Hépatopathies gravidiques : traditions
et nouveautés
Jacques BERNUAU
Parmi les maladies hépatiques
de la femme enceinte, les hépatopathies gravidiques sont celles qui surviennent
exclusivement au cours de la grossesse. En sont exclues les hépatopathies dites
non gravidiques, aiguës ou chroniques, qui sont associées fortuitement
à une grossesse.
Les hépatopathies gravidiques
sont au nombre de 5 : l'exceptionnelle grossesse hépatique, les vomissements
gravidiques incoercibles (hyperemesis gravidarum), la cholestase gravidique, les
lésions hépatiques de toxémie gravidique et la stéatose hépatique
aiguë gravidique, seule responsable d'insuffisance hépatocellulaire aiguë.
Avant d'envisager ces différentes entités, nous rappellerons les principales
règles du diagnostic hépatologique pendant la grossesse.
1. La démarche diagnostique au cours des
hépatopathies pendant la grossesse
Le diagnostic étiologique des hépatopathies
observées au cours de la grossesse doit prendre en compte les modifications,
dues à l'état gravidique, de certaines variables biologiques (1). Les
principaux éléments d'orientation de ce diagnostic sont : (a) le
type de syndrome hépatique réalisé (voir ci-dessous) ; (b) le
terme de la grossesse au moment du début des symptômes ; (c) les antécédents
hépato-biliaires, gravidiques ou non ; (d) la consommation médicamenteuse
dans le mois précédent ; (e) l'absence, ou l'existence, d'une hypertension
artérielle et d'une protéïnurie ; (f) la créatininémie
(<80 μmol/L au 3e trimestre de la grossesse normale) et
l'uricémie à jeun ; (g) éventuellement, l'échotomographie du
foie et des voies biliaires. La ponction-biopsie hépatique n'est utile avant
l'accouchement que dans certains cas d'étiologie incer
576 J.
BERNUAU taine.
Le plus souvent, elle peut être réalisée, avec le même rendement
diagnostique, dans le post-partum précoce, souvent par voie transjugulaire.
Le problème diagnostique le plus fréquent
est celui d'anomalies biologiques hépatiques non accompagnées d'ictère.
La présence d'un ictère témoigne souvent d'une hépatopathie
non gravidique ou d'une forme plus ou moins compliquée (parfois du fait de
facteurs évitables, tels les médicaments) d'hépatopathie gravidique.
La cholestase, anictérique
ou ictérique, est toujours associée à une augmentation de la concentration
sérique des acides biliaires totaux. Le prurit en est un symptôme fréquent
mais inconstant (à lui seul, non spécifique de cholestase). Une augmentation
de l'activité sérique des aminotransférases, parfois supérieure
à 20 fois la normale, est présente dans pratiquement tous les cas. Elle
n'est pas le témoin d'une destruction hépatocytaire. L'augmentation de
la gamma-GT, habituelle en dehors de la grossesse, est très inconstante en
cas de cholestase associée à la grossesse.
En cas de cholestase anictérique,
la bilirubinémie à prédominance conjuguée est normale ou inférieure
à 50 μmol/L et le taux de prothrombine est normal. En cas de cholestase
ictérique (bilirubinémie supérieure à 60-7 μmol/L),
et quand l'ictère est présent depuis plusieurs semaines, le taux de prothrombine
est diminué par hypovitaminose K (le facteur V est normal ou élevé).
Cette diminution des facteurs vitamine K-dépendants sera corrigée par
l'administration parentérale brève (1 à 2 jours) de vitamine K.
L'insuffisance hépatocellulaire
se manifeste initialement par la diminution (au-dessous de 70%) du taux de prothrombine
(temps de Quick) et du facteur V (proaccélérine). En cas d'aggravation,
outre la majoration de la diminution du temps de Quick et du facteur V, apparait
un ictère à bilirubine conjuguée. A un degré de plus, une encéphalopathie
clinique est associée à l'effondrement des facteurs de coagulation.
