Comment surveiller une patiente après
traitement d'un cancer du sein ?
E. SEBBAN
Introduction
Faut il surveiller les patientes traiter pour
un cancer du sein ?
Y a t il un bénéfice en terme
de survie sans récidive ou de survie globale ?
Telles sont les questions qui se posent
actuellement aux praticiens qui ont à surveiller pendant de nombreuses années
les patientes traitées pour un cancer du sein.
Problématique posée
Sachant que la surveillance est lourde sur le
plan économique et psychologique, tout le problème est de savoir si dépister
au plus tôt les récidives loco régionales ou les métastases
apporte un bénéfice à la patiente et justifie les contraintes qu'elle
occasionne ainsi que les nombreux examens complémentaires de surveillance.
Mais la survie n'est pas le seul paramètre
de jugement : la qualité de vie est un critère tout aussi important.
De plus, les patientes sont très
demandeuses d'une surveillance qui leur permettra en cas de normalité de l'examen
de retrouver une quiétude psychologique et il sera aussi nécessaire de
leur faire comprendre que normalité de l'examen ne veut pas dire absence de
récidive.Objectifs de la surveillance
Les objectifs de la surveillance des cancers
du sein se justifient par leur évolution potentielle :
- 50 % des patientes récidiveront
dans les 10 ans, les 3/4 du temps sous forme métastatique et dans le quart
restant sous forme d'une récidive loco régionale
- la majorité de ces récidives
surviennent dans les 5 ans mais la rechute à long terme est possible, meme
après 10 ans.
Les patientes revendiquent une surveilllance
intensive en espérant un diagnostic anticipé, qui serait donc de meilleur
pronostic.
Les médecins doivent prendre en
compte :
- les bénéfices réellement
obtenus par cette surveillance
- son coût pour la société
- ses implications psychologiques
- les résultats à long
terme pour l'évaluation de l'efficacité thérapeutique
La surveillance est basée sur
:
- le dépistage
• dépistage précoce
de la récidive locale ou loco régionale
• dépistage précoce
d'un cancer contro latéral
• dépistage d'une récidive
métastatique
- l'évaluation des résultats
: qualité de vie, pronostic fonctionnel et esthétique
- la réinsertion :
• traitements des complications
iatrogènes et des séquelles liées aux différents traitements
• réinsertion socio professionnelle
et psychologique (2).
Moyens de surveillance
Surveillance loco régionale
Elle concerne le sein conservé ou la cicatrice
de mammectomie, le sein controlatéral et les aires ganglionnaires satellites.
Elle va surveiller les effets secondaires
des différents traitements ( chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie)
et va se concentrer sur la détection précoce de la récidive locale
afin d'augmenter les chance de guérison.
Nous ne traiterons pas ici de la surveillance
des complications des différents traitements.
Il est donc nécessaire de déterminer
auparavant les patientes à haut risque de récidive pour adapter cette
surveillance.
Nous ne ferons que citer les facteurs
influencant la récidive locale tels que le jeune age, la taille de la tumeur,
une éxérese non in sano ou limite (atteinte des berges d'éxérèse),
la présence d'embols tumoraux, une forte composante intra canalaire, le caractère
multifocal de la tumeur, le grading SBR, le nombre de ganglions envahis, des traitements
adjuvants inadaptés et certains facteurs biologiques que nous ne détaillerons
pas.
Facteurs prédictifs de récidive
locale :
Le diagnostic de récidive locale
sera évoqué sur des signes cliniques ou d'imagerie (mammographie, échographie
mammaire ...), en sachant que parfois, le diagnostic différenciel entre séquelles
thérapeutiques et récidive peut etre difficile à poser.
Surveillance clinique
Il faut bien surveiller l'aspect de la peau, à
la recherche de nodules de perméation, de déformation du volume mammaire,
d'apparition d'oedeme ou d'erythème, et bien évidemment d'une masse tumorale
intra mammaire.
Les aires ganglionnaires satellites,
axillaires, sus claviculaires ou mammaires internes doivent etre systématiquement
examinées.
Il faudra aussi surveiller de manière
attentive le sein controlatéral.
Surveillance radiologique
Les signes radiologiques peuvent confirmer une
suspicion clinique, dépister une récidive infra clinique, ou dépister
un cancer controlatéral.
