Le nombre d'embryons transférés
et le taux de grossesse : l'expérience belge
ANDRé VAN STEIRTEGHEM*
Introduction
Les grossesses multiples associées au traitement
d'infertilité sont aujourd'hui reconnues comme une complication et sont responsables
de morbidité et de mortalité liées à la prématurité
et au petit poids de naissance des enfants. La véritable épidémie
de grossesses multiples iatrogènes a été la cause d'une incidence
accrue de morbidité et de mortalité maternelle, périnatale et de
la petite enfance. Ceci entraîne une augmentation des dépenses de santé
publique liées au traitement d'infertilité et a des répercussions
sociales et politiques. La réduction du nombre d'embryons transférés
et/ou l'utilisation du cycle naturel en FIV aura une incidence certaine sur la diminution
de ces grossesses multiples. L'optimalisation des programmes de cryopréservation
jouera également un rôle essentiel. Les stimulations hormonales hors FIV,
sont responsables de plus du tiers de toutes les grossesses multiples après
traitement d'infertilité : des protocoles stricts de stimulation ovarienne,
ayant pour but une mono-ovulation, sont indispensables. La technique de réduction
des grossesses multiples représente une solution secondaire efficace pour les
grossesses multiples de haut rang, mais elles ne sont pas dénuées de risque
médical et sont accompagnées de complications émotionnelles. Des
banques données de bonne qualité concernant tous les traitements d'infertilité
sont nécessaires pour aborder une discussion avec les décideurs politiques.
Le projet belge, dans lequel le remboursement des procédures de laboratoire
de la reproduction médicalement assistée est lié à la politique
de transfert d'embryons, vise à obtenir une réduction substantielle des
grossesses multiples. Ce projet constitue un bon exemple de politique de santé
rationnelle responsable en termes de coût-efficacité et de bonne pratique
clinique.
Taux des grossesses multiples en Belgique
Les données du Centre d'Étude d'Épidémiologie
Périnatale de Flandre indiquent qu'entre 1993 et 2002, les traitements d'infertilité
s'accompagnant de stimulation ovarienne, incluant les protocoles FIV et non-FIV
ont étés responsables de 4,6 % de tous les accouchements enregistrés
(26.656/547.197). Les grossesses multiples résultant d'un traitement de fertilité
ont été observées dans 1,54 % de tous les accouchements (n = 8895).
De tous les enfants uniques, les jumeaux ou les triplés, respectivement 3,2
%, 38,1 % et 79,6 % résultaient de stimulation hormonale. De toutes les grossesses
multiples, après stimulation ovarienne, la FIV/ICSI avait été utilisée
dans 66,7 %, la stimulation ovarienne contrôlée avec rapports programmés
dans 23,7 % et la stimulation ovarienne contrôlée avec insémination
intra-utérine dans 9,7 % des cas. Les taux de grossesses multiples après
les différents traitements était 27,2 % en FIV, 25,7 % en ICSI, 13,7 %
en stimulation ovarienne contrôlée avec insémination intra-utérine
et 9,7 % après stimulation ovarienne contrôlée et rapports programmés
[1].
Enregistrement de l'activité FIV et non-FIV
en Belgique
La FIV a démarré en Belgique en 1983,
et depuis 1991 une immense majorité des cycles FIV et ICSI ont été
enregistrés dans un Registre Belge de Procréation Assistée (Belgian
Register for Assisted Procreation - BELRAP). Cet enregistrement a été
effectué sur base volontaire mais la grande majorité des centres FIV ont
répondu à cet appel. En 1999, un décret royal fut publié précisant
les critères de reconnaissance des centres agréés de soins en médecine
de la reproduction. Il existe deux types des centres. Dans les centres de type A,
le traitement s'arrête à la ponction d'ovocytes. Le reste de la procédure
de PMA peut être effectué dans un centre B, au sein duquel un laboratoire
spécifique de PMA doit exister. Il existe actuellement en Belgique 18 centres
de PMA de type B, où l'entièreté du traitement peut être effectué.