L'hypertension portale (définie
hémodynamiquement par l'augmentation de la pression portale au-dessus de 15
cm d'eau) est habituellement due à une cirrhose (elle est alors souvent associée
à une insuffisance hépatocellulaire), parfois à une thrombose de
la veine porte (2, 3), une fibrose hépatique congénitale (4) ou un syndrome
de Budd-Chiari (5). Elle peut être asymptomatique : son diagnostic repose alors
sur la constatation, par l'endoscopie digestive haute, de varices œsophagiennes
ou gastriques. Ses manifestations cliniques les plus fréquentes sont une circulation
veineuse sous-cutanée, épigastrique et basithoracique, et une ascite.
L'hypertension portale, quelqu'en soit la cause, peut se
HéPATOPATHIES
GRAVIDIQUES : TRADITIONS ET NOUVEAUTéS 577
compliquer d'hémorragies digestives par
rupture de varices œsophagiennes ou gastriques.
2. Grossesse hépatique
Eventualité exceptionnelle, elle est la conséquence
de la nidation de l'œuf à la face inférieure du lobe droit du foie (6).
Son diagnostic repose sur l'association d'un état de grossesse, d'un utérus
vide et des données de l'imagerie hépatique. L'interruption chirurgicale
de la grossesse est justifiée par le risque très élevé de rupture
hémorragique au 1er trimestre.
3. Vomissements gravidiques incoercibles (hyperemesis
gravidarum)
Ils sont définis comme la majoration des
vomissements gravidiques usuels rendant nécessaire l'hospitalisation avant
le terme de 14 semaines d'aménorrhée (7). Ils surviennent au cours de
0,5 à 2 % des grossesses. Le plus souvent, aucune cause organique n'est identifiée
et les malades sont, pour la plupart, des émigrées chez lesquelles on
retrouve un état de jeûne récent de plusieurs jours, voire semaines.
Une cause organique est rare : grossesse gémellaire, grossesse molaire, hypercalcémie
ou sténose digestive haute.
Des anomalies non hépatiques,
conséquences à la fois des vomissements et du jeûne, sont fréquentes
et le plus souvent dépistées en premier : déshydratation, amaigrissement,
cétonurie, hypercréatininémie, alcalose métabolique, hypophosphorémie
et natriurèse basse.
Une hyperthyroïdie biologique,
asymptomatique et associée à un taux normal ou bas de TSH, est fréquente
(elle doit être respectée). Les anomalies hépatiques, elles aussi
secondaires au jeûne et aux vomissements, sont en général au second
plan (8). La plus habituelle est une augmentation des aminotransférases (pouvant
atteindre 40 à 50 fois la normale) dans 25 % des cas. Un ictère à
bilirubine conjuguée est présent dans moins de 5 % des cas : surtout s'il
est intense, il doit faire rechercher une participation médicamenteuse. Il
n'y a pas d'insuffisance hépatocellulaire. Des troubles de la conscience, voire
un coma, doivent évoquer une encéphalopathie de Gayet-Wernicke par hypovitaminose
B1, seule 578 J.
BERNUAU cause
de mort maternelle. Dans quelques cas, une myélinolyse centro-pontine a été
démontrée. Le risque d'hypotrophie foetale est majoré par une diminution
du poids maternel de plus de 5 % par rapport au poids maternel avant la grossesse.
La récidive lors de grossesses ultérieures est possible.
Le traitement comporte, outre une prise en charge
psychologique précoce, la suspension de toute alimentation orale pendant 3
à 5 jours, associée à une rééquilibration hydro-électrolytique
par un apport intra-veineux de glucose, toujours complété par un appport
en phosphate et en vitamines du groupe B. Le métoclopramide peut être
utilisé comme anti-émétique, mais les médicaments cholestasiants
(en particulier les phénothiazines) ne sont pas recommandés. La guérison
est quasi-toujours obtenue avant la 20e semaine. La prolongation du syndrome
au-delà de ce terme doit faire récuser un diagnostic présomptif de
vomissements incoercibles et rechercher une tumeur maligne digestive haute sténosante
(9).
