Maladies vasculaires du foie et grossesse
Dominique-Charles VALLA
Les maladies vasculaires du foie sont
caractérisées par une atteinte primitive des veines hépatiques, du
système porte, du système artériel hépatique, ou des capillaires
hépatiques. Ces affections sont rares, potentiellement graves, et affectent
souvent des sujets jeunes. Certaines d'entre elles sont favorisées par la contraception
oestro-progestative et la grossesse.
Atteintes des veines hépatiques[1]
Généralités
L'obstruction des veines hépatiques caractérise
le syndrome de Budd-Chiari. L'obstruction peut être causée par un envahissement
néoplasique, par une compression extrinsèque (tumeur solide ou kystes),
ou par une thrombose. La thrombose des veines hépatiques est le mécanisme
le plus fréquent. Elle affecte principalement les femmes (3 à 4 fois plus
souvent que les hommes) d'âge jeune (habituellement 16 - 35 ans). Elle
est toujours associée à un facteur thrombogène. Le facteur thrombogène
peut être une affection prothrombotique (syndrome myéloprolifératif
primitif dans 50 % des cas, déficit en protéine C dans 25 % des cas, facteur
V Leiden dans 25 % des cas, mais aussi syndrome des antiphospholipides, hémoglobinurie
paroxystique nocturne, déficit en protéine S, mutation du gène de
la prothrombine, etc.). Le facteur thrombogène peut aussi être une prise
de contraceptifs oraux, une grossesse, un état inflammatoire marqué, ou
un cancer. Dans 25 % des cas plusieurs facteurs thrombogènes sont associés
(par exemple un syndrome myéloprolifératif, un facteur V Leiden, et la
prise de contraceptifs oraux. 592 D.-C. VALLA
L'obstruction des veines hépatiques peut
se constituer rapidement ou lentement. Elle a deux types de conséquences :
une augmentation de la pression sanguine intrahépatique qui est constante et
permanente, et une diminution de la perfusion hépatique qui est inconstante
et habituellement transitoire. L'augmentation de pression conduit à une congestion
(augmentation de volume et douleur hépatiques) et explique l'hypertension portale
habituellement compliquée d'ascite et plus rarement d'hémorragie digestive.
La diminution de perfusion explique le syndrome de cytolyse et le syndrome d'insuffisance
hépatique. Les manifestations peuvent être aiguës ou chronique. Les
thromboses récentes d'une veine hépatique, sont responsable de douleurs
de l'hypochondre droit et de fièvre. En l'absence de traitement, la plupart
des cas symptomatiques évoluent vers le décès (mortalité spontanée
de plus de 60 % à un an). Toutefois, on récemment observé des cas
totalement asymptomatiques. L'absence de manifestation est le résultat de 2
phénomènes : la constitution très lente de l'obstruction et le développement
d'une circulation collatérale contournant l'obstacle, décomprimant le
foie, et rétablissement partiellement la perfusion dans les territoires hépatiques
obstrués.
À condition de l'évoquer systématiquement,
le diagnostic est facilement fait par l'échographie-Doppler ou l'IRM. Mais
le diagnostic peut facilement être méconnu si l'on n'y pense pas. On conclut
alors à tort à une cirrhose, une hépatite aiguë, une carcinose
péritonéale, une tumeur du foie, une cholécystite, etc.
Les traitements modernes ont permis
une très forte amélioration du pronostic (plus de 75 % de survie à
10 ans). Ces traitements incluent toujours le traitement de l'affection thrombogène
sous-jacente et le traitement anticoagulant. On leur associe le traitement médical
ou endoscopique de l'hypertension portale, et le traitement médical habituel
de l'ascite. Les autres modalités sont fonction de la sévérité
des manifestations, du type des lésions veineuses, et de la réponse thérapeutique.
La première étape consiste chercher - et si elle est présente,
à dilater par voie percutanée - une sténose localisée
d'une veine hépatique. La deuxième étape consiste à effectuer
une anastomose parto-cave latéro-latérale (qui permet de décongestionner
le foie en transformant la veine porte d'un affluent en un effluent). Actuellement,
les anastomoses chirurgicales sont remplacées par les anastomoses intra-hépatiques
percutanées (TIPS). La dernière étape est la transplantation hépatique.
La transplantation doit parfois être effectuée en urgence.
