Période postopératoire après césarienne :
analgésie et réalimentation
Pr Dan Benhamou
Département d'Anesthésie-Réanimation,
Hôpital Antoine-Béclère
157, rue de la Porte de Trivaux. 92141- Clamart
INTRODUCTION
Aux Etats-unis, la césarienne est l'intervention chirurgicale la plus fréquemment pratiquée (905.000/an) et représente 24,1% des naissances (1) alors qu'elle est la seconde intervention pratiquée en France. Ce pourcentage élevé de césariennes a nettement augmenté avec l'élargissement des indications du monitorage foetal qui a permis d'intervenir plus rapidement et donc a probablement contribué à réduire la mortalité et la morbidité néo-natales (2). Assurer une période postopératoire confortable et sans risque est donc un défi quantitativement important.
Si nous estimons la douleur postopératoire de la césarienne comparable à celle de l'hystérectomie par voie abdominale, l'intensité de cette douleur vient en troisième position après celle de la chirurgie thoracique et celle de la chirurgie abdominale sus-ombilicale (3). En effet, 35-55% des patientes souffrent de douleurs intenses et 30-40% de douleurs modérées dans les 48 premières heures qui suivent la chirurgie. Par ailleurs, la durée de ces douleurs est de 48 heures en moyenne (1-4 jours). A ce défi quantitatif s'ajoute donc un défi qualitatif qui explique l'interêt croissant porté à ce sujet.
De façon générale, l'analgésie postopératoire est un domaine qui a été longtemps négligé et sous-évalué (4,5) et ce n'est que depuis quelques années que l'amélioration de la prise en charge de ce problème par les Anesthésistes eux-mêmes a vu le jour. En effet, la qualité de l'analgésie postopératoire est surestimée par les médecins et les enquêtes ont bien montré qu'il y a une grande divergence entre "le vécu du malade" et l'impression du médecin lui-même. Les méthodes d'analgésie postopératoire ont beaucoup évolué ainsi que le matériel de monitorage nécessaire à la surveillance des patientes dans la période postopératoire immédiate. Le but de cette revue n'est pas de décrire toutes les méthodes d'analgésie mais de passer en revue les principales modalités utilisées en pratique quotidienne en présentant leurs avantages et leurs inconvénients.
L'analgésie "idéale" aprés césarienne serait celle qui assure le confort de la mère avec le moins de sédation possible afin de ne pas altérer la relation mère-enfant. Cette analgésie (postopératoire) est le complément logique de la technique anesthésique utilisée (peropératoire) laquelle dépend souvent de la structure hospitalière sous-jacente: aux Etats Unis, 41% des femmes ayant bénéficié d'une césarienne reçoivent une anesthésie générale, 34% une rachianesthésie et 21% une anesthésie péridurale (6). De grandes variations existent, et par exemple à l'Hôpital Antoine Béclère, ces pourcentages deviennent: anesthésie loco-régionale 89% (rachianesthésie pour la chirurgie réglée surtout et péridurale pour les césariennes en cours de travail), anesthésie générale 11%.
RACHIANESTHESIE
L'injection d'un morphinique en même temps que l'anesthésique local (le plus souvent la bupivacaïne) lors de la ponction améliore la qualité de l'analgésie per et postopératoire , la durée de cette dernière dépendant du morphinique utilisé. En effet, les morphiniques ayant une liposolubilité importante (fentanyl, sufentanil) seront associées à une installation rapide, une courte durée d'action et à l'absence de dépression respiratoire tardive. A l'inverse, ceux qui ont un pka élevé et une faible liposolubilité auront un délai d'installation plus long, une durée d'action plus longue et un risque de dépression respiratoire tardive plus élevé (morphine). Dans la première étude suédoise effectuée à l'échelle nationale en 1981, le risque de dépression respiratoire après l'injection d'un morphinique par voie intrathécale a été estimée à 4-7% (7). Une nouvelle enquête en 1984 indiquait un taux de dépression respiratoire de 0,36% expliqué par une meilleure sélection des patients auxquels on appliquait ces techniques (8).
