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Titre: Valeur prédictive et préventive du doppler utérin dans l'étude erasme
Année: 2000
Auteurs: - Puech F.
Spécialité: Obstétrique
Theme: Doppler utérin

Valeur prédictive et préventive du Doppler utérin
dans l'étude ERASME

(Nord Pas de Calais Picardie)

 

D. SUBTIL, F. PRUVOST, Y. ZONGO, A. DUSAUTOIR, F. QUANDALLE, C. KIRKPATRICK, P. CHAUVIERE, C. MAUNOURY-LEFEVRE, E. BOGAERT, JP. LUCOT, V. HOUFFLIN-DEBARGE, JL. BUCHET, YM. MALEK, P. DUFOUR, S. BIAUSQUE, P. GOEUSSE, G. BREART, S. UZAN et F. PUECH.

 

Introduction

Les complications vasculaires de la grossesse sont responsables de 20 à 25 % des pathologies maternelles et néonatales graves [1]. Elle restent donc aujourd'hui l'une des préoccupations majeures des obstétriciens.

On sait maintenant qu'une large part de ces complications sont en rapport avec des anomalies très précoces de la placentation et plus largement de la circulation utéro-placentaire (repérées dès 12 - 13 SA. Elles s'accompagnent, au moins secondairement, de déséquilibres thrombotiques.

Chez les patientes à très haut risque (antécédents obstétricaux vasculaires lourds et/ou répétés), ces constatations ont donc amené à prescrire - avec succès - des traitements antithrombotiques très précocement au cours de la grossesse [2,3]. Ces traitements reposent sur deux classes d'antithrombotiques dont l'une peut être considérée comme majeure et difficile d'emploi (héparines de bas poids moléculaire) , l'autre comme mineure mais très accessible (aspirine à faible dose).

Chez les autres patientes, le niveau de risque vasculaire beaucoup plus faible justifie que des stratégies de prévention soient testées. Il s'agit en particulier du cas des patientes nullipares, dont les risques respectifs de prééclampsie et de retard de croissance intra-utérin (RCIU) sont multipliés par 6 et par 2 environ par rapport aux patientes nullipares [4]. La recherche d'une stratégie de prévention efficace repose à la fois sur la recherche de tests précoces de dépistage des complications vasculaires gravidiques et sur l'évaluation des traitements antithrombotiques qui seront prescrits aux femmes dépistées.

Nous avons mené un essai randomisé chez des patientes nullipares dans le double but (i) de mesurer la valeur prédictive du Doppler utérin réalisé au deuxième trimestre de la grossesse (ii) de rechercher le bénéfice éventuel d'une stratégie de prévention basée sur la mesure du Doppler utérin au deuxième trimestre et la prescription d'aspirine en cas d'anomalie.

Matériel et méthodes

Il s'agit d'une étude prospective randomisée avec effectifs déséquilibrés (2/1) comparant l'intérêt d'une stratégie de prévention basée sur la réalisation d'un Doppler utérin avec prescription d'aspirine à faible dose en cas d'anomalie, par rapport à un groupe témoin recevant un placebo d'aspirine à faible dose. Les patientes du groupe témoin faisaient partie d'un essai plus large (ERASME) destiné à mesurer l'intérêt éventuel de la prescription systématique d'aspirine à faible dose. Elles recevaient un placebo prescrit en double aveugle par rapport à l'aspirine .

Parmi les 29 centres ayant participé à l'étude ERASME, seulement 12 ont participé à la randomisation entre les groupes "Doppler ± aspirine", "aspirine" et "placebo" qui concerne cet article. Les autres centres n'ont pas participé à cette partie car à l'époque de l'étude ils ne disposaient pas d'appareillage Doppler à codage couleur.

