La pré-éclampsie,
le Hellp syndrome et le retard de croissance in utéro sont des expressions différentes
d'une même maladie polymorphique qui a son origine dans une anomalie de la placentation.
Cette pathologie, qui se solde par une mortalité et une morbidité tant périnatale
que maternelle élevée, présente un caractère récidivant affectant les grossesses
ultérieures.
Les contacts privilégiés qui existent depuis quelques années entre les équipes
obstétricales de Liège (Belgique), d'Aachen (Allemagne) et de Maastricht (Pays-Bas)
ainsi que les liens solides qui rapprochent Liège de Paris ont permis d'entreprendre
une étude multi-centrique toujours en cours dont l'objectif est de réaliser
l'analyse objective de l'épidémiologie EUREGIO de la maladie ainsi que son incidence
et son taux de récidive, de confirmer l'étiologie thrombophilique dominante,
de tester la sensibilité et la spécificité de marqueurs biologiques prédictifs
pendant la grossesse et de mettre au point un protocole de prévention de la
récidive de la maladie.
L'épidémiologie et les traitements préventifs n'étant pas l'objet de ce texte,
les côtés pronostics et prédictifs vont être exposés étant bien entendu qu'il
s'agit ici de préliminaires, l'étude n'étant pas encore à son terme.
1) Examens
pronostics en dehors de la grossesse
Ces
examens sont réalisés chez les patientes sélectionnées en fonction de leur antécédent
obstétrical selon les critères d'inclusion suivants :
- prééclampsie
sévère ou précoce (<32 semaines);
- Hellp
syndrome associé ou non à la prééclampsie;
- retard
de croissance intra-utérin (<P10);
- mort
foetale in utéro associée à un RCIU;
- 3 fausses
couches (ou plus) inexpliquées du deuxième trimestre;
- DPPNI.
Les
données récentes de la littérature semblent, en effet, incriminer une anomalie
de la placentation comme point de départ de l'ensemble de ces manifestations
pathologiques.
L'implantation embryonnaire et l'acceptation de l'unité foeto-placentaire résultent
d'un réseau complexe de communications inter-cellulaires entre les cellules
résidentes de l'endomètre (cellules épithéliales, stromales, vasculaires, ...),
les cellules immunitaires maternelles (macrophages, lymphocytes, granulocytes,...)
et les cellules de l'embryon (trophoblastes).
La placentation nécessite une coordination endométriale complexe entre les cellules
maternelles et embryo-foetales qui assure l'invasion trophoblatique, l'angiogenèse
et les adaptations vasculaires maternelles.
Toute anomalie affectant l'un des composants de ce système intriqué peut avoir
un effet délétère sur le devenir de la grossesse.
Partant de ces constatations, la recherche d'états d'hyper-coagulabilité (altération
angiogénique) et d'états "dysimmunitaires" (rejet immunitaire ou plutôt
non tolérance immunologique de la semi-greffe allogénique foetoplacentaire)
chez les patientes à antécédent obstétrical défini permet, au sein de cette
population à risque, de mettre en évidence l'étiologie probable de leur accident
obstétrical et d'instaurer un traitement préventif spécifique dès le début d'une
nouvelle grossesse.
Les
examens sanguins réalisés sont les suivants :
a) états thrombophiliques
- protéine C activée;
- résistance à la
protéine C activée;
- protéine S;
- anti-thrombine;
- facteur VIII activé;
- fibrinogène;
- facteur II mutation;
- facteur V mutation;
- méthionine challenge
test;
+ vit.B6, B12 et acide folique
+ MTHFR si test anormal
ACE/AT1&G protéine polymorphisme
b) états dysimmunitaires
- Ac anticardiolipines;
- Ac antiphospholipides;
- Ac lupiques.
Ces
examens sanguins sont complétés par :
- une recherche
urinaire/24h de la créatinine et la micro-albumine;
- une exploration
clinique de la fonction cardiaque (ECG, échographie avec volume d'éjection);
- une détermination
du volume plasmatique (iode 125).
La mise
en évidence de ces états à visée pronostic dans notre groupe sélectionné a permis
d'instaurer une thérapeutique prophylactique (ASA et/ou HBPM) lors des grossesses
ultérieures avec des résultats, certes préliminaires, mais très révélateurs
(17% de récidive contre 92% sans prophylaxie), ce qui rejoint les chiffres publiés
par Zoltan Boda.
2) Examens
prédictifs en cours de gestation
La
conviction actuelle d'un trouble initial de la placentation à l'origine de la
prééclampsie et du Hellp syndrome ouvre des perspectives intéressantes dans
le dépistage précoce de ces affections.
La dysfonction endothéliale avec ses lésions microvasculaires, l'activation
de la réponse inflammatoire et de la cascade de la coagulation libèrent précocément
dans la circulation maternelle des substances identifiables à potentialité prédictive.
MC. Boffa et son équipe ont montré l'intérêt du dosage sérique de la thrombomoduline
plasmatique, une protéine membranaire de la cellule endothéliale agisssant comme
co-facteur pour l'activation de la protéine C, dont les taux sériques mesurés
au 12ème, 24ème et 32ème semaines de gestation montrent une augmentation significative
dans les cas de prééclampsie (80% de spécificité et de sensibilité).
De même, l'équipe de Liège s'est spécialisée dans le dosage du PAI-1 et PAI-2
qui pourrait également jouer le rôle de marqueur sérique prédictif.
A côté de cette exploration sérique, les progrès fabuleux de l'imagerie échographique
avec étude des flux sanguins dans des vaisseaux de calibre de plus en plus petit
permettent d'entreprendre une exploration prospective prédictive non seulement,
comme déjà largement publié, à la 20ème semaine de gestation sur les artères
utérines mais aussi maintenant dès le premier trimestre sur l'invasion trophoblastique.
Voilà une voie prédictive très prometteuse qui devrait, couplée au dosage sérique,
prendre une place privilégiée dans le panel des explorations anténatales.
En conclusion,
il est possible aujourd'hui de prévenir la récidive des prééclampsies et du
Hellp syndrome par la mise au point judicieuse des étiologies maternelles dépistables
et la mise en route d'une thérapeutique préventive spécifique.
Quant à l'avenir, il est prometteur puisqu'il n'est pas excessif de penser qu'il
sera possible de repérer, dès le début de la grossesse, les patientes porteuses
des stigmates de la prééclampsie.
Mais cela est pour demain et nous en reparlerons sûrement.