Chapitre 11 - anesthésiologie analgésie en milieu
obstétrical
LA CESARIENNE POUR SOUFFRANCE FOETALE AIGUE NE
DOIT PAS TOUJOURS ETRE EFFECTUEE SOUS ANESTHESIE
GENERALE
J. HAMZA, P. SACQUIN ET L. SIMON* Département d'Anesthésie-Réanimation,
Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 74, avenue Denfert-Rochereau,
75014 Paris.
Le diagnostic de souffrance foetale aigue est souvent imprcis et peu spécifique
aboutissant fréquemment à l'extraction en urgence d'un nouveau-néen
bonne santé. Cette extraction foetale nécessite donc une anesthésie
en urgence qui était classiquement une anesthésie générale
en raison de sa rapidité de mise en oeuvre. En fait, les risques essentiellement
maternels (Mendelson, intubation difficile) mais aussi néonatals (dépression
néonatale nécessitant une réanimation) de ce mode d'anesthésie doivent conduire
à reconsidérer cette attitude. Nous allons montrer dans ce texte que la rachianesthésie
et l'extension d'une analgésie péridurale en place représentent actuellement
souvent la meilleure alternative diminuant le risque maternel et n'augmentant
pas le risque de dépression foetale.
A. LA PREVENTION DES RISQUES DE L'AG
EST DIFFICILE
L'enquête triennale britannique [7] nous rappelle en
effet que l'AG est l'une des causes majeures de mortalité
maternelle, particulièrement au cours de la césarienne
en urgence puisque la mortalité liée à l'anesthésie
y est 6 fois plus importante qu'au cours d'une césarienne
programmée [6]. En outre, cette enquête nous montre
que c'est dans la grande majoritédes cas le syndrome
de Mendelson et les difficultés d'intubation qui sont
en cause.
1. La prévention du syndrome de Mendelson
est difficile en urgence
Le syndrome de Mendelson est la deuxième cause de mortalité
associée à l'anesthésie générale
pour césarienne rapportée dans l'enquête
confidentielle anglaise de 1982 à 1984 [7]. Bien que la
prévention en soit théoriquement facile, elle n'est
pas toujours efficace, ainsi qu'en témoigne la persistance
de plusieurs cas dans l'un des derniers rapports triennaux
britanniques sur la mortalité maternelle [8].
La cimétidine et la ranitidine sont peu maniables en situation
d'urgence puisque leur délai d'action pour l'inhibition
de la production acide gastrique est d'au moins une heure.
Certes, l'utilisation de citrate 0,3 molaire à la dose
de 30 ml per os juste avant l'induction de l'anesthésie
est rapidement efficace [10], mais sa durée d'action
est variable et ne protège donc pas du risque de Mendelson
lors du réveil anesthésique, responsable de 3 décès
maternels dans l'enquête triennale anglaise de 1982-1984
[7].
Le deuxième volet de cette prévention est représenté
par l'utilisation systématique de la manoeuvre de
Sellick débutée dès la perte de conscience
et maintenue jusqu'à ce que la sonde d'intubation
trachéale soit en place ballonnet gonflé. Celle-ci nécessite
donc un aide expérimenté, rarement présent dans
de nombreuses structures de soin dans les circonstances souvent
nocturnes de la césarienne en urgence.
Le troisième point important serait de vidanger l'estomac
par la mise en place d'une sonde gastrique avant l'extubation
de la patiente. Rappelons en effet que parmi les cinq morts survenues
au réveil dans le rapport sur la mortalité maternelle,
trois étaient dues à un Mendelson survenu après
l'extubation.
2. La prévention du risque d'intubation
difficile n'est pas simple
Le risque d'intubation difficile est majoré en obstétrique
par rapport à la situation chirurgicale classique. Il est
en effet de 1 intubation difficile sur 300 anesthésies
générales en obstétrique [29] contre seulement
1 sur 2 000 chez le patient chirurgical. Sa prévention pose
plusieurs problèmes :
a) Le dépistage pré-anesthésique des difficultés
d'intubation
Il n'est pas toujours facile en obstétrique : d'une
part, les patientes ne sont pas toutes vues en consultation d'anesthésie,
d'autre part les circonstances mêmes de la césarienne
en urgence empêchent une évaluation complète et
précise des potentielles difficultés d'intubation.
