Chapitre 12 - Anesthésiologie analgésie en milieu obstétrical
UTILISATION DE L'ANALGESIE CONTROLEE PAR LA PATIENTE (PCA) EN
OBSTETRIQUE
D. BENHAMOU*
Département d'anesthésie-réanimation chirurgicale, Hôpital
Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141, Clamart.
INTRODUCTION
L'analgésie contrôlée par la patiente (PCA) représente une nouvelle modalité
d'analgésie déjà largement utilisée avec succès dans d'autres domaines, notamment
celui de l'analgésie postopératoire. Dans le contexte obstétrical, toutes les
situations douloureuses peuvent représenter une indication à l'emploi de cette méthode,
qu'il s'agisse de l'analgésie au cours du travail ou en postopératoire après
césarienne. De plus, cette méthode d'analgésie peut être utilisée par voie
systémique (intraveineuse en particulier), mais également par voie péridurale. Bien que
l'expérience soit encore limitée avec cette dernière modalité pour lutter contre la
douleur de l'accouchement, les premières publications font état de résultats
encourageants.
1. Analgésie contrôlée par la patiente au cours du travail
1.1. Utilisation de la voie intraveineuse
L'utilisation de la péthidine (Dolosal) reste très largement utilisée pour
l'analgésie du travail en raison de la simplicité de son emploi. Cependant, l'analgésie
procurée par la péthidine est incomplète, de qualité bien inférieure à celle
procurée par l'analgésie péridurale utilisant les anesthésiques locaux. C'est la
raison pour laquelle plusieurs auteurs ont tenté de raffiner la méthode d'administration
des morphiniques au cours du travail et se sont intéressés à la PCA. C'est tout d'abord
avec la péthidine [1] puis plus récemment avec le Fentanyl que la PCA intraveineuse a
été utilisée au cours du travail. Rayburn et coll [2] ont comparé l'administration de
Fentanyl administré à la demande de la patiente par l'infirmière à une administration
réalisée directement par la patiente au cours du travail. Dans le premier cas,
l'infirmière administrait des bolus iv de 50-100 =B5g toutes les heures
environ. La seringue de PCA était réglée avec les paramètres suivants : bolus
initial de 50 =B5g, bolus PCA de 10 =B5g, perfusion continue
de 10 =B5g / h et intervalle réfractaire de 12 min. Les deux techniques se
sont révélées avoir la même efficacité et la même incidence d'effets indésirables
maternels et néonataux. C'est ainsi que 2-5 % des parturientes étaient somnolentes
au cours du travail et 2-6 % des nouveau-nés ont été jugés suffisamment
déprimés sur le plan respiratoire pour que l'administration de naloxone soit
nécessaire. Cependant, le vrai problème était l'insuffisance de l'analgésie :
92 % (groupe PCA) et 74 % (administration par l'infirmière) des parturientes
avaient une douleur intense (échelle visuelle analogique entre 70 et 100 mm) au cours de
la phase active du premier stade du travail.
Cette efficacité très partielle doit donc faire employer cette technique lorsqu'il
existe une contre-indication à l'analgésie péridurale, notamment en cas de trouble de
l'hémostase patent ou potentiel. Kleiman et coll ont été les premiers à utiliser avec
succès la PCA iv avec du Fentanyl (bolus initial 50 microg, bolus PCA 20 microg,
intervalle réfractaire de 3 minutes) chez une parturiente présentant une thrombopathie
potentiellement hémorragipare [3]. Un autre cas clinique a été récemment publié et
rapportait l'efficacité de cette technique chez une parturiente thrombopénique [4].
Notre expérience personnelle de plusieurs cas à l'hôpital Antoine-Béclère depuis la
publication de Kleiman et coll [3] peut se résumer de la façon suivante : cette
technique sophistiquée est appréciée par les patientes qui constatent que la
contre-indication à l'emploi de la péridurale ne leur fait pas perdre toute chance
d'avoir une analgésie au cours du travail. Cependant, ainsi que cela a été rapporté
plus haut, la puissance analgésique nous est apparue limitée. C'est la raison pour
laquelle l'emploi de la PCA (avec du Fentanyl) associée soit au protoxyde d'azote soit au
intraveineux améliore la qualité de l'analgésie obstétricale au prix cependant d'un
risque respiratoire maternel et néonatal. Cependant, cette association avec une
benzodiazépine pourrait être très utile dans le cadre des interruptions thérapeutiques
de grossesse, qu'il s'agisse d'une mort in utero ou non. Dans ce contexte, le passage
transplacentaire de Fentanyl et de midazolam est sans conséquence et l'oxygénation
maternelle est surveillée par oxymétrie pulsée et assurée avec l'administration
éventuelle d'oxygène au cours du travail.
