Chapitre 7
contraception orale et maladies hépatiques
D. CH. VALLA
Introduction
Par les oestrogènes qu'ils contiennent, les contraceptifs oraux peuvent
contribuer à, et parfois être responsables de, divers désordres fonctionnels et
diverses lésions hépatiques, rares.
Tous les éléments fonctionnels du foie peuvent être affectés par les
contraceptifs oraux. Des tumeurs hépatiques, le plus souvent bénignes, peuvent se
développer. Elles sont souvent découvertes à l'occasion d'une échographie hépatique,
parfois réalisée de façon " anodine " au cours d'une grossesse.
I Cholestase intrahépatique
Cette affection est extrêmement rare. Elle semblait plus fréquente
lorsque les pilules contraceptives étaient plus fortement dosées en oestrogènes. Une
action cholestasiante est le propre des oestrogènes ; elle s'exerce chez toutes les
femmes, mais n'est suffisante pour devenir symptomatique que chez certaines d'entre elles.
La cholestase intrahépatique des contraceptifs oraux se traduit par une
anorexie, une asthénie, des nausées, une perte de poids et un prurit, suivis après
quelques jours par l'émission d'urines foncées et par un ictère. Les anomalies des
tests hépatiques se limitent souvent à une augmentation de la bilirubinémie totale par
augmentation de la bilirubine conjuguée. Les phosphatases alcalines peuvent être
normales. Les transaminases sont parfois discrètement augmentées. La biopsie montre des
lésions de cholestase centrolobulaire pure, sans nécrose ni inflammation. Ces troubles
se développent au cours des 6 premiers cycles d'utilisation, et habituellement au cours
du premier d'entre eux. Les anomalies disparaissent sans laisser de séquelles en moins de
3 mois après l'arrêt des contraceptifs oraux.
Les femmes ayant développé une cholestase des contraceptifs oraux ont
été, ou seront, souvent affectées par une cholestase gravidique ; mais l'inverse n'est
pas toujours vrai. Il existe manifestement une prédisposition génétique commune aux
deux syndromes dont le mécanisme précis n'est pas encore élucidé (1).
Un antibiotique, la triacétyl-oléandomycine, déclenche parfois un
ictère cholestatique chez certaines femmes prenant des contraceptifs oraux. On l'explique
par une diminution du catabolisme hépatique des oestrogènes sous l'effet de
l'antibiotique, ce qui entraîne une augmentation de leur biodisponibilité et une
exacerbation secondaire de leur effet cholestasiant (2).
II Cytolyse hépatique
On a décrit, au temps des premières pilules contraceptives, des
augmentations modérées régressives des transaminases lors des premiers cycles
d'utilisation. Aucune forme sévère n'a été rapportée. Actuellement, les contraceptifs
oraux ne peuvent être considérés comme une cause de nécrose hépatique pure (3).
III Adénomes hépatiques
L'adénome hépatique est une tumeur bénigne composée
d'hépatocytes. Elle est extrêmement rare spontanément. Elle se manifeste habituellement
par une masse de l'hypochondre droit, rarement par des douleurs. Les tests hépatiques
sont parfois discrètement perturbés.
Actuellement, ces tumeurs sont en général découvertes fortuitement. Une
nécrose ou une hémorragie intratumorale peuvent survenir, responsables de douleurs et
d'un syndrome inflammatoire biologique. Les deux complications les plus graves sont la
rupture intrapéritonéale, très rare, et la transformation en carcinome
hépatocellulaire, exceptionnelle.
Le diagnostic d'adénome hépatique repose sur l'analyse histologique.
Aucune des techniques d'imagerie (et en particulier l'échographie hépatique) ne donne
d'information suffisamment spécifique pour ce diagnostic. Le diagnostic différentiel
histologique peut lui-même être très difficile entre un adénome, une hyperplasie
nodulaire focale et un carcinome hépatocellulaire.
La résection de l'adénome est habituellement proposée en raison des
difficultés diagnostiques, du risque de dégénérescence maligne et du risque de
complication grave.
L'augmentation du risque d'adénome chez les utilisatrices de
contraceptifs oraux a été documentée par plusieurs études cas-témoin (4,5). Le risque
croît avec la durée d'utilisation, avec l'âge, et avec le contenu en oestrogène.
Actuellement, la plupart des cas d'adénome hépatique sont observés chez des femmes
ayant pris des contraceptifs oraux pendant plusieurs années. Il est possible que la
relation devienne moins évidentes depuis que les pilules microdosées en oestrogène
occupent l'essentiel du marché.