Les patientes pouvaient participer à l'essai si elles étaient nullipares (pas d'accouchement antérieur >= 22 SA), si leur âge gestationnel était compris entre 14 et 20 SA +6 , si elles n'avaient pas d'antécédent d'hypertension artérielle (HTA) ( >= 140/90 mmHg), si elles n'avaient pas d'indication claire à prendre de l'aspirine ou un anticoagulant pendant la grossesse (antiphospholipides, antécédents de phlébite, thrombophilie), et si elles n'avaient pas de contre-indication à la prise d'aspirine (allergie, hématomes ou saignements fréquents, antécédent chirurgicaux hémorragiques - avulsion dentaire ou autre - , ulcère gastro-duodénal récent, asthme grave). Les grossesses multiples ne constituaient pas une contre-indication à l'inclusion dans l'étude. L'inclusion ou non des patientes ne reposait sur aucun examen biologique. Aucun temps de saignement n'était réalisé préalablement à l'inclusion.

Le protocole avait reçu l'avis favorable du comité de protection des personnes de notre région. Les patientes étaient libres de participer ou non à cette étude. Toutes les patientes qui ont participé ont donné leur consentement écrit. Il était possible de connaître le traitement à tout moment (levée d'aveugle).

Avant de lui proposer de participer à l'essai, on notait pour chaque patiente son âge, son niveau d'études, sa pression artérielle du jour et le nombre de cigarettes fumées en cours de grossesse. Cette proposition était qu'après consentement et tirage au sort :

- 1/2 bénéficieraient d'un traitement quotidien par aspirine à faible dose (100 mg) ou par placebo en double aveugle dès le lendemain de la randomisation, à continuer jusqu'à 34 SA révolues (randomisation 1/1).

- 1/2 bénéficieraient de la réalisation d'un Doppler utérin au moment de l'échographie anatomique du deuxième trimestre (22 -24 SA), avec prescription d'aspirine à faible dose dès le lendemain si l'examen s'avérait anormal (100 mg).

La randomisation a été réalisée par Minitel. Après vérification des critères d'inclusion et consentement éclairé de la patiente, chaque médecin investigateur joignait le centre - unique - de randomisation. Après vérification des principaux critères d'inclusion, le serveur de randomisation indiquait un numéro de boite de traitement (aspirine/placebo) ou bien le mot "Doppler" au médecin investigateur. La liste de prérandomisation du serveur central a été réalisée grâce à des séries de nombres au hasard. Elle était équilibrée par blocs de 16 pour chaque centre.

Dans le groupe traitement, seul le bras placebo a été utilisé pour comparaison avec le groupe des patientes ayant eu un Doppler, après levée d'aveugle finale. La randomisation pour cette étude comparative se trouve donc être déséquilibrée et de type 2/1 (Doppler:2 / Placebo:1).

Au sein de chaque centre, les examens Doppler ont été réalisés par les médecins investigateurs. Ces médecins ont été réunis avant l'étude pour homogénéiser leur pratique et leur interprétation du Doppler. Le Doppler était considéré comme pathologique si il existait une incisure protodiastolique ("notch") quel que soit le côté, ou bien si la moyenne des index de résistance ( S-D / S ) de l'artère utérine droite et de l'artère utérine gauche était supérieure ou égale à 0.61. Il était précisé dans le protocole que les index mesurés devaient être notés sur une fiche, et une photographie du spectre utérin devait être jointe à cette fiche pour chaque artère utérine.

Dans le groupe placebo, le traitement était débuté dès le lendemain de la randomisation (entre 14 SA+1 et 21 SA+0) et arrêté systématiquement à 34 SA révolues. Dans le groupe "Doppler", le traitement par aspirine (100 mg) était débuté seulement en cas d'anomalie du spectre. Ce traitement était donc débuté plus tardivement (entre 22 SA+1 et 25 SA +0). Il était prescrit jusqu'à 36 SA révolues.

Les traitements par aspirine prescrits en cas de Doppler anormal, ainsi que les traitements par aspirine et les traitements par placebo ont été fabriqués spécifiquement pour l'étude (Laboratoire UPSA, Rueil-Malmaison, France). Ils étaient régulièrement stockés dans les centres et remis en mains propres aux patientes par les médecins investigateurs de l'étude. Ils ont fait l'objet des contrôles obligatoires prévus par la loi française. Quatre lots de fabrication différents ont été nécessaires au cours de l'étude. Les traitements étaient présentés sous forme de sachets de poudre à déchirer et à prendre toujours à la même heure dans un peu d'eau.

