Chapitre 12 - anesthésiologie analgésie en milieu obstétrical
PROSTAGLANDINES ET ANESTHESIE OBSTETRICALE
D. BENHAMOU
* Professeur des universités, praticien hospitalier, département
d'anesthésie-réanimation, Hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart.
I. INTRODUCTION
La plupart des anesthésistes travaillant en obstétrique sont peu familiarisés avec
les propriétés pharmacologiques et l'emploi des prostaglandines (PG). En effet, les
interactions entre l'anesthésie obstétricale et l'utilisation des PG sont rares. C'est
ainsi que par une analyse exhaustive de la littérature au cours des dix dernières
années, on ne peut retrouver qu'une vingtaine de publications indiquant que des
anesthésistes ont été confrontés à des complications des PG employées par les
obstétriciens. Plus encore, ces publications sont presque en totalité des " case
reports " relatant un voire deux cas d'interaction grave. En réalité si l'on se
limite aux interactions proprement dites entre les agents (ou les techniques)
anesthésiques et les PG, le nombre de publications est réduit à moins de dix. Les
publications restantes relatent des effets systémiques induits par l'administration des
PG que l'obstétricien n'a pu traiter par lui-même et qu'il a confiée à l'anesthésiste
pour que celui-ci assure la réanimation immédiate.
Alors compte tenu de la rareté de ces interactions pourquoi ce sujet est-il
intéressant ? Les raisons sont multiples. Tout d'abord par la gravité réelle de
ces accidents, hémodynamique ou respiratoire le plus souvent et qui ne permet aucun
retard thérapeutique. Autrement dit, l'anesthésiste doit connaître les propriétés
pharmacologiques des PG afin d'être capable d'assurer en urgence la thérapeutique. De
plus, alors que les nouvelles voies d'administration des PG réduisent la diffusion
systémique de la molécule et donc incitent les obstétriciens à un emploi de plus en
plus large, la survenue d'effets indésirables reste tout à fait possible et des
accidents sévères peuvent en résulter.
Ce texte rappellera tout d'abord le (s) rôle (s) des PG dans la physiologie de la
reproduction puis présentera les effets pharmacologiques sur l'utérus (col, myomètre)
des PG utilisées en clinique, enfin discutera les effets systémiques générateurs de
complications.
II. PROSTAGLANDINES ET PHYSIOLOGIE DE LA REPRODUCTION
Une excellente et exhaustive revue générale vient d'être récemment publiée [1] et
pourra compléter l'information résumée ci-dessous.
Les prostaglandines sont issues de l'acide arachidonique et sont des acides gras à 20
atomes de carbone, un noyau cyclopentane, deux chaînes latérales dont l'une porte la
fonction COOH (acide). Le nombre de doubles liaisons sur les chaînes latérales (1, 2 ou
3) permet de distinguer les PG des séries 1, 2 et 3 respectivement. En physiologie
humaine, les PG de la série 2 sont très largement prédominantes. L'acide arachidonique
se trouve fixé en grande quantité (sous forme estérifiée) aux lipides membranaires
dont il est libéré sous l'action de la phospholipase A2. Cet enzyme voit son action
inhibée par la lipocortine dont l'activité est stimulée par les corticoïdes. De
l'acide arachidonique, 3 voies métaboliques prennent naissance selon la nature de
l'enzyme impliquée. La cyclooxygénase (inhibée par les anti-inflammatoires non
stéroïdiens) permet la production des PG. La lipoxygénase donne naissance aux
leucotriènes. Enfin, sous l'action de l'époxygénase apparaissent des substances dont
l'action physiologique est encore très mal connue.
Les prostaglandines jouent dans la physiologie de la reproduction un rôle important,
complexe et démontré à plusieurs niveaux. La PGE2 stimule la libération de LH-RH
hypothalamique et la PGF2a favorise la libération par l'hypophyse de FSH et de LH. La
PGF2 a favorise également la maturation folliculaire et la lutéolyse. La PGF2 participe
au processus d'ovulation et à la migration des gamètes dans la trompe.