On a suggéré que les contraceptifs oraux augmentent non seulement le
risque de développement d'un adénome, mais aussi leur risque de complications
nécrotiques ou hémorragiques (6,7). Surtout pour les adénomes superficiels, un risque
de rupture existe au cours de la grossesse qui favorise une croissance tumorale rapide.
IV Hyperplasie nodulaire focale
L'hyperplasie nodulaire focale est une tumeur bénigne du foie beaucoup
plus fréquente que l'adénome hépatique. Elle est caractérisée par des nodules
d'hépatocytes disposés en grappe autour d'une zone fibreuse centrale étoilée. Elle est
souvent considérée comme la conséquence d'une anomalie vasculaire congénitale (gros
rameau artériolaire provoquant une hyperplasie hépatocytaire localisée). La tumeur est
généralement asymptomatique. Les tests hépatiques sont habituellement normaux. Le plus
souvent, la découverte est fortuite. Dans la moitié des cas, le diagnostic peut être
fait par les examens d'imagerie non invasive. Dans l'autre moitié des cas, la tumeur ne
peut être distinguée d'un adénome ou d'un carcinome hépatocellulaire. Le rendement de
la ponction biopsie dirigée n'est pas encore bien évalué (8). En cas de doute
persistant, l'exérèse chirurgicale est recommandée.
La relation avec la prise de contraceptifs oraux n'a pas été autant
étudiée que celle des adénomes. Une étude récente, non encore publiée, trouve une
discrète augmentation du risque chez les femmes ayant utilisé les contraceptifs oraux
pendant plus de 10 ans (J.-F. Fléjou, hôpital Beaujon, communication personnelle, 1994).
Au cours de la grossesse, il est admis que, contrairement à l'adénome
hépatocytaire, l'hyperplasie nodulaire focale, même superficielle, n'augmente pas
significativement de volume et ne fait pas courir le risque de rupture.
V Carcinome hépatocellulaire et carcinome fibrolamellaire
Le carcinome hépatocellulaire est une complication fréquente des
maladies chroniques du foie évoluant vers une cirrhose, quelle que soit leur cause :
hépatite virale chronique (B, C, ou D) intoxication alcoolique chronique,
hémochromatose, hépatite auto-immune. Le carcinome hépatocellulaire sur foie sain est
une entité exceptionnelle.
Chez les femmes jeunes, utilisant ou non des contraceptifs oraux, la
plupart des carcinomes hépatocellulaires surviennent sur foie sain. Dix à 50 % d'entre
eux correspondent à une forme anatomoclinique particulière, le carcinome
fibrolamellaire. Celui-ci est caractérisé par un stroma fibreux particulier, une
évolution particulièrement lente, et un meilleur pronostic global. Le carcinome
fibro-lamellaire doit conduire à une hépatectomie d'exérèse.
Plusieurs études cas-témoins émanant des pays occidentaux ont
clairement indiqué que le risque de survenue d'un carcinome hépatocellulaire croît avec
la durée d'utilisation des contraceptifs oraux (9-13). Le risque spontané étant infime,
le supplément de risque apporté par les contraceptifs oraux n'est pas détectable à
l'échelle de l'ensemble de la population (14). En dessous de 4 ans d'utilisation, aucun
accroissement de risque n'est mesurable. Il est possible que l'action des contraceptifs
oraux se décompose en étapes successives favorisant le développement des adénomes,
puis celui de foyer dysplasiques au sein des adénomes, et enfin celui d'un carcinome dans
les foyers dysplasiques (15).
Dans les pays à forte incidence de carcinome hépatocellulaire, les
études n'ont pas confirmé l'augmentation de risque due à la prise de contraceptifs
oraux (16). Plusieurs raisons expliquent ce résultat négatif : manque de puissance des
études, absence d'interaction entre virus de l'hépatite B ou C (associés à la plupart
des carcinomes dans les zones de forte incidence) et prise de contraceptifs oraux (16).
VI Angiosarcome hépatique
On a rapporté quelques observations isolées attirant l'attention sur un
possible lien entre la consommation de contraceptifs oraux et le développement
d'angiosarcomes hépatiques. La réalité de cette association est difficile à retenir en
l'état (3).
VII Dilatation sinusoïdale
La dilatation sinusoïdale est une lésion extrêmement rare,
caractérisée par une augmentation de calibre systématisée des capillaires sinusoïdes
hépatiques.
