INFECTION
BACTERIENNE MATERNO-FOETALE EN MATERNITÉ
M. VIAL-COURMONT
Pédiatre
de Maternité, Hôpital Antoine Béclère, 92141, Clamart.
Bien qu'elle soit relativement
rare, estimée selon les définitions à 0,5 à 1 pour
cent naissances (1), l'infection bactérienne materno-ftale (IMF)
constitue une des préoccupations permanente du pédiatre de maternité,
en raison de sa gravité potentielle et des difficultés de diagnostic..
Dans notre expérience, en maternité et non en néonatologie,
selon une définition constante et des critères relativement larges,
la fréquence est nettement plus élevée, de l'ordre de 2
à 3 %, et est restée stable au fil des années (2). Ce taux
est probablement dû en partie à un fort recrutement de grossesses
pathologiques mais aussi à une définition élargie, puisque
la plupart des auteurs ne retient comme critère, trop restrictif, que
l'existence d'une bactériémie : celle-ci peut ne pas être
retrouvée, d'une part du fait du nombre et de la quantité nécessairement
limités des prélèvements pour hémoculture chez le
nouveau-né, d'autre part en raison de l'administration d'une antibiothérapie
en cours de travail, fréquente en cas d'accouchement prématuré
ou fébrile notamment (3).
L'évolutivité et la gravité potentielle de l'IMF en font
une urgence thérapeutique et dans l'attente du délai nécessaire
au diagnostic, la décision initiale ne peut être que " probabiliste
", appuyée sur un ensemble de critères de risque dont aucun
n'est formel isolément.
I - Les critères
d'infection
Ils sont de 3 types, anamnestique,
clinique et biologique, de valeur très inégale.
1.1. Les critères
anamnestiques
Connus dès la naissance,
ils constituent les premiers signes d'appel et vont permettre de sélectionner
une population d'enfants " à risque " et de décider
des explorations biologiques (4). Ils sont de deux ordres : certains sont rééllement
évocateurs d'infection, d'autres constituent des circonstances simplement
favorisantes.
1.1.1. Les signes
évocateurs
· L'accouchement
fébrile
Défini par une température maternelle supérieure ou égale
à 38°C pendant l'accouchement et dans les heures précédant
ou suivant celui-ci, il est relativement peu fréquent, de l'ordre de
1 à 4 % (5) : à la maternité de l'hôpital Antoine
Béclère en 1992-1993, la fréquence a été
de 5,4 % sur 4649 naissances vivantes, atteignant 7,5 % en cas d'accouchement
prématuré et 15 % après ouverture prolongée de
la poche des eaux (3).
La présence d'une fièvre maternelle per-partum a une double
signification :
- pour la mère, elle constitue le principal critère de chorio-amniotite.
Cependant elle peut aussi être dûe à une infection bactérienne
d'autre localisation (urinaire surtout) voire à une infection virale
(grippe...). La température maternelle est aussi influencée
par de nombreux facteurs non infectieux, notamment température ambiante
et analgésie péridurale (6).
- pour le nouveau-né, elle représente le marqueur essentiel
d'infection : elle est retrouvée dans environ 40 % des infections materno-ftales
(38 % à Antoine Béclère en 1992-1993). La fréquence
de l'infection bactérienne néonatale en cas d'accouchement fébrile
est de l'ordre de 20 à 30%.
Dans notre expérience, cette fréquence ne s'est pas modifiée
depuis plus de 10 ans puisqu'elle était évaluée à
24 % en 1984 (contre 2,9 % dans les accouchements non fébriles), et
à 28 % (contre 2,6 %) en 1992-1993 (3).
La fièvre maternelle est donc un signe d'alarme précieux puisqu'elle
multiplie par 10 le risque d'infection, cependant une antibiothérapie
systématique, préconisée par certains, conduirait à
traiter inutilement les trois-quarts des nouveau-nés de mère
fébrile. Une analyse plus discriminante de l'anamnèse obstétricale
permettrait de moduler l'indication puisque l'absence totale de toute autre
critère abaisse ce taux à 2,2 %, alors que la présence
d'un seul d'entre eux l'augmente à 35 % et à 76 % en cas d'accouchement
prématuré (3).
