DPI et choix du sexe
ANDRé VAN STEIRTEGHEM*
Introduction
La mise en pratique des techniques de reproduction
médicalement assistée s'accompagne de nombreux problèmes éthiques.
Parmi ceux-ci, nous pouvons mentionner la recherche sur l'embryon, la prévention
ou la réduction des grossesses multiples, le DPI avec typage HLA et le DPI
pour choix du sexe pour raison familiale. Dans cette communication, nous nous attachons
brièvement aux problèmes éthiques et à la pratique actuelle
en matière de sélection du sexe pour raison sociale.
Réflexions éthiques sur la sélection
du sexe
pour raisons non médicales par DPI
La sélection du sexe pour raison non médicale
est considérée comme inacceptable pour une grande partie de la population.
Dans de nombreux pays, des textes de loi sont en préparation ou sont déjà
en application, visant à interdire une telle pratique. Dans la loi belge sur
la protection de l'embryon humain in vitro (ratifiée en mai 2003), et
qui est plutôt libérale, les deux pratiques clairement interdites sont
le clonage reproductif et la sélection du sexe pour raison non médicale.
Le Conseil de l'Europe s'est prononcé dans l'article 14 de la Convention
sur les Droits Humains et la Biomédecine : l'usage des techniques de reproduction
médicalement assistée ne sera pas autorisé pour choisir le sexe d'un
futur enfant, sauf lorsqu'il s'agit d'éviter la survenue d'une maladie héréditaire
grave, liée au sexe [1]. Néanmoins, la discussion a refait surface au
cours des années récentes, suite au développement de techniques de
séparation cytométriques des spermatozoïdes X ou Y. La cytométrie
de flux est la première technique préconceptionelle ayant prouvé
son efficacité, bien que la sélection du sexe féminin soit significativement
plus efficace que la sélection du sexe masculin [2]. Des recherches complémentaires
sont nécessaires pour démontrer l'innocuité de la méthode [3].
Le second développement est l'usage du DPI pour sélection du sexe pour
raisons sociales. Dans le rapport présenté par le Consortium DPI de l'ESHRE
de 2001, apparaissent pour la première fois des données provenant de trois
cliniques, concernant la sélection du sexe d'embryons préimplantatoires,
pour raison non-médicale [4]. L'utilisation du DPI dans un tel but, a provoqué
l'indignation de plusieurs membres du Consortium, qui étaient même opposés
à la publication de ces résultats [5]. Le Comité Ethique de l'ASRM
(American Society of Reproductive Medicine) a également discuté ce type
d'indication et a conclu que l'utilisation du DPI dans un tel contexte devrait être
découragée [6]. Lorsque la PMA est utilisée sur indication médicale,
la combinaison avec un DPI pour sélection du sexe sans motif médical devrait
être également découragée. Alors que ce Comité d'Éthique
considère le choix du sexe pour raison non médicale avec beaucoup de prudence
en général, il insiste spécifiquement sur les traitements médicaux
non nécessaires, les coûts très importants pour les futurs parents,
et l'utilisation inappropriée de ressources médicales. Le Président
du Comité d'Éthique a également présenté le statut
de l'embryon comme raison essentielle pour ne pas accepter la sélection du
sexe pour raison sociale. La création et la destruction d'embryons dans
ce seul but est en conflit avec le respect particulier dû aux ovocytes fécondés
et aux embryons préimplantatoires. Ce statut particulier du fœtus a également
été avancé dans le débat sur l'acceptabilité du diagnostic
prénatal, éventuellement suivi d'une interruption de grossesse, utilisée
comme moyen de sélection du sexe pour raison sociale. Pour d'autres, le statut
moral de moindre valeur des embryons préimplantatoires ainsi que l'absence
d'avortement, sont suffisants pour justifier l'usage du DPI dans certaines
circonstances [7]. Pour les partisans de la sélection du sexe pour raison
sociale, l'argument qu'il est déraisonnable d'utiliser la PMA combinée
au DPI uniquement en vue de choisir le sexe de l'enfant, relève du paternalisme
médical. Le grand avantage du DPI en comparaison avec les autres techniques
préconceptionnelles est sa grande fiabilité [8, 9]. Cependant, le DPI
soufre nécessairement de tous les désavantages de la PMA elle-même,
à savoir son coût, ses aspects invasifs, et ses chances de succès
limité (taux d'enfants vivants). La faible disponibilité de la technique
préserverait indirectement de la plupart des conséquences sociales redoutées
en cas d'application à grande échelle, comme par exemple une modification
du sexe « ratio », ou une modification du statut de la femme. Pour certains,
la crainte que l'usage de DPI dans ce but, pourrait discréditer cette technologie
globalement, constitue un argument majeur contre la sélection du sexe pour
raison sociale. Pour d'autres, la raison principale de ne pas admettre cette indication,
est qu'elle créerait un précédent pour une application eugénique
positive comme la sélection de phénotype (intelligent ou athlétique).