Les contraceptifs oraux ont été associés à la forme où la distension
prédomine dans la région périportale du lobule (17). Le nombre de cas symptomatiques
rapportés s'élève à un peu plus d'une vingtaine. Les manifestations sont voisines de
celles d'une périhépatite ou d'une cholécystite aiguë : douleurs brutales de
l'hypochondre droit, fièvre, syndrome inflammatoire, anomalies discrètes et inconstantes
des tests hépatiques. Les lésions régressent en règle, en laissant parfois une
discrète fibrose périsinusoïdale. La réintroduction des contraceptifs n'est pas
toujours suivie de la récidive des manifestations.
En fait, les lésions de dilatation sinusoïdale sont rencontrées chez 50
% des utilisatrices asymptomatiques de contraceptifs oraux (18). D'autre part, dans les
cas symptomatiques, une affection intercurrente connue pour déterminer une dilatation
sinusoïdale est habituellement associée. C'est pourquoi on considère actuellement que
les cas symptomatiques correspondent soit à la découverte fortuite d'une dilatation
sinusoïdale au cours d'une affection intercurrente, soit à l'addition des effets
sinusoïdaux de la prise d'oestroprogestatifs et de l'affection intercurrente (3).
VIII Nécrose hémorragique focale
Un cas de cette lésion associant des infarctus localisés, une atteinte
artériolaire, et une atteinte veinulaire portale a été rapportée sans qu'aucune autre
cause n'ait, à l'époque, été identifiée (19).
IX Thrombose des veines hépatiques ou de la veine cave inférieure
Cette affection très rare est due, dans 80 % des cas, à un syndrome
myéloprolifératif, un syndrome des antiphospholipides, ou à une hémoglobinurie
paroxystique nocturne (20).
Les principaux symptômes cliniques sont une ascite et une
hépatomégalie. Exceptionnellement, la maladie peut être révélée par une insuffisance
hépatocellulaire aiguë par nécrose ischémique. Lorsque les manifestations ne peuvent
être contrôlées par un traitement médical simple, une anastomose portosystémique doit
être effectuée. Un traitement anticoagulant au long cours est nécessaire pour éviter
les récidives de thrombose, quel qu'en soit le territoire.
Récemment, des formes asymptomatiques dont le pronostic spontané à 3
ans semble bon ont été décrites (21).
Dans la période 1960-80, lorsque le contenu en oestrogène des
contraceptifs était plus élevé, la prise récente de contraceptifs oraux augmentait le
risque de cette affection (22). Toutefois, lorsqu'elle était systématiquement
recherchée, une affection thrombogène sous-jacente était habituellement présente (22).
Actuellement, le rôle favorisant des contraceptifs oraux est bien plus incertain : de ce
fait, la recherche d'une maladie thrombogène s'avère d'autant plus nécessaire chez les
femmes utilisant de contraceptifs oraux et atteintes de thrombose des veines hépatiques.
X Thrombose de la veine porte
Cette affection est beaucoup plus fréquente que la thrombose des veines
hépatiques. Le fait qu'elle puisse être favorisée par la prise de contraceptifs oraux
est suggéré par l'analogie avec les données sur les thromboses des veines hépatiques
ou des veines des membres inférieurs (3). Seuls quelques cas isolés associant thrombose
de la veine porte et contraceptifs oraux ont été rapportés. Les causes habituelles de
thrombose de la veine porte, et en particulier les affections thrombogènes générales
doivent être recherchées (3).
Conclusion
Les affections hépatiques associées à la prise de contraceptifs oraux
sont rares, mais parfois graves.
Pour un grand nombre d'entre elles, le risque est lié à la dose
d'oestrogènes du contraceptif et à sa durée d'utilisation. Ce risque pourrait donc
avoir été très diminué par la réduction du contenu moyen en oestrogènes survenu
depuis les années soixante-dix. L'augmentation de risque, faible mais bien établie,
associée à une utilisation prolongée plus de 10 ans pourrait être prise en compte
lorsque des méthodes de contraception alternatives sont envisageables.
En règle générale, les contraceptifs oraux ne font qu'exacerber une
affection sous-jacente. Hormis un interrogatoire sur les antécédents personnels et
familiaux et un examen clinique, aucune mesure particulière ne parait justifiée en
raison de la rareté de ces affections, du coût extrêmement élevé du dépistage qui
serait nécessaire, et du très petit nombre de cas que cette attitude permettrait de
prévenir.
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PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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