En outre, même lorsque la difficultéd'intubation
est anticipée en circonstance d'urgence, le délai
court dont on dispose (souffrance foetale aiguë) ne permet
pas, comme c'est le cas en chirurgie réglée,
d'envisager des solutions alternatives et/ou des techniques
d'intubation qui nécessitent du temps (intubation
sous fibroscope). La solution la plus rationnelle semble donc
être l'évaluation systématique du risque
d'intubation difficile chez toutes les patientes obstétricales
en fin de grossesse de façon à repérer les
patientes potentiellement difficiles à intuber et à
définir la stratégie de prise en charge de la patiente
si une césarienne urgente devenait nécessaire en cours
de travail.
Une étude récente [28] confirme l'intérêt
de cette démarche d'évaluation des difficultés
d'intubation : les signes évoquant une difficultépotentielle d'intubation ont étésystématiquement
recherchés chez 1 500 patientes obstétricales devant
subir une césarienne sous anesthésie générale
(parfois en urgence) et corrélés aux difficultés
d'intubation observées lors de la laryngoscopie. Cette
étude révèle que l'existence d'un
Mallampati stade 4 multiplie par 11 et que le rétrognathisme
multiplie par 5 le risque d'intubation difficile ; lorsque
ces 2 signes sont présents, le risque est multiplié
par 55 par rapport à une patiente Mallampati stade 1 !
Il est donc clair que l'évaluation systématique
« à froid » de ces facteurs de risque permet
une meilleure prévention de ce problème. Cependant,
celle-ci se heurte à la pénurie de médecins
anesthésistes.
b) Les difficultés d'intubation ne sont pas toujours
prévisibles
Même lorsqu'une stratégie claire de prise en
charge de l'intubation difficile a été mise
au point, certaines des précautions nécessaires
posent problème en urgence :
1. La nécessité d'une pré-oxygénation
suffisante de la patiente avant l'induction. En effet,
la consommation d'oxygène étant accrue chez la
femme enceinte, la survenue de l'hypoxémie est particulièrement
précoce lors des essais infructueux d'intubation.
Or, l'urgence ne permet pas une préoxygénation
optimale de 3 minutes et oblige à se contenter de 4 inspirations
profondes à la capacité vitale d'oxygène
pur qui permettent certes d'obtenir une PaO2 maternelle supérieure
à 300 mm Hg en quelques secondes mais de façon moins
durable qu'après une préoxygénation
normale.
2. L'anesthésie doit être suffisante lorsqu'une
difficultésérieuse d'intubation est prévisible
et ceci peut être en contradiction avec l'utilisation
en obstétrique de doses volontairement faibles de thiopental
afin de diminuer la dépression néonatale.
3. L'échec d'intubation reste toujours possible
même avec l'anesthésiste le plus expérimenté.
L'impossibilité de ventiler est un risque permanent
liée à la majoration rapide de l'oedème
des muqueuses pharyngo-laryngées lors de tentatives répétées
d'intubation.
4. L'utilisation du masque laryngé, décrite au
cours de l'intubation difficile en obstétrique (20)
a certes permis de ventiler et d'oxygéner correctement
une patiente qu'il était impossible de ventiler mais
elle ne met pas à l'abri du risque de Mendelson.
3. Les risques foetaux de l'AG ne sont pas
tous évitables
a) Les conditions de ventilation maternelle doivent être
très bien ajustées
Il est nécessaire de maintenir une ventilation normocapnique.
En effet l'hypercapnie élève les résistances
vasculaires utérines et diminue le débit utéro-placentaire
(DUP) [32]. L'hypocapnie entraîne une hypoxie foetale
avec acidose par diminution du DUP et du transfert de l'oxygène
[19]. Etant donnéque la paCO2 normale pendant la grossesse
est environ de 30 mmHg, il faut en tenir compte pour la surveillance
capnographique de la patiente et l'ajustement de la ventilation.
b) Le choix des agents d'induction et des doses employées
est déterminant
Après injection de 4 mg/kg de thiopental, le DUP diminue de 20 à 35 % [17]
essentiellement par augmentation des résistances vasculaires utérines
lors de l'intubation. Des doses supérieures à 5 mg/kg entraînent
une dépression néonatale [18]. Dans les 2 cas, les conséquences
néonatales ne peuvent être considérées comme optimales.
Bien que la kétamine augmente la pression artérielle
maternelle du fait de ses propriétés sympathomimétiques,
le DUP reste stable. A la dose de 1 mg/kg, les effets neurocomportementaux
néonataux sont moins marqués qu'avec le thiopental
[14]. Cependant, les effets psychodysleptiques de la kétamine
peuvent être gênants au réveil, en particulier
dans le climat d'angoisse maternelle que peut engendrer
la césarienne en urgence.