1/- Morphine (sans conservateur) :
De très nombreuses études ont été effectuées avec différentes doses de morphine intrathécale en Obstétrique ainsi que dans d'autres domaines de douleurs aigües postopératoires. Depuis Samii en 1980 (9) qui a utilisé des doses de 20 mg de morphine intrathécale pour l'analgésie postopératoire jusqu'aux études les plus récentes utilisant des doses aussi faibles que 0,1mg, la tendance a été de réduire les doses administrées. Aux doses élevées (supérieures à 0,2 mg), les effets secondaires sont trés fréquents et le risque de dépression respiratoire augmente proportionnellement à la dose. La définition de cette dépression respiratoire utilisée par les différents auteurs n'est pas univoque (fréquence respiratoire, SpO2,...), et c'est la raison pour laquelle les pourcentages retrouvés dans la littérature ne sont pas toujours concordants. Abouleish a décrit un cas de dépression respiratoire grave 7 heures après injection intrathécale de 1 mg de morphine administrée pour un accouchement par voie basse (10). De ce fait, la conception actuelle du problème consiste à réduire les doses à moins de 0,2 mg ("mini-doses") en espérant conserver la qualité de l'analgésie et éliminer, si possible, tout risque de dépression respiratoire (11). Ainsi, toutes les études récentes sur ce sujet confirment que des doses variant de 0,1 à 1 mg de morphine par voie intrathécale procurent une analgésie de qualité comparable, une notion que Chadwick a qualifié d'"effet plafond" (12). En revanche, il apparait une relation dose-durée d'analgésie: des doses de 0,1 à 0,6 mg de morphine entrainent une analgésie de 17 à 44 heures proportionnellement à la dose (13-16). En fonction de la durée de l'analgésie procurée par la dose initiale de morphine intrathécale, le relais peut être pris par des agents soit morphiniques soit non morphiniques. Plusieurs études récentes suggèrent qu'il est inutile d'employer une dose supérieure à 0,1 mg et que celle-ci est optimale.
2/- Fentanyl (6,25 µg- 12,5 µg) :
Sa grande liposolubilité entraine une installation rapide de l'analgésie mais une durée d'action beaucoup plus courte (3-6 heures) que la morphine: "Fast in - Fast out". Des doses supérieures de fentanyl entrainent un allongement de la durée d'action mais n'augmentent pas la qualité de cette analgésie et les effets indésirables deviennent plus fréquents (17,18).
3/- Buprénorphine:
A des doses allant de 0,03 mg à 0,045 mg (19), cet agoniste-antagoniste procure une analgésie postopératoire de 173 à 420 minutes respectivement. En raison de sa très grande affinité pour les récepteurs, cet agent est très difficile à antagoniser par la naloxone en cas de dépression respiratoire éventuelle et ne doit donc pas être employé.
4/- Sufentanil:
Une dose intrathécale de 1,25-5µg de sufentanil entraine une analgésie d'installation rapide , d'une durée de 4-5 heures avec très peu d'effets secondaires (20). Cependant, en raison de la relative courte durée d'action du fentanyl ou du sufentanil(< 6 heures), ces produits représentent des compléments inégalables pour lutter contre les douleurs viscérales peropératoires mais leur association à la morphine intrathécale (c.a.d. association de 2 morphiniques) est nécessaire pour assurer une analgésie postopératoire prolongée.
ANESTHESIE PERIDURALE
L'anesthésie péridurale pour césarienne nécessite l'utilisation d'anesthésiques locaux comme la bupivacaïne à 0,5% ou la lidocaïne à 2% avec un cathéter laissé en place pour une éventuelle réinjection. L'analgésie postopératoire utilisant ce cathéter peut avoir recours soit aux anesthésiques locaux et/ou morphiniques soit à d'autres substances non morphiniques.
1/-Anesthésiques locaux:
L'anesthésique local le plus utilisé pour l'analgésie postopératoire reste la bupivacaïne qui assure une analgésie d'une excellente qualité et sans sédation. Un avantage complémentaire des anesthésiques locaux par rapport à la morphine par voie péridurale serait une reprise du transit beaucoup plus précoce (21). Cependant, les inconvénients ne sont pas négligeables: un bloc moteur partiel et un risque d'escarre, un bloc sympathique pouvant entrainer des chutes de la pression artérielle, une tachyphylaxie, une rétention urinaire (au cas òu la sonde urinaire est retirée précocément) sans oublier le risque de migration intravasculaire ou intrarachidienne du cathéter. En pratique, leur emploi postopératoire parait injustifié dans ce contexte.
