Chapitre 12 - anesthésiologie analgésie en milieu obstétrical
CESARIENNE EN URGENCE : L'ANESTHESIE GENERALE EST LE MEILLEUR CHOIX
D. BENHAMOU
L'auteur rappelle que ce texte et les opinions qui y sont présentées font partie
d'une controverse sur le choix de la méthode d'anesthésie à pratiquer en cas de
césarienne urgente et que ces données ne reflètent pas nécessairement l'avis personnel
de l'auteur.
L'anesthésie générale est généralement considérée par les anesthésistes
impliqués dans la pratique obstétricale comme devant être évitée chaque fois que
possible. Cette règle générale est basée sur des résultats d'études telles que
l'Enquête Confidentielle sur les morts maternelles au Royaume-Uni [1]. Ces études ont
régulièrement montré que l'anesthésie générale est plus que l'anesthésie
loco-régionale responsable de mauvais résultats maternels en particulier lorsque
l'anesthésie générale est utilisée pour des procédures d'urgence. Les complications
majeures de l'anesthésie générale sont bien documentées et sont en rapport
principalement avec l'inhalation de liquide gastrique acide (syndrome de Mendelson) et
avec l'intubation difficile ou impossible qui résulte en une hypoxémie maternelle qui si
elle est prolongée peut conduire à des dommages cérébraux voire aux décès. Dans
certaines circonstances cependant (anomalie franche de la coagulation ou patiente avec une
pathologie cardiaque par exemple), l'anesthésie générale est acceptée comme étant la
méthode de choix. Ce texte défendra le point de vue que dans de nombreuses circonstances
cependant l'anesthésie générale n'est pas le " Diable " et peut
être raisonnablement utilisée en cas de césarienne urgente.
Par définition, au cours des procédures d'urgence, l'équipe médicale manque de
temps. Ceci est particulièrement vrai dans certaines urgences obstétricales dans
lesquelles l'obstétricien considère que le foetus doit être extrait dans un délai ne
dépassant pas 2 à 5 minutes. Dans ces conditions, l'anesthésie doit être d'excellente
qualité dans ce délai de 2 à 5 minutes. Aucune technique d'anesthésie loco-régionale
n'est appropriée dans ces conditions.
La rachianesthésie est considérée généralement comme ayant la latence
d'installation la plus rapide. Cependant, lorsque l'on utilise la bupivacaïne (qui est
actuellement le médicament utilisé presque exclusivement), le temps d'installation de
l'anesthésie est certes observé dans les 2 à 3 minutes suivant l'injection
intrathécale mais l'extension maximum du bloc (c'est-à-dire jusqu'à un niveau sensitif
supérieur cutané à T4) nécessite généralement 10 à 30 minutes [2]. Lorsque la
lidocaïne est utilisée en rachianesthésie, les caractéristiques de l'installation du
bloc sensitif ne sont pas très différentes [3]. Lorsque l'anesthésie péridurale est
utilisée (et son utilité n'est cliniquement importante seulement chez les patientes
ayant déjà un cathéter péridural mis en place pour le travail), Price et coll. ont
montré de façon très élégante que l'extension de l'analgésie péridurale en une
anesthésie pour césarienne peut être réalisée par l'injection de 20 ml de lidocaïne
2 % adrénalinée avec une efficacité excellente [4]. Cependant chez toutes les patientes
le bloc était excellent pour pouvoir réaliser la césarienne en 12,5 minutes, et 11 sur
36 patientes (30,5 %) seulement avaient un bloc excellent en 5 minutes ce qui élimine les
capacités de cette technique à pouvoir être utilisées dans les grandes urgences
obstétricales.
Certains considèrent que comme l'anesthésie générale est nécessairement légère
pour éviter la dépression néonatale, les mémorisations peuvent survenir et peuvent
même conduire à des problèmes médico-légaux. En effet lorsqu'on utilise une technique
traditionnelle d'anesthésie générale (thiopental 3mg/kg, N20/oxygène, 0,5 halothane ou
1 % d'isoflurane et succinylcholine) King et coll. [5] ont récemment montré qu'au moment
de l'incision environ 100 % des patientes présentent des signes évidents de réveil
(pleurs et flexion des doigts). Cependant dans cette même étude lorsque toutes les
patientes ont été interrogées en postopératoire, aucune d'entre elles n'avait
mémorisé un événement peropératoire. De plus Lyons et coll. [6] ont montré que l'on
peut sans aucun danger pour la mère et le nouveau-né augmenter la dose de thiopental
jusqu'à atteindre une dose habituelle de 5 à 7mg/kg. Dans leur expérience, cette
augmentation de la dose a permis d'obtenir une réduction significative de l'incidence de
mémorisation dans leur institution. D'autre part l'anesthésie loco-régionale peut être
un échec complet ou partiel. Alahuhta et coll. [7] ont montré par exemple qu'une douleur
viscérale peut survenir chez 50 % des patientes bénéficiant d'une césarienne
sous rachianesthésie. Dans cette même étude le même taux de douleur viscérale
est observé chez les patientes ayant une anesthésie péridurale pour la même
indication. Même dans des mains très expérimentées, la douleur est ressentie par les
patientes dans 9 % des rachianesthésies pour césarienne urgente [8].