MALADIES
VASCULAIRES DU FOIE ET GROSSESSE 593
Thrombose des veines hépatiques et grossesse
De nombreux cas de thrombose des veines hépatiques
se manifestant au cours ou au décours immédiat de la grossesse ont été
rapportés [1]. Toutefois, la grossesse ne peut être considérée
que comme un facteur déclenchant. En effet, beaucoup des cas rapportés
étaient associés à des affections prothrombotiques évidentes,
souvent déjà connues. Dans les autres cas, ces affections n'avaient pas
été cherchées. Dans notre expérience, tous les cas de syndrome
de Budd-Chiari se manifestant au cours de la grossesse étaient associés
à la combinaison de plusieurs affections prothrombotiques. Dans tous les cas
qui ont pu faire l'objet d'une exploration complète, un facteur V Leiden était
présent, en plus d'autres facteurs favorisant. Enfin, la plupart des cas se
sont présentés sous une forme très aiguë, parfois très
sévère. Dans un cas, une transplantation en urgence a été nécessaire.
Dans les autres cas, le traitement anticoagulant a suffit pour obtenir un contrôle
complet des manifestations y compris à long terme.
Malgré le fait bien établi
que la grossesse soit un facteur déclenchant de la thrombose des veines hépatiques,
plusieurs cas de grossesse on été rapportés chez des patientes ayant
un syndrome de Budd-Chiari connu et traité [2]. Il n'a pas été observé
de complication particulière pour la mère ou pour l'enfant, sous réserve
de plusieurs précautions : remplacement des antagonistes de la vitamine K par
des héparines avant la conception, maintien d'une anticoagulation pendant toute
la grossesse.
Atteintes de la veine porte[3]
Généralités
L'obstruction des veines du système porte
intra ou extra-hépatique peut être due à un envahissement néoplasique
(cause la plus fréquente) ou à une thrombose primitive. La thrombose est
associée dans 75 % des cas à un facteur favorisant. Il peut s'agir d'une
affection prothrombotique (syndrome myéloprolifératif dans 30 % des cas,
déficit en protéine S dans 25 % des cas, mais aussi facteur V Leiden,
anticorps anti-phospholipides, mutation du gène de la prothrombine). Plus souvent,
il s'agit d'un facteur favorisant comme un état inflammatoire ou cancéreux.
L'association de la 594 D.-C. VALLA
grossesse ou des contraceptifs oraux avec la
thrombose des veines du système porte est moins forte qu'avec la thrombose
des veines hépatiques. Dans 25 % des cas une cause locale peut être identifiée.
Il peut s'agir d'une lésion des veines du système porte (traumatisme -
même fermé - de l'abdomen, cathéterisme de la veine ombilicale,
splénectomie, résection colique, anastomose portosystémique), une
affection inflammatoire (diverticulite, appendicite, pancréatite), ou un cancer
digestif (même sans invasion néoplasique). La cirrhose ne peut être
considérée comme une cause de thrombose portale qu'au stade très
avancé où il y a une stagnation du flux portal. Dans 15 % des cas plusieurs
facteurs favorisant sont présents simultanément.
La thrombose des veines du système porte
est de plus en plus souvent reconnue au stade précoce de pyléphlébite
aiguë. Les manifestations associent douleurs abdominales, ou lombaires, fièvre
et syndrome inflammatoire. Lorsque la thrombose s'étend aux arcades mésentériques
- d'emblée ou parce que le stade initial a été méconnu
- il y a ischémie intestinale et éventuellement infarctus mésentérique
avec un risque de décès de plus de 50 % malgré une intervention chirurgicale
précoce. Lorsque le facteur déclenchant est une appendicite ou une diverticulite,
le tableau est celui d'une pyléphlébite septique avec septicémie
à Bactéroïdes et abcès du foie. L'échographie-Doppler et
la tomodensitométrie permettent de faire facilement le diagnostic. À ce
stade, le traitement anticoagulant seul permet d'obtenir la reperméation complète
ou partielle dans 80 % des cas. L'extension initiale de la thrombose est le principal
facteur prédictif de la réponse thérapeutique.
Lorsque le diagnostic initial a été
méconnu, l'évolution de la thrombose de la veine porte peut se faire vers
l'involution fibreuse du segment thrombosé. Il se crée alors un réseau
collatéral (constituant le cavernome) qui contourne le segment obstrué.
Lorsque le segment obstrué est le tronc de la veine porte il se constitue une
hypertension portale que les veines du cavernome ne suffisent pas à corriger,
malgré un développement parfois très marqué. Ce stade peut rester
totalement asymptomatique et reconnu fortuitement (splénomégalie, thrombopénie
ou leucopénie d'hypersplénisme, échographie, ou endoscopie digetsives
mettant en évidence des varices). Plus rarement, les manifestations sont des
hémorragies digestives dues à l'hypertension portale, un accident d'ischémie
intestinale, ou une cholestase par obstruction biliaire due aux veines du cavernome.
