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Titre: Hépatopathies gravidiques : traditions et nouveautés
Année: 2003
Auteurs:
Spécialité: Obstétrique
Theme: Hépatopathies et grossesse

Hépatopathies gravidiques :
traditions et nouveautés

Jacques BERNUAU

Parmi les maladies hépatiques de la femme enceinte, les hépatopathies gravidiques sont celles qui surviennent exclusivement au cours de la grossesse. En sont exclues les hépatopathies dites non gravidiques, aiguës ou chroniques, qui sont associées fortuitement à une grossesse.

Les hépatopathies gravidiques sont au nombre de 5 : l'exceptionnelle grossesse hépatique, les vomissements gravidiques incoercibles (hyperemesis gravidarum), la cholestase gravidique, les lésions hépatiques de toxémie gravidique et la stéatose hépatique aiguë gravidique, seule responsable d'insuffisance hépatocellulaire aiguë. Avant d'envisager ces différentes entités, nous rappellerons les principales règles du diagnostic hépatologique pendant la grossesse.

1. La démarche diagnostique au cours
des hépatopathies pendant la grossesse

Le diagnostic étiologique des hépatopathies observées au cours de la grossesse doit prendre en compte les modifications, dues à l'état gravidique, de certaines variables biologiques (1). Les principaux éléments d'orientation de ce diagnostic sont : (a) le type de syndrome hépatique réalisé (voir ci-dessous) ; (b) le terme de la grossesse au moment du début des symptômes ; (c) les antécédents hépato-biliaires, gravidiques ou non ; (d) la consommation médicamenteuse dans le mois précédent ; (e) l'absence, ou l'existence, d'une hypertension artérielle et d'une protéïnurie ; (f) la créatininémie (<80 μmol/L au 3e trimestre de la grossesse normale) et l'uricémie à jeun ; (g) éventuellement, l'échotomographie du foie et des voies biliaires. La ponction-biopsie hépatique n'est utile avant l'accouchement que dans certains cas d'étiologie incer

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taine. Le plus souvent, elle peut être réalisée, avec le même rendement diagnostique, dans le post-partum précoce, souvent par voie transjugulaire.

Le problème diagnostique le plus fréquent est celui d'anomalies biologiques hépatiques non accompagnées d'ictère. La présence d'un ictère témoigne souvent d'une hépatopathie non gravidique ou d'une forme plus ou moins compliquée (parfois du fait de facteurs évitables, tels les médicaments) d'hépatopathie gravidique.

La cholestase, anictérique ou ictérique, est toujours associée à une augmentation de la concentration sérique des acides biliaires totaux. Le prurit en est un symptôme fréquent mais inconstant (à lui seul, non spécifique de cholestase). Une augmentation de l'activité sérique des aminotransférases, parfois supérieure à 20 fois la normale, est présente dans pratiquement tous les cas. Elle n'est pas le témoin d'une destruction hépatocytaire. L'augmentation de la gamma-GT, habituelle en dehors de la grossesse, est très inconstante en cas de cholestase associée à la grossesse.

En cas de cholestase anictérique, la bilirubinémie à prédominance conjuguée est normale ou inférieure à 50 μmol/L et le taux de prothrombine est normal. En cas de cholestase ictérique (bilirubinémie supérieure à 60-7 μmol/L), et quand l'ictère est présent depuis plusieurs semaines, le taux de prothrombine est diminué par hypovitaminose K (le facteur V est normal ou élevé). Cette diminution des facteurs vitamine K-dépendants sera corrigée par l'administration parentérale brève (1 à 2 jours) de vitamine K.

L'insuffisance hépatocellulaire se manifeste initialement par la diminution (au-dessous de 70%) du taux de prothrombine (temps de Quick) et du facteur V (proaccélérine). En cas d'aggravation, outre la majoration de la diminution du temps de Quick et du facteur V, apparait un ictère à bilirubine conjuguée. A un degré de plus, une encéphalopathie clinique est associée à l'effondrement des facteurs de coagulation.

