Diagnostic préimplantatoire et maladies
d'apparition tardive
INGE LIEBAERS*
Introduction
Le diagnostic génétique préimplantatoire
(DPI) est une forme précoce de diagnostic anténatal dans laquelle des
embryons obtenus in vitro sont analysés de manière à diagnostiquer
des anomalies génétiques bien définies. Seuls les embryons sains
sont replacés in utero. Cette technique est utilisée principalement
dans deux grands groupes d'indications. Le premier groupe est constitué par
les individus présentant un haut risque d'avoir un enfant atteint d'une maladie
génétique, c'est-à-dire, les porteurs d'une affection monogénique
ou d'anomalie structurelle des chromosomes (comme les translocations) qui ont
été obligés de manière répétitive d'interrompre leurs
grossesses sur la base des résultats du diagnostic prénatal, qui souffrent
d'un problème de stérilité associée (comme dans l'absence congénitale
bilatérale des canaux déférents), qui présentent des fausses
couches à répétition (comme c'est souvent le cas chez les porteurs
de translocations), ou qui ont une objection religieuse ou morale à l'égard
de l'interruption de grossesse. Le second groupe est constitué d'individus
traités par fécondation in vitro (FIV) ou injection intracytoplasmique
des spermatozoïdes (ICSI), qui peuvent avoir un risque génétique
faible mais dont les embryons seront testés pour la présence d'aneuploïdie,
ceci de manière à tenter d'accroître leurs chances de mener une grossesse
à terme. Le DPI avec screening d'aneuploïdie est surtout appliqué
lorsque l'on suspecte qu'un faible taux de succès pourrait être attribué
à une aneuploïdie chromosomique des embryons comme c'est parfois le cas
chez les patientes âgées de plus de 37 ans [1, 2].
Le DPI fut rapporté la première
fois dans une utilisation clinique par une publication majeure en 1990, qui eut
un retentissement majeur sur l'évolution de la législation concernant
la recherche sur les embryons humains au Royaume-Uni [3].
Deux technologies différentes
sont utilisées en DPI : la PCR pour le diagnostic des affections monogéniques
et l'hybridation fluorescente in situ (FISH) pour le sexage des embryons,
pour le DPI avec screening d'aneuploïdie et pour la détection des translocations
non balancées. Cette analyse peut être pratiquée sur le globule polaire
d'un ovocyte ou sur un blastomère extrait d'un embryon au stade d'environ 8
cellules. Il est acceptable de dire que le DPI stricto sensu est généralement
accepté pour le diagnostic d'affections génétiques à apparition
précoce ou pour les anomalies chromosomiques. L'acceptation reste cependant
plus problématique ou sujette à controverse pour les affections génétiques
à manifestation tardive [4].
DPI et affections génétiques à manifestation
tardive
Il existe un certain nombre d'affections génétiques
à manifestation tardive pour lesquelles le DPI peut être pris en considération.
Parmi ces affections, on peut mentionner la maladie de Huntington, la maladie d'Alzheimer
« précoce », l'ataxie spino-cérébelleuse, la maladie
rénale polykystique de l'adulte, le cancer du sein et la polypose adénomateuse
colique familiale [5].
La maladie de Huntington est
une affection neuro-dégénérative dans laquelle les symptômes
commencent à apparaître vers l'âge de 30 ou 40 ans. Aucun traitement
n'est disponible. Une fois la maladie déclarée, elle progresse inéluctablement
vers une issue fatale, endéans les dix ans. Les patients atteints de maladie
de Huntington nécessitent des soins continus. La maladie de Huntington est
une affection autosomale dominante avec un risque de récurrence de 50 %. Elle
est due à une expansion instable de triplés CAG dans le gène Huntington.
Pour le patient à risque, un test présymptomatique est disponible qui,
en cas de résultat positif, indique que le patient sera affecté par la
maladie plus tard dans son existence. Trois stratégies différentes sont
disponibles pour le DPI de la maladie de Huntington :
1) tester le nombre
de triplés CAG dans les embryons d'un porteur connu de la mutation [6],
2) le test indirect
d'exclusion pratiqué sur des embryons d'une personne à risque [7],
3) le test direct
du nombre de triplés CAG pratiqué sur des embryons d'une personne à
risque, mais le résultat ne sera pas communiqué au patient (« non-disclosure
CAG repeat testing ») [8].