Après l'inclusion dans l'étude, le suivi des patientes était identique à celui réalisé habituellement par les médecins de chaque centre. Une prise de la pression artérielle et une recherche qualitative (bandelettes réactives) ou quantitative de l'albuminurie faisaient partie des examens réalisés mensuellement. Aucun examen clinique, biologique ou physiologique complémentaire n'était prévu - en dehors du Doppler utérin pour les femmes randomisées dans le groupe "Doppler".

Les critères de jugements ont été définis préalablement à l'étude. Le critère de jugement principal était la prééclampsie. Ce diagnostic a été retenu à chaque fois qu'une hypertension artérielle gravidique s'associait à une protéinurie permanente d'au moins deux croix à la bandelette ou bien d'au moins 0.5 g/l au dosage biologique. Les autres critères de jugement étaient l'existence d'une HTA gravidique (chiffres de pression artérielle retrouvés au moins deux fois supérieurs à 140 mmHg pour la pression systolique, ou à 90 mmHg pour la pression diastolique, à plusieurs jours d'intervalle), l'existence d'un retard de croissance intra-utérin (poids de naissance =< 3e ou =< 10e percentile des courbes de Leroy-Lefort), la survenue d'un HELLP syndrome (selon les critères définis par SIBAI [5]), la survenue d'un hématome rétro-placentaire (HRP), la réalisation d'une césarienne pour menace foetale (HTA maternelle décompensée, RCIU, liquide amniotique méconial ou HRP). Enfin l'existence d'une prééclampsie, d'un RCIU =< 3e percentile, d'un HELLP syndrome ou d'un HRP ont défini la présence d'une complication vasculaire sévère de la grossesse.

Immédiatement après l'accouchement, les données de la grossesse et de l'accouchement ont été recueillies pour chaque patiente: nombre, durée et motifs des hospitalisations, HTA, prééclampsie, HRP, HELLP syndrome, métrorragies du 2e et du 3e trimestre. La voie et les modalités d'accouchement, les motifs de césarienne, l'existence et l'abondance de l'hémorragie et l'existence d'une durée d'hospitalisation prolongée de la mère en maternité ont été notés. Au cours de sa première semaine de vie, on notait le poids de naissance de l'enfant, son âge gestationnel, l'existence éventuelle de complications hémorragiques, ainsi que son transfert éventuel. Il était également prévu de réaliser une échographie transfontanellaire pour tous les enfants nés avant 34 SA. Tous les dossiers non retournés au centre organisateur ont été systématiquement recherchés, selon une procédure minutieuse.

Les dossiers obstétricaux des patientes ayant présenté une hypertension artérielle gravidique ont été systématiquement revus à la recherche de signes de prééclampsie qui auraient été méconnus. De la même façon, tous les dossiers de prééclampsie, de RCIU < 3e percentile, de HELLP syndrome et d'HRP ont été systématiquement revus.

L'enregistrement des données et les principales comparaisons statistiques ont été réalisées à l'aide du logiciel Epi-Info. Deux analyses intermédiaires ont été réalisées en cours d'étude, en insu vis à vis des organisateurs et du comité de surveillance. L'analyse a été réalisée "en intention de traiter" : les patientes du groupe Doppler qui n'ont pas eu cet examen, celles qui n'ont pas bénéficié d'une prescription d'aspirine alors que le Doppler était anormal, ou bien celles qui n'ont pas pris le traitement par aspirine qui leur avait été prescrit sont restées dans leur groupe d'affectation pour l'analyse. A l'inverse, les patientes du groupe placebo qui ont bénéficié d'un examen Doppler et/ou d'un traitement par aspirine non prévus par le protocole sont restées dans leur groupe.

Les comparaisons statistiques ont fait appel au test du chi2 pour les pourcentages, au test t de Student pour les comparaisons de moyennes. Tous les tests ont été bilatéraux et le seuil de signification retenu était 0.05. Dans les cas où p était compris entre 0.05 et 0.10, sa valeur précise a été donnée. Un intervalle de confiance à 95 % a été choisi pour les risques relatifs calculés.