4. Cholestase gravidique
La cholestase gravidique est considérée
comme l'expression d'une sensibilité, génétiquement déterminée,
à l'action cholestatique des oestrogènes. Sa transmission se fait sur
un mode mendélien dominant. Un rôle des progestatifs est maintenant reconnu
(10). Des antécédents personnels de prurit contemporain de la prise d'un
contraceptif oral sont exceptionnels avec les contraceptifs faiblement dosés
en oestrogènes.
La cholestase gravidique survient chez
les primipares et chez les multipares (11). Sa prévalence, accrue par la gémellarité
et l'infection chronique par le virus de l'hépatite C, varie selon le pays
: de 7-8 % au Chili à 0,5-0,8 % en France. Chez les femmes normotendues, elle
est la plus fréquente des hépatopathies gravidiques des 2e
et 3e trimestres. Dans le cas exceptionnel d'une hypertension gravidique
associée, une hémoglobinopathie peut orienter vers le diagnostic de cholangiopathie
ischémique.
Une participation génétique
au syndrome est illustrée par la récidive du syndrome à chaque grossesse
(voir ci-dessous). Dans quelques cas, elle est également suggérée
par l'existence d'antécédents identiques, soit dans la fratrie, soit dans
les générations précédentes aussi bien du côté maternel
que du côté paternel. Récemment, chez quelques malades, une mutation
affectant certains gènes codant pour des systèmes de transport hépatocanali
HéPATOPATHIES
GRAVIDIQUES : TRADITIONS ET NOUVEAUTéS 579
culaire intervenant dans la secrétion
biliaire a été mise en évidence. Un facteur déclenchant (infection
urinaire, utilisation d'un médicament cholestasiant) est fréquent.
Les lésions hépatiques sont celles d'une
cholestase pure. Les formes asymptomatiques, probablement fréquentes, pourraient
être suspectées sur l'augmentation des acides biliaires totaux du serum
(prédominant sur l'acide cholique). Le prurit est le symptôme habituel
(plus de 95 % des cas). Il est souvent précédé par une menace d'accouchement
prématuré. Il n'est pas associé à des douleurs, une fièvre
ou une hépatomégalie. Il peut être intense, avec des lésions
de grattage, un amaigrissement par restriction alimentaire, voire un syndrome dépressif.
L'augmentation des aminotransférases, jusqu'à 25 fois la valeur normale,
est presque toujours présente. Elle peut manquer dans les premiers jours du
prurit. La phosphatase alcaline et la 5'-nucléotidase sont inconstamment augmentées.
La gamma-GT est souvent normale, son augmentation va souvent de pair avec une mutation
hétérozygote du gène MDR3 (12). Les facteurs de coagulation, la créatininémie
et l'uricémie à jeûn, sont normaux. La disparition du prurit avant
l'accouchement est rare (elle rend discutable le diagnostic de cholestase gravidique
génétique). En fait, c'est sa régression dès le début du
post-partum, puis sa disparition complète en 3 à 5 jours, qui est très
caractéristique.
Un ictère à bilirubine conjuguée
(rarement supérieure à 100 μmoles/L) est présent dans 10 à
25 % des cas. Un facteur aggravant (médicament) doit être recherché.
Une stéatorrhée et une hypovitaminose K sont possibles en cas d'ictère
prolongé. La régression de l'ictère est plus lente que celle du prurit
(11).
La mortalité maternelle est nulle.
Plusieurs médicaments ont été proposés pour faire régresser
le symptomes maternels, cliniques et biologiques, de cholestase. L'efficacité
de la cholestyramine sur le prurit est imprévisible. Celle de la dexaméthasone
(per os, 10 jours) a été rapportée dans une étude non contrôlée.