2/- Morphiniques
Ces substances entrainent une analgésie efficace, sans bloc sympathique et sans bloc moteur. Cependant, leurs effets indésirables sont multiples et sont d'autant plus fréquents qu'ils surviennent chez la femme enceinte (tableau 1): en effet, le pourcentage de prurit (60-70%) et celui de nausées et vomissements (20-40%) sont plus élevés que ceux observés dans la population générale (22) et l'incidence de ces effets indésirables apparait plus élevée lorsque la morphine est injectée par voie péridurale que lorsque celle-ci est administrée par voie systémique (23-25). L'évaluation de la fréquence de la rétention urinaire est imprécise car la sonde vésicale est souvent laissée en place pendant 24 heures. Cependant, il semble toutefois que la morphine péridurale soit associée à un taux plus élevé de complications urinaires que la méthadone par voie péridurale ou que des antalgiques non-morphiniques par voie systémique (26).
Le risque de dépression respiratoire (0,1-0,4%) existe toujours (21). Cette dépression peut être biphasique: la première phase, précoce est attribuée classiquement à la résorption systémique initiale du morphinique qui va imprégner les centres respiratoires et la deuxième phase (tardive) (12ème heure) serait liée à la migration céphalique d'une partie de la morphine dans le liquide céphalo-rachidien. Cette dépression respiratoire est plus fréquente chez les sujets âgés, insuffisants respiratoires chroniques, après chirurgie longue, en cas d'association avec des morphiniques administrés par voie systémique et enfin en fonction du niveau de ponction de la péridurale (7). Cependant, la césarienne est une chirurgie relativement courte (30min-1h30) et concerne le plus souvent les femmes jeunes, ASA1. De plus, il semblerait que, du fait de l'imprégnation des centres respiratoires par la progestérone (stimulant des centres respiratoires), l'incidence de la dépression respiratoire soit plus faible.
a- Morphine
Une dose de 3-5 mg est nécessaire et suffisante pour assurer une analgésie postopératoire adéquate après césarienne (28). L'analgésie s'installe en 30-60 minutes; elle est en général d'excellente qualité et dure approximativement 22-27 heures(13). Les effets secondaires sont identiques à ceux décrits plus haut avec une particularité chez la femme enceinte: apparition d'un herpès labial. Cet effet n'est qu'exceptionnellement observé avec les morphiniques liposolubles pour lesquels la migration céphalique semble moindre. La fréquence de récurrence de l'herpès serait de l'ordre de 15% (29). Les concentrations plasmatiques de morphine après injection péridurale sont superposables à celles obtenues par la voie intramusculaire (30) et il n'existe aucun risque pour l'allaitement du nouveau-né (31).
b- Fentanyl
Une dose de 50-100µg administrée par voie péridurale diminue la fréquence des nausées et vomissements qui surviennent souvent lors des manipulations utérines peropératoires sans effet délétère maternel (31) ni foetal (32,33). En revanche, l'injection de cette dose après l'extraction procure une analgésie postopératoire qui s'installe en 5-10 minutes et persiste pendant 4-5 heures (34). Il semblerait que l'injection de cette dose dans un volume total supérieur ou égal à 10 ml augmente son efficacité (18). L'adjonction d'adrénaline à 1/200.000 au fentanyl prolonge modérément la durée de l'analgésie et augmente la fréquence du prurit de 17% à 44% (35).
c-Sufentanil
Le sufentanil se caractérise par une grande liposolubilité et une grande affinté aux récepteurs. Toutes les études (36-38) ayant étudié cet agent retrouvent les mêmes résultats: latence d'installation inférieure à 10 minutes, analgésie de durée moyenne (3-6 heures) et qualité d'analgésie équivalente à celle du fentanyl par voie péridurale. Les effets secondaires seraient plus rares qu'avec la morphine (prurit: 17% vs 50% ) et les effets néonataux inexistants. La dose optimale serait de 10-20 µg puisque au-delà de cette dose, la qualité et la durée de l'analgésie ne sont pas modifiées alors que la fréquence du prurit et de la sédation augmentent. Labaille et al ont démontré que des doses de 30µg et 50 µg dépriment la réponse ventilatoire au CO2 (39). Madej et al(38) ont montré des modifications de la fréquence respiratoire et de la PetCO2 avec des doses de 10 µg de sufentanil. Le danger viendrait donc d'une injection intravasculaire accidentelle de ce morphinique très puissant.
