Le virus de l'hépatite B et la grossesse
Françoise DEGOS
Le virus de l'hépatite B, (VHB)
est le virus le plus fréquent à l'échelon mondial, et le plus contagieux,
posant le problème extrêmement préoccupant de la prévention
de l'infection néonatale. Ce virus sévit à l'état endémique
avec une prévalence différente selon les régions du globe, et la
contamination néonatale est majeure dans les pays où la prévalence
est > 5 %, en pratique l'Asie du Sud Est et l'Afrique subtropicale
1. Données virologiques
Le virus de l'hépatite B (VHB) est un virus
à ADN, enveloppé, appartenant à la famille Hepadnaviridae.
Il se présente sous la forme d'une particule sphérique de 42 nm de diamètre
appelée particule de Dane. Ce virus se compose d'une enveloppe externe et d'une
nucléocapside interne ou « core » contenant le génome viral.
La réplication du VHB comporte
une première phase durant laquelle les nucléocapsides virales (antigène
HBc) s'accumulent dans le noyau des hépatocytes infectés. Puis, vient
la phase de maturation du virus dans le cytoplasme cellulaire avec acquisition de
l'enveloppe (antigène HBs). La réplication complète permet la libération,
dans le sérum, de particules de Dane infectieuses et d'antigène HBe. On
détecte alors dasn le sérum l'ADN du VHB, mesurable et quantifiable. À
cette phase de réplication complète peuvent succéder des cycles de
réplication abortive : seules les particules virales non infectieuses sont
présentes. Les particules de Dane sont absentes l'antigène HBe et l'ADN
VHB ne sont pas détectables.
Des formes mutantes du VHB peuvent
apparaître au cours de la réplication virale. La mutation la plus fréquemment
identifiée est une mutation survenant au niveau de la région pré-C
du gène C, 568 F. DEGOS
empêchant la synthèse d'antigène
HBe malgré une réplication virale complète et la présence d'ADN
viral dans le sérum.
2. Données épidémiologiques et cliniques
L'endémie du VHB est variable selon les zones
géographiques. Elle est faible (0,2 à 0,5 % de porteurs chroniques de
l'antigène HBs), intermédiaire (2 à 7 %) ou forte (8 à 20 %).
Les zones de forte endémie sont l'Asie du Sud-Est, l'Afrique tropicale, l'Extrême-Orient.
L'hépatite aiguë B est particulièrement fréquente chez les partenaires
sexuelles non vaccinées des sujets porteurs chroniques du VHB. L'infection
aiguë initiale par le VHB est asymptomatique dans 2/3 des cas. La période
d'incubation de l'hépatite aiguë B est de 2 à 3 mois. Les lésions
hépatiques sont dues à la réaction immunitaire de l'hôte dirigée
contre le virus. La réplication virale cesse le plus souvent dans le mois qui
suit le début des symptômes cliniques.
Le diagnostic d'hépatite B repose
sur la détection précoce de l'antigène HBs. La recherche d'anticorps
anti-HBc de type IgM oriente ensuite le diagnostic vers l'hépatite aiguë.
Le diagnostic d'hépatite aiguë B peut, dans 10 à 15 % des cas, reposer
uniquement sur la détection des IgM anti-HBc, l'antigène HBs étant
devenu rapidement non détectable avant ou au tout début des symptômes
cliniques.
La guérison intervient en 1 à
6 mois. On admet que le risque de développer une infection chronique après
primo-infection par le VHB chez un adulte non immunodéprimé ne dépasse
pas 5 %.
L'hépatite chronique B est peu
symptomatique. La maladie évolue en trois phases. La première phase est
caractérisée par une forte multiplication virale, et une quantité
importante d'ADN VHB dans le sérum, une activité biologique (élévation
des aminotransférases) et histologique modérées. Elle peut durer
plusieurs années. La deuxième phase est caractérisée par une
diminution de la multiplication virale, une diminution de l'ADN VHB sérique,
et une augmentation de l'activité biologique et histologique. Cette phase va
aboutir à la disparition de l'AgHBe avec apparition de l'anti HBe. On l'appelle
parfois de ce fait phase de séroconversion. La troisième phase est caractérisée
par l'absence de réplication virale et l'absence d'activité. On peut observer
au cours de la phase sans multiplication virale, une réactivation de l'hépatite,
avec réapparition de la multiplication virale, élévation des aminotransférases
et réapparition de l'activité histologique.