 

Résultats

1869 patientes ont été incluses dans cette partie de l'étude ERASME. 1252 patientes ont été randomisées dans le groupe Doppler (67 %) et 617 dans le groupe placebo (33 %). En ce qui concerne l’issue de grossesse, 10 patientes ont été perdues de vues (0.5 %) et 1859 dossiers ont donc été analysés (1243 pour le groupe Doppler, 616 pour le groupe placebo).

Parmi les patientes du groupe Doppler, 1174 ont réellement eu leur examen (94.4 %) et 1083 (87 %) ont eu cet examen entre 22 et 24 SA comme le prévoyait le protocole. 54 (4.3 %) ont eu leur examen Doppler avant 22 SA (entre 15 et 21 SA) et 34 (2.7 %) après 24 SA. Seules 69 patientes (5.5 %) n’ont pas eu leur examen Doppler.

Parmi les 1174 examens réalisés, 239 (20.3 %) ont été jugés anormaux d’après le protocole et toutes ces patientes ont eu une prescription d'aspirine à faible dose.

Les caractéristiques des patientes des groupes Doppler et placebo étaient comparables à l'inclusion dans l'étude (tableau 1). Parmi les patientes du groupe Doppler, on note en revanche que les patientes qui ont eu un Doppler jugé anormal étaient plus jeunes, qu’elles avaient une taille discrètement inférieure et un index de masse corporelle plus souvent élevé que les patientes ayant eu un Doppler jugé comme normal. Elles avaient également tendance à avoir un niveau d’étude moins souvent élevé (tableau 1). La fréquence de la prééclampsie, de l'HTA gravidique, du RCIU < 10e p, du RCIU < 3e p, étaient respectivement de 2.0 %, 7.9 %, 11.4 % et 2.1 % dans cette étude. Celles de la prématurité provoquée, des césariennes pour menace foetale et des complications vasculaires sévères de la grossesse étaient respectivement de 3.1 %, 5.7 % et 4.3 %.

La fréquence des complications vasculaires de la grossesse selon que le Doppler utérin était normal ou non figure au tableau 2. La fréquence des prééclampsies, de l'HTA, du RCIU, de la prématurité provoquée, des césariennes pour menace foetale et des complications vasculaires sévères de la grossesse ont été multipliées par un facteur compris entre 2.0 et 4.3 selon le critère considéré. Les associations les plus fortes ont été constatées pour la prééclampsie et le retard de croissance intra-utérin sévère ( < 3e p). La sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive et la valeur prédictive négative du Doppler utérin ont été respectivement de 55%, 80 %, 5 % et 99 % pour la prééclampsie, de 49%, 81 %, 10 % et 97 % pour l'ensemble des complications vasculaires sévères de la grossesse.

La fréquence des complications vasculaires de la grossesse selon le groupe des patientes - Doppler ou placebo - figure au tableau 3. Aucune différence significative n'est retrouvée entre ces groupes pour les critères de jugement étudiés.

 

Discussion

 

Cette partie de l'étude ERASME a permis de constater chez des patientes nullipares que l'existence d'un Doppler utérin anormal au second trimestre de la grossesse est significativement lié à la survenue de complications obstétricales ultérieures de type vasculaire. Cette constatation a été faite alors même qu'un traitement par aspirine à faible dose à été prescrit à toutes les patientes dont le Doppler utérin était anormal. Dans le même temps, on n'a pas pu mettre en évidence de bénéfice à réaliser systématiquement cet examen chez toutes les patientes nullipares, puisqu'aucun bénéfice maternel et/ou foetal de cette stratégie n'a été observée.

La recherche d'une stratégie spécifique aux nullipares est d'autant plus d'actualité que ces patientes ont un risque de complications vasculaires - notamment de prééclampsie - nettement supérieur à ceux des patientes multipares, et que - contrairement aux multipares - leur niveau de risque ne peut être apprécié par leurs antécédents obstétricaux colligés en début de grossesse. Pourtant, le succès des traitements antithrombotiques comme l'aspirine et l'héparine chez les patientes multipares à haut risque - bien qu'il soient régulièrement remis en question - permet l'espoir d'une diminution des complications vasculaires chez les patientes nullipares dès lors que des tests de dépistage précoces et sensibles auront été mis au point.