· La prématurité
L'infection bactérienne est une cause fréquente de déclenchement
prématuré du travail et doit être suspectée de
principe devant tout accouchement avant terme inexpliqué. Dans notre
expérience, elle est cinq fois plus fréquente chez les nouveaux-nés
prématurés que chez les nouveau-nés à terme.
D'autre part la gravité de l'infection est plus grande encore chez
l'enfant prématuré et majore le risque le morbidité et
de mortalité lié à la simple prématurité.
Dans ces conditions, il parait raisonnable de pratiquer un bilan infectieux
complet chez tous les enfants nés après déclenchement
prématuré spontané et de traiter initialement plus largement
en présence d'éléments anamnestiques évocateurs.
· L'ouverture de la poche des eaux
La rupture prématurée des membranes (RPM), non seulement avant
terme mais aussi avant début de travail, peut être dûe
à une fragilisation des membranes par une chorio-amniotite. L'ouverture
prolongée de la poche des eaux (OPDE), surtout lorsqu'elle est supérieure
à 12 heures, favorise quant à elle la contamination du liquide
amniotique par voie ascendante.
· Le liquide amniotique
La présence de méconium dans le LA, constatée dans environ
10% des accouchements, témoigne d'une souffrance ftale aigüe
éventuellement provoquée par une infection ; elle favorise d'autre
part la multiplication des germes en diminuant le pouvoir bactériostatique
normal du LA.
Une odeur fétide du LA est considérée comme évocatrice
d'une infection notamment à anaérobie, bien que celle-ci soit
rare en dehors d'une OPDE.
· Le rythme cardiaque ftal (RCF) pendant le travail
Les anomalies du RCF, témoins directs de la mauvaise tolérance
du ftus, doivent faire évoquer une infection en l'absence de
cause obstétricale évidente.
Plus que les ralentissements tardifs ou les bradycardies, non spécifiques,
la tachycardie ftale constitue un signe d'appel évocateur. Elle
est souvent, mais pas constamment, associée à une fièvre
et à une tachycardie maternelles et a la même signification.
1.1.2. Les circonstances
favorisantes
Les plus classiques sont : une béance du col utérin, un cerclage
surtout inefficace, une infection ou une colonisation vaginale par une flore
pathogène déséquilibrée, une infection urinaire
récente, un travail prolongé, des examens locaux répétés.
Beaucoup moins spécifiques, elles prennent toute leur valeur en fonction
du contexte et de leur association éventuelle.
Le portage maternel de streptocoque B
Le streptocoque B représente plus d'un tiers des IMF : environ 15 à
25 % des femmes enceintes sont porteuses de streptocoque B, 40 à 50
% de leurs nouveau-nés seront contaminés à la naissance
mais seulement 3 à 5 % présenteront une infection, potentiellement
léthale..
Bien qu'encore très discutée et faisant l'objet de consensus
différents selon les équipes et les pays, la prophylaxie per
partum semble efficace, avec des protocoles variables .
· G. Breart (7), dans une méta-analyse, réalisée
pour les Journées Parisiennes Obstétrico-Pédiatriques
de 1994 et portant sur 5 études, démontrait une diminution moyenne
du taux d'infection de 3,6 à 0,3 % (OR = 0,07) et de colonisation de
36 à 3 % (OR = 0,04).
· T. A. Lieu (8), dans une enquête multicentrique publiée
récemment, portant sur 80 000 naissances dans quatre hôpitaux
californiens entre 1989 et 1995, trouve un taux de septicémie à
streptocoque B de 0,9 % chez les enfants à terme et 3,1 % chez les
prématurés. La mise en place d'une prophylaxie dans deux hôpitaux
en a diminué la fréquence globale de 1,3 % à 0,8 %.