3/-Association anesthésiques locaux et morphiniques
Cette association est intéressante dans les chirurgies majeures mais requiert de laisser en place un cathéter pour une perfusion péridurale continue ce qui ne se justifie pas après césarienne.
4/- Clonidine
Une dose de 150 µg de clonidine par voie péridurale procure une analgésie d'excellente qualité qui s'installe en 10-15 minutes et dure environ 4 heures accompagnée d'une sédation constante mais transitoire (40). Cette molécule rest pour l'instant plutôt du domaine de la recherche clinique.
ANALGESIE PAR VOIE SYSTEMIQUE
1/-Morphiniques
La douleur post-césarienne est une douleur par excès de nociception dont les facteurs locaux responsables expliquent la sensibilité de cette douleur à la morphine ou à ses dérivés. Cependant il a été rapporté quelques cas exceptionnels (41) de douleur au niveau de la cicatrice de Pfanenstiel résistante à la morphine et très améliorée par un bloc ilio-inguinal et ilio-hypogastrique. Ces douleurs résiduelles postopératoires prolongées sont alors typiquement des douleurs de déafférentation. Les morphiniques (IV, IM, SC, PCA) sont donc en général nécessaires pour assurer une "bonne" analgésie postopératoire après césarienne à condition d'être administrés à intervalles réguliers (et non à la demande) et à doses suffisantes ce qui n'est pas le cas le plus souvent. En effet, pour être efficace, la concentration plasmatique du morphinique doit rester supérieure ou égale à la "MEAC" (Minimum Effective Analgesic Concentration) qui représente le taux sérique minimal requis pour assurer une analgésie. Cette MEAC est malheureusement très variable d'un individu à un autre expliquant les difficultés
d'equilibration individuelle.
a- la voie sous-cutanée
Cette voie est intéressante à condition que les intervalles entre deux injections ne dépassent pas 4-6 heures afin que les taux sériques restent au delà de la MEAC, la dose optimale étant de 10 mg par cette voie (42).
b- la voie intramusculaire
L'administration de morphinique par voie intramusculaire à la demande de la patiente est insuffisante dans 75% des cas car les doses prescrites sont insuffisantes. En effet, les doses prescrites par les médecins représentent 50 à 65% des doses requises alors que celles administrées par les infirmières représentent 40 à 50% des besoins (43,44). Cette voie est en plus douloureuse et le délai entre la demande et l'injection est souvent long. La dose habituelle est l'équivalent de 5-10 mg de morphine. Par ailleurs, plusieurs études récentes ont montré que les morphiniques administrés par voie intramusculaire peuvent, eux-aussi, être responsables d'une diminution de la réponse ventilatoire au CO2, d'épisodes apnéiques et de désaturations pouvant être sévères (<85%) (27,45).
c- la voie intraveineuse
L'injection titrée d'une dose de morphine injectée par voie IV en salle de réveil (10 mg dilués dans 10 ml, injection par 2 à 3ml) assure le "départ" de l'analgésie postopératoire dont le relais sera pris soit par la voie IM, sous-cutanée, sublinguale ou mieux par "l'analgésie auto-administrée" appelée PCA (Patient Controlled
Analgesia).