L'hypertension portale (définie hémodynamiquement par l'augmentation de la pression portale au-dessus de 15 cm d'eau) est habituellement due à une cirrhose (elle est alors souvent associée à une insuffisance hépatocellulaire), parfois à une thrombose de la veine porte (2, 3), une fibrose hépatique congénitale (4) ou un syndrome de Budd-Chiari (5). Elle peut être asymptomatique : son diagnostic repose alors sur la constatation, par l'endoscopie digestive haute, de varices œsophagiennes ou gastriques. Ses manifestations cliniques les plus fréquentes sont une circulation veineuse sous-cutanée, épigastrique et basithoracique, et une ascite. L'hypertension portale, quelqu'en soit la cause, peut se

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compliquer d'hémorragies digestives par rupture de varices œsophagiennes ou gastriques.

2. Grossesse hépatique

Eventualité exceptionnelle, elle est la conséquence de la nidation de l'œuf à la face inférieure du lobe droit du foie (6). Son diagnostic repose sur l'association d'un état de grossesse, d'un utérus vide et des données de l'imagerie hépatique. L'interruption chirurgicale de la grossesse est justifiée par le risque très élevé de rupture hémorragique au 1er trimestre.

3. Vomissements gravidiques incoercibles
(hyperemesis gravidarum)

Ils sont définis comme la majoration des vomissements gravidiques usuels rendant nécessaire l'hospitalisation avant le terme de 14 semaines d'aménorrhée (7). Ils surviennent au cours de 0,5 à 2 % des grossesses. Le plus souvent, aucune cause organique n'est identifiée et les malades sont, pour la plupart, des émigrées chez lesquelles on retrouve un état de jeûne récent de plusieurs jours, voire semaines. Une cause organique est rare : grossesse gémellaire, grossesse molaire, hypercalcémie ou sténose digestive haute.

Des anomalies non hépatiques, conséquences à la fois des vomissements et du jeûne, sont fréquentes et le plus souvent dépistées en premier : déshydratation, amaigrissement, cétonurie, hypercréatininémie, alcalose métabolique, hypophosphorémie et natriurèse basse.

Une hyperthyroïdie biologique, asymptomatique et associée à un taux normal ou bas de TSH, est fréquente (elle doit être respectée). Les anomalies hépatiques, elles aussi secondaires au jeûne et aux vomissements, sont en général au second plan (8). La plus habituelle est une augmentation des aminotransférases (pouvant atteindre 40 à 50 fois la normale) dans 25 % des cas. Un ictère à bilirubine conjuguée est présent dans moins de 5 % des cas : surtout s'il est intense, il doit faire rechercher une participation médicamenteuse. Il n'y a pas d'insuffisance hépatocellulaire. Des troubles de la conscience, voire un coma, doivent évoquer une encéphalopathie de Gayet-Wernicke par hypovitaminose B1, seule

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cause de mort maternelle. Dans quelques cas, une myélinolyse centro-pontine a été démontrée. Le risque d'hypotrophie foetale est majoré par une diminution du poids maternel de plus de 5 % par rapport au poids maternel avant la grossesse. La récidive lors de grossesses ultérieures est possible.

Le traitement comporte, outre une prise en charge psychologique précoce, la suspension de toute alimentation orale pendant 3 à 5 jours, associée à une rééquilibration hydro-électrolytique par un apport intra-veineux de glucose, toujours complété par un appport en phosphate et en vitamines du groupe B. Le métoclopramide peut être utilisé comme anti-émétique, mais les médicaments cholestasiants (en particulier les phénothiazines) ne sont pas recommandés. La guérison est quasi-toujours obtenue avant la 20e semaine. La prolongation du syndrome au-delà de ce terme doit faire récuser un diagnostic présomptif de vomissements incoercibles et rechercher une tumeur maligne digestive haute sténosante (9).

4. Cholestase gravidique

La cholestase gravidique est considérée comme l'expression d'une sensibilité, génétiquement déterminée, à l'action cholestatique des oestrogènes. Sa transmission se fait sur un mode mendélien dominant. Un rôle des progestatifs est maintenant reconnu (10). Des antécédents personnels de prurit contemporain de la prise d'un contraceptif oral sont exceptionnels avec les contraceptifs faiblement dosés en oestrogènes.

La cholestase gravidique survient chez les primipares et chez les multipares (11). Sa prévalence, accrue par la gémellarité et l'infection chronique par le virus de l'hépatite C, varie selon le pays : de 7-8 % au Chili à 0,5-0,8 % en France. Chez les femmes normotendues, elle est la plus fréquente des hépatopathies gravidiques des 2e et 3e trimestres. Dans le cas exceptionnel d'une hypertension gravidique associée, une hémoglobinopathie peut orienter vers le diagnostic de cholangiopathie ischémique.

