. Cette souffrance, accompagnée
d'un découplage débit-métabolisme, peut néanmoins être
limitée par des méthodes de neuroprotection : baisse de l'activité
neuronale locale et du métabolisme (anticomitiaux), élévation de
l'apport énergétique (levée du spasme, oxygénothérapie),
blocage de la cascade ischémique.
Les effets secondaires doivent être
minimes, notamment l'hémodynamique doit être respectée, ainsi que
la fonction respiratoire. Toutefois, aucun médicament ne remplissant à
lui seul le cahier des charges, des associations thérapeutiques s'avèrent
le plus souvent nécessaires, même si le sulfate de magnésium est
actuellement le plus couramment proposé.
Posologies, surveillance du traitement par le MgSO4
Les taux thérapeutiques recommandés
sont globalement entre 2 et 4 mmol/l, mais certains auteurs préconisent des
taux supérieurs . D'où l'importance d'administrer une dose de charge afin
d'obtenir des taux rapidement efficaces, et de maintenir une infusion continue pour
les maintenir. A un débit IV de 1 g/h, la magnésémie est stable entre
1,5 et 1,7 mmol/l. A 2 g/h elle s'élève progressivement de 1,8 mmol/l
(30') à 2,5 mmol/l (18h), ce qui signifie que le flux d'entrée est supérieur
à l'élimination urinaire. De ceci découle la suggestion de certains
auteurs d'administrer des posologies fortes (6 g en charge puis 2 g/h en perfusion).
A noter que dans aucun protocole cité il n'est proposé une adaptation
de la posologie au poids (voire au volume extracellulaire), ce qui est regrettable.
Deux protocoles classiques existent,
basés sur des séries continues de la littérature :
- Le protocole de Pritchard,
dans lequel la dose de charge IV est de 4 g, avec un entretien par des injections
intramusculaires itératives (5 g en même temps que la dose de charge,
puis 5 g toutes les 4 heures, pendant les 24 heures suivant la dernière crise).
- Le protocole de Zuspan, dans
lequel la dose de charge IV est la même, suivie d'une infusion IV continue
de 1 g/h, pendant la même durée. En cas de récidive, un bolus supplémentaire
de 2 g est injecté en 5 minutes (4 g pour les patientes de plus de 70 kg).
Sibai a fréquemment recommandé
des posologies plus élevées, avec comme argument que même en utilisant
des doses supérieures (6 g puis 2 g/h) le taux d'échecs n'était pas
négligeable (13 % sur une série de 254 patientes traitées) .
La surveillance clinique est jugée
suffisante pour déceler un éventuel surdosage. Sont requis pour la sécurité
de la patiente : fréquence respiratoire > 16/minute; diurèse > 25
ml/heure; réflexe rotulien présent. En cas de surdosage est suggérée,
outre l'arrêt de l'infusion, l'injection IV de 1 g de gluconate de calcium,
qui doit être prêt à l'emploi. Le calcium intraveineux permet notamment
de restaurer les conditions hémodynamiques. L'oligo-anurie est une contre-indication
au traitement.
La place respective des anti-calciques et du MgSO4
Le poids de l'évidence en faveur de l'emploi
du sulfate de magnésium (MgSO4) dans l'éclampsie et dans la pré-éclampsie
semble augmenter d'année en année. The Collaborative Eclampsia Trial avait
démontré l'efficacité du MgSO4 à prévenir (plus efficacement
que la phénytoïne) la récidive de l'éclampsie (c'est-à-dire
efficace en prévention secondaire). L'étude Magpie a démontré
l'efficacité du MgSO4 en prévention primaire de l'éclampsie chez
des pré-éclamptiques par rapport à un placebo. Enfin, l'étude
récente de Belfort et al montre que le MgSO4 est plus efficace que la nimodipine
en prévention primaire de l'éclampsie chez les patientes présentant
une pré-éclampsie sévère. Les résultats sont concordants
dans ces deux dernières études avec notamment un taux similaire d'éclampsie
(0,8%) chez les pré-éclamptiques traitées par MgSO4. La réduction
du risque était assez similaire dans les deux études suggérant que
la nimodipine ne fait guère mieux que le placebo. Enfin, dans l'étude
Magpie, l'administration de MgSO4 était associée à une réduction
(non significative statistiquement mais cliniquement importante) de la mortalité
maternelle avec une réduction du risque relatif de 55%.