Au cours de la grossesse, le taux intra-amniotique de PGE2 s'élève environ trois fois
plus que celui de PGF2a. En revanche pendant l'accouchement, on assiste à une croissance
intense des taux intraamniotiques (x 100 environ par rapport au taux de fin de grossesse)
mais il s'agit alors surtout de la PGF2a. La PGF2a semble donc jouer un rôle majeur dans
l'accouchement normal.
III. PROPRIETES PHARMACODYNAMIQUES ET UTILISATION DES PG EN OBSTETRIQUE
Les propriétés pharmacologiques qui intéressent l'obstétricien sont doubles :
1. Augmentation de la contraction utérine par augmentation du taux de Ca2+
intracellulaire [2]. Cet effet est puissant et serait plus important avec la PGF2a
qu'avec la PGE2 [3].
Mal contrôlée en particulier avec l'utilisation de doses excessives (plus de 5 mg
avec les gels ou les ovules vaginaux de PGE2 ou plus de 0,5 mg pour la PGE2
intracervicale) ou en association avec l'ocytocine, la puissance utérotonique des PG
(PGF2a ou PGE2) peut être responsable de rupture utérine, même en l'absence de
cicatrice utérine antérieure [4, 5, 6].
2. Effet de maturation du col qui serait au contraire plus prolongé avec la
PGE2 qu'avec la PGF2a [3]. Cet effet a été démontré comme ayant un support
histochimique. L'assouplissement du col est associé à une diminution significative de la
concentration de collagène à ce niveau, avec une raréfaction et une dispersion des
fibres de collagène qui ne sont plus solidaires. Le maintien du taux tissulaire
d'hydroxyproline traduit que la quantité totale de collagène et d'eau n'a pas diminué.
A l'inverse, il existe histologiquement une augmentation de la substance de soutien
responsable de la dispersion de collagène. De plus, les fibres lisses musculaires du col
sont sensibles à l'action des PG, cette fois-ci de nature inhibitrice [7].
En raison de leurs propriétés mixtes à la fois sur le muscle et à la fois sur le
col utérin, les PG représentent des substances de choix dans l'arsenal thérapeutique et
ce, à toutes les périodes de la grossesse.
- Dans l'interruption volontaire de grossesse au premier trimestre, l'effet
maturateur du col permet une approche mécanique du contenu utérin moins traumatisante et
l'effet utérotonique favorise l'expulsion spontanée et la rétraction [8]. Cependant, il
est indispensable de rappeler que les PG utilisées seules pour l'IVG au cours du 1er
trimestre ne sont pas plus efficaces que l'aspiration sous vide. La nécessité fréquente
d'une anesthésie générale pour l'aspiration sous vide - et des risques potentiels qui
lui sont associés - doit également être prise en considération.
Actuellement largement utilisées en association avec le RU486 ou mifépristone, ce
sont essentiellement les dérivés synthétiques de la PGE2 qui sont les plus efficaces
(sulprostone ou NALADOR et Géméprost ou CERVAGEME). Depuis peu, on dispose d'une forme
orale de prostaglandine utilisable dans cette indication : c'est le misoprostol
(CYTOTEC) plus connu pour son action anti-ulcéreuse. Cette molécule est un analogue de
la PGE1 et a été très étudiée au cours des deux dernières années. Récemment une
étude significative a évalué l'efficacité comme inducteur de l'avortement de la
mifépristone (RU486) en association avec du misoprostol administré soit par voie orale
soit par voie vaginale à la dose de 800 mg [9]. L'expulsion du produit de conception sans
intervention chirurgicale a été obtenue dans 95 % des cas d'administration vaginale
et dans 8 % des cas d'administration orale (différence significative). Le taux de
femmes ayant expulsé en moins de 4 heures était de 93 % après administration
vaginale et seulement de 78 % après administration orale (différence
significative). Les effets indésirables (nausées, diarrhée) étaient plus fréquents
après administration orale. Cette étude semble démontrer clairement l'efficacité de la
combinaison de ces produits et montre l'excellente tolérance lorsque la prostaglandine
est administrée par voie vaginale.
- Déclenchement du travail au 2e et 3e trimestre pour interruption thérapeutique
de grossesse ou mort foetale in utero [10]. Les voies d'administration sont identiques
à la description précédente et ici encore, en raison de leur puissance utérotonique,
les analogues de la PGE2 étaient les plus utilisés au début des années 1990.
