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Titre: Grossesse et tabac
Année: 2003
Auteurs:
Spécialité: Obstétrique
Theme: Intoxication et grossesse

Grossesse et tabac

Sylvain RENOLLEAU

En France, la consommation de tabac des femmes a augmenté de 17 % en 1972 à 39 % en 1995. Parallèlement, Le nombre de femmes qui fument pendant leur grossesse est passé de 10 % à 25 %. Ainsi, 70 % des femmes fumeuses continuent à fumer pendant la grossesse et la majorité de celles qui arrêtent de fumer reprennent le tabac après l'accouchement (1). Cette évolution est retrouvée dans la plupart des pays industrialisés. Le tabagisme de la femme enceinte représente donc un problème de santé publique grandissant malgré les campagnes d'informations entreprises ces dernières années.

Composition de la fumée du tabac

La composition de la fumée du tabac est complexe. Elle dépend du type de tabac (blond, brun), des additifs et du mode de consommation. Plus de 4 000 substances ont été identifiées (2). Dans la phase gazeuse, il y a 10 à 15 % de gaz carbonique, 3 à 6 % de monoxyde de carbone, 0,1 à 0,2 % d'acide cyanhydrique et des composés organiques volatils (1 à 3 %) tels que des aldéhydes, cétones et hydrocarbures. Dans la phase solide, il y a des substances cancérigènes (hydrocarbures polyaromatiques, dérivés nitrés, aldéhydes, nitrosamines, cétones, benzène, éléments radioactifs), des irritants (acroléines), des métaux (nickel, cadmium), des radicaux libres (quinones, hydroquinones, époxides, CO, composés péroxydes), et la nicotine. Les principaux constituants du tabac passent la barrière placentaire et peuvent atteindre le fœtus. Ainsi par exemple le taux maternel de carboxyhémoglobine varie de 5 à 15 % pour une consommation de 20 cigarettes par jour et celui du fœtus est égal à 1,8 fois celui de la mère.

La consommation de tabac peut être appréciée de façon précise par le dosage de la cotinine. La cotinine représente 80 % des produits de la dégradation de la nicotine. Elle est présente dans tous les milieux biologiques (sang, urines, salive, lait, cheveux, liquide

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amniotique,...). La cotinine se retrouve chez le fœtus et dans le liquide amniotique (30 à 45 % des taux des mères fumeuses) (3).

Retentissement de la consommation de tabac
sur la grossesse

Le tabac augmente la fréquence d'un grand nombre de pathologies de la grossesse.

Altération de la fertilité des patientes

Le tabagisme maternel et paternel augmente la durée et le délai à la conception, et ce d'autant plus que le tabagisme est important et que les parents sont âgés. Le tabac diminue la réserve ovarienne en ovocytes, a un effet anti œstrogènes et favorise la production d'androgènes surrénaliens. Par ailleurs, le tabac diminue la fécondité par augmentation des infertilités d'origine tubaire et le nombre de grossesses évolutives. Le taux de réussite des fécondations in vitro est diminué (1).

Augmentation du risque de grossesse extra utérine (GEU)

Le risque de GEU est augmenté chez la femme fumeuse et ce de façon dose dépendante (tableau 1) (4). La nicotine à une action directe toxique sur la mobilité tubaire. Ce risque redevient celui de la population générale si la consommation de tabac est arrêtée 1 mois avant la conception (5).

Augmentation du risque de fausse couche spontanée (FCS)

Le risque relatif moyen de FCS est chez la femme fumeuse multiplié par 1,5 à 3 de façon dose dépendante (7). Ainsi, chez les grandes fumeuses (plus de 20 cigarettes par jour) le risque de

Tableau 1 : Tabac et GEU (6).

Moins de 10 cigarettes/j   Risque Relatif (RR) multiplié par 1,5

Plus 20 cigarettes /j   RR X 3

Plus de 30 cigarettes / j   RR X 5

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FCS est de 20 % pour un risque de 10 % chez les non fumeuses et peut atteindre 35 % si la consommation est de 35 cigarettes par jour. Le risque de FCS est aussi augmenté par le tabagisme passif (d'une heure au moins par jour). Les mécanismes invoqués sont : une mauvaise qualité de l'endomètre qui devient impropre à la nidation en raison d'une diminution des pics de LH-RH et du taux d'œstradiol sous l'effet de la nicotine ; une altération des ovocytes ; une diminution du flux sanguins utérin ; une altération du blastocyte par la nicotine (8).

