Papillomavirus
et cancer du col : diagnostic virologique
Christine
BERGERON
Laboratoire
Pasteur-Cerba, 95066 Cergy Pontoise Cedex 9 - France
I
- Papillomavirus et cancer du col
Le
cancer du col correspond à un carcinome épidermoide (malpighien)
dans 90% des cas et un adénocarcinome dans 10% des cas. C'est un cancer
d'évolution lente qui est précédé par des lésions
intraépithéliales appelées néoplasies intraépithéliales
cervicales ou CIN. Ces lésions précancéreuses sont caractérisées
histologiquement par une désorganisation de l'architecture de l'épithélium,
des atypies nucléaires et des figures de mitoses anormales. Les grades
I, II, III ou les termes bas grade et haut grade sont utilisés pour définir
la hauteur de l'épithélium malpighien impliquée par ces
anomalies. Il n'existe qu'un type de lésion intraépithéliale
pour l'adénocarcinome appelé adénocarcinome in situ. La
lente évolution des lésions intraépithéliales permet
de dépister ce cancer avant qu'il ne devienne invasif. Leur traitement
entraîne une guérison sans risque de métastases. Le dépistage
des lésions précancéreuses se fait par la cytologie qui
classe les anomalies selon la terminologie de Bethesda. Les anomalies cytologiques
des cellules malpighiennes (squamous cells) bien définies sont classées
soit en lésions intraépithéliales de bas grade (LSIL) si
elles touchent les cellules superficielles ou en lésions intraépithéliales
de haut grade (HGSIL) si elles touchent les cellules basales. Les anomalies
cytologiques mal définies sont classées en atypies des cellules
malpighiennes de signification indéterminée (ASC-US) ou ne permettant
pas d'exclure une lésion intraépithéliale de haut grade
(ASC-H). Les anomalies des cellules glandulaires sont classées en adénocarcinome
in situ ou atypies des cellules glandulaires.
Le cancer du col utérin est fréquent, avec environ 360.000 nouveaux
cas diagnostiqués dans le monde en 1990 et 190.000 morts. Il représente
la première cause de mortalité par cancer chez la femme dans les
pays en voie de développement, où le dépistage n'a pas
été mis en place. L'incidence de ce cancer a baissé de
manière importante dans les pays où le dépistage par la
cytologie existe. Pourtant, même dans ces pays, il reste un problème
de santé publique. Dans 60% des cas, les femmes qui développent
ce cancer aux Etats-Unis n'ont pas eu de dépistage ou l'ont eu de manière
espacée. Dans 10% des cas, elles ont eu un frottis mais n'ont pas eu
un suivi approprié. Enfin, dans 30% des cas, elles ont eu un frottis
régulier et ont développé un cancer invasif. En France,
environ 3600 nouveaux cas sont diagnostiqués par an et 1600 femmes meurent
de ce cancer. Les raisons de développer un cancer du col utérin
sont les mêmes en France qu'aux Etats-Unis. Le premier objectif pour diminuer
l'incidence de ce cancer est donc d'augmenter la couverture de la population.
Le deuxième est certainement d'améliorer l'efficacité de
la cytologie chez les femmes ayant un examen cytologique régulier.
Plusieurs arguments plaident en faveur du rôle causal des PVH dans l'étiologie
et la progression des lésions précancéreuses et des cancers
invasifs. Plus de 40 génotypes sont susceptibles d'infecter la muqueuse
génitale. Seule une quinzaine d'entre eux (les PVH 16, 18, 31, 33, 35,
39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 66, 68) sont mis en évidence dans les CIN
de haut grade et sont considérés comme potentiellement oncogènes.
Le PVH 16 est mis en évidence dans 20% des lésions de bas grade
et dans 50 à 60% des lésions de haut grade. Une patiente infectée
par un PVH 16 ou 18, a un risque relatif de développer un CIN, de 30
à 50 fois plus important qu'une femme qui ne présente pas d'évidence
d'infection par un PVH. Le risque de progression d'une lésion de bas
grade vers une lésion de haut grade est associé à la persistance
d'une infection par un PVH potentiellement oncogène.
Les PVH sont largement répandus dans la population normale et on estime
qu'au minimum 10 à 20% des femmes sont infectées de manière
latente. Si on les recherche de manière cumulative par PCR, on peut même
les détecter chez 50% des femmes, en particulier pendant la grossesse.