· Dans notre expérience (2), après la mise en place d'un
protocole de dépistage du portage maternel et de traitement per partum
systématique, le taux d'infection à streptocoque B, selon une
définition plus large, est passé de 1,4 % en 1991-93 (7037 naissances
vivantes) à 0,9 % en1994-97 (9496 naissances vivantes), soit 1,2 %
à 0,8 % à terme et 2,9 à 1,6 % avant terme.
Cependant l'inconvénient principal de cette prophylaxie, outre son
coût, serait le risque d'une recrudescence des infections à Escherichia
Coli (E Coli) éventuellement résistants. Notre expérience
des infections néonatales précoces observées entre 1993
et 1997 (sur approximativement 2500 naissances annuelles) ne semble par confirmer
ce risque puisque la proportion relative des E Coli ne s'est pas statistiquement
modifiée depuis l'introduction de ce protocole en 1994 (figure 1).
1.2. Les critères
cliniques
Très inconstants
et absolument pas spécifiques, ils ne sont pas obligatoirement présents
d'emblée et leur dépistage précoce nécessite une
surveillance attentive et répétée du nouveau-né
au cours des premières heures de vie. Secondairement, en l'absence de
traitement, le tableau initialement pauci-symptomatique va se compléter,
aboutissant à une situation de détresse vitale respiratoire et
hémodynamique rapidement irréversible.
1.2.1. La fièvre
A la naissance, la température est le plus souvent corrélée
à la température maternelle et se normalise rapidement spontanément.
Elle peut être le révélateur d'une fièvre maternelle
passée inaperçue en fin de travail, d'où l'intérêt
de surveiller la température de la mère après l'accouchement.
Elle n'apporte pas d'argument supplémentaire à la fièvre
maternelle en faveur d'une infection.
Une fièvre secondaire dans les heures suivant la naissance, plus rare,
est par contre, en l'absence d'effet iatrogène (incubateur, excès
de vêtement ou de chauffage), fortement évocatrice, éventuellement
même d'une méningite.
1.2.2. Le mauvais
état à la naissance (Apgar bas, acidose, récupération
lente),
Surtout en l'absence d'étiologie obstétricale, il constitue,
au même titre que la souffrance ftale aigüe pendant le travail,
un bon signe d'alarme.
1.2.3. Les signes
cliniques
Ils sont bien connus, essentiellement troubles respiratoires et hémodynamiques,
mêmes mineurs, mais ils sont très peu spécifiques et souvent
retardés, donc peu contributifs au diagnostic précoce.
Toute anomalie clinique, même bénigne, survenant dans les premières
heures de vie est susceptible de s'aggraver très rapidement et incite
donc à une antibiothérapie urgente. Le vieil adage "tout
nouveau-né qui va mal, surtout de façon inexpliquée,
est à priori suspect d'infection" nous parait devoir être
respecté et justifier d'une mise en route thérapeutique la plus
précoce et active possible.
Par contre il serait dangereux de se baser sur l'excellent état clinique
d'un nouveau-né pour éliminer une infection, ou de surseoir
à une antibiothérapie en espérant dépister à
temps une infection débutante par des examens cliniques aussi soigneux
et répétés qu'ils puissent être.
1.3. Les critères
biologiques
Pour être utilisables
dans la décision initiale, les résultats des différents
examens biologiques doivent être rapidement disponibles. Secondairement,
confrontés à l'anamnèse et à la clinique, ils permettront
de porter un diagnostic définitif et de décider de la poursuite
ou non de l'antibiothérapie.
1.3.1. Les anomalies
hématologiques
Les anomalies de la lignée des leucocytes, nombre absolu de polynucléaires
neutrophiles par mm3 et rapport entre les formes jeunes et les
formes adultes, sont les plus significatives (9) :
· Une neutropénie franche (inférieure à
5000/mm3 à terme) et une myélémie élevée
(supérieure à 8 ou 10 %) sont les meilleurs critères.