L'absence d'AMM du propofol en obstétrique et
l'absence d'étude publiée en situation
d'acidose foetale ne permettent pas de recommander ce produit
en cas de SFA.
c) Le délai entre l'induction et l'extraction
de l'enfant
Le délai induction-extraction (I-E) n'est corrélé
à une dépression néonatale que lors de l'anesthésie
générale [3]. Plus le délai s'allonge,
plus le pourcentage de nouveau-nés avec un score d'Apgar
anormal à la naissance augmente. Dans le cadre de la SFA,
cet élément doit être pris en considération
lorsque l'on prévoit une extraction foetale longue
et difficile (utérus multicicatriciel par exemple). Dans
ce cas, l'AG représente un désavantage pour
l'enfant.
d) L'utilisation d'agents halogénés
pour l'entretien
L'utilisation de FiO2 élevée, justifiée
dans le cadre de la césarienne, oblige à employer
les agents halogénés à plus forte concentration
pour éviter les réveils peropératoires. Cet objectif
peut parfois être contradictoire avec celui de ne pas utiliser
les halogénés à forte concentration (> 1 MAC
) pour éviter la dépression néonatale.
e) L'accueil du nouveau-né
En pratique, la difficulté de prévoir avec précision
la durée d'exposition du foetus aux agents anesthésiques
impose pour toute anesthésie générale en
obstétrique, d'avoir prévu la possibilité
d'une réanimation du nouveau-né et de s'y
être préparé. Le nouveau-népeut en effet
être handicapé par une sédation excessive et/ou
l'altération des mécanismes hémodynamiques
d'adaptation à l'hypoxie. Le point fondamental
de cette réanimation néonatale est dominé
par la prise en charge rapide de la ventilation et de l'oxygénation
du nouveau-né, ce qui est difficile lorsqu'il n'y
a pas de pédiatre sur place. C'est alors parfois l'anesthésiste
qui est en charge de cette réanimation, ce qui pose le problème
de la surveillance maternelle concomitante.
B. LA PRÉVENTION DES RISQUES DE L'ALR
EST PLUS FACILE
Le choix entre les différentes techniques d'anesthésie
loco-régionale (rachianesthésie, péridurale
ou même péri-rachi séquentielle) est guidé
par les risques de chacune d'entre elles, ainsi que par les
indications et les contre-indications liées aux circonstances.
1. Prévention des risques maternels
Entre 1967 et 1987, 234 décès liés à
l'anesthésie ont été rapportés
dont seulement 7 uniquement dus à une anesthésie
loco-régionale [8]. Dans ces 7 cas, le décès
a résulté soit d'un effet toxique direct des
anesthésiques locaux, soit du retentissement de celle-ci
sur l'hémodynamique maternelle.
a) L'hypotension artérielle
C'est le principal risque maternel de l'anesthésie
loco-régionale. Le syndrome de compression aorto-cave par
l'utérus gravide est aggravé par le bloc sympathique
mais il est facile de le prévenir par la mise en DLG. On
peut de plus noter que l'hypotension est moindre chez la
parturiente en cours de travail que lors d'une césarienne
programmée [4]. La rachianesthésie entraîne une
hypotension artérielle plus fréquente et plus sévère
que l'anesthésie péridurale [27] en raison
de sa rapidité d'installation, caractéristique
recherchée dans le cadre de la césarienne en urgence.
En fait, la gravité maternelle de l'hypotension repose
essentiellement sur la négligence de facteurs pathologiques
antérieurs non détectés dans l'urgence,
mais qui demeurent des contre-indications à l'ALR.
L'hypovolémie non compensée dans le cadre d'une
toxémie gravidique ou d'une hémorragie massive
en constitue un premier exemple; mais aussi les cardiopathies
non équilibrées. L'enquête triennale britannique
la plus récente indique que parmi les 8 décès survenus
au cours d'une anesthésie, le seul décès
survenu au cours d'une anesthésie loco-régionale
était secondaire à un collapsus irréversible
après une anesthésie péridurale chez une
femme porteuse d'une insuffisance aortique [8]. Une évaluation
médicale correcte de la parturiente permet d'éviter
ces pièges liés au terrain.
Pour pallier les inconvénients de la rachianesthésie
sur le plan hémodynamique, certains ont proposél'emploi
d'une à rachi-péri È séquentielle.