Chacune de ces trois stratégies
sera discutée.
Il est possible d'effectuer un test
direct du nombre de triplés CAG sur les embryons d'un porteur connu de la mutation.
La mutation causale de la maladie est une expansion de la répétition des
triplés CAG à l'extrémité 5' codante du gène Huntington.
Une technique de PCR sur cellules uniques, pour le gène de la maladie de Huntington
a été développée de manière à pouvoir proposer le
DPI aux couples à risques [6]. Chez des couples où l'un des partenaires
est un porteur présymptomatique, les différentes options reproductives
peuvent être : ils prennent le risque, ils choisissent de ne pas avoir d'enfants,
ils optent pour le don d'ovocytes ou le don de sperme selon que la femme ou le partenaire
sont porteurs. Ils peuvent choisir d'attendre une grossesse spontanée, de faire
pratiquer un diagnostic anténatal et d'interrompre la grossesse si le ftus
est atteint. Une alternative est de choisir le DPI, par lequel seuls les embryons
non atteints seront replacés in utero.
Figure 1
D'autres patients à risque pour
la maladie de Huntington préfèrent ne pas connaître leur situation
de porteur, mais ils veulent cependant éviter la naissance d'un enfant porteur.
Pour ces patients, un test d'exclusion après diagnostic anténatal représentait
une possibilité diagnostique pendant de nombreuses années. Un désavantage
de ce test est que des grossesses non affectées pourraient être interrompues
si les parents à risque (50 %) n'ont pas hérité le gène de Huntington
du grand-parent. Ceci pose un problème moral et éthique. La stratégie
du test d'exclusion indirecte utilisant le DPI a été développée
dans notre Centre et a également été appliquée en clinique [7].
Une
troisième stratégie, qui est plus complexe à appliquer consiste dans
le « direct non-disclosing CAG repeat testing », c'est-à-dire
l'analyse des embryons des personnes à risque, sans divulgation des résultats
[8]. Le groupe du Fairfax Genetics Institute en Virginie a appliqué cette stratégie
à certains patients. L'analyse CAG sans divulgation implique un consentement
éclairé avant FIV, concernant le transfert d'embryons et le devenir des
embryons surnuméraires. Aucune information ne sera donnée aux patients
concernant le nombre de follicules, le nombre d'ovocytes recueillis, le nombre d'embryons
avec diagnostic ou transférés. Il implique une administration complexe
pour le staff, incluant des documents codés. Un transfert sera effectué
dans tous les cas, même si tous les embryons sont atteints : dans ce cas, un
simulacre de transfert sera effectué. Le statut génétique des embryons
n'est connu que par un nombre limité des personnes. Si le patient n'est pas
porteur, il n'y aura pas de biopsie d'embryons. Mais le statut génétique
ne sera jamais révélé par le staff au couple. Il semble cependant
difficile de demeurer complètement neutre pendant la consultation et de ne
fournir aucune information au patient.
Dans
les tableaux 1 et 2, nous résumons notre propre expérience avec l'analyse
directe CAG ainsi qu'avec l'analyse d'exclusion. Les résultats du groupe de
Maastricht (analyse directe CAG) [9] et ceux du Fairfax Genetics Institute (analyse
CAG sans divulgation) sont résumés [8]. Les taux de grossesses des trois
équipes sont également présentés.