Malheureusement ils sont relativement tardifs, survenant plusieurs heures
après le début de l'infection, et ne sont généralement
présents que dans les formes graves évoluées et donc
souvent déjà cliniquement symptomatiques.
· La polynucléose est beaucoup moins spécifique,
pratiquement physiologique du fait de la démargination des leucocytes
provoquée par le stress de l'accouchement, et provoquée par
de nombreuses autres causes, donc peu interprétable à la naissance.
Les autres anomalies, en particulier la thrombopénie, sont plus
tardives encore, généralement associées aux formes graves.
Au total, seules parmi les anomalies hématologiques, celles portant
sur les polynucléaires neutrophiles sont relativement spécifiques
mais malheureusement tardives et donc peu sensibles initialement et peu utilisables
pour un diagnostic précoce.
1.3.2. Les protéines
de l'inflammation
Les plus utilisées sont l'orosomucoïde, le fibrinogène,
et surtout la C-réactive protéine (CRP). Leur dosage
est de réalisation technique relativement simple et rapide, en particulier
le dosage de la CRP (3).
Plus spécifique que les anomalies hématologiques, leur augmentation
est malheureusement tardive, plusieurs heures après le début
de l'infection bactérienne, ce qui diminue beaucoup leur intérêt
pour la décision initiale. Ainsi en ce qui concerne la CRP, la plus
utilisée, la spécificité est évaluée à
90 % mais la sensibilité n'est que de 50 à 60 % avant la douzième
heure de vie et de 90 % ensuite. Elles permettent donc surtout de confirmer
secondairement l'infection et de guider la poursuite du traitement.
D'après les études préliminaires, l'augmentation de la
procalcitonine semble s'avérer plus précoce et plus spécifique
mais le dosage n'en est pas encore de pratique courante.
1.3.3. Les examens
bactériologiques
Seul l'examen direct des prélèvements, après étalement
sur lame et coloration de Gram, dont les résultats sont rapidement
disponibles, peut contribuer à la décision initiale.
L'examen du liquide gastrique prélevé immédiatement
à la naissance avant toute manipulation, ou du frottis placentaire,
sont les plus utilisés.
La présence de nombreux polynucléaires et de germes, témoin
de la contamination du liquide amniotique, est fortement évocatrice
d'infection bactérienne (Dans notre étude, 6 faux négatifs
soit 16 %, et 8 faux positifs soit 7 %). Mais sa sensibilité et sa
spécificité dépendent directement de la qualité
du laboratoire de bactériologie et de sa disponibilité 24 heures
sur 24.
L'examen direct du liquide gastrique donne d'autre part une orientation sur
le type de germe, essentiellement cocci Gram positif (CG+) ou bacille Gram
négatif (BG-), et donc sur le choix de l'antibiothérapie.
2- Données
bactériologiques
Une étude, menée
à la maternité de l'hôpital Antoine Béclère,
portant sur l'ensemble des naissances vivantes survenues de 1993 à 1997
(11730 enfants), a permis d'anlyser les résultats bactériologiques
obtenus dans 454 cas d'IMF (2).
2.1. La répartition
des germes
Celle-ci est relativement
constante au fil des années (figure 1) et identique à celle habituellement
mentionnée dans la littérature.
· La prédominance du streptocoque B (35,9 %) n'est plus à
démontrer et de nombreuses propositions ont été faites
pour tenter de prévenir, notamment en perpartum, la contamination ftale
(7-8).
· La fréquence des streptocoques ?-hémolytiques, tout aussi
pathogènes mais heureusement sensibles aux antibiotiques habituels, n'est
pas négligeable, en particulier après ouverture prolongée
de la poche des eaux, et semble d'apparition plus récente.