Globalement, le pronostic est excellent
sous réserve d'administrer à la fois un traitement adapté pour l'hypertension
portale (agent MALADIES
VASCULAIRES DU FOIE ET GROSSESSE 595
bêta-bloquant ou ligature endoscopique
des varices) et un traitement anticoagulant (qui contrôle le risque de récidive
ou d'extension de la thromboses sans augmenter le risque d'hémorragie). Les
complications biliaires deviennent la principale source de morbidité et de
mortalité due à la thrombose de la veine porte.
Thrombose des veines système porte et grossesse
La grossesse ne semble pas constituer un facteur
de risque très important de thrombose du système porte [4-7]. Il n'y a
quasiment pas de publication rapportant la survenue d'une thrombose récente
de la veine porte au cours de la grossesse. Dans notre expérience, sur près
de 200 cas de thrombose de la veine porte, aucun ne s'est manifesté de façon
au aiguë au cours d'une grossesse.
On dispose de peu de documents sur
le déroulement d'une grossesse chez les patiente atteinte d'un cavernome portal
connu. Il n'a pas été signalé de risque particulier d'hémorragie
ou de récidive de thrombose ni d'impact négatif sur le déroulement
de la grossesse. Dans notre expérience limitée, ni le traitement anticoagulant,
ni le traitement prophylactique de l'hypertension portale n'ont été source
de difficultés.
Atteintes de l'artère hépatique
Les atteintes de l'artère hépatique
sont des affections exceptionnelles. Elles incluent les obstructions, les fistules
et les anévrysmes. Les obstructions sont habituellement iatrogènes (traumatisme
ou ligature chirurgicale, radiologie interventionnelle). L'obstruction des gros
troncs est sans conséquences en raison de la facilité avec laquelle se
développe une circulation collatérale. En revanche l'obstruction des petites
artères terminales par embolisation thérapeutique - par exemple
pour l'hémostase d'un hématome ou d'une rupture du foie - expose
à un risque sérieux de complication. C'est pourquoi les embolisations
sont actuellement effectuées avec des particules de gros diamètre. Les
artères hépatiques ayant une destinée principalement biliaire, il
est logique que l'obstruction des petites artères se manifeste essentiellement
par une nécrose des voies biliaires, d'évolution extrêmement grave.
Les fistules artério-portales
sont habituellement la conséquence d'une plaie à l'arme blanche. La maladie
de Rendu-Osler est parfois responsable de multiples fistules intra-hépatiques
entre sys 596 D.-C. VALLA
tème artériel et systèmes veineux
(portal ou hépatique). Les manifestations sont soit une insuffisance cardiaque
à haut débit (fistules artério-sus hépatiques), soit une hypertension
portale (fistules artério-portales), soit une nécrose biliaire dû
à un vol du sang artériel destiné aux voies biliaires par les fistules.
Il n'a pas été rapporté d'influence particulière de la grossesse
sur les manifestations hépatiques de la maladie.
Les anévrysmes de l'artère hépatiques
sont essentiellement dus à la périartérite noueuse. Elles ont peu
de manifestations propres en dehors des exceptionnelles atteintes biliaires. Il
n'a pas été rapporté d'effet particulier de la grossesse.
Atteinte des capillaires hépatiques (sinusoïdes)
[8]
Il existe deux types d'atteinte primitive des
capillaires hépatiques : la fibrose périsinusoïdale et la dilatation
sinusoïdale. La fibrose péri-sinusoïdale primitive est souvent associée
à un état prothrombotique. De ce fait, on suppose qu'elle est due à
une activation de la coagulation intrahépatique. Elle se manifeste par une
hypertension portale sans insuffisance hépatique, de bon pronostic. Il n'a
pas été rapporté d'interaction avec la grossesse.
La dilatation sinusoïdale peut
affecter de façon systématisée le centre ou la périphérie
du lobule hépatique en l'absence d'insuffisance cardiaque ou de syndrome de
Budd-Chiari (qui en sont les principales causes). Ce type de lésion a été
attribué aux contraceptifs oraux. Cependant, le niveau de preuve est très
bas. Il n'a pas été rapporté d'association avec la grossesse.
Conclusion
Les maladies vasculaires du foie sont exceptionnelles.
La thrombose de veines hépatiques doit être connue des gynécologues
et des obstétriciens parce qu'elle touche préférentiellement les
femmes jeunes ; parce qu'elle est favorisée par les contraceptifs oraux et
la grossesse ; et parce que non traitée elle a une évolution très
sévère, alors que reconnue et traitée précocement le pronostic
est bon. MALADIES
VASCULAIRES DU FOIE ET GROSSESSE 597
Bibliographie
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vein thrombosis (Budd-Chiari syndrome). Semin Liver Dis, 2002. 22(1): p.
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S., et al., Idiopathic non-cirrhotic intrahepatic portal hypertension in the West:
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