Seulement une très petite proportion des femmes infectées par
ces virus développe un CIN de haut grade. On connaît mal les mécanismes
qui contrôlent les étapes clés de l'expression du potentiel
oncogène des PVH que représentent le passage d'une infection latente
vers une néoplasie intraépithéliale, et la régression
ou la progression des CIN de bas grade. Ces mécanismes s'exercent probablement
à deux niveaux : la régulation intracellulaire de l'expression
du génome viral par des protéines cellulaires et la réaction
immunitaire dirigée contre les protéines virales. Des cofacteurs
interviennent aussi pour favoriser le développement d'une lésion
après une infection par un PVH oncogène, comme des co-infections
par le virus de l'herpès simplex, le virus HIV, l'usage du tabac, la
contraception hormonale. Une minorité de CIN et de cancers invasifs ne
contiennent pas de séquences d'ADN viral. On ne sait pas si cette non-détection
est liée à des tumeurs d'étiologie différente avec
un mauvais pronostic, comme certains l'ont suggéré.
II
-Prise en charge d'un frottis anormal
Le
meilleur moyen de prendre en charge les femmes dont le frottis comporte des
atypies des cellules malpighiennes mal définies (ASC-US) reste un sujet
de controverses. Certains cliniciens proposent de suivre ces femmes en répétant
un frottis six mois plus tard en se basant sur les arguments suivants : les
anomalies détectées peuvent ne correspondre qu'à des atypies
de réparation dans un contexte inflammatoire ou à une métaplasie
immature qui sont surévaluées en cytologie. D'autre part, si ces
anomalies correspondent à une véritable lésion intraépithéliale
de bas grade, beaucoup de ces lésions régressent spontanément
sans traitement ou ne progressent que lentement vers une lésion de haut
grade. Cette lente évolution permet de suivre ces lésions par
la cytologie sans faire prendre de risque à la patiente et permet de
traiter seulement les anomalies qui persistent plus de 2 ans. Cependant 5% de
ces anomalies correspondent à des lésions de haut grade et même
parfois des cancers invasifs et certains cliniciens préfèrent
d'emblée pratiquer une colposcopie.
La détection de l'ADN d'un PVH a été proposée comme
une alternative pour trier, parmi les patientes avec un diagnostic cytologique
d'ASC-US, celles qui nécessitent un examen colposcopique. L'objectif
de ce typage est de détecter dans ce groupe de femmes celles qui ont
une infection par un PVH potentiellement oncogène et qui sont à
risque d'avoir ou de développer une lésion de haut grade. Des
études ont comparé la sensibilité et la spécificité
du suivi cytologique et de la virologie par rapport à la biopsie sous
colposcopie systématique. La sensibilité correspond à la
probabilité qu'une patiente qui a une néoplasie intraépithéliale
ait un test positif. La spécificité est la probabilité
qu'une femme qui n'a pas de néoplasie intraépithéliale
ait un test virologique négatif. La virologie a une meilleure sensibilité
que le suivi cytologique pour détecter la présence d'un CIN de
haut grade. La recherche d'un PVH oncogène pourrait être effectué
parallèlement à la cytologie de contrôle faite par la méthode
conventionnelle ou se faire sur le matériel résiduel de la cytologie
quand le prélèvement est effectué en milieu liquide. Ce
mode de prélèvement permet de faire un étalement des cellules
en couche mince ou monocouche par un processus de centrifugation ou de sédimentation.
Cette méthode permet de faire le test virologique sur une partie du matériel
prélevé pour la cytologie et évite une deuxième
visite pour la patiente. Les patientes avec un test virologique positif auraient
une colposcopie, une virologie négative conduirait à un suivi
cytologique. La spécificité de la virologie est moins bonne que
celle de la cytologie. Si l'on admet que la prévalence d'un CIN de haut
grade est de l'ordre de 5% chez les patientes ayant un ASC-US, il faut comparer
le bénéfice de détecter plus tôt un petit nombre
de lésions précancéreuses avec le coût additionnel
suscité par des colposcopies chez de nombreuses femmes qui n'ont pas
de lésion de haut grade. Des études coût-efficacité
doivent être faites dans chaque pays en tenant compte du prix de la colposcopie,
de la facilité d'accès à cet examen, du prix de la cytologie
en milieu liquide et de celui de la virologie. Ces études permettront
de choisir entre la recherche d'un PVH, le suivi cytologique ou la colposcopie
d'emblée pour une patiente qui a un diagnostic cytologique d'ASC-US.
Les défenseurs du test virologique viennent plutôt des Etats-Unis
où le contexte économique est très différent de
la France et où la colposcopie et la biopsie sont d'un coût beaucoup
plus élevé.
La détection d'un PVH n'est pas utile pour les patientes qui ont un diagnostic
cytologique de lésion intraépithéliale de bas grade ou
de haut grade mais pourrait l'être dans certains cas particuliers comme
celui d'une patiente qui a une lésion persistante en cytologie et des
biopsies négatives. Peu de données sont à ce jour disponibles
pour établir l'intérêt d'un test virologique pour une patiente
qui a un diagnostic cytologique d'atypie glandulaire. Enfin, la détection
d'un PVH dans le suivi des patientes traitées par conisation pour détecter
la persistance ou la récidive d'une lésion est également
une indication en cours d'évaluation.