La « messe est-elle dite ? »
oui dans les conditions de ces trois études, mais certainement pas dans toutes
les circonstances. Ces trois études, bien que méthodologie impressionnante,
ont été réalisées dans des conditions socio-économiques
qui ne représentent pas les conditions de soins de la plupart des maternités
européennes. En effet, le recrutement a été effectué dans des
pays et des villes où pauvreté rime avec médiocrité de l'assurance
sociale et des filières de soins (Afrique du Sud, Amérique du Sud, villes
« noires » du sud des Etats-Unis). Ainsi le taux d'éclampsie
dans les groupes contrôles de ces études approche des 3% alors que l'incidence
de l'éclampsie est plutôt de l'ordre de 0,1% (voire moins) dans les maternités
européennes. Ainsi donc, en l'absence même de MgSO4, les résultats
sont meilleurs lorsque la filière de soins et le suivi des grossesses sont
assurés. L'efficacité du MgSO4 à prévenir l'éclampsie est
certes significative, mais le nombre de sujets à traiter (NNT) pour éviter
une éclampsie, varie dans le meilleur des cas entre 36 et 63 (c'est-à-dire
en cas de pré-éclampsie sévère). En d'autres termes, il faut
administrer du MgSO4 chez 36 à 63 pré-éclamptiques sévères
pour éviter la survenue d'une convulsion. Ce NNT est loin d'être satisfaisant
lorsque l'on sait que certains ont considéré qu'un traitement est vraiment
utile lorsque le NNT est < 5. L'insuffisance criante de la prise en charge thérapeutique
réside dans l'insuffisance de contrôle de la pression artérielle.
Elle est non seulement symptomatique de structures insuffisamment dotées sur
le plan médical, mais elle explique aussi pourquoi le taux d'éclampsie
est si élevé. Dans l'étude de Belfort et al, la pression artérielle
moyenne (PAM) à l'entrée dans l'étude était de 127 mmHg, donc
très élevée. Surtout, alors que cette PAM n'a été réduite
qu'à 117 (groupe nimodipine) et à 122 mmHg (groupe MgSO4), seulement la
moitié des patientes a reçu un traitement antihypertenseur additionnel.
De plus, aucun détail n'est fourni sur les modalités d'administration
de l'hydralazine mais une autre étude américaine réalisée dans
des conditions identiques indiquait que le produit était administré par
bolus intraveineux itératifs lorsque la pression systolique dépassait
160 mmHg, suggérant un contrôle médiocre de la PAM. Dans notre pratique
clinique et notamment grâce à l'emploi des antihypertenseurs administrés
à la seringue électrique (labétalol et nicardipine surtout), la valeur
cible de PAM se situe plus autour de 100 mmHg que de 120 mmHg.
Pourquoi le contrôle de la PAM
semble-t-il être la notion critique de prévention de l'éclampsie?
Belfort et al ont probablement raison en indiquant qu'une pression de perfusion
cérébrale (PPC) (PAM-PIC) (PIC : pression intra-crânienne) élevée
est associée à un risque accru d'éclampsie, probablement en réalisant
un baro-traumatisme cérébral avec œdème vasogénique. Le MgSO4
diminue la PPC et pourrait alors avoir un effet direct sur la réduction du
risque d'éclampsie. Cependant, nos pratiques semblent tout aussi efficaces
car la réduction " raisonnée " de la PAM par un traitement antihypertenseur
bien conduit réduit la PPC et serait alors aussi efficace que le MgSO4 sur
le risque d'éclampsie.
