Les XXIIe JTA
> Présentation
> Programme
> Comité scientifique
> Intervenants
> Contacter les JTA

En pratique
> S'inscrire
> Renseignements
> Hébergement
> Programme social
> Post-congrès

Les archives
> Andrologie
> Biologie
> Gynécologie
> Infertilité
> Médecine foetale
> Néonatologie
> Nutrition
> Obstétrique
> Pédiatrie
> Périnatalité
> Périnéologie
> Phlébologie
> Psychosomatique

Rechercher

Titre: Physiopathologie de la prééclampsie
Année: 1999
Auteurs: - Foidart J.-M.
Spécialité: Obstétrique
Theme: Prééclampsie

Physiopathologie de la prééclampsie

J.M. FOIDART et P. EMONTS

Université de Liège

Hôpital de la Citadelle

Boulevard du XIIème de ligne, 1

4000 LIEGE

Classiquement considérée comme la maladie des hypothèses, la pré-éclampsie apparaît aujourd’hui comme la conséquence d’une maladie maternelle endothéliale liée à la présence d’un placenta. De très nombreux travaux physiopathologiques se sont attachés à décrire les causes de l’hypertension gravidique et des altérations de la pression artérielle associées aux modifications de la fonction rénale. Les phénomènes clés se situent en réalité ailleurs. L’hypertension gravidique, l’oligurie, les troubles de l’élimination urinaire du sodium, l’hyperuricémie sont de nombreux événements tardifs, bien qu’essentiels sur le plan clinique, dans l’évolution du processus physiopathologique. Avant de proposer un schéma physiopathologique intégré, nous décrirons les anomalies placentaires et les troubles de la placentation à l’origine de la prééclampsie.

 

1. Altération de l’invasion trophoblastique des artères spiralées.

a) Les trophoblastes extravilleux

Au cours des deux premiers trimestres de la grossesse, les trophoblastes extravillositaires s’individualisent à partir de la coquille trophoblastique qui délimite l’embryon peu après son implantation.

Le trophoblaste interstitiel infiltre progressivement la caduque utérine sous-jacente et migre préférentiellement en direction des artères spiralées maternelles. Ces trophoblastes y entraînent de profonds remaniements de la physionomie de ces artères. Ainsi, seules les artères entourées de trophoblastes interstitiels montrent d’importantes altérations de leurs structures. Celles-ci se caractérisent par un oedème, une disparition de l’endothélium et la destruction de la tunique musculaire et des lames élastiques internes, remplacées par un matériel fibreux et fibrinoïde. Ces remaniements structuraux permettent à ces artères d’échapper aux mécanismes normaux du contrôle neurovasculaire et aux médiateurs locaux du tonus vasculaire (prostaglandines, endothélines, NO, ...). Ces adaptations physiologiques assurent une augmentation importante du débit sanguin en direction du placenta.

Dès la 8ème semaine de la grossesse, les trophoblastes interstitiels ont colonisé l’entièreté de la muqueuse utérine et atteignent désormais le myomètre. A ce niveau, les trophoblastes se différentient en cellules plurinucléées connues sous le nom de cellules géantes du placenta et correspondant à la forme de différentiation terminale de la voie extravilleuse. Au cours du second trimestre, le premier tiers du myomètre subit également l’invasion trophoblastique, engendrant un remaniement similaire des segments intramyométriaux des artères spiralées.

La coquille trophoblastique constitue également l’origine d’une autre sous-population de trophoblastes extravilleux: les trophoblastes endovasculaires. En effet, là où la coquille recouvre l’embouchure des artères spiralées (précédemment érodées lors de la pénétration du syncytiotrophoblaste primaire), les trophoblastes s’organisent en " bouchons " trophoblastiques intravasculaires, obstruant ainsi les terminaisons de ces artères. C’est à partir de ces bouchons que les trophoblastes endovasculaires progressent de façon rétrograde le long des artères spiralées. Au cours de cette progression, les trophoblastes remplacent progressivement l’endothélium préalablement modifié par l’invasion des trophoblastes interstitiels (voir plus haut).