Un tel danger n'implique pas nécessairement le rejet catégorique de la
sélection du sexe pour raison sociale, mais nous incite à postposer cette
indication jusqu'à ce que les implications et les conséquences possibles
en aient étaient étudiées de manière approfondie [10]. Cependant,
pour les partisans de la sélection du sexe, ce type d'argument de « la
pente glissante » qui fait également référence aux « bébés
sur commande » semble exagéré ou non valable [7]. Un argument avancé
par les opposants à l'usage de cette technique médicale (même s'il
s'agit de sélection de spermatozoïdes en vue de DPI), est que ces méthodes
sont coûteuses et uniquement accessibles aux couples à haut pouvoir financier.
Cet accès limité violerait le principe d'égalité. Un système
de santé équitable implique simplement un accès universel et égal
à « un niveau adéquat » ou « un minimum décent »
de soins de santé. Dans la mesure où la majorité du public considère
la sélection du sexe pour raison non médicale comme un soin de santé
électif, elle ne devrait pas faire partie d'un système de santé normal
et ne devrait pas être remboursée. Ceci éviterait une discrimination
envers les couples qui sont incapables de payer un tel traitement élitiste.
Permettre l'application n'implique pas de le subsidier [7].
Au cours des 10 dernières années,
une tendance croissante à accepter l'idée de la sélection du sexe
pour équilibrer la famille s'est dessinée. Le concept d'équilibrage
de la famille paraît plus cohérent et restreint l'application de la sélection
du sexe. Bien qu'il ne représente pas une solution parfaite pour chacun
des problèmes posés, il apporte une réponse aux problèmes de
l'ordre de naissance, de la modification du sexe « ratio » et à l'objection
sexiste [11]. Le problème de l'ordre de naissance concerne l'injuste avantage
des premiers nés comparés aux enfants qui naissent ultérieurement,
et le lien entre le sexe et les caractéristiques de personnalité propres
au premier né. Bien que cette préoccupation soit largement spéculative,
un effet de ce type ne peut se produire, puisque l'équilibrage de la famille
ne permet pas la sélection du sexe du premier enfant. Puisque le concept implique
que seul le sexe sous-représenté dans la famille peut être choisi,
une modification du sexe « ratio » dans la société est tout
à fait improbable (même si la technologie rencontrait un nombre important
de demandes). Finalement, le concept d'équilibrage de la famille implique que
les parents ne choisissent pas pour ou contre un certain sexe, mais choisissent
simplement pour l'autre. Bien que les motivations sexistes éventuelles des
parents ne soient pas exclues, cette éventualité est minimisée par
le système. Même les opposants à la sélection du sexe ont conclu
qu'il n'y avait pas de lien intrinsèque entre sexisme et le désir d'une
famille équilibrée pour le sexe des enfants. Cependant, il n'existe pas
de consensus parmi ceux qui acceptent le « sexing » compte tenu de ces
restrictions, pour ce qui concerne la méthode utilisée pour atteindre
le but souhaité. Un compromis serait d'accepter la sélection du sexe pour
l'équilibrage familial par DPI lorsque celui-ci est nécessaire dans un
contexte médical [12]. Cette solution répond à l'exigence de rationalisation
des soins de santé, en ne gaspillant pas une technologie coûteuse. Il
est clair que, étant donné le devoir moral des médecins à donner
priorité aux soins de santé nécessaires plutôt qu'aux traitements
électifs de moindre importance, l'usage du DPI pour sexing social ne devrait
pas désavantager les patients pour qui la technologie est nécessaire en
vue de prévenir la survenue d'une maladie génétique.
Il est cependant important de garder
à l'esprit que la distinction médicale/non médicale est assez grossière.
Deux catégories intermédiaires devraient être prises en considération.