Celle-ci combine les avantages de la rachianesthésie à
ceux de l'anesthésie péridurale mais au prix
d'une réalisation plus complexe, et donc plus longue
à mettre en oeuvre dans le cadre de l'urgence. L'utilisation
d'une dose fixe d'anesthésiques locaux, soit
14 mg de bupivacaïne 0,5 % hyperbare (soit 2,8 ml) lors de
la rachianesthésie initiale [33] ne permet pas d'obtenir
de diminution de l'incidence de l'hypotension. Pour
atténuer l'importance de l'hypotension, certains
auteurs [26] administrent des doses plus faibles d'anesthésique
en intrathécal (7,5 à 10 mg) et complètent
l'extension du bloc par des doses fractionnées de
bupivacaïne par voie péridurale. On peut ainsi combiner
la rapiditéd'installation de la rachianesthésie
avec la flexibilitéde l'anesthésie péridurale.
b) L'injection intra-vasculaire massive peut être
évitée
Le respect du fractionnement des doses, en guettant les premiers
signes de toxiciténeurologique et systémique avant
que n'apparaissent les signes de mauvaise tolérance
cardiaque (trouble du rythme, trouble de la conduction), reste
primordial même quand l'urgence presse. En effet,
la dose-test adrénalinée et le test aspiratif qui sont
systématiques ne sont pas suffisants pour affirmer l'absence
de brèche vasculaire.
A l'inverse, la faible quantité des doses utilisées
lors d'une rachianesthésie avec une absorption systémique
négligeable et un effet toxique nul constituent un avantage
de cette technique par rapport à l'anesthésie
péridurale qui peut être mis à profit lorsque le
degréd'urgence ne permet pas le fractionnement des
doses nécessaire en péridurale.
c) L'hématome intra rachidien est exceptionnel
Dans les cas de pathologie obstétricale à très
forte probabilité de coagulation intra-vasculaire disséminée
(hématome rétroplacentaire, placenta praevia avec
saignement abondant en cours, mort in utero) ou en cas d'anomalie
connue de la coagulation, il faut bien sûr contre-indiquer
toute technique d'ALR en l'absence de vérification
préalable de l'hémostase (numération
plaquettaire, TP, TCA, Fibrinogène).
Si les données anamnestiques et cliniques en faveur d'un
risque hémorragique sont négatives, les risques
de thrombopénie asymptomatique en fin de grossesse justifient
une simple numération plaquettaire avant anesthésie
loco-régionale [13].
d) L'échec de l'ALR peut souvent être
prévenu
La quasi-certitude d'obtenir constamment un bloc sensitif
de niveau inférieur satisfaisant après rachianesthésie
est un élément majeur en faveur de cette technique.
Le risque occasionnel de déplacement secondaire de l'aiguille
lors de l'injection ou d'injection partielle dans
l'espace sous-dural ou péridural en particulier avec
les nouvelles aiguilles à pointes de crayon » à
orifice latéral peut être prévenu aisément
en avançant l'aiguille d'un millimètre
lorsque l'espace est atteint [30].
Lorsque l'utilisation d'un cathéter péridural
chez une patiente à haut risque de césarienne est
vitale (signes francs d'intubation difficile, par exemple),
il ne faut pas hésiter à remettre en place rapidement
un nouveau cathéter si l'analgésie reste imparfaite
ou latéralisée. Il faut ainsi tester régulièrement
la fiabilitédu cathéter pendant le travail afin d'éviter
le recours à l'anesthésie générale.
La réalisation d'une rachianesthésie pour la
césarienne en cas d'échec total ou partiel
de l'anesthésie péridurale doit être
considérée prudemment en raison de plusieurs cas
cliniques de rachianesthésie totale secondaire à
une rachianesthésie à doses normales faisant suite à
un échec de péridurale [31]. Dans le contexte d'une
césarienne en urgence pour SFA, il est donc préférable
en cas d'échec de l'anesthésie péridurale
de recourir à une anesthésie générale.
2. La prévention des risques foetaux est
facile
a) Il s'agit essentiellement de l'hypotension artérielle
maternelle
Elle retentit directement sur le débit utéro-placentaire.
C'est ainsi qu'une hypotension artérielle systolique
inférieure à 100 mmHg durant plus de 5 minutes aboutit
à des anomalies du rythme cardiaque foetal qui peut conduire
à une hypoxie et à une acidose foetale au-delà
de 10 à 15 minutes d'hypotension maternelle. Par contre,
en l'absence d'hypotension durable, la rachianesthésie
et l'anesthésie péridurale pour césarienne
ne modifient pas le DUP [15, 16]. La plupart des études
ne retrouvent d'ailleurs aucune altération des scores
neurocomportementaux des nouveau-nés après anesthésie
péridurale pour césarienne [1].
b) La prévention de l'hypotension est facile
Elle repose sur le triple volet classique, particulièrement
important en cas de rachianesthésie :
* décubitus latéral gauche maternel qui minimise la compression aortocave
par l'utérus gravide ;
* remplissage vasculaire : il semble exister un consensus dans la plupart
des équipes pour utiliser un remplissage rapide par 20ml/kg de cristalloïdes.