d- L'analgésie auto-administrée (PCA)
Elle permet de donner la possibilité au malade de s'auto-injecter lors de la réapparition de la douleur, une dose de morphinique préétablie à l'aide d'une pompe programmable (exemple: 1mg / 7minutes). Cette méthode a donné plus de "satisfaction " que 5mg de morphine par voie péridurale dans l'analgésie après césarienne malgré le fait que les scores d'analgésie soient meilleurs pour la voie péridurale: ceci pourrait s'expliquer par le fait d'une implication directe de la patiente dans la "gestion" de son analgésie (23-25). Par ailleurs, et toujours en la comparant à 5mg de morphine par voie péridurale, la technique de PCA donne plus de sédation , moins de prurit (5% vs 40-45%) et entraine des périodes de désaturation en oxygène qui sont plus fréquentes dans le temps mais moins sévères (inférieures à 85% pendant au moins 30 secondes) que ceux observés aprés administration péridurale (27,45).
e- la voie sublinguale
La Buprénorphine (Temgésic®) peut représenter une alternative intéressante. Elle est 30 à 40 fois plus puissante que la morphine, et sa relation dose-effet suit le principe de l'effet plafond. Sa grande liposolubilité lui procure une installation rapide de l'analgésie. Son utilisation par voie sublinguale à la dose de 0,4 mg toutes les 8 heures présente plusieurs avantages: une voie d'administration facile, un effet de premier passage hépatique réduit, une analgésie d'installation rapide qui dure 6-8 heures (figure 2) (46). La fréquence des effets secondaires est similaire à celle observée avec la morphine. Ce produit ayant une trés grande affinité pour les récepteurs apparaît très difficile à déplacer par la naloxone en cas de dépression respiratoire (nécessité de trés fortes doses) et il faudra s'en méfier en cas d'utilisation associée de benzodiazépines ou de morphiniques puissants. Le risque de dépression respiratoire existe mais reste infraclinique et s'accompagne toujours d'une sédation importante. Si une dépression respiratoire majeure se manifeste, et du fait que l'antagonisation nécessite de fortes doses de naloxone, d'autres drogues peuvent ètre utilisées: doxapram (0,5-1mg/kg), almitrine (1-2mg/kg), ou le flumazénil en cas de présence de benzodiazépines.
2/- Les non-morphiniques
Le paracétamol, quelle que soit sa voie d'administration est insuffisant à lui seul pour assurer l'analgésie des premières 24 heures après une césarienne. En revanche, ils constitue le complément d'une analgésie morphinique efficace et puissante.
Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) ont été récement introduits dans cette indication, notamment en complément de la morphine (péridurale ou intrathécale surtout mais également intraveineuse, sous-cutanée ou orale). A condition de llimiter leur dose et la durée de leur prescription, ces produits sont sans risque maternel et néonatal.
DISCUSSION
L'analgésie utilisant les morphiniques par voie loco-régionale est donc de qualité très supérieure à celle obtenue avec les autres techniques, en particulier celle obtenue avec la voie intramusculaire qui est très insuffisante. Cependant, nous reconnaissons aujourd'hui que même avec la morphine péridurale ou intrathécale seule, l'analgésie nest pas toujours parfaite. C'est ainsi que dans l'étude comparative d'Eisenach et al, seulement 65 % des femmes ayant reçu 5 mg de morphine péridurale ont jugé leur analgésie excellente (23). Par ailleurs, afin de limiter le risque d'effet indésirable (respiratoire ou non), il est souhaitable d'utiliser les doses les plus faibles possibles (par exemple morphine péridurale: 2mg et intrathécale 0,1 mg). C'est pourquoi l'analgésie moderne ne se conçoit qu'avec l'association d'un morphinique avec un anti-inflammatoire, éventuellement complétée par l'adjoinction de paracétamol.