Le caractère prédictif du Doppler utérin pour les complications vasculaires de la grossesse a d'abord été mis en évidence chez les patientes à très haut risque. Ce lien a été confirmé à plusieurs reprises et a fait du Doppler utérin un outil utilisé en routine dans les services de grossesses à risques. Il a ensuite été évalué comme test de dépistage chez les patientes à plus faible risque. Si l'on on fait exception de l'étude de Harrington [6] chez qui l'examen a été réalisé dès 16 SA et retrouvé anormal chez 33 % d'entre elles, sa sensibilité au deuxième trimestre est apparue assez faible, comprise entre 20 et 50 % selon les séries [7-9]. Il a pour triple avantage d'être assez aisé à réaliser - pourvu qu'on dispose d'un codage couleur - , non invasif, et de traduire une perturbation des flux qui semble être à la genèse des complications vasculaires observées. Le fait qu'il puisse s'intégrer facilement au sein des examens systématiques de la grossesse - en même temps que l'échographie anatomique de 22-24 SA - est un atout supplémentaire. Outre sa sensibilité réputée insuffisante, il a pour inconvénient d'avoir une variabilité inter- et intra-opérateur assez élevée, et de varier dans le temps de telle façon que l'existence d'une incisure protodiastolique puisse être constatée de manière "physiologique" et transitoire jusqu'à 24 SA.

L'étude que nous avons menée a montré que le Doppler utérin était fortement lié aux complications vasculaires de la grossesse chez des patientes nullipares non sélectionnées, avec une sensibilité voisine de 50 %. Le calcul de la valeur prédictive du Doppler dans notre étude a pu être faussé par la prescription d'aspirine chez les femmes dont le Doppler était anormal. Si l'on considère que les publications actuelles sont en faveur d'une diminution des complications chez les femmes traitées par l'aspirine à faible dose, la sensibilité et la valeur prédictive positives ont seulement pu être minorées tandis que la spécificité de l'examen pu être majorée dans notre étude (transfert de "vrais positifs" vers les "faux positifs" dans le tableau de contingence à quatre cases).

Alors que la plupart des études réalisées jusqu'ici avaient été réalisées dans un seul centre - et parfois par un seul opérateur [7-9] - , nos résultats ont été obtenus "en population". Dans chacun des douze centres de notre étude en effet, plusieurs médecins investigateurs ont réalisé l'examen Doppler utérin à l'aide d'appareils différents, dans des conditions d'apprentissage et de réalisation assez hétérogènes. Le Doppler utérin apparaît donc à la fois comme un examen de repérage sensible et "robuste"(50 % des patientes qui vont présenter ultérieurement une complication vasculaire sévère sont repérées, y compris dans les maternités de niveau I) . Il n'existe à notre connaissance aucun autre test inoffensif qui n'ait à la fois cette sensibilité et ces qualités au second trimestre de la grossesse : le roll over test, le test à l'angiotensine et les tests sanguins n'ont obtenu que des résultats moindres.

L'absence de bénéfice de la stratégie "Doppler utérin ± aspirine" - quand elle est comparée au groupe témoin de patientes prenant un placebo d'aspirine - vient cependant modérer notre enthousiasme pour la réalisation systématique de cet examen. La prescription d'un Doppler utérin systématique - parce qu'il est prédictif d'anomalies vasculaires ultérieures - n'aurait en effet de sens chez les primipares que si des actions de prévention (surveillance ou traitement) pouvaient diminuer les complications vasculaires en aval. Dans notre étude, seule la prescription d'aspirine était indiquée en cas de Doppler anormal, mais cette prescription n'a pas permis de diminuer les complications vasculaires d'aval. On voit mal aujourd'hui quel autre type de surveillance ou de traitement aurait pu faire mieux, et l'aspirine constitue aujourd'hui la seule arme logique dans la prévention des complications vasculaires de la population à bas risque.

 

L'absence de bénéfices de la stratégie "Doppler utérin ± aspirine" par rapport au groupe témoin amène donc à rechercher plusieurs explications.