· L'ensemble des bacilles Gram négatifs représente le tiers
des infections (32,2 %) en particulier E. coli (21,5 %). Dans notre expérience,
de même que dans d'autres études (10), sa sensibilité varie
beaucoup en fonction de l'anamnèse, en particulier hospitalisation et
antibiothérapie maternelles dans les trois mois précédant
la naissance : dans ce cas le taux de résistance à l'Ampicilline
passe de 31 à 75 %.
· Les anaérobies, qui eux aussi font partie de la flore vaginale
habituelle, sont retrouvés avec une particulière fréquence
après ouverture prolongée de la poche des eaux et disparition
de la flore polymorphe normale sous antibiothérapie.
· Les germes plus inhabituels, staphylocoques, entérobactéries
résistantes, pyocyaniques, et enfin levures, sont la rançon de
la prise en charge des grossesses pathologiques par hospitalisation et souvent
antibiothérapies prolongées et/ou répétées.
Ils sont responsables de chorioamniotites, d'accouchements prématurés
et d'infections néonatales sévères entrainant une lourde
mortalité et des séquelles neurologiques graves, par leucomalacie
notamment.
2.2. L'âge gestationnel
:
En cas de prématurité,
la répartition des germes montre des différences significatives
(figures 2 et 3) : chez les nouveau-nés à terme le streptocoque
B est prédominant (54,7 %). Chez les prématurés, le germe
dominant est E. coli (21,7 %) et surtout l'ensemble des bacilles Gram négatifs
(39,4 %) ; les anaérobies et les staphylocoques occupent une place non
négligeable.
La répartition des germes s'est peu modifiée au fil des années
chez les enfants à terme ; chez les prématurés ont été
observées une augmentation de la fréquence des anaérobies
et l'apparition, au cours des deux dernières années, des infections
à levures.
2.3. La résistance aux antibiotiques :
Une étude portant sur 118 cas d'infection néonatale précoce
survenus à la maternité Antoine Béclère, entre 1995
et 1997 (résultats présentés aux Journées Parisiennes
de Pédiatrie en octobre 1998), a trouvé un taux de résistance
global à l'ampicilline de l'ordre de 16 %. Les germes résistants
étaient essentiellement constitués par des E Coli (75 %) et des
entérobactéries (21 %), bacilles à gram négatif
facilement identifiables par l'examen direct du liquide gastrique. Ils représentaient
les deux tiers des germes retrouvés en réanimation et un tiers
seulement en maternité. Les facteurs anamnestiques significativement
retrouvés dans ces cas sont une ouverture prolongée de la poche
des eaux (p=0,005) et une antibiothérapie (p=0,007) ou une hospitalisation
(p=0,02) maternelle dans les trois mois précédant l'accouchement.
3- Conduite
à tenir
3.1. A la naissance
En l'absence de critère
formel c'est l'analyse du dossier obstétrical qui va permettre de sélectionner
une population d'enfants à risque d'infection qui feront l'objet d'un
dépistage d'importance croissante :
1. Des prélèvements bactériologiques périphériques,
(classiquement liquide gastrique, avec examen direct, oreilles, ± cavum,
anus, frottis placentaires) pratiqués chez tous les enfants présentant
au moins un critère anamnestique.
2. Un bilan biologique associant numération globulaire ± dosage
de la CRP (ou autre protéine inflammatoire), éventuellement sur
sang du cordon, en cas d'anomalie fortement évocatrice (accouchement
fébrile ou prématuré) ou d'association de critères
(OPDE + LAM par exemple)
3. Une antibiothérapie d'emblée, dans un nombre très limité
de cas : association hautement évocatrice (accouchement fébrile
+ prématurité ou OPDE ou LAM), anomalie clinique, examen direct
du liquide gastrique positif.
3.2. Choix des antibiotiques
Une fois l'indication d'antibiothérapie
posée, reste la question du choix du ou des antibiotiques de première
intention, avant identification du germe et de sa sensibilité.