Au cours du premier trimestre de la grossesse, cette migration endovasculaire affecte la quasi-totalité des artères spiralées présentes dans l’épaisseur de la caduque. Au cours du second trimestre, une seconde vague de migration endovasculaire affecte les segments intramyométriaux de ces artères, remplaçant partiellement l’assise endothéliale. Les branches des artères utérines qui irriguent le placenta (artères utéroplacentaires) sont donc obturées jusqu’à la 13ème semaine de grossesse par les bouchons trophoblastiques. Ces derniers laissent toutefois " percoller " du plasma qui seul pénètre la chambre intervilleuse. La circulation placentaire du 1er trimestre de la gestation est donc une circulation plasmato-choriale et non hémo-choriale.

 

b) La décidualisation normale

Parallèlement à ces phases de différentiation affectant le compartiment foetal du placenta, d’autres modifications remanient fondamentalement la muqueuse utérine. Ainsi, dès l’initiation de l’implantation, sous l’influence de l’embryon et de l’environnement hormonal, l’endomètre maternel est le siège d’importantes modifications physiologiques connues sous le terme de décidualisation. Ce processus se caractérise schématiquement par l’infiltration de nombreux leucocytes (polynucléaires, macrophages et lymphocytes Natural Killer) d’origine maternelle et par le profond remaniement de la composition et de l’organisation des matrices extracellulaires endométriales (1). Ainsi, les cellules stromales de l’endomètre synthétisent autour d’elles une membrane basale typique, constituée d’un réseau de collagène de type IV, de laminine, de protéoglycan, d’héparan-sulfate, d’entactine et de fibronectine. De plus, le conjonctif endométrial voit sa structure complètement modifiée par la réduction de la densité en collagènes fibrillaires, rendant ce tissu plus " perméable " à l’infiltration trophoblastique.

 

c) Les mécanismes moléculaires de la migration trophoblastique

La migration trophoblastique est soumise à un strict contrôle spatio-temporel. En effet, la dérégulation des mécanismes de contrôle peut engendrer des placentations anormales allant de la prééclampsie, caractérisée par une sous-invasion des trophoblastes endovasculaires, au placenta accreta et choriocarcinomes, caractérisés par une invasion trophoblastique excessive. Les données récentes indiquent que la régulation de l’infiltration trophoblastique repose sur l’établissement d’un dialogue complexe entre les cellules trophoblastiques et les tissus maternels infiltrés. Ce dialogue implique des " messagers " aussi divers que les cytokines, les chémokines et les facteurs de croissance, les cellules du système immunitaire maternel et les composants des matrices extracellulaires (2-4).

Au cours de leur progression, les trophoblastes établissent des interactions complexes avec les divers constituants des membranes basales et des matrices extracellulaires. En effet, ces matrices constituent à la fois des sites d’ancrage permettant l’adhésion cellulaire et un réseau fibrillaire au travers duquel les trophoblastes doivent s’infiltrer de manière à atteindre les artères spiralées maternelles. Cette infiltration nécessite la mise en oeuvre de mécanismes permettant aux trophoblastes d’adhérer à ces matrices, de les dégrader localement et de migrer à travers les zones digérées, la répétition de ces trois étapes fondamentales assurant la progression continue du trophoblaste au sein de la caduque.

L’invasion de la paroi utérine par les cellules trophoblastiques s’accompagne de modifications des protéines d’ancrage, en particulier de la perte de la E-cadhérine, principale protéine d’adhésion intercellulaire et de l’expression de plusieurs intégrines. Les cellules trophoblastiques invasives acquièrent de nouvelles intégrines, notamment alpha 1, bêta 1 et alpha v, bêta 3 qui jouent un rôle essentiel dans l’établissement d’interactions avec la matrice extracellulaire. Le trophoblaste endovasculaire se déguise en outre en véritable cellule endothéliale et exprime diverses protéines d’adhésion considérées comme spécifiques des cellules endothéliales vasculaires. Les cellules trophoblastiques sont donc capables d’un véritable mimétisme moléculaire leur permettant d’envahir et de détruire les segments distaux des artères utérines. Les mécanismes précis de ces protéines d’adhésion et du contrôle de leur expression sont détaillés dans des revues spécialisées (5-6).