Une participation génétique au syndrome est illustrée par la récidive du syndrome à chaque grossesse (voir ci-dessous). Dans quelques cas, elle est également suggérée par l'existence d'antécédents identiques, soit dans la fratrie, soit dans les générations précédentes aussi bien du côté maternel que du côté paternel. Récemment, chez quelques malades, une mutation affectant certains gènes codant pour des systèmes de transport hépatocanali

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culaire intervenant dans la secrétion biliaire a été mise en évidence. Un facteur déclenchant (infection urinaire, utilisation d'un médicament cholestasiant) est fréquent.

Les lésions hépatiques sont celles d'une cholestase pure. Les formes asymptomatiques, probablement fréquentes, pourraient être suspectées sur l'augmentation des acides biliaires totaux du serum (prédominant sur l'acide cholique). Le prurit est le symptôme habituel (plus de 95 % des cas). Il est souvent précédé par une menace d'accouchement prématuré. Il n'est pas associé à des douleurs, une fièvre ou une hépatomégalie. Il peut être intense, avec des lésions de grattage, un amaigrissement par restriction alimentaire, voire un syndrome dépressif. L'augmentation des aminotransférases, jusqu'à 25 fois la valeur normale, est presque toujours présente. Elle peut manquer dans les premiers jours du prurit. La phosphatase alcaline et la 5'-nucléotidase sont inconstamment augmentées. La gamma-GT est souvent normale, son augmentation va souvent de pair avec une mutation hétérozygote du gène MDR3 (12). Les facteurs de coagulation, la créatininémie et l'uricémie à jeûn, sont normaux. La disparition du prurit avant l'accouchement est rare (elle rend discutable le diagnostic de cholestase gravidique génétique). En fait, c'est sa régression dès le début du post-partum, puis sa disparition complète en 3 à 5 jours, qui est très caractéristique.

Un ictère à bilirubine conjuguée (rarement supérieure à 100 μmoles/L) est présent dans 10 à 25 % des cas. Un facteur aggravant (médicament) doit être recherché. Une stéatorrhée et une hypovitaminose K sont possibles en cas d'ictère prolongé. La régression de l'ictère est plus lente que celle du prurit (11).

La mortalité maternelle est nulle. Plusieurs médicaments ont été proposés pour faire régresser le symptomes maternels, cliniques et biologiques, de cholestase. L'efficacité de la cholestyramine sur le prurit est imprévisible. Celle de la dexaméthasone (per os, 10 jours) a été rapportée dans une étude non contrôlée. En fait, le médicament le plus utile est l'acide ursodésoxycholique (posologie, 0,4 à 2 g par jour) (13). Plusieurs essais contrôlés ont démontré son efficacité, même imparfaite, sur le prurit. L'amélioration clinique est associée à celle des tests hépatiques et à une normalisation du taux sérique des acides biliaires maternels et à leur diminution dans le sang du cordon et le liquide amniotique (13). En pratique, le médicament est souvent proposé dans les cas où le symptômes de cholestase sont mal tolérés par la mère. Toutefois, en France, son utilisation se fait toujours (début 2003) sans auto

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risation de mise sur le marché (aucune complication materno-fœtale rapportée à ce jour).

Les risques fœtaux sévères de la cholestase gravidique (souffrance foetale aiguë, mort in utero), dans 1 à 2% des cas, semblent plus marqués en cas d'ictère. Le pronostic fœtal reste difficile à établir tant que les acides biliares restent élevés dans le serum maternel. En pratique, après la 35-36e semaine, la grossesse est souvent interrompuee par césarienne selon plusieurs critères obstétricaux et de surveillance fœtale (14). En cas d'ictère, une hypoprothombinémie doit préalablement être corrigée par la vitamine K (en intra-veineux). Selon la stratégie obstétricale observée, le taux de prématurité varie de 10 à 30 %.

La prévalence de la lihtiase cholestérolique est augmentée par un facteur 2 à 3. Lors d'une grossesse ultérieure, le risque de récidive est de l'ordre de 50 à 70%. Il est diminué quand un éventuel facteur déclenchant, en particulier un médicament hépatotoxique, est évité.