III
- Dépistage primaire
Dans
le cadre du dépistage systématique des précurseurs du cancer
du col utérin, la détection de l'ADN d'un PVH a été
proposée, seule ou associée au frottis. La sensibilité
de la virologie est le plus souvent supérieure à la cytologie
pour dépister les patientes ayant un CIN de haut grade. L'absence de
détection d'un PVH est associée à un faible risque d'avoir
ou de développer une lésion précancéreuse du col
et correspond à une valeur prédictive négative élevée.
Associé à une cytologie négative, elle permettrait d'espacer
l'intervalle de dépistage, améliorant le coût-efficacité
du dépistage du col. Plusieurs études sont en cours en Europe
et aux USA pour évaluer cet aspect. La valeur prédictive négative
de la virologie n'étant pas de 100%, cela signifie aussi qu'il existe
une faible proportion de lésions précancéreuses et de cancers
invasifs du col non détectés par la virologie. On ne sait pas
si de telles lésions témoignent d'une voie de carcinogenèse
non associée aux PVH ou de l'inadéquation des méthodes
actuellement utilisées pour détecter l'infection par certains
PVH.
La spécificité de la virologie est moins bonne que celle de la
cytologie. La détection d'un PVH ne signifie pas la présence d'une
lésion clinique, et d'autres examens seraient nécessaires pour
différencier les infections latentes des infections associées
à une lésion. La fréquence des infections latentes ou transitoires
est importante chez les femmes avant 35 ans. Dans le contexte d'un dépistage,
une approche virologique chez des femmes jeunes conduirait à examiner
un nombre important de femmes sans lésion décelable par la cytologie
ou la colposcopie. Chez les femmes plus âgées, la persistance d'une
infection par un PVH oncogène est un facteur de risque significatif d'avoir
ou de développer une lésion. Mais il n'existe pas de consensus
sur la prise en charge la plus adéquate pour le clinicien en cas de test
virologique positif et de cytologie négative : faire des frottis annuels,
répéter le test de détection d'un PVH pour évaluer
la persistance de l'infection ou faire d'emblée une colposcopie ?
Certains proposent également le dépistage virologique primaire
dans les pays en voie de développement quand il n'existe pas de dépistage
cytologique. Là aussi des études de coût-efficacité
sont nécessaires pour choisir la mise en place d'un dépistage
virologique ou cytologique et mettre en place le suivi et le traitement des
lésions associées.
En
conclusion, la détection et l'identification des PVH ont une place
dans la prise en charge des atypies malpighiennes mal définies. Des tests
de détection des PVH oncogènes encore plus performants sont en
cours d'évaluation. Il persiste cependant des inconnues, parmi lesquelles
le pourcentage réel de cancers invasifs du col utérin non associés
à un PVH et le rôle de la variabilité des PVH potentiellement
oncogènes dans la persistance et la progression des lésions précancéreuses.
Ces considérations doivent être prises en compte pour définir
les stratégies de dépistage du cancer du col utérin.
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Tableau
I - Terminologie cytologique de Bethesda réactualisée au cours
de la Conférence du National Cancer Institute (Bethesda, Avril 2001)
PAS
DE LÉSION INTRAEPITHELIALE OU DE MALIGNITE |
ANOMALIES
DES CELLULES ÉPITHÉLIALES |
Cellules
malpighiennes (squamous cells)
|
- Atypie
des cellules malpighiennes (atypical squamous cells)
- de signification indéterminée (ASC-US)
- ne permettant pas d'exclure une lésion intraépithéliale
de haut grade (ASC-H)
- Lésion
malpighienne intraépithéliale de bas grade (LSIL) comprenant
la koilocytose (effet cytopathogène des PVH), la dysplasie
légère et le CIN I.
- Lésion
malpighienne intraépithéliale de haut grade (HSIL) comprenant
la dysplasie modérée ou sévère, le carcinome
in situ et les CIN 2 ou 3.
- Carcinome
malpighien.
|
Cellules
glandulaires
|
-
Atypie
- des cellules endocervicales
- des cellules endométriales
- des cellules glandulaires (origine non spécifiée)
-
Atypie évoquant une néoplasie
-
Adénocarcinome endocervical in situ
-
Adénocarcinome (endocervical, endométrial, extra-utérin,
origine non précisée)
|
Tableau
II - Prise en charge des atypies des cellules malpighiennes mal définies
réactualisée au cours de la Conférence de Consensus du
National Cancer Institute et de l'American Society for Colposcopy and Cervical
Pathology (Bethesda, Septembre 2001)
ASC-H
: atypie des cellules malpighiennes ne permettant pas d'exclure une lésion
intraépithéliale de haut grade.
ASC-US
: atypie des cellules malpighiennes de signification indéterminée.
|