ANALGESIE POSTOPERATOIRE ET ALLAITEMENT
Les agents anesthésiques et analgésiques passent pratiquement tous dans le lait maternel (47). La morphine est très souvent utilisée par voie systémique (SC,IM,IV,PCA) avec des doses allant de 40 mg (SC,IM) à 108mg (PCA) par 24 heures (23). Son transfert dans le lait maternel est rapide quelle que soit la voie d'administration (même avec les voies locorégionales) et un rapport lait/plasma de 2,46 à l'équilibre est rapidement atteint (48) ce qui veut dire que la morphine se concentre dans le lait maternel. Cependant, la faible biodisponibilité de la morphine (0,2) chez le nouveau-né, l'effet de premier passage hépatique ainsi que les doses totales faibles transférées en cas d'utilisation courte rendent son usage quotidien sans aucun risque pour le nouveau-né. Une étude récente évaluant quotidiennement les nouveaux-nés par des tests neuro-comportementaux confirme l'inocuité de l'administration de morphine pour l'analgésie maternelle après césarienne (49). En revanche, des altérations significatives de ces tests était observée en cas d'administration de péthidine chez la mère (49). Le fentanyl administré à la dose de 2 µg/kg chez la mère est concentré dans le lait maternel (concentration colostrum > concentration plasma maternel) mais les concentrations observées au pic (0,40 ng/ml) sont très insuffisantes pour exposer le nouveau-né à un risque dde dépression respiratoire (50). Le sufentanil, utilisé à des doses inférieures ou égales à 30 mcg par voie péridurale, n'est pas retrouvé au niveau du lait maternel(38).
Les anesthésiques locaux passent très peu dans le lait maternel: c'est ainsi que 0,1% de la dose maternelle de bupivacaine 0,25% en perfusion continue par voie intrapleurale est retrouvée dans le lait (51). Cette présence d'anesthésiques locaux dans le lait n'a aucune conséquence néonatale car ces substances ne sont pas absorbées dans le tube digestif.
Le paracétamol ne semble pas poser un quelconque risque pour le nouveau-né. De même, le passage dans le lait maternel des AINS est mineur (< à 4%) de telle sorte que ces produits ne sont pas contre-indiqués après césarienne.
ALIMENTATION ET BOISSONS APRES CESARIENNE
Dans notre établissement, la tradition suggérait qu'après une chirurgie abdominale telle que la césarienne, la reprise de l'alimentation devait être progressive et que l'apport d'aliments solides devait être différé jusqu'à l'apparition des premiers gaz. D'autres expériences suggèrent que cette attitude n'est pas adaptée et que la reprise précoce de l'alimentation est possible et sansd risque(52,53). Cependant dans ces travaux, l'apport de boissons, les besoins fondamentaux (faim, soif) ainsi que la satisfaction des femmes n'ont pas été mesurés. La phase 1 de ce programme d'amélioration de la qualité a consisté en une évaluation de toutes les césariennes effectuées pendant deux mois par un interrogatoire des opérées, quotidiennement de J0 à J5. Devant les déficiences mises en évidence, le personnel médical et paramédical de la maternité a été réuni, les résultats ont été présentés et un programme de réalimentation précoce réalisé par une diététicienne a été validé par l'ensemble des personnels. Pendant les trois mois suivants, les mêmes paramètres [contenu de chaque repas, faim et soif évaluées par un score de 0-4, satisfaction maternelle évaluées de 0-100 mm vis à vis de l'alimentation, le temps de reprise du transit gazeux et des selles (heures), le taux de nausées-vomissements] ont été mesurés pendant les cinq premiers jours postopératoires. La mise en place d'un programme de réalimentation après césarienne a été excellemment adopté par le personnel (exécution adéquate: 90 % des cas). D'une façon générale, les besoins fondamentaux (faim, soif) ont été mieux couverts en phase 2 et la satisfaction maternelle significativement améliorée. Aucun effet indésirable n'a été mis en évidence et les premières selles sont survenues plus précocement en phase 2.
Une réalimentation ainsi que l'apport de boissons précoces après césarienne sont possibles et bien tolérés. L'amélioration de la satisfaction maternelle ainsi que l'exécution parfaite par le personnel valident indirectement le besoin d'un tel programme.
|
Phase 1
(n = 53) |
Phase 2
(n = 79) |
p |
1er repas solide |
7,8 ± 1,4 |
4,1 ± 0,3 |
0,001 |
faim importante/extrême
(% patientes) |
38 |
10 |
0,001 |
soif importante/extrême
(% patientes) |
63 |
30 |
0,003 |
satisfaction (0-100 mm) |
78 ± 8 |
88 ± 11 |
0,001 |
Reprise transit gazeux(h) |
18 ± 9 |
17 ± 7 |
0,4 |
Reprise transit solide (h) |
80 ± 27 |
67 ± 17 |
0,003 |
REFERENCES
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