LE
VIRUS DE L'HéPATITE B ET LA GROSSESSE 569
Chez les mère atteintes d'hépatite
chronique B, il faut déterminer s'il existe une réplication virale ou
pas. Cette réplication virale peut être évaluée par deux paramètres
: le système HBe et la quantification du génome viral (ADN VHB). La présence
d'antigène HBe sérique est associée à une réplication virale
complète et indique que la patiente est « contagieuse » ; il n'y
a pas d'anticorps anti-HBe. En cas d'arrêt de la réplication virale, il
y aura négativation de l'antigène HBe, apparition des anticorps anti-HBe.
Le meilleur marqueur de réplication virale est l'ADN VHB, dont la présence
est synonyme de présence de particules virales infectieuses. La quantification
de l'ADN VHB par des techniques de biologie moléculaire.
Chez les patientes atteintes d'hépatite chronique
B, trois situations peuvent se présenter :
• l'AgHBs est
présent dans le sérum, sans AgHBe ni ADN VHB détectables
: il n'y a pas de multiplication virale. Le risque de transmission du VHB à
l'enfant est minime ;
• l'antigène
HBs est présent ; il existe des signes de multiplication virale : présence
d'ADN VHB et AgHBe positif. Le risque de transmission est élevé ;
• l'antigène
HBs est présent ; l'ADN VHB est présent mais l'AgHBe n'est pas détectable,
et il existe des anticorps anti-HBe. Ce profil sérologique
est rencontré chez des patientes infectées par un virus mutant du gène
C (mutation empêchant la synthèse d'antigène HBe. L'ADN VHB constitue
alors le seul marqueur de multiplication virale. Le risque de transmission est élevé,
comme dans le cas précédent.
3. Hépatite B et grossesse
L'hépatite aiguë B survenant chez la
femme enceinte n'a pas de particularité clinique. Cependant, elle semble plus
mal tolérée au troisième trimestre. La grossesse n'augmente pas le
risque d'évolution vers l'hépatite fulminante. Elle ne semble pas, non
plus, augmenter le risque de développer une infection chronique après
primo-infection par le VHB. Chez un sujet dont le statut sérologique antérieur
n'était pas connu, la primo-infection est difficile à distinguer d'une
hépatite aiguë par réactivation du VHB qui peut être observée
pendant la grossesse. La recherche de l'antiHBc de type IgM est alors d'un intérêt
majeur.
L'infection chronique par le VHB n'a
pas d'influence délétère sur la grossesse, elle n'est pas aggravée
par la grossesse et n'est pas 570 F. DEGOS
une contre-indication à une grossesse.
Cependant, il est licite de proposer, avant procréation, un traitement anti-viral
aux femmes ayant une multiplication virale, afin de diminuer le risque de transmission
materno-fœtale (voir ci-après).
4. Transmission materno-foetale du VHB
Il n'y a pas de transmission transplacentaire
du VHB, sauf exception. La contamination fœtale est per-natale. Elle survient pendant
l'accouchement, soit par échanges sanguins tardifs mère-enfant, soit par
déglutition des sécrétions lors du passage des voies génitales.
La naissance par césarienne n'empêche pas la contamination de l'enfant.
La contamination post-natale, lors du maternage, est possible.
Le risque de transmission varie selon
la date de survenue de l'hépatite aiguë B pendant la grossesse. Au premier
trimestre, ce risque est pratiquement nul ; au deuxième trimestre, il est de
l'ordre de 10 %-20 %. Au troisième trimestre de la grossesse ou dans les deux
premiers mois du post-partum, il dépasse 80 %.
Chez la femme enceinte ayant une hépatite
chronique B, le risque de transmission materno-foetale du VHB dépend du niveau
de réplication virale au moment de l'accouchement. Il est de plus de 90 % chez
les femmes avec réplication virale, contre 5-20 % chez les femmes sans réplication
virale. Lorsqu'il existe une multiplication virale importante chez la mère,
il se pourrait que la présence de l'AgHBe circulant au cours de la grossesse
entraîne une immuno-tolérance, l'absence de réaction immunitaire
contre le VHB de la part du nouveau-né, et explique ainsi la fréquence
du portage chronique du VHB chez les nouveaux nés contaminés.