En conclusion, dans les structures
dans lesquelles le contrôle de la PAM n'est pas réalisé (non prioritaire
ou non possible) et où le suivi des grossesses conduit à un risque spontané
d'éclampsie important, MgSO4 est un traitement puissant et d'efficacité
clairement démontrée. En revanche, dans les pays européens où
la structuration sociale permet un suivi adéquat des grossesses et où
le contrôle de la PAM est mieux réalisé, MgSO4 n'a pas sa place.
Commentaires sur les premiers résultats du Comité
National d'Experts sur la Mortalité Maternelle (CNEMM) (1996-1998)
Les soins ont été jugés non-optimaux
dans 64 % des cas par les experts du CNEMM, ce qui représente un taux de soins
insuffisants plus élevés pour cette pathologie qu'au Royaume-Uni. Il faut
cependant être très prudent quant à la comparaison des taux en raison
du caractère très subjectif des jugements. Les soins obstétricaux
ont été les plus souvent en cause (c'est-à-dire dans 44 % des prises
en charge non-optimales) alors que l'insuffisance des soins de réanimation
n'a été notée que quatre fois comme seul facteur (16 %). Dans 29
% des dossiers avec soins non-optimaux, les soins étaient jugés insuffisants
pour les deux praticiens ou il s'agissait d'un problème de coordination des
équipes. Une décision inadéquate d'un consultant (cardiologue) a
été constatée une fois.
Les décès ont été
considérés comme évitables ou probablement évitables dans 32
% des cas. Alors que le rôle de soins non-optimaux est à origine dans
la majorité des cas évitables, il faut souligner que dans 6 cas (24 %),
la mauvaise adhésion de la patiente à son traitement ou le retard pris
à consulter explique au moins partiellement le caractère évitable
du décès.
Alors qu'en France, l'hémorragie
intracrânienne reste la cause prédominante de décès au cours
des pré-éclampsies, le Royaume-Uni a vu, au cours des triennums les plus
récents, s'inverser cette tendance de telle sorte qu'actuellement l'atteinte
respiratoire est le principal facteur de décès. L'analyse des causes de
décès permet de tirer plusieurs conclusions simples : 1) la prédominance
nette de l'hémorragie intracrânienne traduit très vraisemblablement
un contrôle de l'HTA insuffisant soit dans son efficacité (choix de molécules
peu puissantes telles que la clonidine, peu maniables seules telles que le labétalol)
soit dans son délai de mise en œuvre. Dans ce dernier cas, c'est plus un retard
dans la prise en charge et une sous-estimation de la gravité qu'un défaut
thérapeutique proprement dit qu'il convient de mettre en avant. L'analyse des
dossiers suggère que l'emploi de la voie intraveineuse est assez large dans
notre pays et que ce facteur ne constitue pas une explication de l'insuffisance
de contrôle (que l'on peut plus facilement observer avec la voie orale).
Plusieurs explications peuvent être
proposées pour expliquer le taux faible d'OAP rencontré dans cette enquête.
Le remplissage vasculaire est peut-être moins important en France soit par
mésestimation de la fréquence de l'hypovolémie au cours de la pré-éclampsie
soit en raison d'une meilleure estimation de la volémie par des moyens paracliniques.
Il est reconnu que malgré les efforts des sociétés savantes pour
promouvoir l'emploi des corticoïdes pour prévenir les conséquences
de la prématurité, cette utilisation est encore très insuffisante
en France. Lorsque l'on sait que les corticoïdes favorisent la rétention
hydrique et les œdèmes, on peut concevoir que leur sous-emploi explique au
moins en partie la fréquence rare des OAP. La rareté de l'insuffisance
rénale aiguë grave (requérant une épuration extra-rénale)
retrouvée dans cette enquête que dans 1 cas est en accord avec l'ensemble
des données de la littérature.Bibliographie
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472 D.
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