Les mammographies comparatives sont
à la base de cette surveillance, couplée avec l'échographie mammaire,
à la recherche de l'apparition de novo d'une opacité, de microcalcifications,
d'une distorsion architecturale ... en sachant que l'irradiation peut en rendre
la lecture difficile.
La suspicion de récidive locale
se fait dans 50 % des cas par l'examen clinique, dans 30 % des cas par mammographie
seule et dans 20 % des cas par association des 2 (3).
L'echographie mammaire ne doit plus
etre un examen de deuxième intention mais doit etre couplée à la
mammographie.
L'IRM avec injection de gadolinium
prend de plus en plus d'importance dans le dépistage et le diagnostic des récidives,
car elle permet une bonne différenciation entre récidive et séquelle
thérapeutique (4).
Pour faire la preuve de la récidive,
tous ces examens doivent etre complétés par une cytoponction, une microbiopsie
ou une biopsie chirurgicale.
La surveillance clinique devra donc
comporter un premier examen à 4 mois, qui devra etre renouvelé tous les
6 mois pendant 5 ans puis tous les ans, avec une surveillance poursuivie au dela
de 10 ans.
Une mammographie annuelle sera prescrite,
avec la première à 6 mois du traitement.
La prise en charge de la récidive
locale, apres traitement conservateur ou mutilant ne sera pas traitée dans
cet article.
Surveillance générale
Depuis 1994, comme nous le verrons plus loin,
2 essais randomisés italiens sont venus semer le doute quant à l'interet
du diagnostic précoce d'une métastase avec instauration d'un traitement
précoce (5, 6).
Ces 2 essais ne retrouvent pas de difference
en terme de survie sans rechute, avec une survie globale identique.
Le diagnostic précoce de la rechute
métastatique et la mise en place d'un traitement précoce ne semble pas
modifier la survie.
Néammoins, une surveillance sera
proposée, clinique, biologique et radiologique.
Métastases osseuses
Le seul examen osseux de dépistage préconisé
est la scintigraphie osseuse, car les hyperfixations pathologiques sont plus précoces
que les anomalies radiologiques.
Toute hyperfixation suspecte devra
etre explorée par des radio centrées.
Un scanner ou une IRM pourra compléter
utilement le diagnostic, en cas de doute.Métastases pulmonaires
Les métastases pleuro pulmonaires sont
le plus souvent symptomatiques et le diagnostic sera alors clinique.
La pratique d'une radiographie thoracique
régulière dans le dépistage de métastases pleuro pulmonaires
est fortement remise en cause.
Métastases hépatiques
Elles peuvent etre suspectées devant
une anomalie du bilan biologique hépatique.
L'examen de référence reste
l'échographie abdominale avec en cas de suspicion prescription d'une IRM hépatique.
Métastases cérébrales
La rareté des métastases cérébrales
ne justifie pas leur recherche systématique.
Les examens spécialisés ne
seront demandés qu'en cas d'apparition de signes d'appel neurologiques.
Bilan biologique
Il s'agit essenciellement du bilan hépatique
(phosphatases alcalines, SGOT, gamma GT) qui peut etre un paramètre utile de
dépistage des métastases osseuses et hépatiques.
Marqueurs tumoraux : CA 15.3 (1)
Le CA 15.3 est le marqueur le plus sensible
et le plus spécifique de surveillance du cancer du sein.
La surveillance a-t-elle un intérêt démontré
?
De nombreuses études rétrospectives
ont été publiées à ce sujet.
Pour répondre à cette question,
nous nous servirons de 2 essais randomisés publiés en 1994 (5, 6) qui
se sont essayés à démontrer si le suivi intensif avait un intérêt.
L'étude du GIVIO (6) portait sur
1320 patientes traitées pour un cancer du sein non métastatique. Les patientes
étaient randomisées en 2 groupes, un groupe surveillance standard et l'autre
surveillance intensive, la différence entre les 2 étant que dans le groupe
suivi intensif, un bilan biologique (hépatique), une radiographie pulmonaire,
une scintigraphie osseuse et une échographie abdominale était effectuée
tous les 6 mois en plus de l'examen clinique standard proposé aux 2 groupes.