Un des critères de reconnaissance exigés par le décret royal est
que tous les cycles doivent être enregistrés « on-line ». Ceci
signifie que dès qu'un couple commence une stimulation ovarienne, un numéro
de cycle doit être généré via Internet pour ce cycle et que
toutes les données qui suivront, jusqu'à la naissance de l'enfant, doivent
être enregistrées. Dans ce même décret Royal, la responsabilité
de l'enregistrement des données des cycles PMA est confiée à un Comité
de pairs : le Collège de Médecins en Reproduction Humaine. Il existe différents
Collèges de Médecine en Belgique : cardiologie, médecine néonatale,
gériatrie, soins intensifs, radiothérapie, ... Le but d'un Collège
est l'utilisation d'une surveillance par les pairs, visant à accroître
la qualité des soins dans différentes disciplines médicales. Dès
le début de son activité, le Collège des Médecins de la Reproduction
a choisi des domaines d'actions visant à améliorer la qualité des
soins en reproduction : 1) réduire le taux de grossesses multiples, y compris
celui des jumeaux, 2) tenter d'uniformiser le plus possible les résultats obtenus
dans les 18 différents centres. Pendant plusieurs années, la situation
en Belgique concernant la PMA a été assez constante : un taux d'accouchement
d'environ 20 % par cycle, un taux de grossesse multiple d'environ 25 % de jumeaux
et un petit pourcentage de grossesses triples. Environ 8 000 cycles de traitements
sont effectués en Belgique chez des patients bénéficiant de la Sécurité
Sociale Belge (Figure 1-3).
Figure 1 : Pourcentage de grossesses
cliniques et d'accouchements
Figure 2 : Nombre d'embryons transférés
Figure
3 : Grossesses multiples
Afin de s'attaquer à diminution
du taux des grossesses multiples, une réunion de consensus a été
organisée par le Collège de Médecine en reproduction humaine de manière
à discuter la situation actuelle en terme de grossesses multiples en Belgique,
après PMA. Le but était également d'entendre l'avis d'experts étrangers
sur ce problème et de comparer les stratégies qui avaient été
mises en place dans certains pays. Il va de soi que le facteur principal influençant
la survenue des grossesses multiples est le nombre d'embryons transférés.
Si nous avons la volonté d'éviter les grossesses multiples y compris
les grossesses gémellaires, un seul embryon doit être transféré.
Il est également évident que le risque de grossesse multiple après
transfert de plus d'un embryon, est particulièrement élevé chez les
patientes les plus jeunes, celles âgées de moins de 37 ans, au cours de
leur premier ou de leur second cycle de traitement. Afin de rendre la PMA accessible
aux patients belges, en compensant par une réduction probable de grossesses
multiple en transférant moins d'embryons, une discussion fut entamée avec
les autorités sanitaires. À cette époque, différents postes
de la PMA étaient déjà remboursés en Belgique, mais la procédure
spécifique en laboratoire ne l'était pas. Tous les centres belges demandaient
aux patients de débourser une certaine somme par cycle de traitement d'environ
1000 . Les négociations avec les autorités sanitaires furent basées
sur certaines données existantes concernant l'occurrence des grossesses multiples,
leurs coûts immédiats et les coûts à distance, liés aux
soins des enfants prématurés, lesquels soins peuvent se prolonger
dans le temps, en raison de divers handicaps. Finalement, dans les discussions
avec les autorités, le Collège, après consultation de tous les centres
de PMA, ainsi que la Société Belge de la Médecine de la Reproduction
(BSRM), proposa d'adapter la politique de transfert d'embryon de manière à
réduire de moitié le taux des grossesses gémellaires et d'éviter
totalement la survenue de triplés ou de grossesses de plus haut rang. La stratégie
proposée aux autorités sanitaires fut la suivante : les patients belges
bénéficiant de la Sécurité Sociale ont le droit au remboursement
d'un total maximum de 6 cycles de PMA, jusqu'à l'âge de maximum 42 ans.
Pour les patientes âgées de moins de 35 ans, un transfert d'embryon unique
doit être effectué lors du premier et du second cycles ; au cours du second
cycle, un second embryon peut éventuellement être transféré
si la qualité morphologique du premier n'est pas suffisante. Du troisième
au sixième essai, un maximum de deux embryons peuvent être transférés.
Chez les patientes âgées de plus de 36 ans et de moins de 40 ans, au cours
du premier et second essais, un maximum de deux embryons peuvent être transférés
et du troisième au sixième essai, un maximum de trois embryons. Chez les
patientes âgées de plus de 40 ans, il n'y a pas de limite au nombre d'embryons
transférés. Au cours des cycles de replacements d'embryons congelés
- décongelés, seuls deux embryons peuvent être transférés
à la fois. Cette politique de remboursement fut mise en uvre en juillet 2003.
Les premières données sur les effets de la limitation du nombre d'embryons
pour tous les centres en Belgique seront seulement disponibles lorsque le rapport
complet des cycles de traitement et des accouchements de 2003 sera disponible. Ces
données sont attendues pour la fin de cette année. Les données préliminaires
de notre propre expérience concernant l'incidence des grossesses multiples
dans différentes catégories d'âges avant et après juillet 2003
sont présentées dans la table.