5. Lésions hépatiques de toxémie gravidique
(pré-éclampsie)

La toxémie gravidique (ou pré-éclampsie) est définie par l'association d'une hypertension gravidique et d'une protéinurie. Elle atteint surtout les primipares (environ 70 % des cas). Elle complique 2 à 5 % de l'ensemble des grossesses (15). Le risque de sa récidive lors d'une grossesse ultérieure est de 5 à 10 %.

Au niveau de tous les organes cibles (rein, cerveau, foie), la pré-éclampsie entraîne des lésions primitivement vasculaires auxquelles contribue une activation de la coagulation. La lésion hépatique élémentaire est constituée de dépôts intravasculaires de fibrine. Leur répartition, dans le foie, est hétérogène. Ils siègent le plus souvent dans les sinusoïdes périportaux, très rarement aussi dans des branches intra-hépatiques de la veine porte ou de l'artère hépatique. La répartition, dans le foie, des dépôts intravasculaires de fibrine est hétérogène. Ils peuvent être associés à diverses lésions (dont ils sont, plus ou moins directement, la cause) : foyers de nécrose hépatocytaire, lacs hémorragiques intra-hépatiques, voire infarctus hépatiques. C'est probablement la confluence de ces lésions qui conduit à la constitution (souvent silencieuse) d'hématomes sous-capsulaires. Ils siègent surtout dans le lobe droit. Ils sont parfois étendus à toute la face supé

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rieure du foie. La capsule de Glisson en regard de l'hématome est, le plus souvent, intacte et tendue. Elle est parfois fissurée. La lésion ultime est la rupture capsulaire qui réalise souvent une dilacération de plusieurs centimètres, en regard de l'hématome.

La pré-éclampsie se manifeste le plus souvent au 3e trimestre ou dans le post-partum (20 % des cas) (15). Son début clinique au 2e trimestre est associée à une gravité souvent accrue. Les symptomes usuels, hormis l'hypertension artérielle et une asthénie non spécifique, sont d'origine hépatique. Le principal d'entre eux est une douleur abdominale haute. Son siège épigastrique, en barre, suggère une colique hépatique. Parfois, cette douleur est de siège non épigastrique (hypochondre droit, épaule droite, base thoracique, lombes). L'intensité de la douleur est souvent modérée, elle est spontanément résolutive en 10 à 30 minutes, mais récidivante pendant 1 à 3 semaines. L'activité des transaminases est toujours augmentée, dépassant rarement 50 fois la valeur normale. Une hémolyse intravasculaire est reconnue sur la diminution de l'haptoglobine et l'augmentation des LDH sériques. La bilirubinémie est le plus souvent inférieure à 40 μmol/L. Un ictère, souvent associé à une hyperhémolyse marquée, n'est présent que dans moins de 10 % des cas. Une thrombopénie, parfois inférieure à 50 000/mm3, est fréquente mais peut manquer. Les facteurs de coagulation sont normaux ou diminués par une coagulation intravasculaire disséminée.

Le syndrome HELLP a été initialement décrit comme l'association d'une hémolyse intravasculaire, d'une hypertransaminasémie et d'une thrombopénie (15, 16). En fait, il est souvent incomplet. Le diagnostic de pré-éclampsie est facile en présence d'une douleur de siège épigastrique, d'une hypertension artérielle et d'une protéinurie, ou après une crise d'éclampsie. Il est plus difficile, et donc facheusement retardé, quand la douleur est inaugurale et ectopique, et l'hypertension artérielle modérée ou absente, sans protéinurie décelable (17). Dans ces cas atypiques, le syndrome HELLP, même incomplet, a alors une valeur diagnostique quasi pathognomonique.

Un fait crucial est l'absence de parallélisme entre l'importance des anomalies biologiques et la gravité anatomique des lésions du foie dont le diagnostic repose sur l'imagerie hépatique. L'échographie hépatique est souvent normale. Un épanchement péritonéal de faible abondance peut être présent. La tomodensitométrie hépatique est l'examen le plus performant pour visualiser un hématome sous-capsulaire (moins de 10 % des cas) ou un infarctus étendu.