Cette surveillance a duré 5 ans.
Les résultats montrent l'absence
de différence significative entre les 2 groupes en terme de survie sans récidive,
de meme que la survie globale.
L'étude de DELTURCO (5) portait
elle sur 1243 patientes. La randomisation proposée était sensiblement
identique à l'étude précédente.
La survie sans récidive s'est
avérée etre moins bonne dans le groupe suivi intensif du fait d'une détection
plus précoce des récidives, mais la survie globale reste identique.
Il semble donc que le role essenciel
du suivi sera de détecter les atteintes dites curables, telles que les récidives
loco régionales et les cancers du sein controlatéraux, alors que la détection
des métastases a un intérêt limité, compte tenu de leur mauvais
pronostic.
Schéma de surveillance proposé
Conclusion
L'objectif de la surveillance du sein traité
est de faire le plus rapidement possible le diagnostic d'une récidive loco
régionale potentiellement curable.
Le suivi repose sur l'examen clinique
et la mammographie qui permettront de diagnostiquer la majorité des récidives.
Le dépistage des métastases,
meme si son interet en terme de survie n'est pas démontré, sera néammoins
proposé, permettant de prévenir des complications invalidantes en faisant
le diagnostic plus précoce des métastases (fractures pathologiques, compressions
médullaires ...).
La surveillance aura aussi comme fonction
de dépister les complications iatrogènes ainsi que les cancers contro
latéraux ou ceux de la sphère gynécologique (cancer de l'endomètre
sous tamoxifène).
Bibliographie
[1] GION M, MIONE R, NASCIMBEND
et al. The tumor associated antigen CA 15.3 in primary breast cancer. Evaluated
of 667 cases. Br. J. Cancer 1991, 63, 809-813.
[2] DILHUYDY JM. Preparer
tot la reinsertion. In : PUJOL H, SCHRAUB S, SERIN D eds.Les enjeux de la prise
en charge des maladies du cancer. Paris, Flammarion, 1997, 97-100.
[3] DERSCHAW DD, MAC
CORMICK B, OSBORNE MP. Detection of local recurrence after conservative therapy
for breast carcinoma. Cancer 1992, 70, 493-496.
[4] GILLES R, GUINEBRETIERE
JM, SHAPEERO LG et al. Assessement of breast cancer recurrence with contrast-enhanced
subtraction MR imaging : preliminary results in 26 patients. Radiology 1993,
188, 473-478.
[5] DEL TURCO MR,
PALLI D, CARRIDI A et al. Intensive diagnostic follow up after treatment of primary
breast cancer. : a randomised trial. JAMA 1994, 271, 1593-1597.
[6] GIVIO. Impact
of follow up testing on survival and health-related quality of life in breast cancer
patients. A mulicenter randomised controlled trial. The GIVIO Investigators (Comment
in : ACP J Club 1994; 121, 76-77). JAMA 1994, 271, 1587-1592.
COMMENT
SURVEILLER UNE PATIENTE APRèS TRAITEMENT
D'UN CANCER DU SEIN ? 131
132 E.
SEBBAN VALEUR
PRONOSTIQUE
PARAMETRES CLINIQUES
Jeune âge < 35 ans +++
Patiente non ménopausée ++
Volume tumoral +
PARAMETRES HISTOLOGIQUES
Grade SBR +++
Embols vasculaires ++
Exérèse non in sano ++
Importante composante intracanalaire +
Taille tumorale +
Traitement adjuvant inadapté +++
COMMENT
SURVEILLER UNE PATIENTE APRèS TRAITEMENT
D'UN CANCER DU SEIN ? 133
134 E.
SEBBAN COMMENT
SURVEILLER UNE PATIENTE APRèS TRAITEMENT
D'UN CANCER DU SEIN ? 135
Bilan post thérapeutique Suivi
Examen clinique + A 4 mois tous
les 6 mois pendant 5 ans puis 1 fois par
an
Biologie (marqueurs, bilan hépatique) + Identique
à l'examen
Echographie hépatique + 1
fois par an
Radiographie pulmonaire + 1
fois par an
Scintigraphie osseuse + si patiente N+ Si
symptômes
Scanner cérébral NON Si
symptômes 136 E.
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D'UN CANCER DU SEIN ? 137 |