En maternité une bithérapie est habituelle : elle associe
un aminoside pendant les 48 premières heures jusqu'au résultat
des cultures, et soit l'ampicilline ou l'amoxicilline soit une céphalosporine
de troisième génération en cas de bacille Gram négatif
à l'examen direct ou d'anamnèse évocatrice d'un germe résistant.
Une triple antibiothérapie est souvent conseillée associant
aminoside-ampicilline-céphalosporine : probablement justifiée
en réanimation, compte tenu de la fréquence des germes résistants,
elle paraît, à beaucoup de pédiatres de maternité,
excessive en routine, en l'absence d'argument anamnestique en faveur d'une sélection
de germes.
Quant à la listériose, sa fréquence est actuellement très
faible (environ 1 à 2 % des infections) et elle entraîne généralement
un tableau évocateur, de sorte que l'association systématique
de l'ampicilline aux céphalosporines, en raison de la résistance
de la listéria à ces derniers semble très discutable, en
dehors du risque d'entérobactéries résistantes.
· Chez les nouveau-nés à terme, en l'absence de
détresse vitale, l'extrême rareté de la listériose
et la prédominance du streptocoque B, et plus globalement des streptocoques
? ou ? hémolytiques pratiquement toujours sensibles, nous paraît
autoriser, surtout si l'examen direct du liquide gastrique confirme la présence
de cocci Gram positif, à préférer une simple bithérapie
initiale, associant l'amoxicilline et un aminoside. L'existence d'une fièvre
maternelle et/ou néonatale ne modifie pas significativement le spectre
bactérien, même si le streptocoque B y est encore plus fréquent,
et ne justifierait pas un choix antibiotique différent (2).
· Chez les nouveau-nés prématurés, et tous
les enfants en détresse vitale, la plus grande diversité des germes
rencontrés et leur possible résistance incitent à une antibiothérapie
plus large, bithérapie associant une céphalosporine de troisième
génération et un aminoside voire trithérapie classique.
· Surtout, une attention particulière devrait être apportée
à l'anamnèse et en particulier aux circonstances susceptibles
d'induire une modification de la flore vaginale maternelle, d'ailleurs aussi
souvent responsables du déclenchement prématuré de l'accouchement
: grossesse sur stérilet (favorisant les chorioamniotites à candida),
rupture prématurée des membranes et ouverture prolongée
de la poche des eaux, hospitalisation(s) et/ou antibiothérapie(s) maternelles.
Dans ces situations, et souvent déjà lors de la surveillance antenatale,
il est fréquent de voir la flore variée habituelle remplacée
par une flore plus monomorphe constituée de germes inhabituels souvent
résistants, tels que les anaérobies, les entérobactéries,
le staphylocoque doré, les levures enfin. L'antibiothérapie initiale,
dans les situations les plus graves, surtout si l'on ne dispose pas de résultats
bactériologiques maternels récents et/ou d'une orientation par
l'examen direct du liquide gastrique, pourrait dès lors être éventuellement
élargie, en fonction de l'anamnèse, à l'acide clavulanique,
le métronidazole, le miconazole …
C'est la constatation de ces germes inhabituels et souvent résistants
qui a conduit les néonatologistes-réanimateurs à proposer
une antibiothérapie probabiliste de plus en plus large. Celle-ci est
probablement justifiée dans ces circonstances mais ne devrait pas être
élargie à toutes les infections materno-ftales observées
en maternité. En effet, dans notre expérience, la moitié
de celles-ci surviennent chez des enfants à terme et sont dans leur majorité
a- ou pauci-symptomatiques et peuvent donc être traités en maternité
: elles sont le plus souvent dûes à des germes "classiques"
et généralement sensibles à une antibiothérapie
simple, ce qui permettrait d'en limiter les effets indésirables sur l'écologie
globale du service.
3.3. Administration des
Antibiotiques
3.3.1. Les modalités
Elles doivent tenir compte du métabolisme particulier du nouveau-né
et d'une élimination plus lente : les injections peuvent être
espacées toutes les 12 heures pendant la première semaine de
la vie (24 heures pour la ceftriaxone).