En fait, le médicament le plus utile est l'acide ursodésoxycholique (posologie,
0,4 à 2 g par jour) (13). Plusieurs essais contrôlés ont démontré
son efficacité, même imparfaite, sur le prurit. L'amélioration clinique
est associée à celle des tests hépatiques et à une normalisation
du taux sérique des acides biliaires maternels et à leur diminution dans
le sang du cordon et le liquide amniotique (13). En pratique, le médicament
est souvent proposé dans les cas où le symptômes de cholestase sont
mal tolérés par la mère. Toutefois, en France, son utilisation se
fait toujours (début 2003) sans auto 580 J.
BERNUAU risation
de mise sur le marché (aucune complication materno-fœtale rapportée à
ce jour).
Les risques fœtaux sévères de la cholestase
gravidique (souffrance foetale aiguë, mort in utero), dans 1 à 2% des
cas, semblent plus marqués en cas d'ictère. Le pronostic fœtal reste difficile
à établir tant que les acides biliares restent élevés dans le
serum maternel. En pratique, après la 35-36e semaine, la grossesse
est souvent interrompuee par césarienne selon plusieurs critères obstétricaux
et de surveillance fœtale (14). En cas d'ictère, une hypoprothombinémie
doit préalablement être corrigée par la vitamine K (en intra-veineux).
Selon la stratégie obstétricale observée, le taux de prématurité
varie de 10 à 30 %.
La prévalence de la lihtiase cholestérolique
est augmentée par un facteur 2 à 3. Lors d'une grossesse ultérieure,
le risque de récidive est de l'ordre de 50 à 70%. Il est diminué
quand un éventuel facteur déclenchant, en particulier un médicament
hépatotoxique, est évité.
5. Lésions hépatiques de toxémie gravidique
(pré-éclampsie)
La toxémie gravidique (ou pré-éclampsie)
est définie par l'association d'une hypertension gravidique et d'une protéinurie.
Elle atteint surtout les primipares (environ 70 % des cas). Elle complique 2 à
5 % de l'ensemble des grossesses (15). Le risque de sa récidive lors d'une
grossesse ultérieure est de 5 à 10 %.
Au niveau de tous les organes cibles
(rein, cerveau, foie), la pré-éclampsie entraîne des lésions
primitivement vasculaires auxquelles contribue une activation de la coagulation.
La lésion hépatique élémentaire est constituée de dépôts
intravasculaires de fibrine. Leur répartition, dans le foie, est hétérogène.
Ils siègent le plus souvent dans les sinusoïdes périportaux, très
rarement aussi dans des branches intra-hépatiques de la veine porte ou de l'artère
hépatique. La répartition, dans le foie, des dépôts intravasculaires
de fibrine est hétérogène. Ils peuvent être associés à
diverses lésions (dont ils sont, plus ou moins directement, la cause) : foyers
de nécrose hépatocytaire, lacs hémorragiques intra-hépatiques,
voire infarctus hépatiques. C'est probablement la confluence de ces lésions
qui conduit à la constitution (souvent silencieuse) d'hématomes sous-capsulaires.
Ils siègent surtout dans le lobe droit. Ils sont parfois étendus à
toute la face supé HéPATOPATHIES
GRAVIDIQUES : TRADITIONS ET NOUVEAUTéS 581
rieure du foie. La capsule de Glisson en regard
de l'hématome est, le plus souvent, intacte et tendue. Elle est parfois fissurée.
La lésion ultime est la rupture capsulaire qui réalise souvent une dilacération
de plusieurs centimètres, en regard de l'hématome.
La pré-éclampsie se manifeste le plus
souvent au 3e trimestre ou dans le post-partum (20 % des cas) (15). Son
début clinique au 2e trimestre est associée à une gravité
souvent accrue. Les symptomes usuels, hormis l'hypertension artérielle et une
asthénie non spécifique, sont d'origine hépatique. Le principal d'entre
eux est une douleur abdominale haute. Son siège épigastrique, en barre,
suggère une colique hépatique. Parfois, cette douleur est de siège
non épigastrique (hypochondre droit, épaule droite, base thoracique, lombes).