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Le traitement médical comprend un remplissage vasculaire prudent et, inconstamment, un médicament hypotenseur et la prévention des convulsions. Les diurétiques paraissent indiqués surtout quand une déplétion vasculaire apparaît urgente (œdème pulmonaire aigu). L'interruption de la grossesse n'est pas discutée dans son principe comme seul traitement efficace du syndrome de pré-éclampsie. Le plus souvent, elle est réalisée dans les dix jours après le diagnostic (16). L'influence du syndrome HELLP sur la conduite obstétricale dépend de nombreux paramètres : le terme, l'état du fœtus (croissance, Doppler) et l'état maternel, en particulier l'existence d'éventuelles complications hépatiques anatomiques. Un hématome sous-capsulaire ou un infarctus hépatique étendu est une indication à interrompre la grossesse sans délai. Dans le post-partum, les hématomes sans rupture capsulaire régressent sans traitement hémostatique particulier (16).

La rupture capsulaire spontanée du foie est la complication hépatique la plus grave de la toxémie gravidique. Elle atteindrait préférentiellement les multipares dont la grossesse aurait été mal surveillée. Dans 20 % des cas, elle survient dans le post-partum et succède parfois à une crise d'éclampsie (16). Elle se manifeste par l'apparition, plus ou moins brutale, d'une douleur épigastrique. Une hypotension artérielle avec anémie aiguë traduit l'hémopéritoine par irruption de hématome hépatique dans la cavité péritonéale à travers la dilacération de la capsule hépatique. L'échographie abdominale montre un foie hétérogène et un épanchement péritonéal, sanglant à la ponction. Les lésions hépatiques seront mieux précisées par la tomodensitométrie (mais une insuffisance rénale fera, le plus souvent, retarder l'utilisation d'iode). L'interruption immédiate de la grossesse suivie du transfert rapide dans un centre d'hépatologie médico-chirurgicale est une urgence absolue.

La stratégie thérapeutique (après l'évacuation utérine) vis-à-vis de la rupture capsulaire hépatique n'est pas univoque. La réanimation hémodynamique vise à rétablir et maintenir une pression artérielle moyenne égale ou supérieure à 80 mm Hg et un taux d'hémoglobine d'au moins 9 g/dL. Le remplissage vasculaire ne doit pas utiliser de produit à potentiel néphrotoxique. La surtransfusion peut comporter des risques d'entretien du saignement hépatique. Le plasma frais est surtout indiqué pour maintenir le fibrinogène égal ou supérieur à 0,70 g/L. Une transfusion plaquettaire est indiquée pour restaurer une numération plaquettaire supérieure à 50 000/mm3. Une hémostase hépatique spontanée peut être obtenue dans les cas les plus favorables (16, 18). Une hémostase hépatique spontanée invasive n'est indiquée que devant une instabilité

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hémodynamique malgré des apports transfusionnels conséquents. Elle peut être réalisée par embolisation artérielle (risque d'ischémie hépatique) ou par laparotomie chirurgicale : le « packing » du foie dans une gaze chirugicale est souvent préféré à la ligature artérielle ou la résection hépatique (19). La nécessité d'une transplantation hépatique en urgence, déjà rapportée, est exceptionnelle.

Le taux de mortalité maternelle du syndrome HELLP varie de 0 à 20 % (16). En cas de rupture hépatique, la mortalité des malades opérées est de 40 % (19). La mortalité foetale varie de 30 à 80 %. Une grossesse compliquée de toxémie gravidique avec syndrome HELLP est souvent associée à une thrombophilie. La recherche de celle-ci est spécialement indiquée dans certains cas particuliers : thrombophlébite (membres inférieurs, cérébrale) pendant la grossesse ou le post-partum, HELLP syndrome associé à infarctus hépatique conduisant au diagnostic « complémentaire » de syndrome de Budd-Chiari (Valla, communication personnelle). Une grossesse normale reste possible après rupture hépatique (20)

6. Stéatose hépatique aiguë gravidique (SHAG)

Elle est la seule hépatopathie gravidique responsable d'insuffisance hépatique aiguë. Aux États-Unis, son incidence, généralement évaluée à 1 pour 10-12 000 grossesses, a été récemment réévaluée à 1 pour 6 700 naissances (21) : cette augmentation correspond très probablement à une plus grande reconnaissance de formes mineures ou débutantes de la maladie. Un excès de fœtus mâles et de grossesses gémellaires est souvent signalé.

La lésion caractéristique de la maladie est une stéatose microvésiculaire des hépatocytes de la région centro-lobulaire ne modifiant pas la position centrale du noyau. La cause de la maladie maternelle est souvent indéterminée. Toutefois, aux Etats-Unis, un déficit fonctionnel (homozygote chez le fœtus, hétérozygote chez la mère) de l'enzyme d'oxydation mitochondriale des acides gras à chaine longue (3-hydroxyacyl-CoA déshydrogénase) a été mis en évidence et rendu responsable de plusieurs cas (22).