Désormais l'administration unique quotidienne d'aminoside est recommandée
dans un but de plus grande efficacité et de moindre toxicité.
3.3.2. La voie d'administration
:
Compte tenu de l'urgence thérapeutique et de la gravité évolutive
potentielle, l'antibiothérapie initiale ne peut être que parentérale
: elle est le plus souvent intra-veineuse, directe pour l'ampicilline,
lente pour les autres antibiotiques.
La voie intra-musculaire, exclusivement dans la cuisse, est
théoriquement possible, la diffusion des antibiotiques se faisant de
façon satisfaisante. Cependant elle est douloureuse pour le nouveau-né
et présente un risque, probablement très faible, de lésion
musculaire à type de fibrose et de rétraction. Elle est donc
à réserver aux situations où elle permettrait d'éviter
le transfert d'un nouveau-né, par ailleurs bien portant, pour une simple
problème de voie d'abord. La mise en place d'un cathlon, bouché
entre les injections, est une solution plus satisfaisante qui permet de maintenir
le nouveau-né auprès de sa mère, à condition de
disposer d'un personnel expérimenté et d'assurer une surveillance
attentive.
La voie orale permet une bonne diffusion des amino-pénicillines
mais ne peut être proposée qu'en relai, adaptée aux résultats
bactériologiques définitifs, en l'absence de bactériémie
et après normalisation des anomalies biologiques éventuelles.
3.4. La décision
définitive
Quelle que soit la décision
prise initialement, et surtout en cas d'abstention thérapeutique, la
surveillance clinique et biologique de l'enfant doit être très
attentive, permettant éventuellement de redresser à temps un diagnostic
initialement récusé. La décision secondaire va reposer
sur les résultats des cultures bactériologiques disponibles, avec
antibiogramme éventuel, en 48 heures, qui permettront en principe de
porter une conclusion définitive :
3.4.1. La positivité
des prélèvements centraux (sang, liquide céphalo-rachidien)
signe l'infection bactérienne septicémique, à condition
d'une asepsie correcte des prélèvements afin d'éviter
les souillures, surtout en cas de prélèvement au cordon. Même
s'il n'existe aucun signe clinique ou biologique, l'enfant doit être
considéré comme infecté et traité 14 jours par
une antibiothérapie adaptée aux données de l'antibiogramme.
3.4.2. La négativité
des prélèvements bactériologiques
Elle élimine en principe l'infection, et, sous réserve de la
normalité des examens biologiques, l'antibiothérapie éventuellement
entreprise initialement peut être interrompue.
L'antibiothérapie maternelle avant la naissance n'évite
en règle pas l'infection chez le nouveau-né, mais en atténue
la gravité : prolongée plus de 6 à 8 heures, elle peut
négativer les résultats bactériologiques de l'enfant.
La décision définitive repose alors sur les critères
cliniques et biologiques et éventuellement les résultats des
prélèvements maternels (secrétions vaginales, urines,
et surtout liquide amniotique), qui sont donc indispensables avant toute antibiothérapie
en cours de travail.
3.4.3. La positivité
des prélèvements périphériques,
Malgré des prélèvements centraux négatifs, la
positivité des prélèvements périphériques
à un seul germe réputé pathogène, nécessite
une interprétation nuancée :
· La constatation d'anomalie clinique initiale, ou biologique plus
souvent secondaire, évoque une infection "probable" et incite
à poursuivre l'antibiothérapie. En effet le nombre d'hémocultures
et la quantité de sang prélevé peuvent être insuffisants
pour mettre en évidence une bactériémie souvent peu importante
et transitoire.
· L'absence de signe clinique ou biologique suggère plutôt
une simple "contamination", ou "colonisation", lors du
passage dans la filière génitale, qui ne justifie en principe
pas la poursuite des antibiotiques.