1.2. Administration péridurale au cours du travail (PCEA)
L'intérêt porté depuis quelques années à cette méthode d'administration
s'explique par les exigences croissantes associées à l'emploi de cette analgésie
puissante. Ainsi que le rappelle Eisenach dans un éditorial récent, l'analgésie
péridurale au cours du travail nécessite une titration précise afin d'atteindre les
buts suivants : analgésie efficace, poussée maternelle effective au cours du second
stade, satisfaction maternelle et stabilité hémodynamique [5]. Sur les tableaux I et II,
sont schématisés les méthodes et les résultats des premières études [6-12] avec la
PCEA pour l'analgésie du travail. D'une façon générale, on peut dire que l'analgésie
est identique voire meilleure avec la PCEA notamment au cours du second stade, les
conditions mécaniques obstétricales sont également identiques, la satisfaction a été
considérée comme meilleure avec la PCEA dans certaines études et enfin la dose totale
de bupivacaïne au cours du travail est généralement plus faible avec la méthode PCEA.
Enfin Paech a récemment démontré que l'adjonction d'une perfusion continue était
inutile [12].
2. Analgésie post-césarienne avec la PCA
La douleur post-césarienne est une douleur par excès de nociception dont les facteurs
locaux responsables expliquent la sensibilité de cette douleur à la morphine ou à ses
dérivés. Les morphiniques sont donc en général nécessaires pour assurer une
"bonne" analgésie postopératoire après césarienne à condition d'être
administrés à intervalles réguliers (et non à la demande) et à doses suffisantes ce
qui n'est pas le cas le plus souvent. En effet, pour être efficace, la concentration
plasmatique du morphinique doit rester supérieure ou égale à la " MEAC "
(Minimum Effective Analgesic Concentration) qui représente le taux sérique minimal
requis pour assurer une analgésie. Cette MEAC est malheureusement très variable d'un
individu à un autre expliquant les difficultés d'équilibration individuelle.
C'est la raison pour laquelle l'analgésie par PCA semble idéale en permettant au
patient d'atteindre (et de rester) dans la zone de concentration thérapeutique
correspondant à cette MEAC. L'injection titrée d'une dose de morphine injectée par voie
iv en salle de réveil (10 mg dilués dans 10 ml, injection par 2 à 3 ml/5 min) assure le
" départ " de l'analgésie postopératoire dont le relais sera pris par
l'analgésie auto-administrée. L'analgésie auto-administrée a donné plus de
satisfaction que 5 mg de morphine par voie péridurale dans l'analgésie après
césarienne malgré le fait que les scores d'analgésie soient meilleurs pour la voie
péridurale : ceci pourrait s'expliquer par le fait d'une implication directe de la
patiente dans la " gestion " de son analgésie [13-15]. Par ailleurs, et
toujours en la comparant à 5 mg de morphine par voie péridurale, la technique de PCA
donne plus de sédation, moins de prurit (5 % vs 40-45 %) et entraîne des
périodes de désaturation en oxygène qui sont plus fréquentes dans le temps mais moins
sévères (inférieures à 85 % pendant au moins 30 secondes) que ceux observés
après administration péridurale [16-17].
CONCLUSION
Dans la plupart des indications au cours desquelles cette technique a été testée,
l'impression générale est que l'emploi de la PCA procure une qualité d'analgésie
superposable à ce qui peut être obtenu par la même voie et le même produit administré
de façon conventionnelle. L'avantage essentiel semble être une augmentation de la
satisfaction des patients, paramètre que nous devons prendre en compte si nous souhaitons
améliorer la qualité de nos soins. Du point de vue du gestionnaire d'un service cette
fois, l'analgésie par PCA présente des avantages mais également des inconvénients. En
effet, si l'auto-administration par le patient (ou en obstétrique par la parturiente)
permet d'alléger la charge de soins pour le personnel infirmier, la PCA ne doit en aucun
cas être un prétexte pour réduire la surveillance des patients. De plus, le prix
élevé de l'appareillage rend difficile la diffusion de la technique. Nous manquons
aujourd'hui de recul pour juger de la place que doit prendre cette technique dans le cadre
de l'obstétrique et c'est une fois de plus par la recherche clinique et l'évaluation de
nos pratiques que nous pourrons nous faire une opinion raisonnable.
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