 

d) Déficit de l’invasion trophoblastique au cours de la prééclampsie

Chez les patientes souffrant de prééclampsie, les trophoblastes interstitiels montrent une altération du " switch " des intégrines. En effet, ces sujets ne présentent ni la diminution de l’expression alpha 6 bêta 4 ni l’apparition de l’intégrine alpha 1 bêta 1 classiquement observées lors des grossesses normales, renforçant ainsi l’implication potentielle des relations trophoblastes-matrices extracellulaires dans la régulation de l’invasion trophoblastique (7). Cependant, il est important de noter que les données reliant la régulation de l’expression des intégrines et la prééclampsie restent, à l’heure actuelle, très controversées, d’autres équipes n’ayant en effet constaté aucune altération de ces intégrines chez les sujets prééclamptiques (8).

Au cours de la prééclampsie, en outre, les cellules trophoblastiques n’expriment que peu ou pas du tout les protéines d’adhésion endothéliales et sont incapables de mimer l’aspect de cellules endothéliales vasculaires et de migrer au sein des vaisseaux sanguins (9). De même, dans certaines anomalies placentaires associées à des retards de croissance intra-utérins, l’absence d’induction de ces intégrines et de ces cadhérines vasculaires ont été décrites. Les mécanismes régulateurs de ces modifications normales ou anormales demeurent inconnus. Leur identification constitue un défi à l’étude de l’implantation, mais aussi de la carcinogenèse et de l’angiogenèse.

Quelles qu’en soient les modalités, ce déficit d’invasion trophoblastique entraîne une ischémie utéro-placentaire et secondairement, diverses angiopathies.

2. Les conséquences en aval.

L’insuffisance placentaire débute dès la fin du premier trimestre de la grossesse. Les lésions vasculaires placentaires se constituent dès la seizième semaine et précèdent largement le phénomène d’hypertension, laquelle apparaît le plus souvent au début du troisième trimestre de la gestation. L’absence d’invasion trophoblastique ou son déficit permet aux artères spiralées de garder une vasoconstriction réactionnelle aux hormones vasopressives et entraînent une insuffisance d’adaptation du débit sanguin avec comme conséquence une ischémie placentaire.

C’est ce qui est régulièrement observé lorsqu’une prééclampsie survient au troisième trimestre de la grossesse. Des études vélocimétriques très précoces effectuées sur les artères utérines confirment la persistance des nutch et d’une haute résistance au débit.

Dès lors, toute action thérapeutique n’aura plus pour effet que de limiter les conséquences et l’étendue de cette ischémie. La placentation anormale entraîne un retard de développement placentaire, un retard d’oxygénation et de nutrition du foetus entraînant les retards de la croissance intra-utérine et l’hypoplacentose.

3. Les conséquences en amont

Si la prééclampsie est la conséquence d’une insuffisance d’invasion trophoblastique des artères spiralées du lit placentaire, les manifestations cliniques en sont essentiellement maternelles (oedème hypertension, protéinurie). Ces manifestations cliniques maternelles sont la conséquence d’une souffrance vasculaire endothéliale et de microangiopathie aboutissant à l’activation placentaire et à une activation localisée ou disséminée de la cascade de la coagulation. En outre, on observe régulièrement une augmentation de la production de facteurs vasoconstricteurs et une diminution de la production de facteurs vasodilatateurs.

En fonction des territoires altérés, les manifestations pourront être myocardique, hépatique (HELLP syndrome), rétroplacentaire (hématome rétroplacentaire), neurologique (amaurose, éclampsie), rénale (oedème, protéinurie, oligurie, anurie) ou pulmonaire (oedème aigu du poumon)...

Le lien entre l’ischémie utéro-placentaire et la lésion endothéliale demeure hypothétique. Il a été suggéré que l’ischémie placentaire entraîne une production accrue par les cellules trophoblastiques et les macrophages foeto-placentaires de TNF-alpha et d’interleukine-1, deux cytokines capables d’entraîner l’activation et l’altération des cellules endothéliales. L’hypoxie augmente en effet la production de TNF-alpha et d’interleukine-1 par des explants de placenta humain à terme (10).

La production accrue de cytokines inflammatoires par le placenta en réponse à l’hypoxie pourrait donc entraîner une augmentation de leur taux plasmatique, une activation des cellules endothéliales et leur altération fonctionnelle au cours de la prééclampsie.