Si l'emploi d'albumine pour le remplissage est certes efficace mais cher, il
faut en revanche rappeler la contre-indication absolue des dextrans et des gélatines
comme soluté de remplissage préventif chez les parturientes du fait des risques
de réactions anaphylactiques ;
* Vaso-constricteurs : lors des césariennes réalisées sous rachianesthésie,
le décubitus latéral associé au remplissage vasculaire ne permet, à la différence
de celles réalisées sous péridurale, que la prévention de 50 % des épisodes
d'hypotension [5]. L'utilisation des vaso-constricteurs est donc obligatoire.
L'éphédrine est le produit de choix pour son effet favorable sur
le débit utérin en comparaison avec des produits à action alpha
1 agoniste prédominant. L'éphédrine est utilisée à titre prophylactique sous
forme de perfusion à débuter dès l'injection intrathécale : il faut diluer 60
mg d'éphédrine dans 500 ml de Ringer-Lactate et adapter le débit à l'évolution
tensionnelle. Des bolus intraveineux de 6 mg d'éphédrine sont
associés en cas d'hypotension.
C. LES EFFETS DE L'AG SUR LE NOUVEAU-NÉ
SONT PLUS IMPORTANTS QUE CEUX DE L'ALR
Les risques maternels et foetaux respectifs de l'anesthésie
générale et loco-régionale ainsi que la simplicitérelative de leur prévention sont des éléments importants
pour le choix de la technique d'anesthésie, mais le
devenir du nouveau-néselon la technique employée dans
un contexte de SFA fournit d'autres éléments
de réflexion intéressants.
Dans une étude rétrospective, Gale et coll. [9] ont étudié les dossiers de
374 femmes césarisées dont 169 en urgence. Alors que l'évolution néonatale était
similaire après anesthésie générale ou anesthésie péridurale pour les césariennes
programmées, elle était différente pour les nouveau-nés
après césarienne en urgence : 25 % des nouveau-nés dont
la mère avait reçu une AG nécessitaient une assistance
respiratoire après la naissance, comparés à seulement 12,8
% des nouveau-nés dont la mère avait reçu une anesthésie péridurale (p
< 0,05).
Ong [23], dans une étude rétrospective portant sur
1672 césariennes en urgence, compare les césariennes
pour souffrance foetale (n = 319) à celles effectuées
pour stagnation de la dilatation (n = 1353). Dans les 2 groupes,
le pourcentage de nouveau-nés présentant un score d'Apgar
< 4 ou nécessitant une assistance ventilatoire est plus
important après AG qu'après ALR.
Marx et coll. [21] ont évalué la prise en charge
anesthésique de 126 femmes césarisées pour
souffrance foetale. L'obstétricien déterminait
en pré-opératoire le pH foetal au scalp dans chaque
cas et la mère sélectionnait la technique anesthésique
qu'elle voulait. Au total, 71 femmes ont reçu une anesthésie
générale et 55 une anesthésie régionale dont
33 une rachianesthésie et 22 une extension d'une anesthésie
péridurale en place. Chaque césarienne débutait
dans les 20 mn suivant la dernière détermination
du pH foetal au scalp. A l'accouchement, les mesures du pH
et des gaz du sang dans l'artère et la veine ombilicale
et les scores d'Apgar à 5 mn étaient similaires
dans les 2 groupes et le score d'Apgar à 1 mn était
significativement meilleur dans le groupe anesthésie régionale.
Les mesures du pH artériel ombilical étaient supérieures
au dernier pH au scalp, respectivement dans 80% et 63 % des cas
d'anesthésie régionale et d'anesthésie
générale.
Ramanathan et coll. [25] ont étudié 101 femmes présentant
une souffrance foetale. Parmi ces femmes, 67 ont reçu une
anesthésie générale et 34 ont eu l'extension
de leur anesthésie péridurale. 97 % des enfants
dans le groupe anesthésie péridurale et 79 % des
enfants dans le groupe anesthésie générale avaient
un pH veineux ombilical supérieur à la dernière
mesure pré-opératoire du pH au scalp. L'extension
rapide d'une anesthésie péridurale n'affectait
pas de manière adverse l'avenir néonatal quel
que soit le type d'anomalie du RCF observé [25].