Pendant plusieurs jours ou semaines, les symptômes cliniques peuvent être précédés d'une hyperuricémie et d'une hypertransaminasémie asymptomatiques. Le début clinique, souvent précédé par une menace d'accouchement prématuré, se situe à partir du 5e mois, le plus souvent après la 28e semaine. Les symptômes en sont principalement une polydipsie souvent supérieure à 3 L/j

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(au moins 50 % des cas), très bien tolérée et habituellement non signalée spontanément. Les autres symptômes majeurs sont des nausées et des vomissements. Plus rares sont des douleurs abdominales hautes, un prurit (20 % des cas), exceptionnellement des manifestations d'hypertension gravidique. Le diagnostic étiologique de ces symptômes repose exclusivement sur une suspicion clinique systématique conduisant à la recherche immédiate d'anomalies biologiques caractéristiques (21, 23). Les aminotransférases sont augmentées : au début des symptômes, elles peuvent atteindre 25 fois la valeur normale avant de décroitre progressivement au cours de l'évolution. La bilirubinémie est normale ou très peu augmentée, les facteurs de coagulation sont normaux, ainsi que la créatininémie et, souvent encore, la leucocytose. Une hyperuricémie est très fréquente. L'échographie hépatique est habituellement normale, ce qui n'écarte pas le diagnostic. À ce stade initial, la condition foetale est normale, et l'interruption de la grossesse (voie basse ou césarienne selon les critères obstétricaux usuels), parfois retardée de plusieurs jours (voire semaines ; expérience personnelle) chez des malades asymptomatiques mais hospitalisées et surveillées, permet une survie materno-foetale de 100 %. En France, cette situation très favorable représente maintenant la très grande majorité des cas. La récidive de la maladie lors d'une grossesse ultérieure est possible mais très rare.

Quand la grossesse se poursuit parce que le début clinique a été méconnu ou négligé, l'aggravation est inéluctable. Au fur et à mesure de l'évolution spontanée, l'interruption de la grossesse est d'autant plus urgente que la maladie materno-foetale est plus grave. En quelques jours à 2 semaines, les symptômes maternels précédents s'accentuent et un ictère à bilirubine conjuguée apparait. Hyperleucocytose, hyperuricémie et hypercréatininémie sont toujours présentes. Le taux de prothrombine inférieur à 50 % de la normale et la diminution parallèle des autres facteurs de coagulation (I, V, VII et X) témoignent de l'insuffisance hépatocellulaire. Une thrombopénie, souvent inférieure à 100 000/mm3, mais non associée à une hémolyse, est fréquente. L'hyperéchogénicité hépatique est possible, mais inconstante. La tomodensitométrie, comparée à des clichés réalisés dans le post-partum, peut aussi détecter la stéatose. Le foetus peut encore être normal, il est parfois déjà hypotrophe. Une souffrance foetale aiguë peut apparaître brusquement. Si l'interruption de la grossesse est très rapidement réalisée (le plus souvent par césarienne), le pronostic maternel est encore bon malgré les risques de complications du post-partum (les plus fréquentes sont les hémorragies génitales et pelviennes,

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mais aussi une ascite, une insuffisance rénale aiguë, des surinfections bactériennes). Si la grossesse n'est pas interrompue très rapidement, l'aggravation se poursuit avec apparition d'ascite par hypertension portale, d'insuffisance rénale et de troubles de la vigilance, voire d'un coma. Le risque de décès materno-fœtal est alors très élevé. La mort in utero accroît encore la gravité maternelle et nécessite une césarienne strictement immédiate. Dans ces formes gravissimes, une transplantation hépatique de sauvetage maternel (déjà rapportée) peut être envisagée. En fait, actuellement en France, la SHAG n'est pratiquement plus une cause d'insuffisance hépatique fulminante.

Dans le post-partum des formes sévères, la réanimation comprend des ocytociques, le maintien des facteurs de coagulation supérieurs à 50 % de la normale par du plasma frais, un remplissage vasculaire efficace non néphrotoxique, la transfusion de culots globulaires en cas d'hémorragie et la prévention et le traitement des surinfections bactériennes.

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