L'intensité de la douleur est souvent modérée, elle est spontanément
résolutive en 10 à 30 minutes, mais récidivante pendant 1 à
3 semaines. L'activité des transaminases est toujours augmentée, dépassant
rarement 50 fois la valeur normale. Une hémolyse intravasculaire est reconnue
sur la diminution de l'haptoglobine et l'augmentation des LDH sériques. La
bilirubinémie est le plus souvent inférieure à 40 μmol/L. Un
ictère, souvent associé à une hyperhémolyse marquée, n'est
présent que dans moins de 10 % des cas. Une thrombopénie, parfois inférieure
à 50 000/mm3, est fréquente mais peut manquer. Les facteurs
de coagulation sont normaux ou diminués par une coagulation intravasculaire
disséminée.
Le syndrome HELLP a été initialement
décrit comme l'association d'une hémolyse intravasculaire, d'une hypertransaminasémie
et d'une thrombopénie (15, 16). En fait, il est souvent incomplet. Le diagnostic
de pré-éclampsie est facile en présence d'une douleur de siège
épigastrique, d'une hypertension artérielle et d'une protéinurie,
ou après une crise d'éclampsie. Il est plus difficile, et donc facheusement
retardé, quand la douleur est inaugurale et ectopique, et l'hypertension artérielle
modérée ou absente, sans protéinurie décelable (17). Dans ces
cas atypiques, le syndrome HELLP, même incomplet, a alors une valeur diagnostique
quasi pathognomonique.
Un fait crucial est l'absence de parallélisme
entre l'importance des anomalies biologiques et la gravité anatomique des lésions
du foie dont le diagnostic repose sur l'imagerie hépatique. L'échographie
hépatique est souvent normale. Un épanchement péritonéal de
faible abondance peut être présent. La tomodensitométrie hépatique
est l'examen le plus performant pour visualiser un hématome sous-capsulaire
(moins de 10 % des cas) ou un infarctus étendu.
582 J.
BERNUAU Le traitement
médical comprend un remplissage vasculaire prudent et, inconstamment, un médicament
hypotenseur et la prévention des convulsions. Les diurétiques paraissent
indiqués surtout quand une déplétion vasculaire apparaît urgente
(œdème pulmonaire aigu). L'interruption de la grossesse n'est pas discutée
dans son principe comme seul traitement efficace du syndrome de pré-éclampsie.
Le plus souvent, elle est réalisée dans les dix jours après le diagnostic
(16). L'influence du syndrome HELLP sur la conduite obstétricale dépend
de nombreux paramètres : le terme, l'état du fœtus (croissance, Doppler)
et l'état maternel, en particulier l'existence d'éventuelles complications
hépatiques anatomiques. Un hématome sous-capsulaire ou un infarctus hépatique
étendu est une indication à interrompre la grossesse sans délai.
Dans le post-partum, les hématomes sans rupture capsulaire régressent
sans traitement hémostatique particulier (16).
La rupture capsulaire spontanée du foie est
la complication hépatique la plus grave de la toxémie gravidique. Elle
atteindrait préférentiellement les multipares dont la grossesse aurait
été mal surveillée. Dans 20 % des cas, elle survient dans le post-partum
et succède parfois à une crise d'éclampsie (16). Elle se manifeste
par l'apparition, plus ou moins brutale, d'une douleur épigastrique. Une hypotension
artérielle avec anémie aiguë traduit l'hémopéritoine par
irruption de hématome hépatique dans la cavité péritonéale
à travers la dilacération de la capsule hépatique. L'échographie
abdominale montre un foie hétérogène et un épanchement péritonéal,
sanglant à la ponction. Les lésions hépatiques seront mieux précisées
par la tomodensitométrie (mais une insuffisance rénale fera, le plus souvent,
retarder l'utilisation d'iode). L'interruption immédiate de la grossesse suivie
du transfert rapide dans un centre d'hépatologie médico-chirurgicale est
une urgence absolue.