Au total, ces résultats suggèrent que les enfants
dont la mère a reçu une ALR se portent au moins
aussi bien que les enfants dont la mère a reçu une
anesthésie générale. De plus, ces techniques
d'ALR diminuent le pourcentage de nouveau-nés nécessitant
des gestes de réanimation à la naissance, ce qui peut
être précieux dans les structures de soins ne disposant
pas d'une assistance néonatale compétente
24h/24.
D. STRAT&EACUTE;GIE D&EACUTE;CISIONNELLE POUR
LE CHOIX ENTRE AG ET ALR
En pratique, les deux critères principaux de choix sont
: d'une part les risques maternels et foetaux de l'une
ou l'autre technique anesthésique que nous venons
de développer et qui sont clairement en faveur de l'ALR,
et d'autre part le degré d'urgence de la césarienne.
En effet, on reproche parfois à l'ALR un délai
de mise en oeuvre plus long que l'AG et susceptible
de retentir sur le pronostic foetal. Nous allons voir qu'il
n'en est rien.
1. Délai décision-extraction
Il semble ainsi que certaines césariennes ne sont pas véritablement
hyperurgentes et que le délai ne retentit pas alors sur
le pronostic foetal tandis que pour les vraies urgences, le délai
joue un rôle aggravant sur le pronostic néonatal.
C'est pourquoi il semble utile de répartir les césariennes
en urgence en 3 catégories : urgence différable, urgence
non différable et urgence extrême (tableau I).
Une urgence différable correspond au cas de patientes dont l'état materno-foetal
est stable mais qui nécessitent une césarienne avant qu'une instabiliténe
survienne. Un exemple en est la patiente ayant une insuffisance utéro-placentaire
chronique ou un foetus en présentation du siège, membranes rompues,
où l'on peut vouloir éviter les risques de procidence du cordon ou de
rétention de tête dernière grâce à la césarienne.
Une urgence non différable correspond au cas de patientes dont l'équilibre
physiologique maternel et/ou foetal est instable mais non immédiatement menaçant
pour la vie de la mère et du foetus. Une procidence du cordon sans souffrance
foetale ou des décélérations variables du rythme cardiaque
foetal s'améliorant rapidement avec persistance d'une variabiliténormale
du rythme cardiaque foetal en sont des exemples.
Une extrême urgence correspond au cas de patientes dont
l'état est tel qu'il y a une menace vitale immédiate
pour la mère et/ou le foetus. Les exemples en sont une
bradycardie foetale prolongée ou des décélérations
tardives avec une absence de variabilitédu rythme
cardiaque foetal.
Le fait de classer une patiente en fonction de ces 3 degrés
d'urgence peut influencer le choix de l'anesthésie
mais ce classement ne peut intervenir qu'« à
chaud », lors de la survenue de la situation d'urgence.
Par contre, les éventuelles contre-indications à l'anesthésie
générale ou à l'anesthésie loco-régionale
sont en grande partie prévisibles par la simple connaissance
des antécédents pathologiques de la patiente, un examen
clinique dont l'essentiel se résume à l'évaluation
des difficultés potentielles d'intubation et quelques
examens paracliniques en particulier l'évaluation
de l'hémostase permettant la pratique d'une anesthésie
loco-régionale.
On peut donc envisager deux situations selon que la patiente est
découverte en urgence sans consultation d'anesthésie
préalable ou qu'à l'inverse, celle-ci
a été pratiquée et a permis une stratégie
de prise en charge réfléchie.
2. La patiente n'a pas été
vue en consultation et n'a pas de cathéter de péridurale
en place lors de la décision de césarienne
L'attitude dépend alors du degré d'urgence
:
a) En cas d'urgence extrême
Le seul choix possible pour sauver le foetus reste souvent l'anesthésie générale.
Dans ce cas, l'évaluation pré-anesthésique peut se réduire à l'évaluation rapide
des difficultés potentielles d'intubation et des antécédents allergiques lors
d'anesthésies antérieures ; il est clair que dans ce cas la découverte
d'une difficultémajeure prévisible d'intubation soumet l'anesthésiste
à un terrible dilemme : choisir une technique d'anesthésie loco-régionale
qui pourrait prendre plus de temps et faire courir un risque au foetus en allongeant
la durée décision-extraction ou bien, choisir de prendre le risque maternel
d'une anesthésie générale en sachant que le foetus risque également de
pâtir d'une situation maternelle difficile. C'est probablement dans ce
cas qu'il est le plus important d'être bien sûr que la décision
d'extrac-tion foetale urgente ne souffre réellement d'aucun délai
et justifie la prise de risque maternel. Les obstétriciens et les sages-femmes
doivent être parfaitement conscients de ce risque pour que l'anesthésiste
soit toujours appeléle plus tôt possible sitôt l'indication
d'urgence potentielle posée. De précieuses minutes peuvent être
ainsi gagnées par une meilleure collaboration obstétrico-anesthésique et permettre
de se retrouver dans la deuxième situation.