Données
préliminaires AZ-VUB
I. Période de référence mars
2002 à juin 2003
744 grossesses (HCG +)
Grossesses cliniques
Âge |
˙HCG+ |
˙Total |
˙(%) |
˙ |
˙Nombre de sacs ftaux
(%) |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙1 |
˙2 |
˙ 3 |
˙£ 35 |
˙540 |
˙456 |
˙(84,5) |
˙317 (69,5) |
˙133 (29,2) |
˙6 (1,3) |
˙36-39 |
˙167 |
˙134 |
˙(80,2) |
˙88 (65,7) |
˙44 (32,8) |
˙6 (3,6) |
˙40-42 |
˙30 |
˙24 |
˙(80) |
˙14 (58,3) |
˙7 (29,2) |
˙3 (12,5) |
˙> 42 |
˙4 |
˙3 |
˙ |
˙3 |
˙ |
˙ |
˙Pas de suivi |
˙3 |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
II. Période entre juillet 2003 et septembre 2004
895 grossesses (HCG +)
Grossesses cliniques
Âge |
˙HCG+ |
˙Total |
˙(%) |
˙ |
˙Nombre de sacs ftaux
(%) |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙1 |
˙2 |
˙ 3 |
˙£ 35 |
˙638 |
˙544 |
˙(85,3) |
˙487 (89,5) |
˙56 (10,3) |
˙1 |
˙36-39 |
˙173 |
˙147 |
˙(85,0) |
˙115 (78,2) |
˙32 (21,8) |
˙- |
˙40-42 |
˙62 |
˙54 |
˙(87,1) |
˙40 (74,1) |
˙13 (24,1) |
˙1 |
˙> 42 |
˙20 |
˙312 |
˙(60,0) |
˙7 (58,3) |
˙4 (33,3) |
˙1 |
La période de référence concerne
mars 2002 à juin 2003. La période d'étude concerne juin 2003 à
septembre 2004. Les données sont analysées pour 4 catégories d'âge
: 35 ans ou moins, 36-39, 40-42 et plus âgées que 42. Pour chacune de
ces catégories, le nombre d'HCG positifs et le pourcentage de grossesses cliniques
(au moins un sac gestationnel à l'échographie) sont fournis. Il n'y a
pas de différence majeure dans le pourcentage de grossesses cliniques au cours
de la période de référence et la période d'étude : 80 à
85 %. Ce qui est par contre évident, c'est que dans la catégorie d'âge
de moins de 36 ans, lorsqu'au cours des deux premiers cycles un seul embryon est
transféré, le pourcentage de grossesses cliniques uniques augmente de
69,5 % à 89,5 % et le pourcentage de grossesses gémellaires diminue de
29,2 % à 10,3 %. De plus, un seul triplé a été observé
au cours de la période d'étude contre 6 au cours de la période référence.
Pour les deux autres catégories d'âge, (36-39 et 40-42) la diminution
du taux de grossesse gémellaire est certainement moins évidente. Ceci
nous encourage à analyser les données de manière plus détaillée
dans le futur afin de voir si le transfert d'embryon unique a également sa
place dans cette catégorie d'âge, en particulier chez les patientes âgées
de moins de 38 ans.
Conclusion
Les grossesses multiples sont actuellement reconnues
comme complication majeure des traitements d'infertilité. La morbidité
et la mortalité maternelle et périnatale sont significativement plus élevées
que dans les grossesses uniques. À notre époque, où les coûts
des soins de santé sont de plus en plus pris en considération, des banques
de données de bonne qualité sont essentielles pour entamer la discussion
avec les décideurs politiques. La réduction du nombre d'embryons transférés
en PMA, ainsi qu'une approche prudente des stimulations ovariennes non-FIV devraient
finalement résulter en une plus grande proportion de grossesses uniques, moins
compliquées et donc moins coûteuses : le but final du traitement de l'infertilité.
Les traitements de fertilité correctement conduits devraient servir la majorité
des couples infertiles, tout en paraissant acceptables financièrement pour
la communauté toute entière.
Bibliographie
[1] Ombelet W, De Sutter P, Van
der Elst J, Martens G : Multiple gestation and infertility treatment : registration,
reflection and reactin - the Belgian project. Hum Reprod Update, in press.
* Centre de Médecine
de la Reproduction. Centre de Recherche Reproduction et Génétique. Université
Libre de Bruxelles Néerlandophone (Vrije Universiteit Brussel - VUB).
LE NOMBRE D'EMBRYONS
TRANSFéRéS ET LE TAUX DE GROSSESSE : L'EXPéRIENCE
BELGE 113
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VAN STEIRTEGHEM
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DE GROSSESSE : L'EXPéRIENCE BELGE 117 |