Premièrement, certains cas apparaissant en pratique clinique relèvent
d'indications mixtes. Le typage HLA afin d'obtenir une lignée souche hématopoïétique
en vue de transplantation constitue une illustration de cette catégorie. Un
autre exemple est la sélection d'embryons de sexe masculin dans le cas où
le partenaire est porteur d'une affection liée au chromosome X comme dans l'hémophilie
A. Dans ce cas, les fils ne seront pas porteurs du gène affecté, alors
que toutes les filles le seraient. La sélection d'embryons masculins, non porteurs,
constitue une indication mixte : d'un côté, il n'y a pas de raison de
pratiquer un DPI puisque les filles porteuses sont saines, par contre, les futurs
parents pourraient préférer des garçons, les filles étant à
nouveau à haut risque d'avoir elles-mêmes des enfants de sexe mâle,
affectés. Ceci implique des décisions reproductives complexes. Deuxièmement,
une indication médicale pour la sélection du sexe n'est pas nécessairement
une justification suffisante. Une maladie comme la spondylite ankylosante touche
surtout les garçons et les symptômes sont généralement plus
sévères chez les garçons que chez les filles. La question de savoir
si cette différence de pénétrance et d'expression du gène entre
les sexes justifie une sélection du sexe sera inévitablement posée
dans le futur.
Rapport sur la pratique du DPI
pour sélection du sexe sur indication non-médicale
Comme mentionné ci dessus, le rapport du
Consortium DPI ESHRE publié en 2002 [4], mentionne que le DPI a été
utilisé pour sélectionner le sexe sur indication sociale. Les centres
pratiquant cette technique utilisent essentiellement la technique du FISH pour le
diagnostic. L'âge moyen des femmes était de 33 ans. Un total de 93 cycles
ayant conduit à un recueil d'ovocytes est rapporté, le nombre moyen d'ovocytes
est 12,7, la FIV a été utilisée dans 77 % des cycles. Les embryons
ont été biopsiés en utilisant la technique du laser dans 88 %
des cas et tous les embryons ont été testés au stade 8 cellules.
Parmi les 91 % d'embryons biopsiés avec succès, un diagnostic a pu être
posé dans 88 % des cas. Le taux de transfert d'embryons était de 78 %
et le taux de grossesse clinique de 30 % par prélèvement d'ovocytes. Une
moyenne de deux embryons avait été transférée. Ce taux de grossesse
est élevé (28 %) en comparaison des taux de grossesses obtenus dans d'autres
indications de DPI. Aucune information n'était disponible concernant le sexe
sélectionné.
Les résultats de DPI pour sexing
social [13] dans le dernier rapport du Consortium révèlent que l'âge
moyen des patientes était de 36,6 ans ; 84 cycles avec prélèvement
d'ovocytes sont rapportés avec une moyenne de 13,1 ovocytes par recueil.
Un diagnostic était établi dans 97 % des embryons biopsiés avec succès
et un transfert avait pu être effectué dans 69 % des prélèvements
d'ovocytes, une moyenne de 2,7 embryons étant transférée. Le taux
de grossesse est inférieur de 10 % en comparaison de celui rapporté dans
la première série et est comparable au taux de grossesse après DPI
dans d'autres indications. Seuls 89 cycles ont été analysés et seuls
deux centres sont impliqués. Il est difficile de tirer des conclusions de ces
données. Aucune information n'est fournie concernant le sexe choisi.
Un rapport concernant l'utilisation
du DPI en vue de sélection du sexe pour équilibrage familial en Inde a
été rapporté [9]. Il existe dans ce pays, une préférence
à l'égard des garçons, qui s'inscrit dans un contexte culturel. Tous
les couples d'origine indienne désirent un enfant de sexe mâle. Un total
de 42 cycles de DPI avait été effectué. Tous les couples avaient
au moins déjà une fille. De nombreux couples avaient précédemment
déjà utilisé la détermination du sexe par diagnostic anténatal,
suivi d'une interruption des grossesses de sexe féminin, bien que cette pratique
soit illégale en Inde depuis 1996.
Les résultats étaient les
suivants. Un total de 696 complexes cumulus ovocytes (COC) avaient étés
obtenus au cours de 42 cycles de traitement (36 couples). Dans deux cycles, la donation
d'ovocytes avait été utilisée, et dans un cycle, des embryons décongelés.
Un cycle avait du être annulé en raison d'un échec de fécondation.