L'effectif somme toute assez faible des groupes et le caractère déséquilibré de la randomisation auraient pu faire craindre un manque de puissance dans les comparaisons. Cet argument ne peut être retenu puisqu'il n'existe réellement aucune différence en faveur de la stratégie "Doppler ± aspirine" : même une augmentation importante des effectifs n'aurait pas rendu les différences observées significatives.

L'absence d'effet préventif de l'aspirine est un argument de plus en plus développé [10], même chez les patientes à risque [11]. Deux études récentes concernant l'aspirine à faible dose chez les nullipares vont dans ce sens. Cependant, la compliance des patientes n'a pas toujours été mesurée et on peut penser qu'elle ne fut pas optimale dans les études menées en population non sélectionnée sur facteur de risque [12,13] . En effet, certaines de ces patientes peuvent ne pas ressentir la nécessité de prendre un traitement chaque jour de la grossesse. Par ailleurs, il existe des arguments pour penser que l'aspirine prescrite avant 17 SA et à dose suffisante (au moins 100 mg) fait partie de l'arsenal antithrombotique capable d'agir sur les phénomènes thrombotiques constatés au cours des complications vasculaires d'origine utéro-placentaire [14] . Elle a montré son efficacité sur la prééclampsie et sur le retard de croissance intra-utérin lorsqu'elle est prescrite très précocement chez des patientes à risque. [15-17]. C'est dans les études où elle a été prescrite aux doses les plus faibles et/ou aux termes les plus tardifs que ses résultats ont été les moins bons [10,12,13].

La compliance des patientes traitées pas aspirine dans notre étude n'a pu être appréciée par le compte des sachets après utilisation, les boites d'aspirine du groupe "Doppler anormal" n'étant pas numérotées de manière nominatives. Cependant, des dosages urinaires qui sont encore en cours dans le cadre de l'étude ERASME sont en faveur d'une meilleure compliance dans le groupe 'Doppler anormal" que dans le groupe "Aspirine systématique". Par ailleurs, on peut penser que la compliance des patientes traitées pour anomalie du Doppler dans ce type d'essai est assez satisfaisante - les patientes ayant une raison "objective" de prendre leur traitement - et qu'elle n'a pas de raison d'être inférieure à ce qu'elle serait si la stratégie devait se diffuser. Il semble donc qu'un manque de compliance ne puisse être incriminé dans notre étude.

De la même façon, la dose d'aspirine utilisée paraît correcte par rapport aux doses utilisées et maintenant conseillées dans la littérature [17].

Enfin et malheureusement, la réalisation du Doppler utérin fut tardif dans notre étude. Ce choix a été fait d'une part parce que le Doppler utérin n'avait pas encore montré sa capacité à être prédictif plus tôt au cours de la grossesse [6], et d'autre part parce qu'il paraissait illogique de ne pas profiter de l'examen anatomique réalisé vers 22 SA dans notre pays. On peut imaginer que la réalisation d'un examen plus précoce au cours de la grossesse -dès 16 SA pour HARRINGTON - , en s'accompagnant d'une prescription d'aspirine plus précoce, se serait accompagnée d'une diminution des complications vasculaires de la grossesse. Une étude de ce type reste cependant à réaliser, aucune stratégie de ce type n'ayant été évaluée à ce jour.

 

Au total, la réalisation systématique d'un Doppler utérin vers 22 - 24 SA chez la nullipare amène à retrouver des anomalies chez environ 20 % d'entre elles. Dans notre étude, cet examen s'est ainsi révélé capable de repérer environ la moitié des patientes qui ont présenté ensuite une complication vasculaire sévère de la grossesse. Malheureusement, ces résultats sont insuffisants pour conseiller la réalisation systématique de cet examen au moment de l'échographie anatomique. On peut penser en effet que le caractère tardif de l'examen a empêché le succès de la prescription d'aspirine en cas d 'anomalie. De nouvelles stratégies de prévention, basées sur la réalisation d'examens de dépistage plus précoces, par Doppler utérin ou par autres examens à venir, doivent donc se faire jour et être évaluées selon la même procédure.