· Un problème particulier est celui de la colonisation massive
par du streptocoque B : dans ces situations certains, craignant une dissémination
secondaire et la survenue d'infection tardive septicémique ou méningée,
poursuivent une antibiothérapie par voie orale pendant 7 à 10
jours ; d'autres, en revanche, préfèrent ne pas traiter au prix
d'une surveillance clinique et biologique prolongée difficilement compatible
avec la sortie de plus en plus précoce des maternités.
· L'interprétation des résultats bactériologiques
dépend aussi de la précocité des prélèvements
: en effet plus ceux-ci sont tardifs (par exemple lors de l'admission dans
un service de transfert et/ou après des manipulations telles que aspiration,
intubation, voire alimentation), plus grand est le risque de retrouver des
germes de contamination post-natale. De même la présence de plusieurs
germes dans un même site, des résultats dissociés selon
les sites, sont les témoins d'une contamination banale sans signification
pathologique.
En conclusion,
la conduite à tenir peut être shématisée par les
protocoles suivants, à adapter bien sûr en fonction de chaque structure
et du plateau technique disponible :
BIBLIOGRAPHIE
1- EICHENWALD EC, "
Perinatally transmitted neonatal bacterial infections ". Infect Dis Clin
North Am, 1997 : 11, 223-239.
2- VIAL-COURMONT M, ARNAUD F, GUIBERT M, LACAZE-MASMONTEIL T, " Epidémiologie
bactérienne de l'infection materno-ftale : expérience d'un
centre périnatal ". In Journées Parisiennes de Pédiatrie,
Flammarion Médecine-Sciences, Paris, 1998 : pp. 163-71.
3- VIAL M, " Prise en charge d'un nouveau-né de mère fébrile
". Med Mal Infect, 1994 :24, 1064-1072.
4- BLOND M.H., GOLD F., QUENTIN R., LEGARE C., PIERRE F., BORDERON J.C., LAUGIER
J, " Infection bactérienne du nouveau-né par contamination
materno-ftale : on peut se fier à l'anamnèse ". J Gynecol
Biol Reprod, 1992 : 21, 393-397.
5- DENAIN-DENOIX C., LEJEUNE C., NECTOUX M. - Hyperthermie maternelle pendant
l'accouchement et risque d'infection bactérienne néonatale. In
Journées Parisiennes de Pédiatrie, Flammarion Médecine-Sciences,
Paris, 1986 : pp. 103-10.
6- CHABERT P., MASSONNET B., FAVIER M., CHOURAKI J.P., BOUCHE C., PHILIPPE E.,
RAMBAUD P., RACINET C. et coll, " Elévation de la température
au cours du travail. Signification et conséquences ". In 14 èmes
Journées Nationales de Médecine Périnatale, Arnette, Paris,
1985 : pp. 45-94.
7- LIEU TA, MOHLE-BOETANI JC, RAY GT, ACKERSON L.M, WALTON DL, " Neonatal
Group B Streptococcal Infection in a Managed Care Population ". Obstet
Gynecol, 1998 : 92, 21-27.
8- BRÉART G, FRANCOUAL C, " Antibiothérapie en cours de travail
chez les femmes porteuses de Streptocoques du groupe B : un traitement prophylactique
de l'infection néonatale précoce ? " In rapport de la 2ème
Journée Parisienne Obstétrico-Pédiatrique, Doin, Paris,
1994 : pp. 129-134.
9- COULOMBEL L., VIAL M., DEHAN M., HILL C., TCHERNIA G, " Intérêt
des données hématologiques pour le diagnostic d'infection materno-ftale
". Arch Fr Pediatr. 1980 : 37, 385-391.
10- BORDERON J.C., LAUGIER J, " Nouveau concept de l'antibiothérapie
chez le nouveau-né ". In XIXes Journées nationales de Néonatologie,
Karger, Paris, 1989 : pp. 195-217.
|