5. Transmission paternelle du VHB en période
néo-natale
Le risque doit être envisagé dans les
familles originaires de zones géographiques de forte endémie pour le VHB,
et cela, même si la mère n'est pas elle-même porteuse chronique du
virus. Si on détecte un portage chronique du VHB chez le père, les auteurs
recommandent la séro-vaccination du nouveau-né à la naissance est
recommandée. LE
VIRUS DE L'HéPATITE B ET LA GROSSESSE 571
6. Infection du nouveau-né
Chez l'enfant contaminé avant trois mois
en l'absence de séro-vaccination il existe un risque très faible
d'hépatite fulminante. Par contre, le risque d'évolution vers l'hépatite
chronique est de 90 à 100 %.
7. Stratégie de dépistage et de diagnostic
de l'infection materno-fœtale
Le risque de transmission materno-fœtale de l'hépatite
B ainsi que ses conséquences chez l'enfant ont amené à mettre en
place une surveillance obligatoire de cette infection durant la grossesse. Le décret
N° 92-143 du 14 Février 1992 relatif aux examens prénuptial, prénatal
et postnatal impose une recherche d'antigène HBs au cours du sixième mois
de grossesse.
8. Traitement
Mère
L'hépatite aiguë B chez la femme enceinte
ne nécessite aucun traitement. La survenue d'une hépatite aiguë B
dans l'entourage proche d'une femme enceinte non immunisée vis-à-vis du
VHB est une indication à sa vaccination immédiate et à la séro-vaccination
de l'enfant à la naissance.
A la condition stricte que la séro-vaccination
du nouveau-né soit correctement effectuée, l'allaitement maternel par
une femme porteuse de l'antigène HBs est autorisé, même s'il existe
une réplication virale. Il faut rappeler que les traitements anti-viraux sont
contre-indiqués au cours de la grossesse et de l'allaitement.
Enfant
La sérovaccination est la technique de
choix, démontrée comme capable de prévenir plus de 95 % des contaminations
néonatales, quel que soit le statut sérologique de la mère par rapport
au VHB. Tout nouveau-né de mère ayant développé une
572 F. DEGOS
hépatite aiguë B pendant sa grossesse,
quelle que soit la date de l'infection maternelle, doit recevoir une séro-vaccination.
Tout nouveau-né de mère atteinte d'hépatite chronique B, quel que
soit le niveau de réplication virale chez la mère, doit aussi recevoir
cette séro-vaccination. La séro-vaccination combine l'immunisation passive,
par injection d'immunoglobulines anti-HBs, à la vaccination. Cette séro-vaccination
du nouveau-né comporte, dans les 24 h suivant la naissance, une injection d'immunoglobulines
anti-HBs (0,5ml en IM) et une première injection, en un point différent,
de vaccin recombinant contre l'hépatite B. La vaccination sera complétée
par une injection à 1 mois d'âge, puis à 6 mois (schéma 0, 1,
6). L'efficacité du vaccin chez les nouveau-nés est supérieure à
95 %.
La vaccination de tous les nouveaux-nés (en
l'absence de problème de contamination néonatale) fait partie du calendrier
vaccinal, et reste mal pratiquée en France puisque les dernières évaluations
montrent que seulement 30% des enfants de moins de 1 an sont actuellement immunisés
contre le VHB.
Père et fratrie
Il est utile de déterminer le profil sérologique
du père et des autres enfants afin de proposer, si nécessaire, une vaccination
contre l'hépatite B.
HéPATITE DELTA
Le virus de l'hépatite Delta (VHD), aussi
appelé agent Delta, est un virus à ARN. Le VHD est un virus défectif,
sa réplication virale n'étant possible qu'en présence d'un virus
auxiliaire, le VHB. Le VHD est un virus enveloppé par l'enveloppe du VHB, qu'il
a empruntée.
1. Données épidémiologiques et cliniques
Le VHD infecte surtout les toxicomanes par voie
intraveineuse et leurs partenaires sexuels. La vaccination contre le VHB de ces
derniers assure donc la prévention à la fois de l'hépatite B et de
l'hépatite D (ou delta).
L'infection par le virus Delta peut
s'observer soit simultanément par rapport à l'infection VHB (co-infection),
soit chez un patient LE
VIRUS DE L'HéPATITE B ET LA GROSSESSE 573
préalablement porteur du VHB : (surinfection).