b) En cas d'urgence non différable
Selon l'existence ou non de contre-indication à l'anesthésie
générale ou à la rachi-anesthésie,
on peut alors choisir entre ces deux techniques avec une préférence
pour la rachi-anesthésie qui évite de déprimer
le foetus tout en gérant au mieux le risque d'hypotension
(grosse voie d'abord, remplissage, éphédrine).
Les délais nécessaires à l'installation
d'une anesthésie péridurale efficace de novo
respectant les conditions de sécurité que sont le
fractionnement des doses et l'attente du délai nécessaire
pour s'assurer de l'absence de brèche dure-mérienne
rendent cette technique d'anesthésie inadaptée
à la situation d'urgence non différable telle
qu'elle vient d'être décrite.
c) L'urgence différable
(Anomalie du RCF ayant récupéré par exemple)
où la césarienne est nécessaire mais dans
un délai situé au-delà de 30 minutes : c'est
l'indication de choix des techniques d'anesthésie
loco-régionale, tout particulièrement de la péridurale
fractionnée qui permet d'éviter un bloc sympathique
important et d'installation rapide que l'on risque
d'observer avec la rachi-anesthésie. L'anesthésie
générale dont le principal mérite est la rapidité
d'installation ne trouve plus guère de justification
dans ce cas sinon dans l'éventualité de contre-indications
aux techniques d'anesthésie loco-régionale.
Dans tous les cas, il est essentiel que l'obstétricien communique clairement
la sévérité de l'anomalie du rythme cardiaque foetal à l'anesthésiste. De même,
l'anesthésiste doit communiquer à l'obstétricien les difficultés qu'il prévoit
chez une patiente. Si l'anesthésiste prévoit que l'intubation
pourraît être difficile, l'obstétricien sera plus compréhensif
concernant la décision de pratiquer une anesthésie régionale. C'est dans cet
esprit que le Collège Américain des Gynécologues et Obstétriciens a publié un
consensus d'experts (comportant des anesthésistes) sous le titre « anesthésie
pour césarienne en urgence [2] dont les principales données sont
indiquées dans le tableau II. Il ressort clairement de ces recommandations
l'importance cléde la consultation d'anesthésie, qui idéalement
doit être faite à distance de l'accouchement pour permettre une
véritable prévention des risques de l'anesthésie en urgence.
3. La patiente a été vue en consultation
d'anesthésie en fin de grossesse
La stratégie anesthésique, en cas de césarienne
en urgence peut avoir été programmée :
a) La patiente ne présente de contre-indications ni
à l'anesthésie générale ni à
l'anesthésie loco-régionale et ne présente
aucun facteur de risque de césarienne en urgence
La proposition d'une analgésie péridurale pour
le travail n'est indiquée que par le désir
de la patiente de supprimer ou d'atténuer les douleurs
de l'accouchement et sauf imprévu pendant le travail,
il n'y a pas d'indications médicales à
la mise en place d'une péridurale à prophylactique
È.
b) La patiente ne présente de contre-indications ni
à l'anesthésie générale ni à
l'anesthésie loco-régionale mais il existe
un facteur de risque de césarienne
(Siège, grossesse gémellaire, utérus cicatriciel, retard de croissance intra-utérin).
L'analgésie péridurale peut être indiquée en début de travail pour réduire
le risque de dépression néonatale et le risque maternel liéà
une anesthésie générale en urgence. L'utilisation précoce
et le maintien de l'anesthésie péridurale facilitent l'extension
de celle-ci en cas de césarienne en urgence. Si un cathéter péridural
a été placé précocément et qu'un niveau partiel d'anesthésie existe sans instabilité
hémodynamique, l'extension de l'anesthésie péridurale est souvent efficace.