Augmentation du risque de métrorragies

Le risque de métrorragies liées au tabac au cours de la grossesse est aussi dose dépendant. Le risque relatif d'hématome rétroplacentaire est multiplié par 1,5. Les décollements placentaires seraient secondaires à des nécroses déciduales ischémiques précoces et des troubles rhéologiques (6).

Le risque d'insertion basse du placenta est multiplié par 2 à 3. Le placenta chez les fumeuses a une surface plus grande du fait de l'hypoxie (6).

Augmentation du risque d'accouchement prématuré

Le tabac augmente le risque de prématurité (9), en particulier du fait d'une rupture prématurée des membranes. La rupture prématurée des membranes avant un terme de 34 semaines serait trois fois plus fréquente chez la femme fumeuse. Le risque relatif moyen de ne pas mener une grossesse à terme chez la femme fumeuse est multiplié par 2. Il est en augmentation ces dix dernières années. Ce risque est dose dépendant. Ainsi, fumer moins de 20 cigarettes par jour serait responsable d'une augmentation de 20 % du nombre d'accouchements avant 38 SA et fumer plus de 20 cigarettes par jour d'une augmentation de plus de 50 % (10). Enfin, le risque de prématurité liée au tabac augmente avec l'âge de la mère.

Il est important de signaler que cette majoration du risque disparaît si la femme arrête de fumer avant la conception et diminue nettement si l'arrêt de l'intoxication tabagique survient dans le premier trimestre de la grossesse.

En plus de l'augmentation de fréquence des complications obstétricales qui peuvent être à l'origine de la prématurité telles que le placenta praevia ou l'hématome rétroplacentaire, des mécanismes plus spécifiques ont été évoqués. Expérimentalement, le tabac

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augmente le taux de Platelet Activating Factor circulant en inhibant la production de son enzyme de dégradation par les macrophages des cellules déciduales et les monocytes circulants (11). Cet effet, non lié à la nicotine, est comparable à celui des cytokines et des endotoxines. Par ailleurs, les chorio-amniotites sont plus fréquentes chez les mères fumeuses.

Autres effets du tabac pendant la grossesse

L'hypertension artérielle gravidique serait moins fréquente chez la femme fumeuse, mais celle ci serait plus grave quand elle survient Le tabac serait aussi responsable d'une augmentation des pathologies buccodentaires, du risque de vergetures, d'anomalies de cicatrisation après césarienne, de modifications de certains paramètres biologiques (glycémie, taux d'insuline, HGC).

Retentissement du tabac sur le fœtus

Augmentation du risque de retard de croissance intra utérin (RCIU)

Une étude américaine sur une cohorte de 11177 femmes enceintes a montré que la prévalence du RCIU serait de 17,7 % si la femme enceinte fume pendant toute la grossesse, de 15,4 % si elle fume pendant les 2e et 3e trimestre et de 7,2 % quand elle fume pendant le 1er trimestre uniquement. Cette prévalence est de 8,5 % chez les non fumeuses (12).

En France l'incidence du RCIU serait de 5 % tous âges gestationnels confondus. Dans la région Nord, elle est de 9 % et augmente à 16 % si la consommation maternelle est inférieure à 10 cigarettes par jour et à 27 % si la consommation est supérieure 10 cigarettes par jour. Il n'y a pas de RCIU si la mère arrête le tabac avant 16 semaines d'aménorrhée. La relation entre la quantité de tabac consommé par jour et le déficit pondéral à la naissance n'est pas linéaire (13). Même une faible consommation de tabac reten

Tableau 2 : consommation de tabac pendant la grossesse et RCIU.

•   Relation dose effet : 1 cigarette/j entraîne une diminution 10 à 20 g sur le poids final.

•   Tabagisme passif : diminution 100 g sur le poids final.

•   Moins de 5 cigarettes /j : diminution d'environ 100 g sur le poids final.

•   Plus de 20 cigarettes /j : diminution de 458 g.

•   Consommation de tabac : diminution en moyenne 150 à 300 g sur le poids final.

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tit sur la croissance fœtale. Ainsi la prévalence du RCIU passe de 8,5 % à 14,7 % pour une consommation de 1 à 5 cigarettes par jour et à 18,7 % si elle dépasse 10 cigarettes par jour (12).

Le RCIU lié à la consommation de tabac affecte le poids (tableau 2), la taille, le périmètre thoracique et le périmètre crânien. Le retentissement sur le diamètre bipariétal apparaît dès la 22e semaine d'aménorrhée à l'échographie.

Les mécanismes mis en cause sont : une diminution de l'apport calorique chez la mère ; une diminution chronique du débit sanguin intervilleux placentaire ; une hypoxie fœtale chronique par la formation de carboxyhémoglobine ; un effet toxique du cadmium capteur de Zinc nécessaire à la croissance cellulaire.