Ainsi qu'il a été précisé plus haut, l'anesthésie générale est souvent
préférée chez les patientes présentant une pathologie cardiaque sévère, en
particulier celles chez lesquelles le retour veineux doit absolument être maintenu.
Cependant même chez les patientes ayant un système cardio-vasculaire normal,
l'anesthésie loco-régionale est responsable d'une baisse du retour veineux avec ses
conséquences cliniques. Au cours des césariennes urgentes, Juhani et Hannele [9] ont
trouvé une incidence d'hypotension de 32 % malgré un remplissage vasculaire de 1 000 à
1 500 ml de Ringer Lactate. Bien que cette hypotension ne soit généralement pas
dangereuse pour la mère, il est important de rappeler que cette hypotension peut être
délétère pour le foetus/nouveau-né. Roberts et coll. ont en effet récemment
démontré que l'anesthésie loco-régionale était associée à une incidence de 18 %
d'acidémie foetale (pH de l'artère ombilicale à la naissance < 7,19) et que cette
complication était beaucoup plus fréquente lorsque la rachianesthésie était utilisée
[10].
Les procédures obstétricales en urgence sont plus souvent réalisées chez les
patientes ayant une pathologie préexistante ou des complications liées à la grossesse.
Ces patientes peuvent également recevoir des médicaments qui affectent particulièrement
la coagulation tel que l'aspirine. Un exemple de cette situation est bien entendu la pré
éclampsie au cours de laquelle les césariennes urgentes sont extrêmement fréquentes.
D'autres situations peuvent conduire à des hémorragies et etre associées à des
coagulations intravasculaires disséminées infra-cliniques du moins initialement. Dans
ces conditions également la césarienne urgente est possible pour des conditions
maternelles ou foetales. Ici encore l'anesthésie générale est certainement le meilleur
choix pour au moins deux raisons : 1) la tolérance cardio-vasculaire de ces patientes est
en général mauvaise et l'anesthésie loco-régionale conduit à des modifications
hémodynamiques beaucoup plus importantes que l'anesthésie générale, 2) les anomalies
de la coagulation secondaires à la pathologie ou à l'administration de médicaments
mettent ces patientes à haut risque de développer un hématome péridural.
Bien que l'anesthésie générale est considérée comme étant à haut risque
d'hypertension au cours de l'intubation chez les patientes pré éclamptiques (avec les
risques d'hémorragie cérébrale), Wallace et coll. ont récemment comparé les
résultats anesthésiques après anesthésie générale, péridurale ou rachianesthésie
péridurale combinée dans cette situation [11]. L'intervalle entre l'induction
anesthésique et la naissance était significativement plus court dans le groupe ayant
reçu une anesthésie générale. L'hypotension est survenue plus fréquemment chez les
patientes recevant une anesthésie loco-régionale (6 à 8 % des patientes ont nécessité
de l'éphédrine) alors que l'hypertension n'a pas été rencontrée chez les patientes
ayant une anesthésie générale. Les patientes ayant reçu l'une ou l'autre technique
d'anesthésie loco-régionale (c'est-à-dire anesthésie péridurale ou rachianesthésie
péridurale combinée) ont reçu des quantités de liquide beaucoup plus importante (2 000
à 2 400 ml d'équivalent de Ringer Lactate) ce qui expose ces patientes à un risque
d'oedème pulmonaire post partum.
Enfin, bien que la mortalité soit maternelle en rapport avec l'anesthésie de façon
très significative au cours des vingt dernières années, cette diminution a été
attribuée en particulier à une utilisation accrue de l'anesthésie loco-régionale.
Cependant dans la plupart des rapports triennaux anglais récents, il est affirmé de
façon répétitive que les décès en rapport avec l'anesthésie générale sont en
général associés avec des soins de qualité insuffisante. De plus le rôle des
médecins anesthésistes en formation (internes) est de plus en plus cite comme un
phénomène extrêmement important : l'inexpérience de ces internes en formation explique
probablement la fréquence élevée des intubations difficiles, des inhalations de liquide
gastrique acide et le maintien d'un nombre non négligeable de décès par anesthésie
générale. Il faut alors considérer que la délégation inappropriée à des médecins
inexpérimentés doit être évitée absolument et comme le rappelle Roberts et coll.
[12], " le problème n'était pas réellement la méthode d'anesthésie : il
s'agit plutôt de praticiens inexpérimentés et mal préparés ". L'anesthésie
générale pour situation obstétricale urgente peut être sans danger réel lorsqu'elle
est pratiquée par des anesthésistes expérimentés et présents sur place.
BIBLIOGRAPHIE
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[12] Roberts S.W., Leveno K.J., Lucas M.J., Sidawi J.E. : Fetal acidemia associated
with regional anesthesia for elective cesarean delivery. In reply. Obstet. Gynecol., 1995,
85 : 803-4.
D. BENHAMOU* Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital
Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte de Trivaux, 92141 Clamart Cedex, France.
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