C'est ainsi que Morgan et coll. [22] ont pu anticiper avec succès 87 % de 360
césariennes en urgence. L'institution précoce de l'analgésie péridurale chez
les patientes nécessitant ultérieurement une césarienne urgente permettait de
réaliser celle-ci sous péridurale dans 90 % des cas tandis que les 10 % restants
nécessitaient une AG. L'anesthésie péridurale préventive
appliquée à ces patientes à risque de césarienne
est donc efficace dans 90 % des cas pour éviter l'AG.
c) Il existe une contre-indication à l'anesthésie
générale
(Difficulté d'intubation très probable, antécédents
de choc anaphylactique lors d'une anesthésie générale
antérieure ) : la patiente doit être informée du
risque que représenterait une anesthésie générale
en urgence pour elle et on doit lui proposer une analgésie
péridurale mise en place dès le début du travail
qui permettra dans un bon nombre de cas d'éviter la
nécessité d'une anesthésie générale.
En effet, une étude prospective récente portant
sur plus de 3 000 patientes [11] montre que les parturientes présentant
des signes d'intubation difficile représentent près
de 10 % d'une population obstétricale globale. La
détection de ces facteurs d'intubation difficile lors
d'une consultation d'anesthésie de fin de grossesse
permet de proposer « à froid » une péridurale
analgésique précoce aux patientes à risque.
Cette attitude préventive est efficace puisque le pourcentage
de patientes ayant une péridurale mise en place précocément
(dilatation < 4 cm) est significativement plus élevédans le groupe à risque d'intubation difficile et
que le pourcentage d'AG en cas de césarienne en urgence
est significativement plus bas en présence d'un cathéter
péridural en place. Enfin, les accidents liés à
l'intubation sont tous observés chez des patientes
n'ayant pas de péridurale en place au moment de la
césarienne [12].
L'existence préalable d'un cathéter de péridurale en place avec une analgésie
efficace (niveau D10) permet d'augmenter rapidement le niveau de l'anesthésie
jusqu'en D4 grâce à la réinjection de lidocaïne à 2 % adrénalinée. Une étude
récente (24) montre en effet que l'injection de 20 ml de lidocaïne adrénalinée
au 1/200 000e en vue d'une césarienne en urgence permet en moins de 12,5 minutes
d'obtenir une anesthésie chirurgicale efficace de niveau D4 ou supérieur - en
dépit d'un niveau sensitif initial variable - sans hypotension artérielle
maternelle majeure ni retentissement foetal délétère [24].
Le point fondamental reste évidemment l'absolue nécessitéd'être
immédiatement prévenu par l'équipe obstétricale
de sorte que l'injection d'anesthésique local dans le cathéter
ait lieu sitôt l'indication posée. Cette attitude ne dispense
pas d'être prêt à pratiquer une anesthésie générale
en urgence si la qualitéde l'anesthésie s'avère insuffisante
lorsque les obstétriciens sont prêts à inciser, éventualité
cependant rare [12].
d) Il existe une contre-indication à l'anesthésie
loco-régionale
(Thrombopénie, refus catégorique de la patiente).
Il faut alors évaluer soigneusement les potentielles difficultés
d'intubation ou autres contre-indications à l'anesthésie
générale, discuter avec la patiente les méthodes
alternatives pour soulager les douleurs du travail et indiquer
qu'une anesthésie générale sera nécessaire
en cas de césarienne en urgence pendant le travail.
e) Il existe des contre-indications à l'une et
à l'autre des techniques d'anesthésie
Il faut alors décider du choix de la technique présentant
le moindre risque si une urgence obstétricale devait survenir.
C'est l'exemple une patiente obèse, hypertendue
présentant des difficultés prévisibles d'intubation
mais aussi des troubles de l'hémostase chez laquelle
il faut décider de la technique d'anesthésie
correspondant au moindre risque. Cette situation peut conduire,
pour des motifs purement anesthésiques de gestion du risque,
à proposer aux obstétriciens une césarienne programmée
permettant de réunir les équipes les plus compétentes
et le matériel adéquat (par exemple fibroscope),
situation toujours préférable à l'urgence
impromptue de 3 h du matin.
CONCLUSION
On voit ainsi que la prise en charge d'une patiente dont
le foetus présente des signes de souffrance asphyxique
ne se résume pas au choix de tel ou tel agent anesthésique
ou aiguille de ponction lorsqu'on est confrontéà
la situation aigu' en pleine nuit. C'est bien en amont
qu'une organisation globale de la prise en charge des patientes
obstétricales est essentielle afin d'établir
le protocole adéquat avant que l'urgence ne soit présente.
Cette stratégie d'ensemble conduit inéluctablement,
étant donné leurs nombreux avantages, à privilégier
les techniques d'ALR au détriment de l'AG dont
les risques médicaux sont plus importants et le vécu
émotionnel souvent plus frustrant pour la future mère.
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