Tableau 1. PGD/HD
|
˙Method |
˙Couples |
˙Cycles |
˙ET |
˙Pregnancies |
|
˙Direct CAG |
˙ |
˙31 |
˙69 |
˙58 |
˙13 |
˙Exclusion |
˙ |
˙11 |
˙24 |
˙20 |
˙3 |
˙Total |
˙ |
˙42 |
˙93 |
˙78 |
˙16 |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
|
˙Direct CAG [9] |
˙ |
˙20 |
˙31 |
˙28 |
˙10 |
˙Non disclosing [8] |
˙10 |
˙13 |
˙11 |
˙4 |
Tableau 2. Taux de grossesses PGD/HD
|
˙ |
˙Brussels |
˙Maastricht |
˙Virginia |
|
˙Couples |
˙ |
˙42 |
˙20 |
˙10 |
˙Per cycle |
˙ |
˙17 % |
˙31 % |
˙31 % |
˙Per transfer |
˙ |
˙20 % |
˙36 % |
˙36 % |
˙Per patient |
˙ |
˙38 % |
˙50 % |
˙40 % |
L'ataxie spino-cérébelleuse 3
(SCA3) est une maladie neuro-dégénérative autosomale dominante caractérisée
par une expression variable et un âge variable de début. SCA3/MJD (Machado-Joseph
disease) résulte de l'expansion d'une répétition CAG dans le gène
MJD 1 sur le chromosome 14q32. Le groupe de Maastricht a développé un
protocole PCR sur cellules uniques, pour le DPI de SCA3, afin de sélectionner
les embryons non affectés sur la base du génotype CAG [9]. Ce groupe a
obtenu à ce jour deux grossesses évolutives après DPI pour SCA3.
Nous avons également appliqué le DPI pour SCA1 et SCA7. Jusqu'à présent,
trois couples ont présenté une grossesse après DPI pour SCA7, nous
n'avons pas obtenu de grossesse par DPI pour SCA1 [10].
Nous avons également appliqué
le DPI pour la maladie rénale polykystique de l'adulte (2 grossesses
chez 3 couples), le cancer du sein (BRCA1), la polypose colique adénomateuse
familiale et le néoplasie endocrine multiple IIA. Le groupe de Chicago
a également publié des données sur le DPI de maladie d'apparition
tardive comme l'Alzheimer précoce [10], p53 [11] et d'autres
prédispositions au cancer [12]. Comme dans tous les autres cas de DPI et pour
tous les types d'AMP, les résultats doivent être soigneusement suivis
en terme de bien-être des enfants nés. Cet aspect a été développé
dans une communication précédente.
Conclusion
Nous pouvons dire concernant la maladie de Huntington
qu'il s'agit d'une maladie d'apparition tardive extrêmement grave. Le taux
de prise en charge de l'analyse présymptomatique reste encore très bas.
De même la prise en charge pour diagnostic prénatal et la prise en charge
pour l'analyse génétique préimplantatoire restent peu fréquentes.
Ce phénomène a été démontré après une étude
du taux d'analyses présymptomatiques et prénatales dans différents
pays européens. Une possible explication de cette situation réside dans
une information insuffisante fournie aux patients ; trop peu de conseil génétique
est effectué, en dépit du fait que les patients ont le droit d'être
informés. Le désagrément du statut de porteur connu est déjà
très élevé et nous devons prendre en considération le fait que
les patients ont aussi le droit de ne pas savoir. Il existe également des problèmes
concernant l'interruption d'une grossesse, dans laquelle le ftus est affecté
par une maladie d'apparition tardive qui ne deviendra apparente que dans la troisième
ou la quatrième décade de la vie. Le DPI est une solution possible de
la maladie de Huntington pour les porteurs connus, par le transfert d'embryons non
affectés, pour les porteurs possibles, par le transfert d'un embryon «
non à risque » et pour les porteurs possibles par un « blinded embryo
transfer » d'embryons non-affectés. Le DPI est cependant une procédure
coûteuse et le taux de naissances vivantes reste relativement peu élevé.
Dans le cadre du DPI pour des maladies d'apparition tardive en général,
il paraît approprié que des professionnels informent les couples à
risque tant dans les cas de maladie de Huntington que dans d'autres situations de
risque des maladies d'apparition tardive. Le choix du couple devrait être accepté
s'il existe une solution techniquement possible et si elle n'est pas trop coûteuse
à appliquer.
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* Centre de Génétique
Médicale - Centre de Recherche en Reproduction et Génétique
- Université Libre de Bruxelles Néerlandophone (Vrije Universiteit
Brussel - VUB). 122 INGE
LIEBAERS DIAGNOSTIC
PRÉIMPLANTATOIRE ET MALADIES D'APPARITION TARDIVE 123
Figure 2
124 INGE
LIEBAERS Figure 3
Figure 4
DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE
ET MALADIES D'APPARITION TARDIVE 125
Figure 5 Figure
6 126 INGE
LIEBAERS Figure 7
Figure 8
DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE
ET MALADIES D'APPARITION TARDIVE 127
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LIEBAERS DIAGNOSTIC
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