La stratégie thérapeutique
(après l'évacuation utérine) vis-à-vis de la rupture capsulaire
hépatique n'est pas univoque. La réanimation hémodynamique vise à
rétablir et maintenir une pression artérielle moyenne égale ou supérieure
à 80 mm Hg et un taux d'hémoglobine d'au moins 9 g/dL. Le remplissage
vasculaire ne doit pas utiliser de produit à potentiel néphrotoxique.
La surtransfusion peut comporter des risques d'entretien du saignement hépatique.
Le plasma frais est surtout indiqué pour maintenir le fibrinogène égal
ou supérieur à 0,70 g/L. Une transfusion plaquettaire est indiquée
pour restaurer une numération plaquettaire supérieure à 50 000/mm3.
Une hémostase hépatique spontanée peut être obtenue dans les
cas les plus favorables (16, 18). Une hémostase hépatique spontanée
invasive n'est indiquée que devant une instabilité
HéPATOPATHIES
GRAVIDIQUES : TRADITIONS ET NOUVEAUTéS 583
hémodynamique malgré des apports
transfusionnels conséquents. Elle peut être réalisée par embolisation
artérielle (risque d'ischémie hépatique) ou par laparotomie chirurgicale
: le « packing » du foie dans une gaze chirugicale est souvent préféré
à la ligature artérielle ou la résection hépatique (19). La
nécessité d'une transplantation hépatique en urgence, déjà
rapportée, est exceptionnelle.
Le taux de mortalité maternelle du syndrome
HELLP varie de 0 à 20 % (16). En cas de rupture hépatique, la mortalité
des malades opérées est de 40 % (19). La mortalité foetale varie
de 30 à 80 %. Une grossesse compliquée de toxémie gravidique avec
syndrome HELLP est souvent associée à une thrombophilie. La recherche
de celle-ci est spécialement indiquée dans certains cas particuliers :
thrombophlébite (membres inférieurs, cérébrale) pendant la grossesse
ou le post-partum, HELLP syndrome associé à infarctus hépatique conduisant
au diagnostic « complémentaire » de syndrome de Budd-Chiari (Valla,
communication personnelle). Une grossesse normale reste possible après rupture
hépatique (20)
6. Stéatose hépatique aiguë gravidique
(SHAG)
Elle est la seule hépatopathie gravidique
responsable d'insuffisance hépatique aiguë. Aux États-Unis, son incidence,
généralement évaluée à 1 pour 10-12 000 grossesses,
a été récemment réévaluée à 1 pour 6 700 naissances
(21) : cette augmentation correspond très probablement à une plus grande
reconnaissance de formes mineures ou débutantes de la maladie. Un excès
de fœtus mâles et de grossesses gémellaires est souvent signalé.
La lésion caractéristique
de la maladie est une stéatose microvésiculaire des hépatocytes de
la région centro-lobulaire ne modifiant pas la position centrale du noyau.
La cause de la maladie maternelle est souvent indéterminée. Toutefois,
aux Etats-Unis, un déficit fonctionnel (homozygote chez le fœtus, hétérozygote
chez la mère) de l'enzyme d'oxydation mitochondriale des acides gras à
chaine longue (3-hydroxyacyl-CoA déshydrogénase) a été mis en
évidence et rendu responsable de plusieurs cas (22).
Pendant plusieurs jours ou semaines,
les symptômes cliniques peuvent être précédés d'une hyperuricémie
et d'une hypertransaminasémie asymptomatiques. Le début clinique, souvent
précédé par une menace d'accouchement prématuré, se situe
à partir du 5e mois, le plus souvent après la 28e
semaine. Les symptômes en sont principalement une polydipsie souvent supérieure
à 3 L/j 584 J.