Cependant, comme pour les avortements du premier trimestre, l'association
mifépristone-misoprostol a été récemment évaluée pour les avortements du second
trimestre. Dans l'étude de El Refaey et Templeton [11], l'avortement était obtenu à
97 % dans un délai de 6,4 heures. A la différence des avortements du premier
trimestre, il n'existait dans cette série pas de différence de résultat entre la voie
orale et la voie vaginale.
- Le déclenchement artificiel du travail à terme ne peut faire appel qu'aux PG
naturelles [12, 13] ou aux analogues de la PGE1 [14], les dérivés synthétiques exposant
au risque d'hypertonie utérine et de souffrance foetale aiguë. L'effet bénéfique sur
le col utérin est significatif surtout en cas de col " défavorable " (score de
Bishop faible < 3-4). Dans le cas contraire, l'ocytocine produit d'aussi bons
résultats.
- Enfin les PG synthétiques (NALADOR en particulier) retrouvent tout leur intérêt
dans les hémorragies du post-partum. Toutes les voies d'administration sont
possibles : parentérale iv ou im [15, 16] injection intramurale directe [17] ou
l'emploi des ovules vaginaux [18]. Cependant, les voies intramurale directe et
intramusculaire sont actuellement prohibées. Sur un plan pratique, rappelons que la
plupart des PG sont instables à température ambiante et doivent être conservées au
réfrigérateur. Lorsque le NALADOR est la molécule choisie, l'administration
intraveineuse doit être lente, en perfusion ou au mieux à la seringue électrique
pour éviter les effets indésirables qui se démasquent en cas de pic plasmatique
élevé. Dans notre expérience, l'emploi d'une ampoule de 500 =B5g
représente la dose cliniquement utile et à l'exception des situations hémorragiques
très instables il nous paraît raisonnable de s'accorder un délai d'observation de
quatre à six heures au terme duquel l'efficacité des PG peut être jugée. Si
l'efficacité se révèle alors insuffisante, il ne paraît pas légitime de réitérer
l'injection de PG et un autre choix thérapeutique doit alors rapidement être proposé
pour stopper le syndrome hémorragique.
IV. EFFETS INDESIRABLES DES PG ET INTERACTIONS AVEC L'ANESTHESIE-REANIMATION
C'est malheureusement parce que les PGE2 et PGF2a possèdent des effets physiologiques
dans d'autres territoires que des interactions négatives peuvent être observées en
obstétrique. Malgré leur rareté, il est possible de les classifier et de résumer la
situation de la façon suivante.
1. La PGF2 possède une action hypertensive
qui a pu conduire à des hypertensions extrêmes (19,20). Cette action reste difficile
à expliquer car si les travaux hémodynamiques retrouvent constamment une élévation de
la pression artérielle pulmonaire, l'action sur le débit cardiaque, la pression
artérielle et les résistances vasculaires semble moins claire [21]. L'élévation de
40 % du débit cardiaque et de 25 % de la pression artérielle systémique ne
peuvent expliquer des accidents hypertensifs. Il est alors probable qu'à plus forte dose
ou en cas d'injection ou de passage intravasculaire brutal, un effet sur le muscle
vasculaire lisse soit prédominant. Sur le plan thérapeutique, notons que cet accident
hypertensif ne doit être traité que s'il persiste, l'action de la PGF2a étant très
transitoire, de l'ordre de quelques minutes.
2. Hypotension artérielle
L'administration et l'absorption de doses thérapeutiques de PGE2 produisent une
hypotension artérielle modérée ou mineure [21]. La PGE2 en effet produit une
vasodilatation et une réduction des résistances vasculaires systémiques [21]. Cette
vasodilatation peut se manifester par un flush et une grande rougeur cutanée et faire
évoquer un accident anaphylactoïde. Cependant il n'y a pas d'urticaire et pas de
bronchospasme rendant ce diagnostic peu probable.
L'index cardiaque est cependant maintenu par une élévation de la fréquence cardiaque
et du volume d'éjection systolique. En revanche, le passage intravasculaire - en
particulier après injection intramyométriale pour hémorragie et atonie utérine - d'une
quantité notable de PGE2 peut être responsable d'une hypotension artérielle profonde
[22]. Cet effet hypotenseur pourrait être accentué par un traitement symptomatique
insuffisant de l'hémorragie résultant en une hypovolémie associée.