Malformations fœtales

Ce point est controversé. Certains auteurs ont avancé une possible augmentation des anomalies du tube neural, des fentes labio-palatines, des anomalies des membres, des malformations urinaires ou cardiaques. Ce risque semble significatif pour une consommation supérieure à 20 cigarettes par jour.

Mort fœtale in utero (MFIU) et autres effets chez le fœtus

Onze pour cent des MFIU tardives serait imputables au tabac en raison des complications placentaires et du RCIU.

Enfin le tabac diminue la fréquence du rythme respiratoire fœtal, la variabilité du rythme cardiaque fœtal, les mouvements fœtaux et augmente le débit cardiaque et la fréquence cardiaque.

Retentissement du tabac sur le nouveau-né
et le petit nourrisson

Il n'y a pas, chez les enfants nés après exposition au tabac pendant la grossesse, d'augmentation du risque de décès en période néonatale mais il existe une augmentation du risque de mort subite du nourrisson. Ce risque serait multiplié par 2 si la mère a fumé pendant la grossesse (14). Ce risque serait dose dépendant (1,8 et 2,7 respectivement si la consommation est supérieure ou inférieure à 10 cigarettes par jour). La fréquence et la durée des apnées obstructives pendant le sommeil sont plus élevées chez les enfants de mères fumeuses. La durée des apnées est liée au

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nombre de cigarettes fumées par la mère. Des études animales récentes ont montré que l'exposition anténatale à la nicotine diminue chez l'animal les réponses ventilatoires d'éveil à l'hypoxie (15, 16).

Tabac et allaitement

Le tabac diminue la production lactée par l'intermédiaire d'une diminution du taux de prolactine (de 30 à 50 %). La nicotine passe rapidement dans le lait car elle est peu liée aux protéines plasmatiques. Les effets du tabagisme lacté sont moindre que ceux du tabagisme passif. Enfin, la morbidité est plus importante chez les nourrissons qui subissent un tabagisme passif et qui ne sont pas allaités.

Tabac pendant la grossesse
et problèmes respiratoires chez l'enfant

Le tabagisme maternel favorise la survenue d'infections respiratoires et de l'asthme. Ainsi une étude sur 12 740 enfants retrouvait que les infections respiratoires basses de 0 à 5 ans étaient corrélées avec le tabagisme de la mère pendant la grossesse alors qu'elles ne l'étaient pas avec le tabagisme passif d'origine paternel ou maternel (17). Li et al. dans une méta-analyse regroupant 13 études retrouve cette même corrélation entre infection respiratoire basse de 0 à 6 ans et tabagisme maternel au cours de la grossesse (18). L'incidence d'épisodes de respiration sifflante serait de 45 % pendant la première année chez les enfants de mères fumeuses (19). Aux épreuves fonctionnelles respiratoires, les résistances expiratoires sont augmentées, la capacité vitale forcée est diminuée et cette diminution est corrélée à la concentration de cotinine urinaire pendant la grossesse.

Autres effets du tabagisme maternel
pendant la grossesse sur le devenir de l'enfant

Le tabac augmente la pression artérielle systolique du nouveau-né (pendant 6 mois à 1 an).

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Certains auteurs ont mis en évidence une relation entre la consommation de tabac pendant la grossesse et le développement psychomoteur ou cognitif de l'enfant. Ainsi, une étude portant sur 17 000 enfants a mis en évidence une diminution significative des scores de lecture et de mathématiques à l'âge de 7, 11 et 16 ans, et un niveau socio-professionnel bas à l'âge de 23 ans dans le groupe de sujets exposés au tabac pendant la grossesse (20). Le suivi de 1 265 enfants pendant 15 ans a montré une augmentation significative des troubles du comportement chez ceux dont les mères avaient fumé plus de 20 cigarettes par jour pendant la grossesse (21). Toutefois, il est difficile d'évaluer le risque spécifique lié à l'exposition du fœtus au tabac sur le développement cérébral de l'enfant. D'autres facteurs pouvant affecter ce développement coexistent souvent avec le tabagisme maternel.

Prévention

En raison de tous les risques développés précédemment sur l'installation et le déroulement de la grossesse, sur le développement du fœtus et le devenir de l'enfant, le sevrage tabagique de la future mère fumeuse doit être un objectif privilégié. Ce sevrage doit être idéalement total. Il peut être aidé par la prise de traitement de substitution et doit tenir compte des facteurs psychologiques, socio-économiques, familiaux.

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