L’hypothèse d’une altération des cellules endothéliales entraînant secondairement une coagulation intravasculaire et une activation plaquettaire pourrait expliquer la nature polymorphe de la symptomatologie et en particulier les observations que les troubles de l’hémostase et les états de thrombophilie représentent un facteur de risque particulièrement important de prééclampsie.

Un quart de ces patientes présentent un déficit en protéine S; 16 % présentent une résistance à la protéine C activée et 18 %, une hyperhomocystéinémie. Enfin, 30 % des patientes prééclamptiques auraient des anticorps anti-cardiolipine (11-12).

Finalement, les lésions des cellules endothéliales entraînent une diminution de la production locale de NO et de prostacycline tandis que l’activation plaquettaire favorise la libération de thromboxane et d’endothéline d’origine endothéliale. Ces deux facteurs, en augmentant la sensibilité à l’angiotensine 2, favorisent la vasoconstriction, l’élévation des résistances vasculaires et l’hypertension. Finalement, les lésions endothéliales favorisent la libération de fibronectine et du facteur de Willebrand. Il s’agit là de marqueurs précoces de souffrance endothéliale.

4. Conclusion

En résumé, l’hypothèse d’une maladie de l’endothélium induite par une souffrance placentaire et favorisée par d’éventuels troubles congénitaux ou acquis de l’hémostase, de la thrombophilie, par des désordres cardiovasculaires, un diabète ou une obésité représente une théorie uniciste attrayante. Pour qu’une telle affection présente une manifestation clinique, il importe toutefois que la placentation soit défectueuse. Les causes d’un tel déficit d’invasion trophoblastique des artères spiralées pourraient être génétiques, immunologiques, liées à un excès de masse placentaire ou à des anomalies chromosomiques telles qu’on les observe dans les grossesses môlaires.

 

Bibliographie

1. Aplin JD, Jones CJP. - Extracellular matrix in endometrium and decidua, in Genbaecv O, Klopper A, Beaconsfield R Eds. Placenta as a model and a source. Plenium Medical, New York, 1989, 115-128.

2. Haimovici F, Anderson DJ. - Cytokines and growth factors in implantation. Micr Res Tech, 1993, 25, 201-207.

3. Cross JC, Werb Z, Fisher SJ. - Implantation and placenta : key pieces of the development puzzle. Science, 1994, 166, 1508-1518.

4. Damsky CH, Fitzgerald ML, Fisher SJ. - Distribution patterns of extracellular matrix components and adhesion receptors are intricatelymodulated during first trimester cytotrophoblast differentiation along the invasive pathway, in vivo. J Clin Invest, 1992, 89, 210-222.

5. Maquoi E, Schaaps JP, Jacobs JL, Noël A, Foidart JM. - La prééclampsie est la conséquence d’un déficit de placentation : de la biologie aux considérations cliniques. Rev Med Liege, 1997, 52, 478-484.

6. Scoazec JY. - Interactions entre cellules trophoblastiques et paroi utérine : rôle des protéines d’adhésion. Reprod Hum et Horm, 1998, 11, 395-400.

7. Divers MJ, Bulmer JN, Miller D et al. - Beta 1 integrins in third trimester human placentae : no differential expression in pathological pregnancy. Placenta, 1995, 16, 245-260.

8. Cawston TE. - Proteinases and inhibitors. Br Med Bull, 1995, 51, 385-401.

9. Zhou Y, Damsky CH, Fisher SJ. - Preeclamsia is associated with failure of hulan cytotrophoblasts to mimic a vascular adhesion phenotype. One cause of defective endovascular invasion in this syndrome? J Clin Invest, 1997, 99, 2152-2164.

10. Conrad KP, Benyo DF. - Placental cytokines and the pathogenesis of preeclampsia. Am J Reprod Immunol, 1997, 37, 240-249.

11. Dekker GA, de Vries JI, Doelitzsch PM, Huijgens PC, von Blomberg BM, Jakobs C, van Geijn HP. - Underlying disorders associated with severe early-onset preeclampsia. Am J Obstet Gynecol, 1995, 173, 1042-1048.

12. Kahn SR. - Severe preeclampsia associated with coinheritance of factor V Leiden mutation and protein S deficiency. Obstet Gynecol, 1998, 91, 812-814.