 

Cette étude a reçu un financement de la Commission Mixte Faculté de Médecine- CHRU de Lille et du Programme Hospitalier de Recherche Clinique (1993).

 

 

Bibliographie

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Tableau 1

Caractéristiques des patientes au moment de l’inclusion dans
les groupes " placebo " et " Doppler " , " Doppler normal " et " Doppler anormal "

 

Groupe
Placebo
(N= 617)

Groupe Doppler
(N= 1252)

p

 

Doppler normal
(N=935)

Doppler anormal
(N= 239)

p

Age (ans)

24.8 ± 4.6

24.7 ± 4.7

NS

 

24.9 ± 4.4

24.0 ± 4.2

< 0.01

Niveau d’étude (%)

faible
moyen
élevé

 

16.7
49.3
34.0

 

16.7
51.8
31.6

 


NS

 

 

16.1
50.7
33.2

 

17.2
57.6
25.2

 


0.06

Taille (cms)

164 ± 6.4

164 ± 6.5

NS

 

164 ± 6.6

163 ± 6.2

< 0.01

Poids (kg)

59.6 ± 11.3

59.9 ± 11.5

NS

 

59.9 ± 11.4

60.2 ± 12.1

NS

BMI >= 25 kg/m² (1)

17.0

17.5

NS

 

16.3

22.9

< 0.05

Tabac (%)

27.5

27.2

NS

 

26.2

29.8

NS

Pression artérielle systolique (mmHg)

118 ± 11

118 ± 12

NS

 

119 ± 12

118 ± 12

NS

Pression artérielle diastolique (mmHg)

69 ± 9

69 ± 10

NS

 

69 ± 9

69 ± 9

NS

(1) BMI : " Body Mass Index " ou Index de masse corporelle = poids / taille²

 

Tableau 2

Complications vasculaires de la grossesse selon le résultat du Doppler utérin réalisé
au second trimestre de la grossesse (22 - 24 SA)

 

Doppler utérin normal
(N=935)
%

Doppler utérin anormal
(N= 239)
%

RR [IC]

p

Prééclampsie

1.1

4.6

4.3 [1.9 - 10.0]

< 0.001

HTA

6.1

14.3

2.3 [1.6 - 3.5]

< 0.001

RCIU < 10e p

8.1

19.4

2.4 [1.7 - 3.4]

< 0.001

RCIU < 3e p

1.3

5.1

3.9 [1.8 - 8.6]

<0.001

Prématurité provoquée

2.7

5.5

2.0 [1.1 - 3.9]

< 0.05

Césarienne pour souffrance foetale (1)

4.5

11.3

2.5 [1.6 - 4.0]

< 0.001

Complications vasculaires sévères (2)

2.7

9.6

3.8 [2.1 - 6.5]

< 0.001

(1) : HTA maternelle décompensée, RCIU, liquide amniotique méconial ou HRP.

(2) : Prééclampsie, RCIU < 3e p, HELLP syndrome ou HRP.

 

 

Tableau 3

Complications vasculaires de la grossesse dans les groupes
"Doppler utérin ± aspirine" et dans le groupe "Placebo"

 

Placebo

(N= 617)
%

Doppler utérin ± aspirine
(N= 1252)
%

RR [IC]

p

Prééclampsie

1.5

2.3

1.6 [0.7 - 3.3]

NS

HTA

7.8

8.0

1.0 [0.7 - 1.4]

NS

RCIU < 10e p

12.7

10.7

0.8 [0.6 - 1.1]

NS

RCIU < 3e p

2.0

2.0

1.0 [0.5 - 2.0]

NS

Prématurité provoquée

2.6

3.4

1.3 [0.7 - 2.2]

NS

Césarienne pour souffrance foetale (1)

5.7

5.7

1.0 [0.7 - 1.5]

NS

Complications vasculaires sévères (2)

3.4

4.7

1.4 [0.8 - 2.3]

NS

(1) : HTA maternelle décompensée, RCIU, liquide amniotique méconial ou H.R.P.

(2) : Prééclampsie, RCIU < 3e p, HELLP syndrome ou H.R.P.