Veeckman et collaborateurs ont également rapporté l'interaction négative entre
l'administration intramyométriale de PGE2 et les effets hémodynamiques de l'anesthésie
péridurale au cours de césariennes [23]. Ces auteurs insistent sur la résistance au
traitement de cette hypotension par l'éphédrine et suggèrent un blocage de la
libération de nor-adrénaline par la PGE2 [24].
La mise en oeuvre d'une thérapeutique symptomatique (catécholamines et remplissage
vasculaire) dépendra de la profondeur de l'hypotension. A ma connaissance trois cas
cliniques ont décrit la survenue d'un infarctus du myocarde à la suite d'une hypotension
profonde après administration de PGE2. Dans le premier cas (enquête nationale sur la
mortalité maternelle, non publiée) la PGE2 était administrée chez une femme, grande
tabagique et en très mauvais état général, pour une interruption de grossesse au 1er
trimestre. Dans le second cas [25] l'interruption de grossesse au 2e trimestre était
motivée par le retentissement maternel (HTA sévère et insuffisance cardiaque) d'une
pathologie rénale sous-jacente. Dans le troisième cas, plus anciennement rapporté [26],
une femme obèse aux lourds antécédents cardio-vasculaires familiaux est décédée d'un
infarctus du myocarde à la suite de l'administration d'un ovule vaginal de 20 mg de PGE2
pour déclenchement du travail (dose actuellement recommandée : 3-5 mg). Ainsi dans
les trois cas rapportés, bien qu'il n'y ait pas mention de coronaropathie cliniquement
décelée, le terrain " vasculaire " peut être a posteriori considéré comme
favorisant.
L'action hypotensive de la PGE2 n'est pas toujours retrouvée. La complexité d'action
de ces substances est attestée par le cas clinique récemment rapporté par Veber et
collaborateurs [27]. L'administration de 500 =B5g de PGE2 s'est accompagnée
d'un pic hypertensif majeur et transitoire attribué par ces auteurs à un effet central
de la PGE2 prédominant sur l'effet périphérique (hypotension) secondaire à une
résorption vasculaire brutale (injection intramyométriale).
Enfin il faut insister sur la survenue fréquente d'une fièvre après administration
de PGE2 (30-40 % des cas) [3]. Cette fièvre peut poser deux problèmes à
l'anesthésiste-réanimateur :
1. Peut-il réaliser une anesthésie péridurale en présence d'une telle
fièvre ?
2. S'agit-il d'un tableau hémodynamique de choc septique débutant ? Les
réponses à ces questions impliquent une analyse de chaque cas séparément et une
confrontation avec les données obstétricales.
3 - Bronchospasme et PGF2
De la même façon que le passage intravasculaire brutal est susceptible de produire
une hypertension, l'action sur le muscle lisse bronchique peut conduire à un
bronchospasme. Dans les conditions difficiles dans lesquelles cette situation a été
décrite, les diagnostics différentiels usuels (inhalation, anaphylaxie, malposition de
la sonde, stimulation trachéale irritante, etc.) doivent être évoqués.
Cependant, à doses thérapeutiques la PGF2a ne produit une augmentation significative
des résistances bronchiques que chez les patients asthmatiques [28]. Il n'existe qu'un
seul cas rapporté de bronchospasme chez une patiente non asthmatique recevant de la PGF2a
pour une hémorragie persistante du post-partum [29]. Cet effet bronchoconstricteur de la
PGF2a s'oppose à l'effet bronchodilatateur de la PGE2 [30].
V. CONCLUSION-RESUME
- L'emploi thérapeutique des PG en obstétrique a profondément modifié les
attitudes. Leur puissance permet l'amélioration des résultats de nombreuses situations.
- Elles sont utilisées de par leurs propriétés (dilatation cervicale et contraction
utérine) à tous les termes de la grossesse. Cependant, les dérivés synthétiques des
PG sont contre-indiqués en cas " d'enfant vivant ".
- L'emploi des PG des voies locales (intracervicale, vaginale, extraamniotique) réduit
les risques d'effets indésirables mineurs (nausées, vomissements, douleurs) et surtout
graves (cardio-respiratoires).
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