Un total de 443 embryons fécondés (2PN) avaient été obtenus
et une biopsie d'embryons avait été effectuée sur 380 embryons, dont
373 avec succès (98,2 %). Une information par FISH avait été obtenue
sur 307 embryons (82,3 %) dont 131 (42,5 %) avaient été diagnostiqués
XY et 111 (36,21 %) XX. Le génotype aneuploïde le plus souvent identifié
était une monosomie X, dans 26 embryons (8 %), suivi par XXY dans 14 (4,5 %)
embryons. Sur un total de 106 embryons transférés, 16 grossesses biochimiques
et 14 grossesses cliniques (présence d'une activité cardiaque) avaient
été obtenues. Parmi celles-ci, jusqu'à présent, six avaient
mené à un accouchement et il y avait eu 9 naissances vivantes (3 enfants
uniques et 3 paires de jumeaux). Le sexe était confirmé à la naissance
par examen clinique de l'enfant, et les 9 bébés nés étaient
des garçons. Parmi les grossesses évolutives, 3 étaient des grossesses
uniques et les autres des grossesses gémellaires. Deux patientes ont présenté
une grossesse non évolutive du premier trimestre (œufs clairs). Le taux de
grossesse était de 35,8 % (14/39) et le taux d'implantation (nombre de fœtus
avec activité cardiaque) par nombre d'embryons transférés était
de 19,8 % (21/106).
Bibliographie
[1] Council of Europe (1996)
Convention for the protection of human rights and dignity of the human being with
regard to the application of biology and medicine. Convention of Human Rights and
Biomedicine. Council of Europe, Strasbourg.
[2] Fugger EF, Black
SH, Keyvanfar K, Schulman JD (1998) : Birth of normal daughters after MicroSort
sperm separation and intrauterine insemination, in-vitro fertilization, or intracytoplasmic
sperm injection. Hum Reprod 13, 2367-2370.
[3] Ethics Committee
of the American Society for Reproductive Medicine (2001) : Preconception gender
selection for nonmedical reasons. Fertil Steril 75, 861-864.
[4] ESHRE PGD Consortium
Steering Committee (2001) : ESHRE Preimplantation Genetic Diagnosis Consortium :
data collection III (May 2001). Hum Reprod 17, 233-246.
[5] Ray PF, Munnich
A, Nisand I, Frydman R, Vekemans M, Viville S : French GET-DPI (2002) The place
of 'social sexing' in medicine and science (Letter) Hum Reprod 17, 248-249.
[6] Ethics Committee
of the American Society for Reproductive Medicine (1999) : Sex selection and preimplantation
genetic diagnosis. Fertil Steril 72, 595-598.
[7] Pembrey M (2002)
: Social sex selection by preimplantation genetic diagnosis. Reprod Biomed 4, 157-159.
[8] Malpani A and
Malpani A (2002) : Preimplantation genetic diagnosis for gender selection for family
balancing : a view from India. Reprod Biomed 4, 7-9.
[9] Malpani A and
Malpani A (2002) : The use of preimplantation genetic diagnosis in sex selection
for family balancing in India. Reprod Biomed 4, 16-20.
[10] DeWert G. (2002)
: Ethics of assisted reproduction. In Fauser, B.C.J.M. (ed), Reproductive Medicine
: Molecular, Cellular and Genetic Fundamentals, Parthenon Publishing, Boca Raton,
pp. 645-665.
[11] Pennings G. (1996)
: Family balancing as a morally acceptable application of sex selection. Hum Reprod
11, 2339-2343.
[12] Health Council
of the Netherlands : Standing Committee for Medical Ethics and Health Law (1995)
: Sex selection for Non-medical Reasons. Health Council of the Netherlands. The
Hague.
[13] Sermon K, Moutou
C, Harper J, Geraedts J, Scriven P, Wilton L, Magli MC, Michiels A, Viville S, and
C. Die C : ESHRE PGD Consortium data collection IV: May-December 2001. Hum Reprod,
in press.
* Centre de Médecine
de la Reproduction. Centre de Recherche Reproduction et Génétique. Université
Libre de Bruxelles Néerlandophone (Vrije Universiteit Brussel - VUB).
DPI ET CHOIX DU
SEXE 137
138 ANDRé
VAN STEIRTEGHEM DPI
ET CHOIX DU SEXE 139
140 ANDRé
VAN STEIRTEGHEM DPI
ET CHOIX DU SEXE 141 |