La co-infection peut être responsable d' une hépatite aiguë sévère,
la surinfection s'accompagne généralement d'une disparition de la multiplication
virale, et sa gravité dépend de la sévérité de l'atteinte
hépatique antérieure, attribuable au VHB.
Diagnostic de l'infection Delta
Le diagnostic d'hépatite Delta se fait à
partir de trois marqueurs : l'antigène Delta, les IgM anti-Delta et les anticorps
totaux anti-Delta. Lors de l'infection Delta, l'antigénémie Delta est
souvent transitoire ; elle est suivie par la synthèse d'IgM anti-Delta puis
d'IgG anti-Delta.
Diagnostic de coinfection
Cette primo-infection simultanée
par le VHB et le VHD se traduit par un profil sérologique d'hépatite aiguë
B (présence d'antigène HBs et d'IgM anti-HBc) associé à des
marqueurs Delta ; la détection de l'antigène Delta est peu fréquente
; les IgM anti-Delta sont détectés avant les anticorps totaux anti-Delta.
Diagnostic de surinfection
Cette primo-infection par le VHD chez
un patient atteint d'hépatite chronique B se traduit par un profil sérologique
d'hépatite chronique B (présence d'antigène HBs, absence d'IgM anti-HBc)
associé à des marqueurs Delta. On note souvent un arrêt de réplication
virale.
2. Hépatite D et grossesse
La survenue d'une hépatite aiguë D au
cours de la grossesse a rarement été documentée.La transmission néo-natale
du VHD n'est possible que s'il existe une réplication du VHB chez la mère.
La recherche des marqueurs Delta est particulièrement indiquée chez les
femmes enceintes ayant une hépatite chronique B sans réplication virale,
et une augmentation même minime des aminotransférases.
574 F. DEGOS
Conclusion
La détection et la prise en charge de la
mère, de l'enfant et du reste de la famille en cas d'infection par le VHB est
absolument indispensable. En effet, nous disposons de la vaccination , associée
ou non à l'administration d'immunoglobulines anti-HBs, traitement capable de
prévenir dans la plupart des cas la transmission néonatale du VHB au nouveau-né.
Ceci est d'autant plus important que
l'évolution d'une infection par le VHB contractée au cours de la période
néonatale est particulièrement sévère, entraînant une infection
chronique dans 90% des cas, et la possibilité de survenue de carcinome hépatocellulaire
avant la dixième année. Les études de séro-vaccination menées
dans les pays de forte endémie ont démontré qu'une politique de prévention
bien conduite aboutissait en 10 ans à la disparition des cas de carcinome hépato-cellulaire,
la complication la plus grave du portage chronique du VHB. On peut ainsi considérer
que le vaccin contre le VHB est le premier vaccin contre un cancer.
Bibliographie
[1] RIZZETTO M. Viral
infections of the liver. In : Bircher J, Benhamou JP, McIntyre N, Rizzetto M, Rodès
J, editors. Oxford Textbook of Clinical Hepatology. Oxford Medical Publications
; 1999. p. 827-975.
[2] LEMON SM,
THOMAS DL. Vaccines to prevent viral hepatitis. N Engl J Med 1997;336:196-204.
[3] WU JS, HWANG
LY, GOODMAN KJ, BEASLEY RP. Hepatitis B vaccination in high-risk infants
: 10-year follow-up. J Infect Dis 1999;179:1319-25.
[4] RAWAL BK,
PARIDA S, WATKINS RPF, GHOSH P, SMITH H. Symptomatic reactivation
of hepatitis B in pregnancy. Lancet 1991;337:364.
[5] RANCKX R,
ALISJAHBANA A, MEHEUS A. Hepatitis B virus vaccination and antenatal
transmission of HBV markers to neonates. J Viral Hepat 1999;6:135-9.
[6] SOULIé
JC, UZAN M. L'allaitement accroît-il le risque de transmission de l'état
de porteur chronique du virus de l'hépatite B ? Gastroenterol Clin Biol
1997; 21:197-9.
[7] ZANETTI
AR, FERRONI P, MAGLIANO EM, PIROVANO P, LAVARINI C, MASSARO
AL, GAVINELLI R, FABRIS C, RIZZETTO M. Perinatal transmission
of the hepatitis B virus and of the HBV-associated Delta agent from mothers to offspring
in northern Italy. J Med Virol 1982;9:139-48. |