BERNUAU (au moins
50 % des cas), très bien tolérée et habituellement non signalée
spontanément. Les autres symptômes majeurs sont des nausées et des
vomissements. Plus rares sont des douleurs abdominales hautes, un prurit (20 %
des cas), exceptionnellement des manifestations d'hypertension gravidique. Le diagnostic
étiologique de ces symptômes repose exclusivement sur une suspicion clinique
systématique conduisant à la recherche immédiate d'anomalies biologiques
caractéristiques (21, 23). Les aminotransférases sont augmentées
: au début des symptômes, elles peuvent atteindre 25 fois la valeur normale
avant de décroitre progressivement au cours de l'évolution. La bilirubinémie
est normale ou très peu augmentée, les facteurs de coagulation sont normaux,
ainsi que la créatininémie et, souvent encore, la leucocytose. Une hyperuricémie
est très fréquente. L'échographie hépatique est habituellement
normale, ce qui n'écarte pas le diagnostic. À ce stade initial, la condition
foetale est normale, et l'interruption de la grossesse (voie basse ou césarienne
selon les critères obstétricaux usuels), parfois retardée de plusieurs
jours (voire semaines ; expérience personnelle) chez des malades asymptomatiques
mais hospitalisées et surveillées, permet une survie materno-foetale de
100 %. En France, cette situation très favorable représente maintenant
la très grande majorité des cas. La récidive de la maladie lors d'une
grossesse ultérieure est possible mais très rare.
Quand la grossesse se poursuit parce que le début
clinique a été méconnu ou négligé, l'aggravation est inéluctable.
Au fur et à mesure de l'évolution spontanée, l'interruption de la
grossesse est d'autant plus urgente que la maladie materno-foetale est plus grave.
En quelques jours à 2 semaines, les symptômes maternels précédents
s'accentuent et un ictère à bilirubine conjuguée apparait. Hyperleucocytose,
hyperuricémie et hypercréatininémie sont toujours présentes.
Le taux de prothrombine inférieur à 50 % de la normale et la diminution
parallèle des autres facteurs de coagulation (I, V, VII et X) témoignent
de l'insuffisance hépatocellulaire. Une thrombopénie, souvent inférieure
à 100 000/mm3, mais non associée à une hémolyse,
est fréquente. L'hyperéchogénicité hépatique est possible,
mais inconstante. La tomodensitométrie, comparée à des clichés
réalisés dans le post-partum, peut aussi détecter la stéatose.
Le foetus peut encore être normal, il est parfois déjà hypotrophe.
Une souffrance foetale aiguë peut apparaître brusquement. Si l'interruption
de la grossesse est très rapidement réalisée (le plus souvent par
césarienne), le pronostic maternel est encore bon malgré les risques de
complications du post-partum (les plus fréquentes sont les hémorragies
génitales et pelviennes, HéPATOPATHIES
GRAVIDIQUES : TRADITIONS ET NOUVEAUTéS 585
mais aussi une ascite, une insuffisance rénale
aiguë, des surinfections bactériennes). Si la grossesse n'est pas interrompue
très rapidement, l'aggravation se poursuit avec apparition d'ascite par hypertension
portale, d'insuffisance rénale et de troubles de la vigilance, voire d'un coma.
Le risque de décès materno-fœtal est alors très élevé.
La mort in utero accroît encore la gravité maternelle et nécessite
une césarienne strictement immédiate. Dans ces formes gravissimes, une
transplantation hépatique de sauvetage maternel (déjà rapportée)
peut être envisagée. En fait, actuellement en France, la SHAG n'est pratiquement
plus une cause d'insuffisance hépatique fulminante.
Dans le post-partum des formes sévères,
la réanimation comprend des ocytociques, le maintien des facteurs de coagulation
supérieurs à 50 % de la normale par du plasma frais, un remplissage
vasculaire efficace non néphrotoxique, la transfusion de culots globulaires
en cas d'hémorragie et la prévention et le traitement des surinfections
bactériennes.
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